On a profité du passage de JYEUHAIR aux nuits secrètes pour prendre le temps de discuter avec le musicien. On a parlé de sa vie en tournée, de son album MYLNUI, de la variété de sa musique, des messages qui s’y trouvent et d’une utopie où la culture multiple est un bien précieux à défendre plus que tout.

LFB : Salut JYEUHAIR, comment ça va ?
JYEUHAIR : C’est une bonne question. Ça va bien. Je sors de scène, donc je suis tout plein d’adrénaline. Malgré le fait que j’ai commencé le concert assez fatigué, puisqu’on enchaîne pas mal en ce moment, le public m’a bien porté. Là, tout de suite, je suis bien.
LFB : Tu es sur une grosse tournée de festivals, qui suit une grosse tournée des SMAC aussi avec la sortie de l’album. Comment tu vis justement, ce qui est peut-être un peu nouveau aussi, cette vie de tournée et cette vie de scène ?
JYEUHAIR : C’est vrai que c’est nouveau. C’est nouveau à chaque fois parce que la tournée des SMACs, ce n’est pas pareil que la tournée des festivals. Ce sont des formats différents, des accueils différents, des météos différentes aussi. Je le vis bien. Parce qu’à chaque fois, on est plutôt bien accueillis. On découvre des nouvelles villes, parfois des nouveaux pays, donc c’est super cool. Le public à chaque fois est à fond et même quand les gens ne connaissent pas, ils font l’effort d’écouter, de rester jusqu’à la fin du concert et de donner la force. Parfois même, on accueille des nouvelles personnes sur le bateau. On va dire ça comme ça. Je le vis super bien. Après, en termes de rythme, ça nécessite quelques changements dans mes habitudes, que ce soit en termes de sommeil ou en termes de rythme de vie tout simplement. Donc ça exige deux, trois adaptations. Mais pareil, ça se vit bien.
LFB : Justement, en parlant de vivre bien : sur cette reconnaissance publique, plutôt sur la fin de la vingtaine, est-ce que tu as l’impression qu’à cet âge-là, tu es plus à même de l’apprécier, de la digérer aussi, que si tu avais eu vingt ans ?
JYEUHAIR : Ouais, je pense clairement. Alors, je n’ai pas percé à vingt ans, donc je ne pourrais pas te dire de ce point de vue là. Mais j’ai quand même l’impression, dans toute ma subjectivité, que j’ai quand même un âge et des expériences qui font que j’arrive à le vivre et à le décortiquer sainement. Et pas juste à me prendre toute la dopamine dans la gueule et à me dire : waouh je suis une giga star et waouh tout le monde m’aime. J’arrive vraiment à me détacher de plein de trucs et en même temps à apprécier ça plus ou moins sainement. Et à me rendre compte que les gens sont concentrés sur ce qu’ils connaissent de mon travail et de ma personne. C’est ça qui les touche. Du coup, ça m’encourage à continuer à les surprendre et à proposer des trucs. Je pense qu’effectivement peut-être dix ou quinze ans plus tôt, ça aurait été le bordel. Là, c’est plutôt bien.
LFB : Tu as plus de recul en fait.
JYEUHAIR : Bah ça on a toujours plus de recul avec l’âge.
LFB : Tu t’aperçois aussi par exemple des efforts qui t’ont poussé. Parce que les gens qui pop à vingt ans par hasard sur un premier titre, ils n’ont pas forcément « ramé » pour arriver là où ils en sont.
JYEUHAIR : C’est ça. Après ça dépend qui. Je pense que ce n’est pas non plus pour rien que mon projet est hip-hop maintenant aussi en réalité. Peut-être que si j’avais pop à l’âge de vingt ans, j’aurais pop sur un titre et puis le reste n’aurait pas suivi par exemple. Donc là maintenant, on a l’intelligence artistique aussi. On commence à capter un peu les formules aussi qu’on aime, ce que j’aime faire et comment j’arrive à synthétiser mon art pour qu’il soit le plus lisible et compréhensible possible. Et ça c’est une maturité qu’on ne fait qu’acquérir au fil des années et qui existait déjà à vingt ans mais qui existe vachement plus à l’aube de la trentaine. On peut dire ça comme ça.
