Rencontre avec Raphaëlle des Shirley

Allez savoir pourquoi, notre interview avec Raphaëlle des Shirley est restée dans nos dossiers pendant presque un an … Alors que le trio est nommé cette année au GAMIQ, on s’est dit qu’il était temps de partager avec vous cette rencontre très rock’nr’oll.

La Face B : Comment ça va?

Raphaëlle : Ça va bien. J’aurais aimé dormir la nuit dernière, mais l’énergie mentale est là et je suis très contente d’être ici !

La Face B : Moi j’aime beaucoup les artistes québécois, et puisque que le français est très important au Québec, est-ce qu’il n’y a pas un espèce de de défi particulier justement à écrire en anglais ?

Raphaëlle : 100% mais c’est un choix conscient parce qu’on a envie que le marché qu’on exploite soit plus grand que « juste » la francophonie. On a envie de de pouvoir aller aux États-Unis. On a tourné en Allemagne par exemple. Ce sont des choses qui auraient peut-être pas été possibles si on chantait en français, donc c’est vraiment dans cette optique là. Et puis, moi je trouve que la musique c’est la musique. C’est un langage universel. Et le Québec et le Canada, ce sont deux choses complètement différentes qui ne se comprennent pas nécessairement ensemble donc d’un bord et de l’autre, c’est difficile de percer dans les deux marchés. Donc oui, c’est définitivement un bâton dans les roues de plus.

La Face B : En termes de mécanique d’écriture, qu’est ce que tu retrouves dans l’anglais, que tu retrouves pas forcément dans le français par exemple ?

Raphaëlle : Je pense que c’est une question de références. Ce qui m’a inspiré, surtout sur ce projet là, ce sont mes référents très anglophones. C’est j’écoutais des choses comme Blink-182, Green Day, Paramore, ces affaires là, c’est choses en anglais des années 2000. Après ça il y a Marie-Mai, qui s’est mise à faire ça mis en français donc ça m’a ouvert l’esprit mais je t’avoue que c’est une question de référence pour moi. Puis ma plume, on dirait qu’en français je m’assume pas trop, je trouve ça trop brut, tu n’as rien pour te cacher.

La Face B : Le projet date de 2018, donc en trois ans vous avez sorti 1 EP et 2 albums, ça va, vous êtes encore vivantes au niveau de l’énergie ?

Raphaëlle : (Rires) C’est vrai que on chôme pas, mais je pense que c’est qu’on a vraiment cette énergie là puis on est des très bonnes amies donc on aime ça jouer ensemble, composer ensemble. Donc on a une compréhension musicale, on a un peu le même cerveau, ça fait en sorte que les chansons sortent rapidement, puis on avait le goût avec la pandémie d’en sortir un autre, on avait le temps, on avait l’argent, pourquoi pas… De toute façon en 2022 ça va vite hein.

La Face B : Quelle évolution souvent entre justement ce premier EP et ce 2e album ?

Raphaëlle : Je pense que le premier EP, c’était vraiment une espèce de carte de visite. On savait pas trop encore c’était quoi les Shirley, c’est quoi l’identité, on se cherchait un peu, puis même moi au niveau de ma plume d’écriture, j’avais tendance à écrire des choses très personnelles, très introspectives, alors que le premier EP, c’est à l’inverse, je me suis permis d’aller écrire sur des sujets qui sont complètement ludiques.
Korben Dallas ça part du Cinquième Élément, Caitlin Montana c’était aussi une émission jeunesse qu’on avait quand on était jeune, donc ce sont des sujets qui sont plus légers entre guillemets, alors que l’album vu qu’il a été écrit pendant une pandémie, c’est une c’est assez représentatif de ce qui s’est passé dans ma tête. C’est comme un voyage dans mon cerveau, des montagnes russes émotionnelles. Ça parle de sujets, plus deep, plus introspectifs, d’addiction, blablabla. Toutes ces affaires là. Donc je pense que c’est ça la différence, c’est une plus grosse maturité musicale je trouve dans la l’album qui est là, et ça s’entend, ça se ressent je trouve.

