Rencontre avec Dude Low

On a rencontré Dude Low le lendemain de son concert parisien au Pop-Up du Label. Interview de bon matin, avec le chanteur Lucas et le claviériste Théo, où l’on a pu parler d’oisiveté, de variété française et surtout de son dernier album Saint-Hélier – qui fait partie de notre top 2024.

Dude Low
(c) Tanguy Barot

La Face B : Saint Hélier est sorti il y a deux mois, le 11 octobre, et hier, vous avez fait votre release party parisienne au Pop-Up du label. Comment tu te sens ? J’ai l’impression que deux mois c’est pile poil le moment où l’on commence à avoir du recul sur une sortie…

Lucas : Oui, c’est vrai. J’ai encore des retours de gens qui viennent de découvrir le disque. Hier, certaines personnes dans le public me disaient aussi qu’elles avaient beaucoup écouté l’album à la maison, qu’elles venaient au concert pour « concrétiser leur amour » (rires). Ça nous a fait du bien, on avait vécu une date plus compliquée à Rennes, où l’on avait trop d’attentes…

Théo : On s’était mis trop de pression…

Lucas : Oui, et du coup, il n’y avait pas l’énergie qu’on a eue hier.

LFB : Avant de parler de l’album, j’aimerais bien qu’on évoque un sujet dont on t’a déjà parlé mille fois…

L : Le nom..?

LFB : Absolument (rires). J’ai lu plusieurs histoires à ce sujet : que ça serait une référence au film des frères Coen The Big Lebowski, que ça serait une blague sur le nom de Jude Law, ou encore une manière de revendiquer l’identité de prolétaire moderne : le « mec d’en-bas ». Qu’est-ce-qui est vrai dans toutes ces informations, et surtout : pourquoi avoir choisi un pseudo plutôt que ton propre nom ?

L : C’est une bonne question… Mon vrai nom, ça aurait peut-être été donner trop de moi. Ça aurait moins été un personnage. Je crois que j’aime bien l’idée d’avoir un pseudo pour être plus libre. D’autant que si on se lance avec son nom, on le garde pour toute la vie… Alors que ta musique, elle, peut évoluer, changer, et devenir moins cohérente avec le personnage que tu avais.

Et pour répondre à la question d’avant, tout est vrai (rires).

Dude Low, le mec d’en-bas, j’aimais bien le symbole, mais, à l’origine, c’était surtout un jeu de mots sur Jude Law que je trouvais drôle. Puis la référence à The Big Lebowski, c’était un argument de plus.

LFB : Quelque part pourtant, cette dernière explication me semblait la plus plausible, surtout après avoir écouté un de mes titres préférés sur l’album : Niksen. Il y est question des mauvais élèves, qui vivent à contre-courant de la modernité dans une forme d’oisiveté heureuse… Est-ce-que tu as l’impression de faire partie de ces oisifs heureux ?

L : Ça dépend des périodes de ma vie… Je pense que je fantasme beaucoup là-dessus.

T : C’est une quête…

L : Oui, c’est ça, une quête. J’ai vécu des phases de ma vie où j’étais très heureux, je me levais le matin très détendu, sans rien de précis à faire… Mais en ce moment, j’ai trop de charges pour retrouver cet état-là. Ça reviendra… Le titre, Niksen, fait référence à un courant philosophique hollandais qui me parle beaucoup, qui prône le rien faire… Il correspond parfaitement à ce que je voulais exprimer. Même si à ce stade de ma vie, c’est un peu un fantasme.

LFB : Et oui, parce que par exemple en 2020, tu as sorti deux albums, un avec Born Idiot, l’autre en solo, et que cette année tu sors un nouvel album où tu as changé de langue. Ça n’est pas exactement la définition de l’oisiveté…

L : Oui, mais la création c’est un besoin, je crois, c’est différent… Ça n’est pas une contrainte.

T : Quand tu fais de la musique qui te plaît, tu ne réalises pas que tu es en train de travailler… C’est pas l’usine.

LFB : C’est quoi l’échelle de l’oisiveté alors ? À quel moment on rentre dans la productivité ?

L : Je dirais que c’est quand les choses deviennent concrètes, qu’il faut rentrer en studio, préparer l’album… Et puis, plus tard, le moment où tu réfléchis à la manière de sortir les choses. Le moment où tu te projettes sur la promo. Mais avant tout ça, la création, c’est juste un besoin naturel…

LFB : Tu conclus le refrain de Niksen par cette très belle phrase : « bienvenue au jardin des oubliés ». Est-ce-que l’oubli est quelque chose qui te fait peur ?

