À la Face B, on avait envie de donner la parole à celles et ceux qui accompagnent la musique au quotidien sans jamais être sur scène. Parce que ce sont, avant tout, des passionné.e.s de musique, et que sans eux, vos artistes favoris seraient peut-être encore inconnus. Quatrième épisode de notre rubrique avec Stéphane Riva, de La Manufacture Chanson.

LFB : Avant de creuser les spécificités de ton activité à la manufacture, j’aimerais qu’on commence par le commencement : ta rencontre avec la musique. Est-ce-qu’il y en avait chez toi quand tu étais plus jeune ? Qu’est-ce-que tu écoutais ?
Mes parents écoutaient plutôt de la chanson… D’ailleurs, j’ai failli m’appeler Cécile, comme la chanson de Nougaro. J’ai pris quelques cours de piano, mais je n’étais pas très assidu… Un peu comme à l’école d’ailleurs, je n’étais pas très assidu non plus, ça m’a vite embêté… Par contre, je passais mon temps à faire des chansons. J’avais une guitare aussi, et très tôt, à 12 ans j’avais ça en tête…
LFB : Tu avais quels modèles en chanson, à l’époque ?
J’écoutais beaucoup la radio, j’étais inscrit à la discothèque, je ramenais plein de vinyles, toujours de la chanson en français, Higelin, Thiéfaine, Souchon, tous ces artistes…
LFB : C’est marrant, la chanson c’est vraiment là depuis le début chez toi…
Oui, c’est vrai… Pourquoi, je sais pas bien, mais c’est comme ça… Après, c’est drôle, aujourd’hui je n’écoute plus tellement de chanson française, à part les artistes qu’on accompagne.
LFB : Tu écoutes quoi en ce moment ?
Eels, des choses comme ça… Un peu d’électro aussi.
Enfin, pour revenir à mon parcours, j’ai arrêté l’école très tôt, avec des copains qui faisaient de la comédie et qui se sont dirigés vers des écoles de théâtre. Moi je me suis dirigé vers une école de chanson, qui s’appelait Les ateliers chanson de Paris, et qui était l’ancêtre de la Manufacture chanson (le lieu où travaille Stéphane désormais NDLR). J’y ai fait mon cursus, puis j’ai été chanteur pendant quelques années…
Mais je m’étais toujours dit qu’à 25 ans, si je ne vivais pas confortablement, je ferais autre chose… J’avais d’autres passions aussi. Je suis allé jusqu’à 27 ans (rires)
Mes activités connexes m’ont amené à faire pas mal d’administratif, et le fondateur de la structure (Christian Dente NDLR) était devenu mon ami entre temps… J’avais un boulot en même temps, mais il m’appelait parfois pour faire un peu de mise en scène. Alors lorsqu’il a voulu arrêter, il a pensé à moi, avec d’autres, pour reprendre la structure. On était un collectif d’artistes… Comme j’avais l’expérience de l’administratif et avais arrêté de faire le chanteur, j’ai pris cette place de coordination. C’était en 2000, Les ateliers chanson sont devenus La Manufacture chanson.
À l’époque il n’y avait aucun permanent dans l’équipe. C’était une organisation d’une autre époque, il faut pas le dire, mais certaines personnes étaient payées à moitié en liquide (rires), les financements se faisaient avec un coup de téléphone, mais, voilà, on a repris le truc, on a embauché notre premier emploi jeune en 2000, en 2002 on a créé un poste pour moi, et maintenant je suis à temps plein…
LFB : C’est lieu unique la Manufacture chanson, avec un fonctionnement assez unique également. Vous avez un statut de SCOP, tu peux nous expliquer ce que ça veut dire ?
Quand on a repris, en 2000, c’était une association. Même si on aimait bien l’idée de l’associatif, parce que l’on a jamais eu pour objectif central de faire du profit, il y avait des problèmes de gouvernance, les gens qui travaillaient dans la structure ne pouvaient pas faire partie du conseil d’administration… Donc en 2013, on a découvert ce modèle de SCOP. C’est un fonctionnement coopératif, on est 30 associés sur la structure, dont 25 enseignants qui sont artistes par ailleurs.
Finalement, c’était un petit peu la philosophie de Christian Dente à l’origine des Ateliers chanson de Paris. Les artistes transmettent aux artistes, et l’objet qui le permet leur appartient. Les gens qui font vivre la structure en sont porteurs, c’est eux qui votent pour le projet…
Voilà, ça c’est sur le papier, après, la démocratie, c’est pas facile à faire (rires) Que tout le monde participe, s’implique, ça ne se fait pas tout seul. Mais on tient le coup. Alors qu’on est financièrement complètement indépendants…
On a un lieu central à Père Lachaise qui est le lieu central. Avec toujours l’objectif d’aider les artistes. On y fait des concerts, des résidences, de la formation artistique, de la formation professionnelle ou loisir… Au fur et à mesure des années, on s’est appuyé sur une chose ou l’autre, sur ce qui marchait le mieux, mais depuis deux-trois ans, tout marche (rires) ! On a du monde au concert, on a du monde dans les formations…
LFB : Tu saurais dire pourquoi ?