LFB : Justement, ce qui est intéressant, c’est que pour moi, tu es un peu un artiste total. Dans le sens où j’étais vachement impressionné par les clips qui sont sortis avec le projet, par la façon dont ils ont été réalisés, que c’était pensé. Je pense que c’est toi qui les réalise, enfin qui les co-réalise du moins, qui ramène les idées. J’ai l’impression qu’il y a un apport visuel qui est hyper important sur l’album mais que là en te voyant sur scène, il y a cette volonté aussi d’apporter un côté hyper visuel sur scène et notamment avec l’apport des danseurs qui sont derrière nous.
JYEUHAIR: Ouais carrément, ils viennent de rentrer dans la loge. Les danseurs, les stars (rires). Carrément, il y a des choses qui, dans la graine du projet, sont visibles et deviennent évidentes au fil du temps. Et ces choses-là, on se dit que c’est ça qu’il faut développer. Quand j’en parle avec mes équipes, on se dit que ce sont les choses qui débordent donc il faut qu’on en fasse quelque chose. Donc la danse, effectivement. ce choix d’avoir plus ou moins une précision visuelle dans les clips et du storytelling, etc. Et ce sont ces choses-là qui débordaient déjà quand je le faisais juste avec une caméra pas très chère et des copains. Donc ce sont ces choses-là qu’on essaye de faire grossir parce que ce sont celles qui ressortent, les plus évidentes. Et effectivement, vu qu’initialement je fais le truc tout seul en mode débrouille, je garde encore aujourd’hui un regard, voire une main des fois sur des réalisations, sur la DA en fait globalement. Mais le but et l’idée au fil du temps, et ça commence à être le cas, c’est vraiment d’avoir des gens qui ont compris ma vision. Qui arrivent à me faire parvenir la leur aussi et à la fusionner avec la mienne. Et qu’on se comprenne surtout, qu’on parle la même langue et puis après ça devient plus un projet collectif finalement. Même si c’est toujours sous le nom JYEUHAIR, c’est ça que ça devient. Moi, je ne suis plus tout seul à porter le truc.


LFB : Je pense que, par exemple, sur la mise en scène ou même sur le rapport à la danse, si tu n’es pas aidé, tu peux prendre le risque que ça parte un peu dans tous les sens.
JYEUHAIR : C’est ça. Ou alors je vais devoir porter la scène tout seul. Et je pense que sur deux tournées après, je n’ai plus de force. Là les danseurs qui sont avec moi sur scène, ils m’offrent une prestance. Ils sont tellement chauds qu’on dirait que c’est moi qui est stylé alors que c’est eux qui sont stylés (rires). Ils savent quasi tout faire. Ils savent prendre la scène. Ils savent être juste stylés même quand ils sont statiques. Ils savent ambiancer le public, ils savent suivre les mouvements que moi j’ai déjà proposés quand j’étais tout seul sur scène avant, les transformer, les améliorer. Donc en fait, comme je le disais juste avant, c’est comment on fait grossir quelque chose qui est déjà existant et on le rend meilleur. Et là c’est clairement le cas sur scène.
LFB : Pour rester sur une idée d’esthétique, mais en basculant pour parler de l’album : est-ce que tu peux me parler de l’importance de la majuscule sur le projet ?
JYEUHAIR : (rires) Ça fait plaisir que tu dises ça. C’était quelque chose qui était important sur les projets précédents aussi, mais qui n’a pas toujours été respecté. Ce que j’aime bien, c’est quand tu as un mot et que tu le mets en face de toi. Tu le lis plusieurs fois et il perd de son sens et tu le trouves bizarre. Tu te dis : mais en fait, marteau, c’est trop bizarre comme mot. Tu le mets en majuscule et tu te dis, ça ne ressemble pas du tout au mot marteau, mais il y a écrit marteau. Moi, j’aime bien faire ça. Que ce soit avec les sons. Quand j’ai un mot, la manière dont il sonne, j’aime bien me le réapproprier et y mettre à la place des lettres déjà existantes. Les lettres qui me font kiffer. Parfois même, j’essaie de créer d’autres histoires au travers de ces transformations de mots-là. Et puis après, je vois la majuscule comme un effet typographique. C’est-à-dire que la minuscule aussi, c’est un effet typographique. Et en majuscule, c’est vachement plus géométriquement satisfaisant. En tout cas au premier abord. Parce que j’adore les gens aussi qui font tout en minuscules sans la moindre majuscule. Du coup c’est un peu plus droit, triangle, carré. C’est un peu plus pointu que des choses qui vont être plus de l’ordre de mouvements, de peinture fin comme la minuscule justement. Là, c’est ce qui est recherché pour l’instant sur l’esthétique des typos.
