Chez La Face B, on n’est pas des gens très sérieux. Et parfois, on a envie de garder certaines interviews juste pour nous. Comme des moments un peu secrets et cachés. Mais il arrive un moment où il faut les partager avec vous. On avait eu le bonheur de retrouver Iñigo Montoya en décembre au FGO Barbara pour une longue conversation autour de leur Iniglp01. Cette interview fleuve est désormais un petit plaisir que l’on partage avec vous.
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La Face B : La dernière fois qu’on avait discuté, il était déjà question de la sortie de cet album. L’album sort aujourd’hui, est-ce qu’y a une sorte de soulagement pour vous d’enfin voir ce Iniglp01 sortir ?
Pierre : Oui, je crois quand même. Petit soulagement. Disons qu’on n’était pas forcément obsédés par l’idée de sortir un album. Sortir des maxis ça nous allait comme style de format, garder une activité, sortir de manière assez rapprochée des titres… Aujourd’hui, l’album a moins de sens avec le streaming. En même temps, on est quand même attachés à ce format parce qu’on est fans de plein d’albums, on a grandi avec ça, avec les CD et finalement on a réussi à trouver une certaine cohérence. Et d’ailleurs on était assez contents quand on a vu la pochette de Zeugl qu’ils ont créé parce qu’on la trouve assez phénoménale, de se dire voilà ils ont vraiment été au-delà de ce qu’ils font d’habitude parce que justement c’est un album.
Donc pas de soulagement au sens que ce n’était pas un objectif absolument obligatoire pour nous. Mais il y a quand même le soulagement parce qu’une fois qu’on s’est lancés dedans même si on l’a fait sans pression, c’est quand même un taf assez monumental, de tout composer, tout produire… En vrai, en composition, on n’a pas trop de problème parce qu’on ne manque pas de morceaux, on a beaucoup de morceaux en stock mais il fallait trouver les morceaux qui allaient être cohérents entre eux.
On aime bien les albums qui ne sont pas trop longs donc c’est pour ça qu’on a préféré rester sur 11 titres pour 37-38 minutes et voilà. Mais ç’a été un peu long surtout que malheureusement on fait ça avec très peu de moyens et en plus, je mixais l’album, c’est un boulot très très long de mixer 11 titres, il faut réussir à trouver la cohérence dans la manière de traiter le son. Et ce n’est pas toujours simple, surtout quand on mixe parfois sa propre voix. C’est des choses justement au niveau du recul où parfois on devient encore plus obsédés que si c’était une voix extérieure. Et dans ces moments-là, c’est aussi important d’avoir à ce moment du mixage Quentin qui dit « En fait, mec, là c’est bon, c’est bien tu peux t’arrêter. »
Quentin : Déjà tu pouvais arrêter il y a trois jours mais tu peux continuer si tu veux mais…(rires) Je n’aurais pas parlé de soulagement mais plus de joie, d’un truc d’accomplissement, de la fierté. C’est vrai qu’avec Pierre, on fait de la musique ensemble depuis peut-être 15 ans maintenant et on n’avait pas sorti d’album, on avait sorti des EPs mais c’est vrai qu’on s’est dits ce n’est pas grave on peut être un groupe qui sort que des maxis, des EsP c’est sympa. Mais c’est vrai que ça vient, je trouve, concrétiser aussi bien un projet musical cool qu’une amitié hyper longue. C’est un truc…
La Face B : Un truc d’adultes un peu (sourire)
Quentin : Ouais ! Il y a un peu ça, un truc « Ah putain on est grands » puis se dire qu’on a grandi ensemble. Donc ouais c’est plutôt de la joie. Joie et fierté.
La Face B : Entre la création de la SPA, Romain Gary et l’équipe de Thriller, vous le placez où votre album ?
Quentin : Ah bah au-dessus ! (rires)
Pierre : J’aime bien ce genre de post à la con. Romain Gary ce n’est pas l’auteur que je préfère… On est au-dessus de Thriller quand même… Allez on est à égalité, on fait match nul.
