Abel Chéret : « Je n’aime pas les choses qui sont manichéennes. »

Alors qu’Abel Chéret vient de sortir son nouvel EP Antiportraits, il s’apprête à célébrer sa sortie aux côtés de Dallen au Pop Up du Label le 26 juin prochain. Nous l’avons rencontré aux abords du REX pour discuter de ses influences, de ce nouveau petit objet à l’identité plus électro, de son écriture teintée d’humour et des collaborations qui ont fait naître ce nouveau petit objet sonore.

Abel Chéret © Cédric Oberlin

La Face B : Bonjour Abel, comment ça va ?

Abel Chéret : Ca va très bien et toi ?

La Face B : Nickel ! Tu nous reviens avec un nouvel EP, 5 ans après Amour Ultra Chelou. Qu’as-tu fait pendant tout ce temps ? Tu as fait plein de concerts, mais encore…

Abel Chéret : J’ai fait pas mal de concerts, j’ai voyagé un peu. Quoique pas tant que ça comparé à d’autres. Sinon, j’ai pas mal écrit. Il y a plein de choses qui se sont passées dans ma vie personnelle qui ont fait que je n’étais pas toujours au top du top en terme de production. Mais voilà, j’ai beaucoup travaillé sur cet EP. Ça a mis du temps à se mettre en place parce qu’il y avait pas mal de leviers à tirer comme le levier financier par exemple. On voulait travailler avec Renaud Letang, on voulait quand même avoir le moyen de le faire et on a mis un peu de temps parce qu’on voulait faire les choses bien.

LFB : Avant de nous faire découvrir les compositions originales de l’EP, tu as décidé de nous faire patienter avec une reprise de Jacques Higelin (Queue de paon NDLR), quel rapport est-ce que tu entretiens avec cet artiste et cette chanson en particulier ?

Abel Chéret : Jacques Higelin je l’ai découvert assez jeune, parce que mon père l’écoutait beaucoup. Plusieurs artistes comme ça, comme Dick Annegarn ou Brigitte Fontaine. On écoutait beaucoup ça chez moi, enfin mon père. Et en fait, il faisait partie de la construction musicale de mon oreille. Ce que j’ai entendu quand j’étais gamin.

Il y avait d’autres trucs comme Bob Dylan ou les Doors ou des choses psyché comme ça. Mais dans la chanson française, il y en avait d’autres mais il y avait surtout Jacques Higelin. Et pour moi, c’est assez évident de reprendre une de ses chansons. Ce n’est pas une des plus anciennes mais c’est une que j’ai réécoutée.

Et je me redirigeais vers Jacques Higelin avec cette chanson-là, avec cet album-là. Et par rapport à mon univers qui tourne pas mal autour de métaphores sexuelles ou de propos sur l’amour, je trouvais que cette chanson matchait bien. Aussi le fait qu’en live, on avait aussi besoin de morceaux incarnés, de morceaux puissants et qui marquent un peu les gens. Ce morceau-là est bien, il fait le taf.

LFB : Parce qu’effectivement, comme tu dis, il y avait une question de la sensualité qui était très présente dans le premier EP. Le titre d’Higelin était dans le prolongement pour que finalement, tu nous déboussoles complètement avec Antiportraits.

Abel Chéret : Ouais, tu trouves ?

LFB : On n’est pas du tout dans les mêmes thèmes mais je vais y venir. Antiportraits, une part autobiographique ?

Abel Chéret : Oui, un peu toujours. Souvent, c’est aussi mélangé avec du fantasme. C’est extrapolé. Puis, c’est aussi souvent basé sur des expériences d’autres personnes que je côtoie. Le point de départ est souvent dans le réel. C’est-à-dire qu’en fait, il va partir soit de moi, soit d’une personne que j’ai rencontrée ou d’une personne proche. Il va rarement être purement onirique. Purement construit et fictif. Ensuite, bien sûr, je vais plus loin dans les choses pour rendre le propos plus clair, plus fort et plus poussé, on va dire. Plus imagé aussi.

