Checler : « J’aime bien me mettre dans la tête des gens »

Le 26 septembre, Checler faisait son grand retour avec son nouvel album, Ces gens qui aiment. Onze chansons aux sonorités organiques, au fil desquelles l’artiste mène une introspection sensible et imagine la vie des gens qu’il croise. On a profité de son passage au FGO Barbara (Paris) le 10 octobre pour parler de la genèse de ce deuxième album, d’indépendance, de passage à l’âge adulte et de son amour du storytelling.

Crédit photo : Félix Hureau-Parreira

La Face B : Dans ton album Ces gens qui aiment, j’ai l’impression qu’il y a une alternance entre toi qui observe le monde et qui décris ce que tu vois, et les gens qui t’observent et qui décrivent ce qu’ils voient en toi. Est-ce que c’était l’idée ? Comment est venu cet album ? 

Checler : Ce n’était pas très réfléchi. Les chansons que j’écris, elles dépendent de l’état d’esprit dans lequel je me trouve. J’écris selon ce qui vient, et après, j’essaie de le condenser dans un album. Il se trouve que sur cet album-là, il y a vraiment une espèce de dualité. Il y a une grosse part d’introspection, que j’ai toujours eue, et qui est aussi liée à une période un peu difficile, pendant laquelle j’ai fait une psychanalyse. Donc j’ai remué pas mal de choses et j’ai réfléchi sur plein de sujets.

Et à côté de ça, il y a toutes les rencontres que j’ai faites. Cette année-là était compliquée, notamment parce que j’ai dû quitter mon label. Du coup je remettais en question tout ce que je faisais. Et ce qui m’a remis dans l’action, c’est les ateliers d’écriture que j’ai animés dans le Sud-Ouest. Ça s’adressait à tout un tas de publics, notamment des adolescents en difficulté et des personnes ayant une déficience mentale.

La Face B : Ce sont les personnes dont tu parles dans Aux gens qui

Checler : Exactement. Et ces ateliers m’ont fait me sentir utile à un moment où j’en avais besoin. Ils m’ont connecté avec plein de gens, alors que je me sentais plus seul que jamais. D’où cette dualité dans l’album je pense, entre l’introspection et les rencontres qui m’ont inspiré. Tout ce projet, il est entre mon passage à vide, et les rencontres que j’ai faites pour en sortir. Après, ce que je dis là, c’est complètement post-rationalisé, je ne l’avais pas en tête en écrivant les chansons.

La Face B : Si je comprends bien, il y a un côté recentrage et introspection, et un décentrage, où les autres t’aident à avancer. 

Checler : C’est ça, et puis on rencontre des gens qui nous touchent et qui, parfois, ont des problèmes bien pires que les nôtres. Donc tu relativises, tu te dis : je fais de la musique, je vis de ça, tout va bien.

La Face B : Tu parlais tout à l’heure de ton ancien label, sur lequel tu as sorti ton premier album et tes premiers EP. Ce nouvel album, tu le sors en indépendant. Comment est-ce que tu vis l’indépendance ?

Checler : C’est vraiment un balancier entre génial et horrible. Génial pour la fierté de recevoir ses vinyles, d’obtenir une subvention sur laquelle on a travaillé. Il y a une satisfaction d’aller au bout des choses, parce que c’est dur. Surtout pour moi qui ne suis pas du tout organisé de base. Là, j’ai été obligé d’être un minimum carré. Ça, c’est cool. Et puis on est maître de nos deadlines et de notre direction artistique.

D’un autre côté, c’est trop de travail. Alors, j’ai des gens qui m’aident, pour les relations presse, pour les subventions. Tu trouves des partenaires. Mais tu gères tout, donc si tu ne dis rien, il ne se passe rien. C’est vraiment entre les deux. Je ne sais pas si j’ai envie d’en faire la promotion ou de dire : n’y allez surtout pas (rires). Parce que c’est très prenant mentalement et que ça peut être épuisant. Personnellement, je sais que ça reste par défaut.

La Face B : Tu disais que l’indépendance permet d’être maître de sa DA. Est-ce que toi, tu t’es senti plus libre d’explorer certaines choses dans cet album ?