La Face B : Bien en dessous de la création de la SPA quand même…
La Face B : C’est la première fois que vous apparaissez sur la pochette…
Pierre : Alors on n’apparait pas sur la pochette en fait. L’image… Tu dois faire référence à en fait ce qui est notre photo de presse. Ce n’est pas la pochette de l’album. C’est la photo de presse officielle de l’album. C’est-à-dire que l’image de l’album c’est le paysage avec un petit écran vert entre deux montagnes. Avec la technologie cachée derrière ce monde fantasmé tout en emojis. Et comme on n’aime pas montrer nos gueules, aller faire des photos de presse à la con où on tire la tronche mais on peut quand même faire des photos, ça nous fait plaisir, on ne savait pas trop quoi faire et en fait la photo de presse d’avant c’était déjà avec des emojis pour le clip de Chasseur Chassé… On a fait ok bah réutilisons ça mais cette fois-ci ils vont changer tous les emojis et ils vont les inclure dans la pochette d’album et voilà.
La Face B : Mais justement, le lien d’album que j’avais eu c’était la photo de presse qui était mis en pochette et justement ça m’avait surpris un peu de vous voir…
Quentin : Ah !
Pierre : Mais la pochette qui est sortie partout, c’est celle du paysage.
La Face B : Ce qui est intéressant c’est que j’ai l’impression que cette pochette elle représente complètement Iñigo Montoya, c’est-à-dire que un monde dans des mondes, des images dans des images. Les gens pourraient se satisfaire de la surface mais plus tu plonges dedans et plus tu vois des choses différentes en fait…
Pierre : Je crois qu’ils l’ont plutôt bien matérialisée. C’est vrai qu’on aime bien cette idée de sorte de mise en abîme constante mais c’est vrai que le clip de 86c’est ça en fait. Tu rentres dans un emoji, qui te renvoie vers un autre emoji, qui te renvoie vers un autre emoji et en fait tous les emojis forment un dessin plus grand, c’est un peu cette idée. Et ouais ils ont clairement suivi cette logique sur la pochette, avec cet écran vert qui appelle à un autre monde derrière.
La Face B : Totem faisait ça aussi… Sur les images un peu religieuses qui se succédaient…
Pierre : Ouais Totem qui est sur ce délire de fausse réalité virtuelle. Donc oui oui ça résume plutôt… Ce qui est cool, c’est qu’ils ont réussi à faire une pochette qui est assez, en tout cas qui d’un point de vue esthétique, canon et qui synthétise bien le sens de l’album.
Quentin : C’est dense, il y a plusieurs degrés de lecture et c’est un peu ça qu’on aime quoi…
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La Face B : Un côté un peu fantasmagorique, mais en même temps très attaché au réel, il y a vraiment tout ce qu’on pourra retrouver dans l’album d’ailleurs… Ces idées de chemins un peu détournés pour parler du réel, du monde qui nous entoure quoi…
Pierre : Parce que finalement en fait, les textes de manière générale même si on ne les explicite pas forcément, on parle de choses très concrètes. C’est autant Nos amis les animauxpour parler d’une nuit dans un club du point de vue d’un barman même si ça peut être pris sous la lecture aussi du réchauffement climatique. Ou Terreur peut parler d’un youpi qui va se suicider sur les rames du métro et où son esprit va s’égarer dans Paris. Mais c’est comme ça, c’est le point de départ mais le propos n’est pas forcément explicité. C’est comme d’ailleurs Totem, tu peux mettre ce que tu veux derrière le Totem parce qu’en fait Totem il est partout. Quand il y a quelqu’un qui nous demande « Mais c’est quoi derrière Totem ? », on n’a pas envie de lui dire. Tu peux y mettre ce que tu veux.
La Face B : Oui c’est ça, c’est que tout le monde se créée des totems au final, tout le monde se créé une certaine religion ou les choses sur lesquelles tu voues un culte…
Quentin : Et après tu plonges dans un certain dogmatisme…
Pierre : Tu peux plonger dans la société de consommation comme tu peux aussi la remettre en question mais en fait tes contradictions elles seront toujours là. Tu en auras toujours de partout donc peu importe ce que tu crois. A un moment, tu vas toujours te prendre un mur dans la tronche… ‘fin si tu ne veux pas voir la contradiction, tu ne le prendras pas mais en réalité tu te la prendras ta contradiction.