L : Quand je dis « bienvenue au jardin des oubliés », c’est plutôt pour évoquer tous ces gens incroyables qui ne seront jamais sur le devant de la scène. Tous ces personnages, comme le Dude dont on parlait tout à l’heure, qui sont fascinants mais dont la postérité ne pourra pas garder grand chose…

LFB : Un peu comme le chauffeur de bus du film Paterson, de Jim Jarmusch, qui écrit des poèmes dans son carnet entre deux arrêts, et ne les fait jamais lire à personne.

L : J’adore ce film.

LFB : Est-ce-que c’est à ce genre d’oubliés que tu fais référence ?

L : Complètement. Tout le monde a une part de génie mise de côté, peut-être invisible, mais existante quand même… Je trouve ça beau. Ce côté « industrie » de la musique me dégoûte un peu…

LFB : Tu as fait un changement dans ta carrière, tout récemment, en choisissant d’écrire majoritairement en français. C’est le cas de neuf morceaux sur dix du dernier album Saint Hélier. Est-ce-que ça a changé ton approche de l’écriture ?

L : J’ai toujours commencé par la musique avant d’écrire mon texte. Donc dans l’approche pas tellement, mais ce qui a changé par contre, c’est la difficulté. Le français m’a pris beaucoup plus de temps avant d’arriver à avoir quelque chose qui sonne un peu américain (rires)… Dans le sens où notre son de groupe est globalement américain, et où nos influences sont issues de cette culture musicale-là…

Et en français, il fallait trouver un équilibre pas évident, ni trop naïf, ni trop sérieux. Qui sonne, et qui arrive à esquiver la variété…

LFB : Quand on vient d’une culture musicale anglophone et que l’on commence à écrire en français, j’ai l’impression que l’on aperçoit vite cette ligne mince derrière laquelle il y a la variété française, et on se dit « oh là là, j’ai vraiment pas envie de passer cette frontière »…

L : C’est vrai que ça se joue à pas beaucoup, c’est très fin…

LFB : Je me demande cependant si, décider de passer à sa langue maternelle, ça n’est pas faire un pas de plus vers l’acceptation de soi. Est-ce-que ça te paraît juste ?

L : Ça me paraît tout à fait vrai. À un moment on décide d’assumer qui l’on est. L’anglais c’est une belle protection… Musicalement, c’est facile à faire sonner, mais en évoluant, on a envie de revenir à sa propre langue. Et que ça devienne réel dans le regard des gens : que les personnes pour lesquelles tu joues comprennent le sens de ton propos… Et sur ce point, je suis content d’avoir des bons retours. Ma mère, par exemple, est très contente que je sois passé au français (rires).

LFB : Ton album porte le nom d’une rue de Rennes : Saint Hélier. Qu’est-ce-qu’elle représente pour toi cette rue ?

L : C’est une rue mais aussi le nom d’un quartier. J’y ai vécu pendant deux ans, c’est là que j’ai écrit l’album. Je vivais dans une espèce d’ancien magasin, un rez-de-chaussée humide et sombre, un peu dégoûtant… Mais c’était un endroit où on pouvait beaucoup faire la fête, et où l’on pouvait écouter de la musique fort toute la nuit… Je n’ai jamais eu d’autre lieu où je puisse composer de la musique fort comme ça.

En écrivant le morceau je ne pensais pas appeler l’album avec le même nom, puis en arrivant au bout de la tracklist, j’ai réalisé que ça marchait bien.

T : Ce nom marque un temps de ta vie aussi.

L : Voilà. Il ancre une période.

LFB : J’aime bien demander aux gens qui écrivent de me raconter l’histoire d’une chanson. Tu pourrais nous raconter l’histoire de La Vendetta ?

L : Je crois que c’est un morceau qui est venu à la fin, parmi les derniers de l’album… J’avais déjà déménagé. En écrivant, j’ai pensé qu’il me manquait un morceau avec un riff de guitare un peu à la Mac de Marco dans l’album, et que j’en voulais un. Le morceau est venu assez vite. Il parle de revanche sur soi. Il y a l’idée d’en finir avec son passé…

LFB : C’est qui « l’autre moi » ?

L : C’est le moi d’avant. La partie sombre qu’on a envie d’éliminer.

LFB : Et alors, qu’est-ce-qu’il se passe maintenant, quelle va être la prochaine période de Dude Low ?

L : Je déménage à Bruxelles.

LFB : Pourquoi Bruxelles ?

L : Je crois que j’avais surtout envie de bouger de Rennes. Ma copine connaît mieux Bruxelles que moi, mais c’est vrai que c’est une ville qui m’attire pour son cosmopolitisme.

T : D’ailleurs, il cherche un appartement, si quelqu’un lit ça.

L : Voilà (rires). Et puis d’un point de vue musical, j’ai envie de faire des choses plus crades… Et de ne pas me limiter. Y compris dans les langues, si je sens un truc en anglais, je n’ai plus envie de me l’interdire.

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