LFB : Dans le précédent EP, tu parlais de l’amour, de sensualité. On a un nouveau petit objet qui prend un virage un peu plus triste, quand même. Comment tu expliques cette légèreté qui fait que ce n’est pas si triste. Il y a toujours une patte d’humour dans tes chansons. Est-ce que c’est pour dédramatiser ? Est-ce que c’est pour t’aider à te convaincre que ce n’est pas si grave ?

Abel Chéret : Non, je pense que c’est la vie, en fait. La vie, elle est comme ça. Pour survivre, finalement, je pense. Des choses, des belles choses autour, ou en tout cas, le bon dans chaque chose. Et quand il y a quelque chose de triste qui arrive aussi, on peut le prendre aussi comme une sorte de défi de la vie. Et la manière dont on l’utilise pour dépasser ça, ça nous construit aussi. C’est important de le souligner. Je n’aime pas les choses qui sont toutes noires ou toutes blanches. Je n’aime pas les choses qui sont manichéennes. J’aime bien quand il y a de la nuance, de la profondeur. C’est pour ça qu’en général, mes chansons ne sont ni complètement drôles, ni complètement tristes, ni complètement joyeuses. Comme chaque personne a sa part d’ombre et sa part de lumière.

« Je n’aime pas les choses qui sont toutes noires ou toutes blanches. Je n’aime pas les choses qui sont manichéennes.
J’aime bien quand il y a de la nuance, de la profondeur. »

Abel Chéret

LFB : Et comment fonctionne ton process d’écriture, est-ce que tu testes tes textes, justement ? Cet équilibre-là, tu le trouves en testant les textes auprès des gens ?

Abel Chéret : C’est ce que j’avais fait aussi sur Amour ultra chelou. J’ai besoin, souvent, de m’isoler pour écrire. Donc je pars deux ou trois semaines, dans un lieu. Là, c’était à La Bourboule, l’hiver. Il n’y avait personne dans la petite ville. J’étais dans un appartement qui était très peu chauffé, où je me caillais un peu mais c’était une façon aussi de me retrouver et de voir un peu ce que j’avais à dire. Et surtout, de ne pas être parasité par la vie parisienne.

J’avais juste mon ordinateur, ma guitare et juste de quoi écrire. Et des bouquins aussi, parce que j’aime bien lire quand j’écris. J’ai écrit tout ce qui me venait, en essayant de ne pas du tout me censurer.

J’essaie de mener à bien une chanson, de la mener jusqu’au bout. J’en ai finies une douzaine et sur ces douze, j’ai bossé aussi la production un peu. Ça reste des maquettes mais quand même dans la production donner une direction musicale et ensuite les quelques mois qui suivent, je vais écrémer un peu les chansons, les peaufiner.

Je les fais écouter un peu à des proches mais pas trop. J’ai peut-être cinq proches à qui je fais écouter en général les morceaux. À mes managers aussi mais pas en premier. D’abord à mes proches. Puis, je fais un peu le tri et je vois ce qui résonne le plus. Déjà ce qui résonne en moi, parce qu’en général, quand quelqu’un te parle d’un morceau que tu as écrit, c’est soit ce qu’il va te dire, ça va résonner en toi, soit non. Quand ça ne résonne pas en toi, c’est qu’il n’a peut-être pas compris. Et là peut-être que tu dois réécrire les choses…

« J’ai vécu dans le froid. J’avais besoin d’une forme de musique un peu brute. Et l’électro, ça permet ça, sur le côté froid des machines, le côté minimaliste. »

Abel Chéret

LFB : Tu dis que tu as fini avec 10/12 chansons, tu as recentré quand même énormément puisqu’il y en a 5 sur l’EP !

Abel Chéret : Ce n’est pas tant que ça. Je crois que dans l’EP, il n’y en avait qu’un que je n’avais pas écrit à La Bourboule que j’avais déjà écrit avant.