La Face B : Justement comme c’est votre premier album, comment vous l’avez envisagé ? C’est-à-dire d’un point de vue sonore, d’un point de vue du story-telling, de ce que ça raconte, est-ce qu’il y avait un défi à avoir quelque chose qui soit cohérent ?
Pierre : Ah oui oui clairement. C’est un peu ce dont on se parlait tout à l’heure… Jusqu’à maintenant le format maxi ou EP nous permettait un peu de tricher. Parce qu’on pouvait faire un maxi dans un délire post-punk, l’autre dans un délire électro ou un autre dans un délire chanson et en fait ouais on avait vraiment pas mal d’idées et on se disait quels sont les albums que nous on aime, pourquoi on les aime. On aime la musique mais qu’est-ce qui fait que ce sont des albums qu’on aime donc il y avait clairement cette idée de cohérence. On aime bien les albums plutôt courts et ce qui aide en plus à la cohérence. C’est pour ça que je pense qu’on est un peu revenus à nos amours pop.
En fait, on avait déjà énormément de morceaux dans lesquels on pouvait piocher de base, même si ce n’était pas des morceaux terminés mais on avait déjà beaucoup de démos écrites. Et après justement on commençait à faire des tests et on s’est rendus compte que des morceaux de 8 minutes plus instrumentaux couplés en fait avec des morceaux plus pop… Notre musique est déjà dense, ça allait trop densifier. Même si on fait un album d’une heure, notre musique en soi, est déjà dense même si le morceau ne dure que de 3 minutes, on sait que le morceau est très dense.
Parce qu’y a énormément de parties qui s’enchaînent très vite, parce que tu peux avoir énormément de couches verticales dans les détails etc. Donc l’idée c’était justement de garder quelque chose d’assez condensé. Mais pas forcément dans les textes, de cohérence mais de toute manière on se la trouve naturellement parce que nos sujets de prédilection se rejoignent. On n’avait pas ce problème. Par contre, effectivement, à un moment, on a pu se poser la question de « Tiens, est-ce qu’on va mettre ce morceau de 8 minutes électro ? » Et puis finalement on s’est dits non, on va rester sur des morceaux plus pop. Par contre, essayer de trouver l’équilibre entre des morceaux plus calmes, des morceaux plus énervés, des entre-deux, différentes ambiances pour trouver une cohérence sur tout l’album…
Quentin : C’est vrai que la logique je trouve dans l’album c’est avoir des morceaux qui racontent déjà quelque chose en tant que tel, c’est de trouver un rythme aussi sur l’album… Pas que ça soit soit des montagnes russes genre morceau calme/morceau vénère/morceau calme/morceau vénère, pas non plus que ça soit 3 morceaux calmes puis après t’en as 8 ultra vénères. Donc c’était ça, ce jeu-là puis après c’est vrai qu’on avait assez de matière pour piocher dedans. Pierre affinera ce que je dis certainement mais c’est vrai il faut qu’y ait cette cohérence aussi au niveau du mix. C’est vrai qu’avoir des morceaux pas dans la même veine mais du moins plutôt pop avec lesquels on va jouer permettaient aussi certainement d’avoir parfois des sonorités. On s’amusait aussi à reprendre, il y a un moment il y a une TR qu’on met sur deux morceaux, il y a différents éléments rythmiques ou de claviers qu’on a un peu réutilisé, ce que d’habitude, on fait jamais (rires).
La Face B : Ouais qui font écho. J’ai envie de dire à l’écoute, j’ai vraiment l’impression d’avoir un morceau de 34 minutes. Alors, il est chapitré…
Quentin : Ah bah c’est bon, on a gagné ! C’est ça qu’on voulait !
La Face B : Il ya peu de pauses entre les morceaux et ça se lie naturellement en fait.
Pierre : Ouais, c’est marrant parce que c’est un truc tout bête parce qu’on avait nos démos. Je me disais celle-ci elle ira bien après celle-là et tout et en fait.
Quentin : On aadapté les intros et les outros par rapport au morceau d’avant ou après. Effectivement…
Pierre : Pour que ça s’enchaîne mieux. Parfois on se disait c’est dommage parce que que le morceau il est mieux avec une intro, mais en fait, ça passera moins bien sur l’album.