LFB : C’est intéressant que tu parles d’un mot qu’on répète et qui se modifie parce que le titre de l’album qui est MYLNUI est aussi un rapport à un mot qui est transformé un peu. J’ai l’impression que cet album-là, à travers le titre et à travers ce qu’il raconte, c’est un peu l’histoire d’un insomniaque qui répète en boucle ses obsessions jusqu’à en faire des chansons.
JYEUHAIR : Putain t’es chaud. Tu es très, très chaud parce que c’est vraiment ça. En fait, c’est comment j’ai cogité les mille nuits précédant l’album, en gros, pour faire vraiment large. Et cette insomnie-là, c’était la journée, le soir. C’est le cerveau qui est branché et qui ne se débranche pas même quand on essaie de le débrancher. Et du coup, ça donne naissance forcément à des idées, des textes, des remises en question, des réflexions, de la philo, de la psycho… Plein de choses en fait tout simplement, parce qu’on est des humains. C’est dans le mille.

LFB : Quand tu écoutes l’album, il commence par un morceau qui est hyper personnel, qui te présente complètement, mais j’ai l’impression qu’il y a une recherche hyper importante d’équilibre entre ce qui peut être de l’introspection et ce qui peut être de l’universel.
JYEUHAIR : Ouais, c’est quelque chose que j’essaie de faire encore aujourd’hui. Cet album a été fait dans une période où j’étais capable de le faire. Après ça repart vite ce super pouvoir de faire autant perso qu’universel. Ce n’est pas évident. Des fois même, il faut être accompagné pour réussir à comprendre moi-même ce que j’essaye d’écrire. Mais c’était carrément un objectif dans cet album-là. Qu’on puisse parfois se sentir concerné sans même que la thématique nous touche directement. J’ai un pote qui s’appelle Victor Dermo, qui m’a dit qu’il adorait le son HYPO et que ça le touchait énormément, qu’il avait l’impression qu’on parlait de lui. Alors que lui, c’est tout l’inverse d’un hypochondriaque. Genre vraiment l’inverse. Mais les mots qui sont choisis, le ton qui est emprunté et puis tout simplement ce truc d’introspection, d’auto-analyse, ça le touche vraiment. Alors qu’il n’est pas du tout hypochondriaque. Donc ouais, il y a ce truc-là aussi où il y a des gens qui peuvent je pense soit être touchés par le thème de manière universelle en disant oh ça parle de moi, soit totalement s’approprier les mots. D’ailleurs, ça arrive souvent. Je suis quasi sûr qu’on ne comprend pas les chansons de la même manière.
LFB: Un morceau comme ADDICTION, par exemple. C’est aussi un travail de parler d’une chose qui ne te correspond pas forcément à 100% et de le ramener sur le terrain des autres.
JYEUHAIR : C’est ça. Ce que tu dis là c’est vrai mais je pense quand même qu’ultimement, c’est bien de se rendre compte que c’est une graine qui existe. Moi quand j’ai créé ADDICTION, c’était un peu ça aussi que j’essayais de faire. C’est que les mécaniques psychologiques, voire même physiques des addictions, ça peut être bizarre dit comme ça, mais c’est très intéressant. J’ai vraiment essayé dans ce morceau-là d’avoir des trucs suffisamment clairs pour qu’on comprenne la mécanique d’y retourner. D’essayer d’en sortir, de regarder tout ça de haut et de se dire : je n’y arrive pas. J’ai vraiment essayé d’avoir une écriture assez nette sur ce son-là. Ce n’était pas évident d’ailleurs à écrire. Mais j’ai l’impression, en tout cas pour ma lecture, que j’ai pas mal réussi. Donc on retrouve aussi un peu ce côté un peu universel dans ce morceau-là.
