Après avoir accompagné des grands noms sur des scènes mythiques et ébloui la toile de ses talents de guitariste, Haïlé Dästa se lance en solo. Son premier EP, MEDECINE, sort ce 19 septembre. Pour La Face B, l’artiste revient sur la genèse du projet et ses influences. Il raconte son attachement pour la grande musique et parle des artistes de RnB qui font évoluer le regard de l’industrie sur ce style musical.

La Face B : Peux-tu me raconter la genèse de ce premier EP, MEDECINE ?
Haïlé Dästa : Cet EP, c’est surtout une sélection de titres. J’ai toujours été musicien et j’ai toujours écrit des chansons. Je pense que le plus vieux titre de cet EP a été écrit en 2020. Il y a certains titres assez anciens mais qui marchaient avec la direction artistique de ce projet-là, qui correspond à une période de ma vie personnelle. D’où le nom MEDECINE, parce que ce sont des titres qui ont été clés, voire thérapeutiques, à cette période-là. On a sélectionné ces titres pour ce projet, mais en réalité il y a une vingtaine de titres qui auraient pu se retrouver dessus.
LFB : Quel a été le processus de sélection parmi tous ces titres ? Tu avais en tête une direction artistique particulière ? Des thèmes ? Il me semble personnellement que les chansons sont avant tout des chansons d’amour – heureux ou malheureux d’ailleurs.
Haïlé Dästa : C’est un mélange des deux. Je pars du principe que pour être inspiré, il faut se mettre dans un certain « mood » et prendre ce qui arrive. Comme une fréquence que tu captes et sur laquelle tu peux surfer. C’est comme ça que je vois les choses, donc je fais juste en sorte d’être en accord avec ce qui se passe dans ma vie, et je le raconte en musique.
En ce qui concerne le choix des titres, mon intérêt est avant tout musical. Je ne sors pas des morceaux pour sortir des morceaux ou parce que la saison se prête à tel type de musique. J’ai tout de même voulu que le projet soit cohérent. Et j’ai voulu sortir Muse en premier du fait de sa couleur musicale – une fusion entre la chanson, le RnB, l’Afro. Mais aussi parce que c’est un morceau dansant et sensuel. Je ne me voyais pas commencer avec un morceau triste.
LFB : Justement, il y a quelque chose qui m’a étonnée dans l’EP. Je trouve qu’il commence avec des morceaux très solaires et qu’il se termine avec des titres plus mélancoliques – Gasoline et Bora Bora. C’était une volonté ?
Haïlé Dästa : Oui, totalement. Je crois qu’on peut voir ça comme une respiration – inspiration puis expiration. Ou comme un passage du jour à la nuit. Si je devais décrire ça avec des couleurs : au début on serait sur des tons chauds. Puis, même si ça reste très organique et chaleureux d’une certaine manière, l’ambiance va tendre vers d’autres couleurs. Du violet je dirais, qui symbolise bien ce côté nuit.
LFB : J’ai trouvé le morceau d’intro hyper beau. Est-ce ta mère qu’on entend dans celui-ci ?
Haïlé Dästa : Oui, exactement ! Bien vu.
LFB : C’était important pour toi d’intégrer tes parents, qui sont également musiciens, dans ce premier projet ?
Haïlé Dästa : Oui, carrément. Et plus globalement je me suis entouré de pas mal de gens pour cet EP. Des personnes avec qui je joue, avec qui je fais de la scène depuis des années. Ce sont des gens dont je suis très proche, donc c’était indispensable pour moi de les avoir tous sur ce projet. Ma mère sur l’intro, c’était obligatoire !
LFB : Ton instrument, c’est la guitare, et tu as développé une technique vraiment unique, qui m’a un peu rappelé Raul Midón dans le côté percussif. Qui sont tes influences ?
Haïlé Dästa : Ce qui m’a donné envie de faire de la guitare, c’est Jimi Hendrix, et plus particulièrement un documentaire que j’ai vu à douze ans. Il y avait une guitare qui traînait. Donc j’écoutais en boucle et j’essayais de tout repiquer. Des années plus tard, on m’a fait découvrir un autre guitariste, basque, qui s’appelle Sylvain Luc. C’était un musicien extraordinaire, qui m’a beaucoup influencé. Ce sont les deux seuls guitaristes que j’ai écouté véritablement.
Sinon, j’ai écouté énormément de musique, et pas spécifiquement des guitaristes. C’est ce que j’ai cherché à reproduire avec la guitare, et quelque part ça aurait pu être avec un autre instrument. D’où ce jeu percussif, avec des lignes de basses, des mélodies. Un côté homme-orchestre. Plus tard, on m’a parlé de Raul Midón, et je l’ai trouvé extraordinaire aussi.