Quentin : On le pensait un peu comme un mix en fait. Une des références, on en a moins parlé bizarrement quand on avait les mains dans le cambouis pour l’album, depuis qu’on se connait, nous, c’est le premier album f♯ A♯ ∞ de God Speed You Black Emperor, qui en fait, à la base, je crois, contenait une trentaine de morceaux. Et en fait non. En fait, ils se sont dits on va en faire trois longues plages. Et en fait c’est marrant, ce côté hyper modulable !
Pierre : On a même failli, il y a les morceaux au milieu, par exemple Kerguélenet Sens interditqui, finalement, on les pensait aussi un peu en terme de face A face B, même si on ne l’a pas encore sorti en vinyle qui devait clôturer, n’était qu’un seul morceau. Finalement, on a choisi de le découper, aussi parce qu’on sait que voilà pour le streaming… En fait, un moment, c’est plus facile, même pour ceux qui veulent écouter le morceau. Ne pas se prendre 2 minutes 30 d’intro instrumentale vaporeuse.
D’ailleurs, la première fois qu’on a pensé à l’album, il y a deux ans, on avait énormément de morceaux qui allaient comme ça de pair et on pouvait choisir est ce qu’on en fait un seul morceau ou pas. C’est, par exemple, le maxi deTrain fou. Le deuxième morceau, c’est L’extinction du dodo. C’était c’est la suite, la continuité du morceau et ça pouvait être pensé comme une longue plage de six – sept minutes. Ou deux morceaux ; un morceau de quatre minutes et un morceau de trois minutes. Finalement on l’a fait en maxi, en deux morceaux. Mais à une époque, même quand on imaginait potentiellement ce morceau dans l’album, on avait fait un premier sketch de l’album avec en fait que des morceaux qui allaient deux par deux…
Quentin : Au final, je pense qu’il n’y a aucun morceau de ceux-là qui s’est retrouvé sur l’album (rires)
Pierre : A part Sens interdit…
La Face B : L’autre question que je me posais, c’est que finalement vous n’avez pas tourné pendant deux ans quasiment… Comment on évite le piège de faire justement un album trop mental et de se perdre dans son esprit, de ne pas avoir de recul, de tester les chansons tout ça pour savoir ce qui va ou pas…
Quentin : Bah en étant débile (rires)
Pierre : Non, mais ça fait depuis très longtemps qu’on bosse en autonomie, c’est-à-dire, cet album est entièrement autoproduit. C’est nous qui l’avons la enregistré nous-même, de A à Z, chez nous, en home studio. Même les rares percus, jouées, etc. c’était dans une cave qui nous servait de local de répètes. Alors évidemment, on a accumulé de l’expérience et du matériel pour faire un travail son professionnel. Même l’album, je l’ai mixé à la maison, donc on a déjà de l’expérience aujourd’hui.
Et on a aussi du recul parce qu’il y a quand même des morceaux qui ont énormément évolué. Le morceau d’introduction, L’art de perdre, si tu entendais la première version, tu ne reconnaîtrais même pas le morceau. Donc ce sont des morceaux qui se sont construits petit à petit, avec plusieurs versions, avec beaucoup d’allers retours et un moment, quand on a fini par les choisir pour l’album, on avait déjà une certaine forme de recul pour dire « OK. Maintenant, ce qui va, le travail qu’il va falloir faire, c’est le peaufiner au maximum et lui chercher le traiter de manière à créer une cohérence entre tous ces morceaux-là »
Mais la première démo de Nos amis les animaux, je crois, date de 2009. L’art de perdre, ça doit dater de 2019. Dans ce genre, ça a déjà deux ou trois ans. Et après, au tout dernier moment, il y a eu des morceaux comme Camera Obscuraou Totem qui sont arrivés dans la dernière année. D’une certaine manière aussi, parce qu’on cherchait des morceaux un peu plus directs qui pourraient justement dynamiter un peu, redonner du rythme quand on sort de morceaux un peu plus anciens, mais un peu plus vaporeux. Mais voilà, c’est pas forcément compliqué, en fait.
Quentin : On n’a pas ce truc, je pense. On décloisonne le live de la composition. Même souvent la manière de travailler le live, souvent les morceaux sont finis. Et après c’est juste pour le coup pour nous de les retravailler pour qu’ils sonnent sur scène…
Pierre ; On n’a aucun problème. Là, on a mis en live Camera Obscura, par exemple, qui est sur l’album. L’arrangement n’a rien à voir avec celui de l’album. Sur l’album, c’est très électro.