LFB : Et pour le coup, c’est encore un EP, un format court. Est-ce que c’est un moyen pour toi de dire que tu tâtonnes encore dans ton identité musicale ?

Abel Chéret : Un album, ça marque quand même quelque chose de fort normalement et d’ancré. Peut-être que je n’avais pas encore envie de ça. J’avais envie de me laisser à de nouvelles choses encore et d’aller voir d’autres facettes de ce que je peux écrire, de ce que je peux proposer. Et puis avec le côté financier, bien sûr, parce qu’un album, ça coûte très cher. Je n’avais pas envie forcément de me lancer là-dedans. Etant encore autoproduit, c’était un peu lourd.

LFB : Quand tu parles de nouvelles facettes, j’ai l’impression que tu as poussé un peu plus le curseur de l’électro. Et quand on connaît un petit peu l’autre facette d’Abel Chéret, on sait que l’électro est bien présente dans ton cœur.

Abel Chéret : Oui, complètement.

LFB : Comment tu nous expliques cette volonté d’aller vers quelque chose de plus électro ? C’est quelque chose qui a un sens dramatique ou c’est juste prendre une autre direction ?

Abel Chéret : C’est un peu tout ça. Effectivement, je me suis un peu essayé à l’électro sur un autre projet. J’avais envie un peu de mettre ça au service de mes chansons et d’un son un peu uniforme, d’un son un peu homogène. J’ai donc sélectionné un type de boîte à rythmes, un type de synthé, un type de basse. Avec ça, je voulais déjà construire ma maquette. En gros, ma maquette est partie de trois instruments et ma voix.

Avec quelques petits trucs en plus, mais en général de ça. Je me suis dit, à partir de ça, il faut que j’arrive à construire un univers un peu cohérent. Un peu différent. C’est ça qui va faire que l’EP va être unique, il va y avoir une unité. Et je trouvais ça intéressant parce que ces 17 jours à La Bourboule, j’ai vécu dans le froid et dans la simplicité monacale limite.

J’avais besoin de retranscrire ça aussi. J’ai vécu dans le froid. J’avais besoin d’une forme de musique un peu brute. Et l’électro, ça permet ça, sur le côté froid des machines, le côté minimaliste. J’avais envie qu’il soit présent. Et par rapport au propos, c’est mon EP qui parle aussi de la marginalité, qui parle de l’individualisme, de l’isolement, qui parle des personnes telles qu’elles sont, pas dans leur globalité et pas que leur face éclairée, leur côté lumineux. J’ai vraiment envie que ce soit vraiment là, présent et ce côté brut est important pour moi.

LFB : Tu fais un duo avec Michelle Blades sur le dernier morceau, Dios Telefono, comment s’est passée ta rencontre avec elle et le process de composition de ce morceau ?

Abel Chéret : En fait, Michelle, j’écoutais depuis très longtemps, on sait ce qu’elle faisait. Et j’aime beaucoup sa musique. C’est une super musicienne aussi, chanteuse, artiste. Et Dios Telefono, comme Calor humedo, c’est un peu de la même manière. Je ne parle pas bien espagnol, mais je suis pas mal allé dans des pays hispanophones. Souvent, quand je reviens d’un pays, d’Espagne ou de Cuba ou des Canaries ou je ne sais pas, j’ai quand même une musicalité dans la tête et il y a des mots qui me sortent en yaourt, en espagnol, et qu’après je traduis par des vrais mots espagnols, mais qui me sortent comme ça. En l’occurrence, Dios Telefono, c’était un peu une sorte de prière. Et je trouvais ça assez drôle, parlant pour moi en tout cas, d’utiliser une langue étrangère que je ne connais pas bien pour implorer à Dieu. Je trouvais ça cool.

Pour Michelle, je réfléchissais à des artistes sud-américains ou espagnols qui maîtrisent bien cette langue, j’ai assez vite pensé à elle et je l’ai contactée. On s’est rencontrés et ça a vite matché. Elle n’a pas beaucoup participé à la composition du morceau. Déjà, elle n’avait pas beaucoup de temps, malheureusement mais elle a accepté de se prêter au jeu. Et elle est tombée sur le refrain du morceau.

