Plusieurs voies s’offraient pour la bande phare de Bristol : s’assagir, poursuivre le combat social ou mener la révolution. Le contexte actuel n’a pas laissé véritablement de choix. IDLES revient encore plus enragé sur Ultra Mono, enregistré en France, à la Frette Studios près de Paris, pour porter un punk social qui se veut brut.
L’engagement du quinté anglais n’est pas nouveau. Déjà, dans leur premier opus Brutalism sorti en 2017, les enjeux sociétaux perturbaient l’état d’esprit du groupe qui s’interrogeait, avec sarcasme bien souvent, sur les conditions féminines et l’oisiveté de la jeunesse blanche anglaise glissant dans la décadence. L’album suivant, Joy as An Act Of Resistance sorti un an plus tard, poursuivait avec les mêmes intentions de tacler les toxicités de nos civilisations – masculinité, homophobie, xénophobies , etc. – tout en gardant une certaine joie infectieuse qui se devait de nous rassembler. A ceci, on peut rajouter des prestations live incendiaires et mémorables. Bien que tous ces assauts soient louables, les prises de positions pro-migrants, anti-Brexit et moqueuses vis-à-vis de la royauté conduisent inéluctablement à des controverses ou à des jalousies. Les formations anglaises Fat White Family et Sleaford Mods reprochent notamment à IDLES de s’approprier la voix de la classe ouvrière avec des propos « clichés », « médiocres », « pompeux » ou encore « prétentieux ». Comme quoi, il n’y a pas qu’en France où on a le droit à une guerre d’égo entre certains artistes.
C’est avec ironie comme toujours qu’IDLES leur répond à travers The Lover qui aurait pu être l’ouverture de ce nouvel album Ultra Mono. Le groupe assume son identité avec véhémence, se défendant de chanter pour quelque chose et non des amourettes. Si le procédé est drôle, il donnerait malheureusement raison à ses détracteurs. Le titre joue de facilité, que cela soit instrumentalement que lyriquement : « I want to cater for haters / Eat shit ». Bien heureusement, le reste de l’album qui comprend encore certaines failles, est beaucoup plus intéressant et percutant.
Ultra Mono se veut comme le moteur de son prédécesseur mais en étant davantage dans le momentané quitte à être dans l’imprécision. Le premier single de l’album est l’image de ce que le groupe sait mieux faire : balancer des punchlines sans aucune métaphore et en citant des références pop contemporaines. Mr. Motivator se porte comme le fer-de-lance jubilatoire d’une révolution punk social. C’est ainsi que Kathleen Hanna, Frida Khako ou Joe Calzaghe sont cités comme des héros sous-estimés se soulevant contre Goliath. IDLES les prend pour exemple pour encourager le peuple à gagner confiance en soi. Classique mais efficace.
Les combats du groupe sont toujours aussi nombreux mais la férocité a pris le dessus pour dégainer sur tout et dans l’urgence. Les morceaux sonnent dans la brutalité avec une batterie enragée et des rifs lourdes et sombres. L’entame de Ultra Mono, nommé War, donne déjà le goût du restant de l’album et les pensées tourmentées de Joe Talbot de toute casser. Pas une lueur de positivisme sort de ces trois minutes, ni aucun souffle. L’enchainement bruitasse des morceaux et l’immédiateté des rythmes classent Ultra Mono comme un rouleau-compresseur prêt à écraser tout sur son passage.
Même les quelques notes de piano sur le début de Kill Them With Kindness ne sont pas assez pour donner du répit. Ici, Talbot refuse les compliments pour se reposer sur la gloire car la lutte se poursuit à plusieurs : sur ce titre déjà, avec le jazzman Jamie Cullum, plus tard avec Jenny Beth sur Ne Touche Pas Moi au sujet des agressions sexuelles où tous deux scandent le consentement sans approfondir davantage la problématique. C’est peut-être dans le punk minimaliste Model Village que IDLES se montre plus tranchant et audacieux quand il dénonce ces villages anglais racistes et alarmistes qui regorgent de populations refaisant l’actualité du pays à partir de tabloïd et de pintes : « Still not in love with the village / Homophobes by the tonne in the village / A lot of overpriced drugs in the village / A lot of half-pint thugs in the village ». Le groupe dépeint ainsi des villages anglais qui s’enferment dans leur propre bulle pour ensuite déverser leur haine à travers un pays qui prône l’austérité en dépit de ses travailleurs comme il regrette dans Carcinogenic : « Over-working, working nurses and teachers / Whilst you preach austerity is… ».
Le groupe n’est pas réputé pour l’expérimentation de ses titres, il le confirme sur cet album. Néanmoins, il s’aventure tout de même sur des contrées électroniques. D’abord sur Grounds avec l’aide du producteur hip-hop Kenny Beats où des signaux d’alarme viennent avertir que le peuple est prêt à se rebeller « Do you hear that thunder? / That’s the sound of strength in numbers » puis sur Reigns sur lequel s’ajoute la participation du saxophoniste Warren Ellis, The Bad Seed. Cette dernière piste est par ailleurs l’excellente surprise qui saura unifier et rendre sulfureux la nouvelle génération punk.
IDLES peut être rapproché à l’image de certains rappeurs engagés contemporains : aucune peur d’aller sur le front, de cogner s’il le faut et d’interagir avec la société actuelle tout en balançant des sonorités lourdes et puissantes. C’est peut-être pourquoi la bande de Bristol est aussi populaire : toujours dans l’urgence, quelques fois maladroite mais moderne car elle avance et fédère son public et plus largement avec toute classe moyenne. Les constats et les cris sont certes nombreux et faciles et oublient par moment à valoriser ceux qu’ils défendent. Beaucoup reprocherons peut-être aussi à Ultra Mono son manque de finesse et de poésie, cependant le choix est assumé. Le monde évolue et il n’y a guère de temps à perdre pour aller dans les détails : il faut frapper juste et à coup de slogans. Surtout, il serait dommage de se priver du point fort d’un groupe qui est son efficacité à faire écho à nos émotions si rapidement. IDLES a le mérite de bousculer les idéologies et à vouloir mener la révolte dans une Angleterre en perdition.