LFB : C’est marrant que tu parles d’un titre comme HYPO qui est finalement hyper énergique. Claude a fait aussi un morceau sur l’hypocondrie, mais à l’inverse, lui c’est hyper calme. Il a sorti un album comme toi en début d’année et c’est marrant parce qu’il y a des thématiques qui reviennent de l’un à l’autre.
JYEUHAIR: On est dans une époque où, mine de rien, et peut-être malheureusement, peut-être heureusement, mais on va commencer à se ressembler sur pas mal de troubles anxieux. Mais après, malheureusement, je ne sais pas, parce que ça peut aussi vouloir dire que la porte aux solutions va s’ouvrir et on va commencer à en parler plus librement.
LFB : Je trouve qu’il y a un truc hyper intéressant dans la production et dans l’écriture. Est-ce que tu as l’impression qu’être à la fois producteur et auteur de tes titres, ça t’ouvre mille possibilités ? Est-ce que tu n’as pas aussi un problème pour condenser aussi le bordel ?
JYEUHAIR : Si, totalement. Même ne serait-ce que pour un seul titre, des fois, il y a un milliard d’idées et puis la chanson va durer six minutes et puis c’est inarrêtable. Mais oui, il y a toujours ce truc-là. Et c’est pour ça aussi que c’est bien à mon stade maintenant d’être entouré de gens qui savent me faire voir ça d’une manière différente. Réduire certaines idées mais les garder pour d’autres morceaux. Parce que moi pour le coup personnellement, j’ai tendance à vouloir mettre toutes mes idées dans un seul truc. Parce que je suis dans l’instant, je suis dans le flow, dans le moment. Et tout ce qui sort, j’ai envie de le mettre dedans. Je n’arrive pas à faire de la réserve, à garder, à dispatcher un peu les idées. Donc ouais, je suis souvent dans un espèce de tourbillon de choses qui viennent dans mes titres, dans mes idées, même des fois de covers d’albums, de clips. On me freine un peu. On me dit attends parce que là, t’as mis le début du film, le milieu, la fin, l’épisode d’après, la saison 2 alors que t’as fait une chanson. Ça arrive.
LFB : Ce qui est intéressant sur l’album, c’est que j’ai l’impression que c’est un peu une bande originale de tes émotions aussi musicalement d’essayer de trouver l’énergie et le style musical qui impacte le mieux le texte que tu vas faire.
JYEUHAIR : C’est tout à fait ça. Après, des fois, c’est l’inverse. C’est-à-dire que je vais créer l’instru et c’est la musique que j’ai créée qui va me donner l’idée du texte ou qui va me créer l’émotion et va me faire sentir d’une certaine manière. Je n’ai pas vraiment d’ordre de création. Ce n’est pas le texte avant l’instru, l’instru avant le texte ou quoi que ce soit. C’est souvent un peu hasardeux et donc une chose va inspirer l’autre effectivement.
LFB : Il y a des genres musicaux qui sont très différents. Je trouve qu’on te catégorise un peu par erreur dans une catégorie rap alors que tu es bien plus que ça. Ne serait-ce que par les influences musicales qui se dégagent et même sur scène. Il y a un truc beaucoup plus ample et varié.
JYEUHAIR : Je pense qu’il va y avoir de nos jours de plus en plus d’artistes qui vont se trouver dans ce néant-là, où on ne sait pas trop où les mettre. C’était déjà un peu le cas des Red Hot à l’époque aussi. Mais il y en aura de plus en plus. De ne pas savoir s’il faut créer une nouvelle case, si on les met par-ci, par-là. C’est compliqué pour les gens qui aiment bien mettre des cases et qui en ont besoin, puisque j’entends la nécessité de catégoriser les choses. Je respecte le choix, même si je ne suis pas fan. Mais du coup, nous, ça nous a mis quelques bâtons dans les roues dans les débuts, quand le projet n’était pas connu. On envoyait des titres sur Groover à des radios rap, ils nous disaient : c’est trop pop. À des radios pop : ils nous disaient c’est trop rap. À des radios électro, ils nous disaient : c’est cool mais c’est pas assez électro. À des radios généralistes, ils nous disaient : c’est trop électro. Donc à un moment, on sait pas trop. Mais je pense qu’il y en aura de plus en plus. On sera forcés de constater qu’il faut faire quelque chose et on va pas juste inventer le mot hyperpop pour tout foutre dedans.