Checler : Quand j’étais en label, j’avais la chance d’être relativement libre sur la partie musicale. Mais c’est vrai qu’il fallait quand même faire des compromis, pour ne pas vexer les gens, notamment. Pour le choix des singles par exemple : tu peux avoir un morceau en tête, et on va te dire qu’il faut en choisir un autre, parce que le refrain est plus comme ci ou comme ça. Donc il y a des frustrations en moins, clairement. Un exemple tout bête, c’est la pochette de mon album. Il n’y a ni mon nom, ni ma tête en gros. Et je m’en fous. Justement, j’avais besoin d’exprimer un truc artistiquement, et j’avais envie que ce soit comme ça.

La Face B : Ça va avec le décentrage dont tu parlais, aussi. Il y a une logique à ne pas se mettre trop en avant visuellement.

Checler : Oui, complètement. Et puis ce que représente la cagoule qui est sur la pochette, c’est le fait de s’enfermer dans son monde intérieur. D’être entouré mais de se regarder le nombril et de se perdre un peu là-dedans. 

La Face B : Justement, ces cagoules, on les a découvertes il y a un an avec le clip de Ces gens qui m’aiment, et depuis, on les retrouve dans tous les clips et visuels de l’album. D’où est venue cette idée ?

Checler : Je voulais un élément fort, et qui soit mignon, parce que l’album parle pas mal de relations etc. Je voulais qu’on voit le côté lien, le côté amour, avec le cœur. Et en même temps, un côté un peu renfermé sur soi-même. Je cherchais quelque chose pour me démarquer, et en discutant à droite à gauche, l’idée des cagoules est arrivée. Ma copine tricote, donc c’est elle qui les a faites. Ça se décline facilement sur les différents supports, et comme je ne la porte pas systématiquement, je trouve que ça marche bien.

La Face B : J’aimerais qu’on parle du morceau Léa. C’est un titre dans lequel tu abordes la question de la transidentité, qui est inspiré du parcours d’une proche. Ce n’est pas toujours facile de raconter une histoire qui n’est pas la sienne. Comment as-tu abordé l’écriture de ce morceau ? 

Checler : En fait, Léa, c’est l’histoire d’une personne de ma famille qui est transgenre et qui s’est révélée à 60 ans. La chanson est venue de la phrase du refrain : « T’aurais pas tenu sans elle ». C’est une phrase qui a été prononcée par la personne en question, et ça m’a marqué. Après, je me suis projeté un peu dans la vie de cette personne-là. Je la connais bien donc j’ai intégré des choses sur elle, comme le fait qu’elle a des problèmes de genoux par exemple. Puis sur le deuxième couplet, j’ai imaginé ses ressentis. Je me suis dit : « ça doit la libérer de telle manière ». Et là, pour le coup, c’était complètement fantasmé, c’était une projection personnelle. Des fois, ça marche, des fois moins. Quand elle l’a entendu, visiblement, c’était exactement ça, donc j’étais content.

La Face B : C’est intéressant parce que des fois, tu dois te demander si tu utilises les bons mots, la bonne image. Surtout quand c’est un sujet sensible.

Checler : C’est vrai, mais après, moi, je mets souvent les pieds dans le plat dans l’écriture. Sinon, je trouve ça un peu plat. Bien sûr, j’utilise parfois des images, qui peuvent s’interpréter de différentes manières, mais toujours un peu dans l’optique de faire rentrer une idée dans la tête des gens, je crois. 

La Face B : Est-ce que ça a été le même processus pour le titre Samba sur sa tombe ? Tu t’es inspiré du récit d’une personne ?

Checler : Pour le coup, c’est inspiré d’un personnage fictif de la série Shameless. La série raconte l’histoire d’une famille très pauvre aux États-Unis. Ils sont très nombreux et ont un père alcoolique. À un moment, le père rencontre une femme qui est infirmière, et qui apprend qu’elle a une maladie. Elle part en voyage avec lui, alors que toute sa famille essaye de la convaincre de se soigner. Elle sait qu’elle va mourir et elle ne veut pas finir sa vie dans un hôpital.

Je pense qu’on réagit tous différemment face à la maladie, face à la mort, et je me suis juste projeté dans une manière de réagir qui est celle de ce personnage, qui essaye de profiter de ses derniers mois. Je voulais mettre un peu de positif là-dedans, aussi. C’est quelque chose que je fais dans plusieurs morceaux de l’album : utiliser des musiques positives pour parler de choses tristes – et parfois l’inverse.

