Ils ont choisi le nom d’un personnage de roman fantasy adapté au cinéma par Rob Reiner et leurs opus sont sobrement intitulés InigEP01, InigEP02 et InigEP03 à la façon de référencements de disquaires ou médiathèques. Le duo Iñigo Montoya, composé de Quentin et Pierre et rejoint sur scène par David Baudart (Burning Peacocks) à la basse et Louis Delorme (Air) à la batterie, se plaît à entourer ses créations de mystère. Ce vendredi, le groupe à l’aura enchanteresse enfonce sa singularité dans le paysage de la musique électro-pop en français avec InigEP03, sorti chez Echo Orange.
Le mal du siècle semble sévir chez les artistes ces derniers temps. Surfant sur un vague à l’âme généralisé et une vision quelque peu défaitiste de l’avenir, nombre sont ceux qui, avec humour ou ironie, s’improvisent collapsologues en mettant en chanson les temps sombres qui nous guettent (à l’instar de Bagarre qui signait Au revoir à vous en octobre et dont nous vous avions parlé). Désabusement, désillusions et désir charnel se conjuguent ainsi dans le troisième EP d’Iñigo Montoya. Avec des textes crus et acérés tels les lames du personnage de film auquel il a emprunté le nom, le duo s’aventure davantage dans les paysages noirs explorés dans Mon amour abandonnique notamment, proposant un nouveau projet aussi envoûtant qu’il est sombre.
Plage de plus de huit minutes, l’incipit de l’opus, Archipel, voit se dérouler de façon progressive une mélodie rappelant certaines sonorités d’inspiration orientale et plantant le décor déclinant dans lequel évolue le groupe. Avec une Terre qui « n’a plus de forme ni d’éclat » en arrière-plan, Iñigo Montoya s’aménage une oasis d’espoir dans la noirceur, invoquant « la magie et le chant des erreurs lorsqu’ils réveillent en nous le désir de tout changer pour un monde un peu meilleur ». Au cours de cette longue introduction, le duo se place en observateur critique du monde qui nous entoure, fantasmant une terre hospitalière où inventer un futur plus lumineux.
Le second morceau de l’EP, révélé le 08 octobre accompagné d’un clip hyper coloré en dessins animés pas franchement épileptiques-friendly, encore une fois réalisé par ZEUGL, opère quant à lui le pont entre leur quatre titres sorti l’année passée, InigEP02, et ce nouvel opus. Iñigo Montoya signe avec MDTG – comprendre : « mirage dans ta gueule » – son titre le plus extrême. Torturé, le groupe livre sur une instrumentale aux percussions entraînantes la combinaison de textes crus à forte teneur sexuelle et chœurs célestes dotant l’ensemble d’un relief savoureux. Comme un pied de nez au manichéisme, il offre un titre dansant, agressif et grinçant à la fois. Y fait écho la vidéo explosive de ZEUGL, mettant en scène un petit homme noyé par des flots d’images violentes, masses fourmillantes de personnes et produits de consommation dans un monde en effondrement, se faisant témoin et juge des vices de l’humanité. Dénonçant l’hypocrisie et exprimant un point de vue incisif et mordant, le texte de MDTG explore nos déviances sur une instrumentale impétueuse, illustrant la dualité humaine appuyée dans la vidéo. Crus, les mots d’Iñigo Montoya dérangent autant qu’ils mettent le doigt sur nos défauts.
Iñigo Montoya poursuit avec ce nouvel EP la magie noire amorcée dès le premier morceau d’InigEP02 et livre avec lui des musiques hypnotiques et des phrases résonant comme des incantations, offrant cinq titres composés comme cinq formules magiques. Grimoire dépoussiéré, le groupe mêle pop française et noirceur pour la parer de sortilèges magiques et invocations célestes, combinés à des beats électroniques et samples ensorcelants. Avec Gymnasium, on retrouve ces incantations associées à une mélodie électro-pop et de nombreux effets vocaux pour une production riche et planante.
Castration touche quant à elle à la rupture, la composition imagée jouant un rôle de catharsis. Face à la douleur insupportable, le désamour et le mépris semblent indispensables pour contrer l’absence. Haine et violence comme obsession, Iñigo Montoya s’accroche à l’Autre tandis que l’amour et le monde s’effondrent simultanément. Enfin, comme en réponse à l’individualisme et au futur sombre qu’il dénonce, le groupe clôt son projet par À moi la vengeance, ballade sur laquelle de multiples voix de fans s’unissent et se rejoignent en écho. Nous berçant de leurs rêves déchus et illusions déçues sur une mélodie éthérée au piano, ils nous offrent un discours hantant où le désir de vengeance se fait message d’espoir.
Jouant de mots crus presque agressifs, d’influences entre électro-pop et psyché et chants rappelant des incantations tribales africaines, Iñigo Montoya continue d’asseoir sa place dans les paysages sombres de la scène française. Avec rage et ironie, le duo imagine un futur alternatif pour contrer la dureté quotidienne. Comme une revanche ou un sort jeté pour un monde meilleur.