Quentin : Mais pour revenir à ce que tu disais, de pas se perdre dans nous-mêmes aussi. Ce qui est pas mal, c’est vraiment d’être deux. C’est qu’il y a des morceaux comme Sens interdit, par exemple, c’est vraiment un morceau que Pierre a ramené. Je n’ai strictement rien fait, si ce n’est avoir plutôt un regard de DA et lui dire « Ouais y a juste ce passage-là, il ralentit le délire » … Oui c’est vrai, faut le dire, pour ça j’ai été bon donc… Donc c’est assez simple à faire en fait…
Pierre : Totem je voulais en faire un morceau dance-hall. Euh, non, un morceau plutôt reggaeton. Je voulais m’en inspirer parce que j’écoute du reggaeton. Et je voulais en même temps essayer de trouver des cordes pour ramener un certain lyrisme dans la mélodie à la Sufjan Stevens, mais le mélanger avec des rythmiques reggaeton. Et puis en fait, première version, ça ne marche pas quoi. Et finalement, Quentin ne va peut-être pas dire « eh ! je te refais tout ton morceau » mais il va juste arriver et me dire « en fait mec, juste vire la caisse claire, accélère… On va essayer en accélérant le tempo. »
Et puis ok. Bon, à la fin, ce n’est plus du tout du reggaeton, mais ça fonctionne et c’est ça qui compte. C’est ce qu’on cherche, oui, et ce qui fait que ça va aider. Je sais que si j’avais été seul, j’aurais été totalement dans ma première idée. Alors que là, j’ai un regard extérieur qui va me dire « Non, en fait, ça c’est vachement bien, ça c’est vachement bien, mais ça en fait, c’est en train de tout, tout, tout bouffer, ok, essaie juste d’enlever cet élément-là ». Donc ça me permet d’avancer beaucoup plus vite. Quand on est seul, parfois on est bloqué dans sa première idée et on tourne en rond.
Quentin : Et c’est quand on est seul, on a les erreurs entre guillemets, qu’on écoute en écoutant sa démo. On les écoute tellement qu’on en est habitué et on ne voit plus que c’est des trucs qui ne fonctionnent pas, qui ne marchent pas. Donc non, c’est bien d’avoir…
La Face B : Ouais c’est du ping-pong…
Quentin : Ouais carrément !
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La Face B : Un vrai échange en fait au final. Mais ce qu’il y a de marrant c’est que tu dis que vous êtes sur quelque chose de très DIY, très auto-produit et tout mais pourtant moi je trouve qu’il y a une profusion dans le son et dans la façon dont il est sur l’album qui est assez impressionnante…
Pierre : Ouais, mais maintenant on a de l’expérience et on a quand même du matériel et ça fait partie de l’intérêt en 2022 d’être capable de faire du bon son dans sa chambre. Même si malheureusement, ça permet aussi à plein de gens de le faire alors qu’ils ne savent pas le faire. Effectivement, quand on entend les prods de JUL, on se dit c’est cool, c’est gentil, il fait les prods à sa maison, mais en fait, on sait très bien que c’est le premier kit de Reason ou d’Ableton qui va jouer et donc il ne va jamais même pas se poser la question. Pour lui, le premier kick qu’il va trouver, la première snare qu’il va trouver dans un logiciel, il va s’dire « Oh c’est cool, j’y connais rien, ça sonne pour moi etc. ». Nous, c’est pas cette approche-là du tout. On va peut-être le faire à la maison, mais justement à la maison, c’est intéressant aussi parce que ça me permet de prendre le temps de tester des milliers de choses… Et maintenant on a l’expérience pour savoir trancher.
Quentin : Et puis à terme, en plus, on a aussi nos recettes. On sait à peu près quel effet utiliser pour arriver à quel genre de son. On a nos bandes de samples aussi qu’on a taffé pendant des années.