La Face B : Ce que moi je trouvais intéressant, c’est que par rapport aux références que tu donnais par rapport au son que vous faites avec les Shirley, c’est un type de musique qui est justement souvent vu comme une musique de fête, de légèreté. Et c’est vrai que sur More Is More, j’ai l’impression qu’il y a plus de profondeur justement dans les sujets, dans les paroles, dans ce que vous racontez dès le premier titre en fait. Est-ce que toi tu trouvais ça intéressant cette espèce de paradoxe ou de décalage entre un truc qui peut être écouté de manière très superficielle mais en plongeant dedans tu réalises que y’a beaucoup plus à apporter ?

Raphaëlle : C’est exactement ça. Je trouve que les Shirley, cet album là, c’est vraiment c’est ça, c’est peut être en plusieurs layers, à la première écoute, tu peux penser avec l’instrumentation, avec les formes des chansons que c’est peut être léger quand même, on peut quand même l’écouter sans porter attention aux paroles, en omettant cette partie là. Mais plus tu l’écoutes, plus tu t’attardes aux paroles, plus tu fais un voyage je trouve qui est comme un genre de montagne russe émotionnelle. Alors oui, tu as vraiment bien résumé, j’aurais pas pu mieux dire.

La Face B : Justement More Is More finalement t’avais l’impression que plus tu plongeais dans les sujets, et plus t’avais envie de parler…

Raphaëlle : Oui exact, on s’est aussi mises aucune barrière pour cet album là dans le sens qu’on a composé sans se restreindre. Moi j’aime beaucoup les bands qui se permettent de de se renouveler constamment, comme par exemple The 1975 que j’aime beaucoup et où à chaque album ils s’en vont complètement ailleurs. Mais le public est toujours là quand même parce que il y a le fil conducteur à la voix, les mélodies, le feeling de base reste le même. Mais c’est intéressant en tant qu’artiste d’évoluer parce qu’on évolue en tant qu’humain. Donc de pas chercher à reproduire ce que t’as déjà fait parce qu’à tout les coup, c’est sûr que ça fonctionnera pas. Tu sais, faut toujours avancer. Donc non, je suis vraiment de l’avis que ouais, j’adore ça en fait repousser les limites tu sais.

La Face B : Ce que j’ai beaucoup aimé aussi, c’est qu’il y a les mécanismes de rock classique dans la composition et l’énergie, mais je trouve qu’au niveau du traitement des voix et de la façon d’envisager certaines choses, il a aussi beaucoup de pop moderne, un souffle qui crée un mélange un peu explosif

Raphaëlle : Oui et ça c’est l’espèce d’équilibre des Shirley, on marche toujours sur cette ligne là, entre le pop et le rock, ça peut pencher d’un bord ou de l’autre mais on essaie de rester sur la ligne d’habitude. Puis pour cet album là, on a travaillé avec Ryan Battistuzzi, qui est avec nous en studio pour faire les prises de son, le mix et tout ça. Ila un background très rock, c’es lui qui a fait Malajube entre autres, au Québec ça a été un énorme album, donc plus rock ce côté-là, et puis la la co-réalisatrice avec nous, Marie-Pierre Arthur, elle a peut être amené le côté plus pop. C’est pour ça qu’on a ce sentiment là, que chacun a un peu tiré de son bord de la couverte.

La Face B : Sur certains morceaux, j’ai beaucoup pensé à HAIM aime le traitement des voix.

Raphaëlle : 100% ! Leur album Women In Music Pt III, la première fois que j’ai écouté, je me suis dit « ah j’aime pas ça » et puis plus je l’écoutais, plus je me disais que c’est du génie cet album là, je trippe dessus. Je vais pas te cacher que j’écoutais à fond cet album là pendant la composition de l’album, donc c’est vrai que ça s’entend quand même à certains endroits.

La Face B : Oui sur les arrangements vocaux sur les choeurs, on le ressent…

Raphaëlle : Mais HAIM c’est 3 sœurs, donc très proches dans cette énergie là, et puis c’est un trio comme nous. Nous on est trois super amies donc on a un peu la même énergie qu’elles. D’ailleurs, si jamais ça vous tente de tourner avec nous on est preneurs (rires).

La Face B : Tu parles du fait d’être des filles en musique, je trouve que le premier titre de l’album, il est assez explicite par rapport à ça et est-ce que toi tu trouves pas ça un peu dommage qu’on vous ramène toujours au fait d’être des femmes qui font du rock alors que vous êtes juste des musiciennes qui font de la musique ?