Crédit photo : Félix Hureau-Perreira

La Face B : Qu’est-ce qui te pousse à raconter les histoires des gens, qu’elles soient réelles ou fictives ? 

Checler : J’aime bien me mettre dans la tête des gens. C’est quelque chose que j’ai toujours fait. Je ne sais pas trop d’où ça vient, mais les gens me fascinent. Les humains me fascinent. Je ne dirais pas forcément que je suis hyper à l’écoute, mais j’observe beaucoup les gens. Et je me projette dans ce qu’ils me font ressentir.

La Face B : Ça rejoint ce que tu disais tout à l’heure : il s’agit plus de fantasmer ce qui peut se passer dans leur tête, que de raconter précisément leur réalité.

Checler : Oui, c’est de la fiction, plus que de l’empathie. Je me projette en fiction dans la vie des gens et bizarrement, souvent, ça tombe assez proche de la réalité (rires). C’est une bonne nouvelle.

La Face B : Il y a un autre thème qui ressort dans l’album, c’est le passage à l’âge adulte. Notamment dans les morceaux J’ai changé et Pas tant que ça, qui se répondent. Qu’est-ce que ça représente pour toi, la vie d’adulte ? 

Checler : Ça représente quelque chose que je n’ai pas envie d’avoir, et c’est peut-être pour ça que je ne me sens pas adulte. Mais en même temps, je me rends bien compte que l’adulescence, ça marche un temps et ça ne rend pas heureux non plus. Donc je me questionne sur où j’ai envie d’aller et ce que j’ai envie de faire. Je n’ai pas envie d’avoir de gosses, de petit pavillon ou un boulot de 8h à 18h. Et en même temps, j’ai du mal à me sentir en équilibre dans ma vie actuelle d’artiste un peu galérien.

Je pense aussi qu’il y a un truc tout bête qui est le rapport à l’âge. Quand tu arrives à 30 balais, tu réfléchis à ce que tu as accompli et comment tu te projettes dans ce que tu as accompli. Il y a des gens qui vont me dire que c’est déjà super d’avoir sorti des albums etc. Mais ça n’empêche pas que chaque année, je dois renouveler mon intermittence et que je galère à le faire. Et je me demande forcément combien de temps je vais devoir continuer à lutter. Donc il y a toujours cette dualité.

Pour résumer, je ne me sens pas particulièrement adulte. Je me sens plutôt en tentative d’essayer de le devenir, mais doucement (rires).

La Face B : Une autre chose qui est frappante dans l’album, par rapport à tes précédents disques, c’est que les morceaux sont plus chantés que rappés. Tu saurais dire d’où c’est venu ? 

Checler : Je me suis rendu compte que les morceaux de mon premier album que j’avais envie de continuer à jouer, c’était les chansons. Les morceaux rap, c’était plus pour le fun. Et puis j’écoute un peu moins de rap qu’avant. Ce que j’écoute, c’est des rappeurs poétiques à l’ancienne : Scylla, Furax Barbarossa… des gars qui ont quarante-cinq ans et trois enfants. Je suis moins connecté aux trucs récents qui se font – qui sont super, mais qui me parlent moins.

J’écoute un peu plus de chansons, et j’ai l’impression de mieux arriver à toucher les gens avec des chansons simples. Et puis j’avais envie d’instruments acoustiques, aussi. Avec Eliott Sigg, qui est compositeur et producteur, on voulait vraiment faire un album de belles chansons, avec des batteries, des guitares, des basses, des pianos. Je trouve que ça marche bien avec le propos et ce que je raconte, aussi.

La Face B : Vous avez sorti le clip d’Aux gens qui, il y a quelques jours. C’est un clip ambitieux, réalisé par Swann el Mokkeddem, qui met en scène des personnes qui t’ont inspiré. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur sa réalisation ?

Checler : C’est parti des ateliers d’écriture que j’avais animés, pour des patients psychiatriques. J’ai écrit le texte là-bas, puis j’y suis retourné avec Swann, qui a fait mes tout premiers clips. Sa spécialité, c’est de faire du reportage avec caméra au poing.

On est allé aux quatre coins de la France pour rencontrer des gens avec des parcours incroyables, des profils complètement atypiques. C’était génial. On a passé deux mois à tourner. Je trouve que le résultat est fou, donc vraiment je recommande d’aller voir le clip.

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