Je ne sais pas, il y a, je l’espère, le fait que nous sommes de plus en plus professionnels (rires)… Après, le fait que l’on ait une salle depuis 2008, que l’on rémunère les artistes, financièrement, c’était risqué au départ, mais on va chercher les subventions pour ça, et peu de salles fonctionnent de cette manière à Paris…
Les gens nous font de plus en plus confiance au fur et à mesure des années… Sylvaine Fouix, notre programmatrice, fait un travail très fin depuis quelques années. Ça attire du monde, les gens viennent nous voir parce qu’ils savent qu’untel a joué chez nous, qu’untel y a fait une formation…
LFB : J’ai l’impression qu’il y a aussi un état d’esprit à la Manufacture. Pour y avoir déjà été en tant que public, on y ressent une immense proximité. Je me souviens d’un concert à l’issu duquel la programmatrice avait proposé un verre de l’amitié, informel, avec celles et ceux qui voulaient… Je n’avais jamais vu une telle simplicité dans l’accueil à Paris.
Effectivement, même quand on fait une rencontre pro, on offre un verre à la fin, c’est prévu dans notre fonctionnement… On offre pas des verres tout le temps non plus hein (rires), mais c’est fait pour que les gens restent, qu’ils rencontrent les artistes. Ce qui me fait plaisir, c’est que les gens qui viennent nous complimentent toujours sur les conditions d’accueil, à la fois techniques et humaines.
Pour les scènes ouvertes qui ont lieu toutes les semaines aussi, je crois qu’on arrive à avoir des bonnes conditions d’écoute pour les artistes…
LFB : Oui, complètement. Sur un autre sujet : j’aimerais bien que l’on parle un peu du nom. Le mot « chanson », finalement, on pourrait dire qu’il s’applique autant à Billie Eilish qu’à Alain Souchon. La chanson, en tant que forme, est partout dans les musiques actuelles… Pourquoi ça avait du sens de faire une salle dédiée spécifiquement à la chanson française, et pas juste une salle de musiques actuelles ? Est-ce-que ce sont deux scènes vraiment différentes ?
C’est vrai que très souvent, quand on dit chanson, les gens entendent chanson française. Christian Dente, lui avait vraiment cette culture, il chantait dans les cabarets…
Mais où est la limite entre chanson française et chanson internationale, franchement, je ne la vois pas. Les gens n’osent même pas venir nous voir pour des projets qui ne sont pas francophones. Alors que certaines personnes que l’on accompagne et que l’on adore chantent dans d’autres langues, comme Blaubird par exemple.
Après, peut-être qu’il y a une différence dans la forme du concert. La chanson, c’est souvent public assis, les musiques actuelles debout… Et notre salle ne s’y prête pas beaucoup. On aimerait beaucoup accueillir des musiques plus urbaines par exemple, mais on a cet obstacle du bâtiment qui n’est pas vraiment conçu pour.
LFB : Quels sont les projets de La Manufacture, comment tu vois l’avenir ?
L’avenir, c’est penser comment ça peut continuer sans moi (rires). L’objectif c’est qu’à terme, d’autres reprennent, que ça évolue… En 2023 on a fêté nos 40 ans. Dans les 40 ans qui viennent, je serai le plus heureux des gérants lorsque quelqu’un aura repris la place et continuera à porter le projet, avec toujours cet esprit de partage et d’échange entre artistes…
Concrètement, dans les années qui viennent, on a plein de projets. Bon, déjà, de survivre, parce que notre modèle financier, même si l’on a du monde, est un peu fragile, et l’avenir est toujours un peu effrayant… On a des aides, mais on ne sait jamais à quelle sauce on va être mangés l’année suivante… On est toujours sur le fil. Donc l’objectif de consolider, pour que la structure soit vraiment pérenne.
Après, on a des beaux projets artistiques, avec Blaubird par exemple, que l’on accompagne sur deux ans, on monte des projets mutualisés avec le théâtre d’Ivry et d’autres lieux…
Là où l’on est assez solide, c’est sur le côté formation, et les concerts, où l’on fait le maximum, sur l’action culturelle aussi, on a un festival à la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis, des choses en EHPAD, en lycée… Mais il y a un endroit pour moi où l’on a encore des choses à développer, c’est l’insertion professionnelle.
Entre la formation et l’insertion, il y a tout cet espace où les artistes ont besoin d’accompagnement, d’une structure, d’un tourneur… On fait des choses, on propose des résidences, mais je crois qu’il y a encore des choses à inventer pour accompagner les artistes.
Retrouvez les formations de la Manufacture chanson sur leur site internet !