LFB : Ton EP a été réalisé par Renaud Letang qui a travaillé avec des grands noms de la chanson française, notamment Alain Souchon. Un honneur pour toi, tu peux nous raconter un peu la collaboration ?

Abel Chéret : Ça s’est bien passé. Toute la phase de réalisation, c’était hyper enrichissant. C’est quelqu’un de très intuitif. Même si ce n’est pas un instrumentiste de génie, c’est un réalisateur de génie. On peut le dire. Ce que j’ai aimé chez lui, c’est qu’il a respecté mes maquettes. Il a essayé d’en saisir ce qui était intéressant et touchant. Et c’est pourquoi il avait accepté de travailler avec moi. Au lieu de tout refaire à zéro, il a gardé l’essentiel, on va dire, le suc de ce qui lui semblait être le morceau. A partir de là, il a repassé un peu les sons dans certains synthés, dans des vrais synthés. On a rejoué quelques lignes de basse. Il a recalé des choses. On a rajouté l’harmonie avec son fils Aladin.

On a gardé quand même la patte de mes maquettes. Et ça, j’en suis assez fier. J’en suis content. Je le remercie d’avoir fait ça, d’avoir eu cette humilité. On n’a pas toujours été d’accord sur le mix. Mais finalement, avec du recul, je trouve que c’est un parti pris qui mérite d’être défendu. Je suis très content de ce qu’on a fait. Vraiment très content.

LFB : Tu fais partie des sélectionnés du Chantier des Francofolies. Tu as déjà l’expérience de la scène ; deux Olympia pour Vanessa Paradis, tu as ouvert pour Dominique A, Bertrand Belin… Qu’est-ce que tu attends maintenant du chantier ? L’exercice scénique, tu le maîtrises, je trouve.

Abel Chéret : C’est gentil. Mais on ne le maîtrise jamais. En tout cas, je ne trouve pas que ça soit mon cas. Sur scène, je me sens encore un peu instable, je sens qu’il y a quelque chose qui m’échappe. C’est là-dessus que j’ai envie de travailler. Et puis aussi, un côté plus musical. Travailler avec des gens qui ont de l’expérience, qui ont du recul. Qui sont humbles aussi, qui sont humains. Et travailler sur mon set. Avec Ricky Hollywood. C’était hyper enrichissant. On a fait évoluer le set musicalement. Et on a toujours besoin des autres, je pense. On a beau écrire tout seul, c’est une chanson dans sa chambre. On a toujours besoin des autres pour grandir et chanter. Et de rencontrer de nouvelles personnes aussi. Moi, je suis de la musique aussi pour ça. J’adore la musique, mais les gens, c’est cool aussi.

LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur, que ce soit dans la littérature, le cinéma, la musique…

Abel Chéret : Je suis allé voir un film que j’ai beaucoup aimé dans l’esthétique et dans le propos. Il était un peu excessif, mais c’est ça que j’ai aimé de chez lui. C’est Love Lies Bleeding. C’est un film de genre quand même. Vaguement Tarantino années 1980 chelou. Mais, il est génial. Il n’est pas vraiment moral. Parce que c’est assez rugueux comme film. Et encore, ça part dans un truc un peu fantastique, mais onirique un peu, c’est cool. J’aime bien.

J’ai lu récemment « Le pingouin » de l’auteur ukrainien Andreï Kourkov et que j’ai beaucoup aimé l’ambiance du roman, entre espionnage et surréalisme. Il y a un ton que j’aime beaucoup. C’est une façon de voir la vie que je retrouve un peu chez des auteurs russes comme Dostoïevski ou Gogol. C’est triste de se dire qu’aujourd’hui quand on pense « Russie » on pense à son président actuel et à ce qu’il a engendré comme horreurs.

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