LFB : Il ne faut pas refaire des cases.
JYEUHAIR : Ouais, tu vois.


LFB : C’est marrant parce que je suis beaucoup la scène québécoise, et ils sont beaucoup plus fluides par rapport aux styles musicaux et à l’ouverture d’esprit par rapport à ça en France.
JYEUHAIR : C’est vraiment le truc que je kiffe en Amérique de manière générale. Que ce soit aux États-Unis ou au Canada, au Québec. Tu vois, un Pharrell Williams, il peut te faire un son où il va rapper, il va parler de trucs de rappeur, puis après il va faire la BO de Moi moche et méchant, puis après il va te faire un son qui parle de choses atroces avec Snoop. Et puis il va arriver sur un son trap, puis après il va être à Louis Vuitton. On va le trouver stylé. Will.I.Am, il va être dans les Black Eyed Peas, puis il va être l’oiseau bleu dans le dessin animé Rio. Je ne dirais pas qu’on est en retard parce qu’il y a beaucoup de gens qui aiment bien dire ça, mais pour moi, ce n’est pas du retard, c’est juste qu’il y a un truc de mentalité.
LFB : De chapelle un peu en France.
JYEUHAIR : Oui, je ne sais pas ce qui fait qu’on ne se défait pas de ça. Moi aussi, ça m’arrive de penser comme ça. Ce n’est vraiment pas une critique directe ciblée. Je sens qu’on a ce truc-là et je ne sais pas ce qui fait qu’on n’arrive pas à juste lâcher prise et faire tout ce qu’on veut, et aimer ou pas aimer. Mais juste dire : ok il fait son chemin. Pas dire : ouais non lui a dit il fait des musiques de Disney. Mais gros, si j’ai envie de faire des musiques de Disney et puis demain faire un album Outrap (rires).
LFB : Est-ce que tu as l’impression que Nouvelle École a aussi aidé par l’impact qu’elle a eu à imposer ta musique et le style que tu peux proposer ?
JYEUHAIR : Pour ma part, parce que je ne pense pas que ce soit le cas de tout le monde, mais pour ma part, oui. Parce que j’y suis allé en full transparence en tant que moi-même. Les gens ont vu que je n’étais pas là pour faire le bandit. Je n’étais pas là pour être quelqu’un que je ne suis pas. J’ai rencontré des gens trop fun. On a passé un moment trop fun. Je le dis souvent comme ça, mais pour moi, c’était un peu Disneyland. Il y avait des guests à n’en plus finir. Il y avait des adorateurs de rap partout. On parlait de musique tout le temps. Les équipes techniques étaient adorables. Je découvrais plein de métiers. On mangeait bien. Certes, c’était une compétition, c’était un peu stressant, mais au-delà de ça, c’était vraiment trop bien. Je l’ai vécu comme un truc trop bien, comme une espèce de vacances de la vie quotidienne. Même si c’était du taf et une épreuve, une compète. J’étais trop dans les étoiles, dans le fun. Je n’ai rien donné de plus ou de moins à la caméra que la vérité. Et du coup, ils n’avaient que ça à mettre au montage. Et les gens ont capté que : ok JYEUHAIR, il est dans son truc, il s’amuse, il passe un bon moment. Puis après, quand il s’agit de rapper, il rappe bien. Et quand il s’agit de faire la drum and bass, il passe quand même l’épreuve. Et je pense que ça, ça m’a fait gagner beaucoup de temps sur la présentation de mon projet. Tu vois ce que je veux dire ? Il y a plein de choses que j’aurais voulu dire. Je n’ai pas besoin de les dire parce qu’on les a vues sur Netflix. Ça, c’est bénef de fou.
