ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les chansons qui les définissent et les influencent. Pour célébrer la sortie de leur album charivari, les Belges de marcel nous ont confié leurs influences musicales.
Nirvana – Milk It
Pour cet album, on voulait que la batterie sonne bien lourde, entre John Bonham et les Stooges de Fun House. Et quand on est tombés sur le premier album de DITZ l’an dernier, on s’est dit qu’on tenait notre homme. On a donc contacté leur producteur, Ben Hampson, qui est aussi basé à Brighton. On lui a fait écouter les démos et il a répondu laconiquement un truc du genre : « OK c’est cool, on y va ». On a crié hip-hip hourra, comme Tintin. Quand il nous a demandé quelques morceaux de référence, il y avait ce « Milk It » de Nirvana, produit par Steve Albini.
Les batteries d’Albini sont un idéal absolu, de In Utero à Jesus Lizard jusqu’à son boulot avec Metz, mais Ben a bien compris qu’on voulait aussi avoir notre son à nous. Quelque chose qui sonnerait brutal tout en évoquant en même temps le son profond des fanfares de carnaval, un folklore encore ultra présent dans toute la Belgique aujourd’hui.
Au niveau du jeu, ce morceau est aussi une référence quand tu veux t’émanciper du simple 4/4. Dave Grohl fait un truc très funky tout en étant bestial, c’est dans ce genre de truc qu’on aime s’inscrire rythmiquement. Même si on a pas mal de 4/4 bas du front au final sur l’album. Bwah, ce sera pour le prochain…
TC Matic – O La La La
Les débuts d’Arno avec TC Matic sont sans doute ce qu’on pourrait appeler la quintessence du rock belge, et non pas du rock fait par des belges. Il y a le côté dansant, cette batterie qui anticipe les Happy Mondays, mais aussi un aspect théâtral et vaguement angoissant dans la voix, comme si on entendait un mélange de Tom Waits et de Johnny Rotten paumé dans les cafés de Bruxelles, à se lamenter de la disparition de son troquet préféré au profit d’un bar à afterwork pour eurocrates.
Le mélange des langues aussi, très caractéristique de l’œuvre d’Arno, et tous les néologismes qui vont avec, est quelque chose qui nous parle au niveau textuel. C’est le chaos, mais un chaos aimable. On manque de repères mais on s’amuse, chacun choisit un rôle, joue au clochard puis au politicien, passe d’un registre à un autre. C’est la vie à Bruxelles en fait, avec toute cette mixité sociale coincée entre des ruelles pavées. En marchant 50 mètres plus loin, tu peux tomber sur des bâtiments hideux construits par des connards, des enseignes de fast food partout, juste à côté du sympathique café du Coq près de la Bourse.
Quand on a composé l’album dans notre placard à balais, il y avait une représentation en grand de l’Entrée du Christ à Bruxelles, de James Ensor. Comme un rappel de ce bordel coloré qu’on voulait traduire en « musique ». La beauté dans le laid, la joie dans la tristesse et vice versa. C’est un peu ça l’art belge selon nous.
Daniel Levy – L’envie d’aimer
On aime particulièrement chanter ce morceau tous ensemble, ça nous rapproche, on se sent presque comme des frères, même avec notre ingénieur du son, alors qu’il est de droite. Tout y est : la mélodie qui donne envie d’hurler comme la chèvre dans la vidéo, le texte qu’on chante en yaourt et que même lorsqu’on va voir les paroles qu’on pensait être : « Ce sera à nouuuus èèèèè zeeeuwaaaa », bah ça dit juste que l’amour, c’est top, quoi.
C’est le pouvoir de la musique et la force d’une mélodie: le message est con mais il donne envie, non pas d’aimer, mais de croire que c’est possible (d’avoir envie d’aimer). Et puis il y a la caisse claire en écho bien années 80 là, à la Vangelis, c’est cool. C’est le genre de truc un peu cheesy auquel on a voulu se mesurer avec panache sur notre propre ballade, « salvator mundi ». On aime bien chanter en harmonie, même si on le fait mal. On chante en disharmonie, comme l’ONU.
Bob Dylan – One Too Many Mornings (Live ‘66 at Manchester Free Trade Hall)
Un live où Dylan reprend ce morceau à l’origine acoustique, ici en version électrique, durant sa tournée polémique de 1966. Après le solo, il beugle son : « Yeeees, YOUUUUU’re RIGHT from your SIDE and I’M RIGHT FROM mine ». Franchement quand, comme nous, vous avez lu tous les livres recommandés par le programme scolaire belge, vous vous rendez compte que ce relativisme est la seule chose qui existe vraiment.
C’est une chanson datant de l’ère « poète maudit/engagé » où il disait des choses fortes avec amertume, il posait en plissant les yeux et en faisant la moue, mais ici, deux ans après l’avoir écrite, il prononce ce constat avec une sorte de jubilation face à un parterre de gens qui se croyaient seuls détenteurs de la vérité concernant la bonne musique, et qui l’ont traité de Judas quand il est passé du folk au rock bruyant. Dylan nous dit en gueulant cette phrase comme un bossu qu’il y a une forme de joie à trouver dans l’égarement : oui j’ai raison, tu as raison, donc nous avons tous tort, nous sommes tous en quête de salut et de certitude, mais nous sommes vivants, nondidju !
On est tous dans le même bateau paumé dans l’univers et c’est marrant, donc aimons-nous les uns les autres, c’est pas grave si on est sûrs de rien. “So deep”.
TRAAMS – Gimme Gimme Gimme (Love)
Il fallait quand même qu’on cite un truc plus contemporain: pour les guitares par exemple, on aime beaucoup ce groupe anglais qui faisait du post-punk dans la première moitié des années 2010, avant le gros boom post-2015. Avec Gilla Band, Autobahn et Eagulls, c’est un des groupes les plus influents de cette mouvance. Le chanteur assure aussi la guitare; ils dégagent une énergie énorme juste à trois, c’est très impressionnant en live. Max (lead guitare) est un féru d’accords dissonants, il en rêve la nuit, d’où ses cernes de raton-laveur.
Il est aussi fan de Jonny Greenwood que de Sonic Youth et Slint, mais il est aussi attiré par la pop, ce qui fait que ses riffs ont toujours un mélange doux-amer, jamais totalement noise, mais jamais totalement radio-friendly non plus. On retrouve ce côté « schizo-harmonique” dans les parties de guitare de TRAAMS. Pour eux, c’est peut-être facile, mais dans marcel c’est le principal sujet de discorde, car chacun a son mot à dire sur chaque aspect de la compo : le déplacement d’un petit doigt sur une case peut déclencher un putsch.
Pour le moment, on a réussi à composer 14 chansons sans se taper dessus. L’art du compromis…