La Face B : Mais ce qu’y a de marrant, c’est qu’au final, tout ça et ça évolue, ça change. On voit vos influences. Mais il y a un vrai son, Inigo Montoya au final. Tu vois dans le traitement de la voix, ton utilisation justement de certains pitchs pour les voix, tout ça, il y a vraiment quelque chose qui revient et qui permet en fait de raccrocher chaque sortie l’une à l’autre.
Quentin : Le traitement de la voix, il s’est un peu uniformisé un peu plus à partir des maxis justement et aussi parce que c’est moi qui ai mixé. Et là, sur l’album, ce qui était intéressant, ça a été un peu effectivement lourd le mixage de la voix. Parce que ce n’est pas facile de traiter sa propre voix. Mais par contre, c’était aussi intéressant de se dire qu’avant, sur chaque morceau, on commençait comme si on commençait une page blanche avec, il nous faut un nouveau son de kick, un nouveau son de synthétiseur, un nouveau son de basse, un nouveau son de traitement de voix. Là, on s’était dit en fait non. Déjà, nos morceaux sont suffisamment riche et différents entre eux pour dire « Attends, là, on a le droit de réutiliser ce clap, là on a le droit de réutiliser, ce son de synthé et on a le droit de dire OK, dans les passages avec tel type de voix, on va traiter le son de cette manière sur tel type de chant plus lyrique. Clac, on va utiliser ce type de traitement ». Ca a été un peu nouveau pour nous parce qu’effectivement il y avait l’idée de quand même réutiliser des choses pour créer de la cohérence dans la voix.
La Face B : Moi, j’ai beaucoup aimé l’apport des voix féminines qui je trouve ont une grosse importance. Ça te permet d’avoir du répondant sur ta voix et d’éviter la monotonie. Et je trouve que les morceaux où il y a des voix féminines, tu vois que ça ressort et qu’y a une espèce de dialogue qui est vachement intéressant…
Pierre :Totalement. C’est un truc qu’on on adore. Sur cet album, il y a Ayana, Charlotte et Marion qui chantent, ce sont des amies de longue date qui ont déjà fait des voix par le passé, en particulier Marion.
Quentin : Y a même Sophie sur Rendors toi
Pierre : Il y a Rendors toi de Sophie aussi, qui était sur Vroum vroum.
Quentin : Oui maintenant on s’auto-sample, on n’en a plus rien à battre (rires)
Pierre : On va sampler des anciens morceaux à nous pour jouer et faire des références et un peu cachées. Et ouais, ça soulage vachement, ça permet effectivement comme tu dis, de casser la monotonie.
Quentin : Et puis de faire des choses qu’on ne peut pas faire ou du moins qu’on ferait pas comme ça. C’est ça qui est hyper agréable. La prochaine fois on essaye avec des voix d’autres mecs, ça peut être bien…
Pierre : Souvent c’est moi qui vais les faire moi-même sur les démos et les « ouh » dans les aigus etc. Mais si je fais chanter les filles, ça sera toujours mieux parce que ça permettra d’avoir une couleur effectivement différente et ouais de casser… Mais en fait, tu avais déjà dit un peu la réponse dans ta question.
La Face B : J’aimerais bien revenir sur les paroles. J’ai l’impression que c’est peu plus poreux à la réalité que ça pouvait l’être à une époque la façon dont vous écrivez. Et on en avait déjà parlé la dernière fois, je me demandais si un morceau comme Chasseur chassé, ça vous avait permis, avec le recul, d’être un point d’évolution aussi sur la façon d’envisager les morceaux et ce que vous racontiez dedans…
Quentin : e ne sais pas s’il y a vraiment un point de bascule, mais si ce point de bascule serait Chasseur chassé, je pense, c’est un truc, c’est une évolution assez longue et pas illogique je pense. En fait, c’est marrant parce que là, c’est purement à titre personnel, ça va être sur mes titres et après Pierre parlera peut-être de sa manière d’écrire. Mais c’est vrai que moi, à la base, j’écrivais de manière plus vaporeuse. Et c’est vrai que Pierre m’avait dit un jour, je crois que c’était quand on était en Ardèche. Il m’avait dit « Ah, mais ça serait cool que t’écrives vraiment un morceau, où tu te mets plus de toi, qui soit plus frontal » ou ce genre de truc où… Je n’y arrive pas complètement encore, mais je pense que déjà j’arrive plus à m’ancrer dans la réalité et comme voilà il y a des morceaux avec mes textes sur cet album, peut-être que ça contribue à ça. Et en fait, ça rejoint la réalité de Pierre aussi.