LFB : Beaucoup de gens te connaissent comme guitariste, puisque tu accompagnes de nombreux artistes sur scène depuis longtemps. Matt Pokora ou Angèle notamment. On te connaît aussi à travers tes vidéos de guitare sur les réseaux. Les gens ont-il été surpris de te voir lancer ton projet solo ?
Haïlé Dästa : Je pense que le public ne se doutait de rien. Les gens qui me connaissent bien et avec qui je fais de la musique ne sont pas étonnés. En revanche il y a la surprise de savoir quel type de musique je vais sortir, à quoi mes morceaux vont ressembler.
LFB : Il y a quelque chose qu’on reproche parfois aux artistes de RnB Français, c’est de miser beaucoup sur la voix et peu sur l’instru. Ce n’est absolument pas le cas de ton EP. Au contraire, les prod sont hyper travaillées. Avec des influences très variées, des voix texturées, différentes rythmiques. Je sais que tu es très impliqué dans la production et que tu t’entoures également d’autres producteurs comme Kyu Steed. Est-ce que tu as su dès le départ à quoi tu voulais que cet EP ressemble d’un point de vue instrumental ?
Haïlé Dästa : Je pense que si ça sonne différemment d’autres projets, ça tient au fait que je suis instrumentiste à la base. Que j’ai beaucoup étudié la musique, même si c’est en autodidacte. J’ai synthétisé des genres musicaux hyper différents, y compris la musique classique. J’ai un attrait pour la « grande musique » et je crois que la musique doit se suffire à elle-même. La voix et le chant sont presque un prétexte pour moi. La musique, sans la voix, doit déjà raconter quelque chose. Et c’est ce que j’ai voulu avoir dans cet EP. Après, en terme de production, comme tu le disais il y a des influences variées. Il a fallu trouver le bon mélange et parfois les titres ne sont pas faciles à catégoriser. Même s’il y a tous les codes du RnB, au sens large. On est très contents du résultat en tout cas.
LFB : Je me suis justement fait la réflexion en écoutant l’EP que les prod se suffisaient à elles-mêmes, ce qui est assez rare dans ce type de musique.
Haïlé Dästa : Ça me fait plaisir que tu dises ça, car ça reflète bien mon processus. Quand je fais les maquettes, il y a quelques mots à droite, à gauche, mais c’est surtout du « yaourt ». Pourtant, dans ces maquettes, il y a tout : l’intention, le propos, la couleur. En n’ayant que la musique, on est déjà exactement là où on veut être.
LFB : Au vu de cette production très riche, comment envisages-tu ton live ?
Haïlé Dästa : On a déjà filmé quasiment tout l’EP en mode live session avec des musiciens. Dans une formation guitare, voix, basse, clavier et batterie. Mais on peut vraiment adapter ces versions à du guitare-voix, ou à une scène avec vingt musiciens. En live, tout est possible. Et ça me paraît important, quand on joue de la musique, de ne pas oublier la notion de « jeu » et de s’amuser.

LFB : On évoquait tout à l’heure le RnB Français. On dit parfois qu’on parle trop peu de RnB en France, ou pas comme il faut. Quel est ton avis là-dessus ?
Haïlé Dästa : C’est vrai que depuis toujours, l’industrie a un rapport particulier à cette musique. Alors que c’est une musique qui a énormément d’influence, que les gens écoutent dans le monde entier. Ceci dit, il y a de nombreux artistes qui ont mis cette musique-là à l’honneur et qui font que l’industrie est moins frileuse à son égard. Par exemple Aya Nakamura – même si elle ne fait pas exactement du RnB, ça reste de la chanson et de la « black music ». Mais aussi Dadju, Franglish, Tuerie, Monsieur Nov et même un artiste comme Luidji.
À l’époque, on avait déjà Ben l’Oncle Soul, qui était catégorisé comme de la Soul à l’ancienne, mais qui reste associé à cette musique. Corneille aussi. Des projets très populaires et qui sortent de l’idée cliché que l’industrie française peut se faire du RnB. En gros : un renoi, tout nu, sous la pluie (rires). C’est assez drôle parce que c’est devenu une caricature, mais ce n’est pas du tout ce qui se passe dans la musique.
Ça a toujours été marrant pour moi de voir des artistes de variété, qui sont clairement influencés par cette musique-là, et pourtant personne ne va dire que c’est du RnB. À ma connaissance, Justin Bieber ne fait pas autre chose que du RnB. Mais on va appeler ça de la Pop, parce que c’est ce qui marche à un instant donné. C’est pour ça que, même si ça peut être important d’être clairement catégorisé aujourd’hui, c’est aussi une sorte de piège. En ce qui me concerne, j’essaie de ne pas trop me soucier de ça et de faire ce qui me plaît.