LFB : Tu parlais tout à l’heure de condenser les morceaux qui peuvent finir par faire six minutes. Là, sur l’album, il n’y a quasiment aucun morceau qui dépasse les trois minutes ou tout juste. Est-ce que c’est un choix conscient? ?
JYEUHAIR : Ouais, c’est un choix conscient parce que je pense qu’il fallait le tester une première fois. On avait envie de faire un album, entre gros guillemets, avec que des singles. Où ça pouvait être que des singles qui pouvaient vivre indépendamment. Parce que je me suis dit que c’était une carte de visite. Tout le monde ne me connaît pas encore. Donc s’ils tombent sur n’importe quel morceau, ils peuvent le vivre comme une expérience unique sans forcément avoir besoin d’écouter tout l’album. C’était aussi un peu l’idée. Donc l’idée, c’était que chaque fois, ça soit un peu une sensation de « waouh, je rentre dans un truc, ok, je viens de sortir d’un truc » et que ça n’ait pas duré trente ans. Donc c’était un peu l’idée de cet album-là. Je ne sais pas si c’est quelque chose que je referai forcément derrière. Mais c’était bien de tester et c’était surtout important de le faire pour ma part en tant que carte de visite.
LFB : Est-ce que tu peux me parler des samples de VISION?
JYEUHAIR : Je vois ce que tu as en tête, et c’est ce que tout le monde me dit. Et pourtant, ce n’est pas un sample. Tout le monde me dit que c’est le sample de Pursuit of Happiness de Kid Cudi. Ça me va très bien qu’on dise ça parce que je suis fanatique de Kid Cudi et de ce morceau-là particulièrement. En fait ce son-là est né parce qu’il y a un pote à moi qui s’appelle Cups qui m’a demandé de faire un son un peu qui fait planer. J’aime bien faire des sons quand mes potes me demandent. Parce que j’aime bien voir leur réaction si j’ai réussi ou pas. Et lui me dit ça. Donc j’ai essayé de faire un son et quand j’ai essayé de me faire planer avec les synthés, j’ai eu cette espèce de synthé qui ondule. Pendant la création, il n’y a pas un seul moment où je me dis que ça me fait penser à ça. Et puis après, quand j’ai fini, j’ai exporté le morceau et je le fais écouter à Cups. Je sors du truc et je suis là en mode « putain, ça me fait penser à machin, mais je crois que je suis le seul à le voir ». Du coup, je l’ai envoyé à mon manager, il m’a dit « c’est une vibe de ouf, ça me fait penser à Pursuit of Happiness ». Et puis je l’ai envoyé à untel, untel, untel, et puis tout le monde commence à me le dire. Et je suis là en mode « ok, bah écoute, let’s go ». De toute façon, au pire, on me dit que je l’ai samplé, et puis voilà.
LFB : C’est marrant parce que même le côté un peu vénère du morceau, il y a un petit côté Daft Punk aussi.
JYEUHAIR : Mais ouais, après ce sont les vibes que j’adore écouter. Si demain, je peux faire Random Access Memory, c’est bon, je suis content. Mais du coup, pour moi c’est plutôt un compliment parce qu’au-delà des éléments qui y ressemblent, ce son-là de Kid Cudi c’est vraiment une vibe, une ambiance dans laquelle on se trouve. J’ai l’impression que moi quand j’ai créé ce son-là, je me suis retrouvé dans cette vibe-là. Donc ça me fait vraiment plaisir que ça y ressemble.
LFB : Je trouve qu’il y a une chose hyper importante dans ta musique, c’est le multiculturalisme. On vit une époque assez darkos quand même. Est-ce que c’est important de faire briller un peu cette lumière, au-delà des influences musicales, de tes origines, des villes dans lesquelles tu as habité ? Ce truc de dire : je suis une somme d’influences, on est tous une somme d’influences et on doit vivre avec ça en fait.