Pierre : Après ça dépend lesquels… (rires) Suprématie surf…
Quentin : Ouais Suprématie surf, Terreur il est assez ancré. Il y a des éléments très très réalistes qui arrivent. Oui, mais c’est vrai que même des textes qu’on a pu co-écrire, le côté un peu irréel, c’est moi.
Pierre : Euh ouais, non, mais je ne pense pas qu’il y ait le point de bascule en fait. Je crois qu’en vrai, quand tu penses même à Nuit blanchequi est notre premier morceau, c’est un texte très direct, c’est juste qu’à chaque fois, on va essayer de ne pas donner beaucoup. On ne va pas essayer de donner toutes les clés pour comprendre tout de suite le texte à la première écoute. Mais c’est parce que c’est ce qu’on aime écouter, c’est d’être dans les surprises. Après plusieurs écoutes, on aura encore et encore des surprises. C’est-à-dire, j’avais manqué ce détail, j’ai manqué ce sens-là. Tiens, ça me fait réfléchir sur ça. C’est plus ça qu’on. ..
Quentin : Peut-être dans les références, les exemples donnés dans les morceaux. Peut-être qu’il y a un truc plus quotidien en tout cas.
Pierre : Mais on reste dans un truc, j’ai l’impression de manière générale, assez première personne qu’il y avait déjà dans Nuit blanche, dans tout ça. Si tu regardes que ce soit Suprématie surf, Sens interdit ou même 1986. Tous les morceaux, je crois même. Voilà même ça, ce n’est pas nous qui chantons. C’est-à-dire que Suprématie surf, c’est le point de vue d’un bourgeois d’Issy les Moulineaux. Ou Nos amis les animaux c’est le point de vue d’un barman dans un club qui voit les clients tomber de plus en plus dans la déchéance avec l’alcool. Ce n’est pas nous qui parlons vraiment, mais par contre on utilise la première personne toujours en général parce que c’est plus direct. Ça permet de rentrer, de pas prendre de détours. Et ça, en fait, on l’a depuis le début.
La Face B : Ça vous permet aussi de libérer certaines choses d’écrire à travers des personnages..?
Quentin : Je sais pas, est-ce que ça me permet de libérer… Non, je ne crois pas. Non, plutôt franc du collier.
Pierre : Il y a des choses pour le coup… J’ai plus tendance à écrire des morceaux qui peuvent être très personnels… Quentin va souvent utiliser un personnage avec un peu plus…
Quentin : avec un peu d’ironie.
Pierre : Moi c’est vrai que je réutilise ce qu’il fait sur Nos amis les animaux, par exemple sur le texte. Mais genre Sens interdit. C’est juste qu’on s’était retrouvés en rando en Ardèche, bloqués sous un violent orage. On est en haut de la montagne et tu as la foudre qui est tombée et on était un peu en galère et en flippe . Et c’est juste raconter un petit événement et parler d’amitié à travers un petit événement personnel. Évidemment, quand on écoute le morceau, on va pas se dire « Oh c’est une jolie ballade sous un orage en Ardèche ». Personne ne se le dirait. Personne ne pourra le savoir. Mais par contre, il y a toujours la question de l’amitié de rester un peu ensemble dans un élément, un événement un peu compliqué.
La Face B : Et justement, la déchéance de l’humanité et la fin de civilisation dans laquelle on se trouve actuellement, est-ce que c’est quelque chose qui nourrit votre musique?
Quentin : Ah bah oui, oui, je pense.
Pierre : Que c’est même aussi un peu le thème. Oui.
Quentin :Oui, oui, oui, c’est vrai. Après, on n’a pas trop envie de l’appuyer non plus, de dire « Oh ça c’est pas bien » ou « ça ce n’est pas terrible non plus ». Mais non, c’est plus une sorte d’humeur générale qui je pense infuse en nous en fait.
Pierre : Mais tu peux l’entendre en fait, tu peux l’entendre. Que ce soit Fata Morgana, Totem ou Camera obscuraqui listent de plein de formes de combats. On est dans ce rapport là à la déchéance de l’humanité. De notre société, en tout cas.
Quentin : Ou la mort, tout simplement. C’est vrai qu’on parle souvent de mort.
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La Face B : Moi, ce que j’aime dans l’album, c’est, je pense, qu’il peut durer dans le temps. Déjà, cee n’est pas manichéen comme tu dis. Et le fait que les textes soient retournés d’une certaine manière, que l’interprétation est libre à chacun. Je pense qu’elle permet aussi à l’album de s’offrir un côté intemporel parce que ça parle de l’humanité, mais sans forcément mettre beaucoup d’époque ou de choses fixes dessus.
Quentin : Et après ça, c’est une chose. On peut parler de réflexion, mais c’est juste une impression générale des sociétés qui, à un moment elles vivent une acmé et après c’est une lente dégradation. Et ce principe des empires et ce genre de choses. Et après ça peut être sur une société ou une classe sociale, ce genre de choses et ça avec par exemple Suprématie surf. Pour le coup, c’est inspiré de Palud, d’André Gide et c’est début XXème. Je ne suis pas en train de nous comparer à André Gide, mais il y avait déjà ce sentiment qu’on vivait à la fin d’un règne en fait. Et c’est un peu oui, oui, oui, nous, c’est le côté intemporel de la fin de règne. Ce n’est pas nécessairement la fin de règne de notre règne d’aujourd’hui qui est intéressant. Ce n’est pas la fin de notre époque aujourd’hui qui nous intéresse. C’est la fin d’une époque en tant que telle en fait, le principe de mettre fin à une vie, à un empire, à une épreuve qui est un groupe plus sage qui nous guide, en fait, un modèle.
La Face B Pour finir d’habitude, je demande aux gens s’ils ont des coups de cœur. Mais là, en fait, j’ai envie plutôt. Est-ce que vous auriez des œuvres, des films, des livres, des choses qui pourraient coller à Iniglp01 ?
Quentin : Dans les films… Je mettrais bien les films de René Lalou, les dessins animés… Gandahar et La Planète sauvage. Ça parle aussi de la destruction, mais ça, je pense que ça collerait plutôt bien parce qu’on aurait pu, on pourrait un jour s’amuser à faire la B.O qui est déjà incroyable. Et je pense que c’est deux films qui ont l’esprit collé au délire.
Pierre : Peut-être L’armée des 12 singesde Terry Gilliam…
Quentin : Ca colle assez bien aussi. Il y a un film de SF que j’adorais. Si ça se trouve, c’est devenu nul à chier c’est Dark City, c’était hyper bien. C’est une sorte de Gotham en fait. Et en gros des gens qui vivent en dessous de la ville et arrêtent le temps de 00h00 à 00h05. Et en fait, pendant ces cinq minutes là, ils changent la vie des gens et après ils les étudient. Et donc ça, ça pourrait être un bon film. Et sinon, en littérature, il y a un titre qui porte son nom. C’est L’art de perdrede Zeniter, on l’a tous lu chez Inigo qui nous a vachement touchés. On est sur un dernier très grand livre de littérature française.
Pierre : Il y avait aussi L’art de la joie de Goliarda Sapienza. D’ailleurs.
Quentin : Tout ce qui commence par l’art en fait ça marche.
Pierre : J’avais un peu un peu cette petite question entre qu’est ce qu’on choisit comme titre L’art de perdre ou L’art de la joie. Après, comme L’art de perdre parle de deuil, on s’est dit bon, ça serait quand même plus cohérent.
Quentin : Mais sinon, oui, en livre pour le côté social on peut mettre celui que je t’ai offert de Simone de Beauvoir… Les belles images. Ça peut coller aussi un peu. Je sais que c’est un livre qui peut être vu comme un livre féministe, mais aussi comme un livre sur la dépression, qui est quelque chose de plus universel et qui pareil, sur une fin, sur l’ennui bourgeois, une fin de cycle de cette classe bourgeoise, en fait. Mais ça résume un peu ça. Et sinon, pour sortir du français, on pourrait, citer Etoile distante, de Bolano, c’est plus sur une sorte de Gatsby crado. Mais c’est plus sur la déliquescence de l’art. Il est réédité. Franchement, c’est trop bien.
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