JYEUHAIR : Exactement, pile poil. C’est vraiment l’expérience que j’ai eu la chance d’avoir toute ma vie. C’est que j’ai beaucoup déménagé. J’ai rencontré plein de personnes fantastiques qui viennent des quatre coins du monde, des quatre coins de la France. Et en fait, le truc que je me dis depuis que je suis gamin, c’est que tout le monde est trop beau, tout le monde est trop cool. Alors ouais, il y a des connards, il y a des problèmes, il y a des comportements mauvais. Mais ultimement, tout est… En fait, je trouverais ça dommage d’amplifier la haine et d’ignorer le fait que notre force, on l’a trouvée dans ce truc-là où on a rencontré des personnes différentes, de cadres de vie sociaux, culturels, religieux différents. Ils ont quand même pris le temps de nous apporter des choses, de l’amour, de la nourriture, du temps.
Et qu’il y a des gens dans chacune des cultures de cette putain de planète, dans chacune des villes de ce pays, il y a des gens qui sont prêts à accueillir et à parler, même ne serait-ce que boire un coup, avec tout le monde. Il faut vraiment se rendre compte de ça. Il y a autant de gens qui sont prêts à se foutre sur la gueule que de gens qui sont prêts à se rencontrer. Et à se rencontrer à cœur ouvert. Et moi, c’est le truc que je kiffe. C’est le truc qui est trop important pour moi. C’est le truc que j’ai eu la chance de vivre depuis que je suis gamin. Donc j’ai envie que ça soit comme ça dans mon équipe, dans mon bateau. J’ai envie que ça soit comme ça dans mes musiques. Et je sais que je ne vais peut-être pas changer le monde, mais je peux créer un monde qui me fait kiffer autour de moi et dans les oreilles des personnes qui m’écoutent, cette espèce de petite utopie.
LFB : Tu ne peux pas changer le monde, mais tu peux changer les gens à travers ta musique.
JYEUHAIR : Je ne sais pas si on change les gens avec un simple bonjour, mais je pense qu’en tout cas, je peux montrer aux gens qu’en tout cas pour nous, ça marche. On arrive à vivre comme ça. Et oui il y a des difficultés, oui il y a des gens qui s’aiment et d’autres qui ne s’aiment pas. Mais pour nous ça le fait. On a peut-être pas besoin de beaucoup plus pour l’instant vu que comme tu l’as dit avant, le monde a toujours été compliqué. Il l’est encore et il le sera sans doute toujours. Mais voilà pour les gens qui écoutent la zik que je fais, qui suivent un peu nos aventures même sur les réseaux sociaux, j’ai envie qu’ils captent qu’on est ensemble. Vraiment. Je suis peut-être un peu un hippie, mais vraiment, on est ensemble. On s’en fout d’où tu viens. C’est comme ça. Je ne sais pas, je pourrais en parler des heures de ce truc-là. Mais si tu me dis « ouais, moi, dans ma culture, en fait, on est comme ça, on vous voit comme ça », ce n’est pas grave, parce que là, on est déjà en train de parler. On n’est pas en train de se foutre sur la gueule. On est déjà en train d’en parler. Donc c’est déjà bien, et la suite, on verra demain.
LFB : Comment tu envisages le futur et surtout comment tu imagines ton Olympia qui va arriver bientôt ?
JYEUHAIR : J’ai plein de versions de mon futur que j’imagine mais j’essaie de ne pas trop m’y concentrer. J’espère juste être entouré des gens que j’aime et pouvoir bien manger parce que c’est important pour moi la graille. Et kiffer, peu importe ce que je fais. C’est la base de ce que je me souhaite, peu importe ce que je fais. J’espère que ça se fera toujours dans la musique, voire même sur scène, voire même avec plus de moyens de faire des choses fantastiques musicalement et artistiquement. Mais on verra ce que la vie nous réserve. Et puis l’Olympia, franchement je ne sais pas. Je n’ai pas envie de spoiler, de sortir des trucs.
LFB : Mais il y aura des choses.
JYEUHAIR : Il y aura des choses. Il y aura toujours des choses. Il y aura toujours des surprises quand même. Que ce soit en festival, à l’Olympia, je ne sais où. Il y aura toujours des surprises.