Raphaëlle : Clairement, il y a encore un travail à faire et je pense que c’est important de le faire aussi en termes de représentation. Mettons, quand on fait un spectacle, et là il y a des jeunes filles qui sont dans l’audience qui souvent après les spectacles, viennent nous voir et qui ont le goût de se partir un band. C’est comme si tu savais pas que tu pouvais le faire ça jusqu’à ce que tu vois quelqu’un d’autre qui te ressemble le faire. Nous on n’a pas créé le band en se disant qu’on allait faire de la revendication du féminisme ou quelque chose de ce genre, juste on était 3 amies, on avait 3 vagins, et on s’est mises ensemble à faire de la musique et c’est tout. Mais avec le temps on se rend compte que néanmoins, on se doit quand même d’être un peu un porte-étendard de ça, malgré nous. Mais on le fait avec bon coeur. Parce que oui, il y a encore du travail à faire. C’est sûr que à un moment donné ça sera plus un statement. Mais là il reste encore du travail.

La Face B : En France on a des choses comme More Women On Stage ou on a Majeur.e.s qui est une espèce d’annuaire des femmes, des personnes trans et non-binaire dans l’industrie de la musique, est-ce qu’il y a des choses comme ça au Québec ?

Raphaëlle : On a un groupe Facebook qui regroupe pas mal toutes les femmes et personnes non-binaires en musique, et les gens qui s’identifient comme alliés aussi, c’est un safe space. Tu sais les gens vont vraiment poser des questions personnelles, « est-ce que ça vous est déjà arrivé ? »… C’est beaucoup de discussions là-dessus qui sont vraiment intéressantes, mais il y a rien d’écrit, y’a pas d’associations mais ça serait pas une mauvaise idée, remarque j’amène ça dans ma petite poche.

La Face B : Après j’ai l’impression qu’au Québec vous avez un train d’avance sur ces questions…

Raphaëlle : Moi j’ai commencé la musique en 2015 en tant que professionnelle avec un autre projet, c’était de l’électronique pop, donc on a commencé comme un duo, ensuite ça s’est transformé en trio, deux filles, un garçon qui faisait les claviers et tout. Et souvent quand on faisait de la tournée hors Montréal, en région québécoise, les techniciens son avaient tendance à toujours s’adresser à lui alors que c’est moi qui branchais mes propres affaires. Je sais comment ça marche, je suis pas une nunuche quand même. Mais c’est le réflexe de toujours se tourner vers les hommes. Mais aujourd’hui, 10 ans plus tard, je sens que ça a quand même changé. C’est vraiment moins présent. En tout cas dans dans mon réseau proche, il y a vraiment une explosion de musiciennes extraordinaires, ça pop de partout. Je pense qu’on est comme la première génération peut-être qui s’assume plus aussi, qui va en tant que pigiste en tant que front.Il y a quelque chose en ébullition.


La Face B : Ça se voit avec Ariane Roy ou avec Lou Adriane Cassidy, Laurence-Anne…

Raphaëlle : On reprend un peu la Diane Dufresne dans le temps, mais maintenant on a plus peur de plus avoir un band qui est seulement composé de garçons. J’avais posé la question justement à Marie-Mai qui a fait la première édition de Star Académie au Québec en 2003, c’est vraiment quelqu’un à la tête de la pop au Québec, mais son premier album c’était très punk rock, mais elle vit un band de gars. C’était l’espèce de stéréotype de la fille qui gratouille un peu la guitare, avec son band de boys en arrière. Mais Marie-Mai m’a expliqué qu’en fait, dans le temps, il y avait un espèce de feeling, un sentiment de compétition entre les femmes, comme si il n’y avait pas assez de place pour avoir plusieurs femmes, donc ça jouait du coude. Alors qu’aujourd’hui, il y a plein de filles, c’est moitié moitié, il y beaucoup de parité et dans tous les projets, ça paraît que ça fait du bien.

La Face B : Vous êtes complètement indépendantes en termes de production et de création avec les Shirley. Est-ce que c’est un choix conscient qui avait été fait depuis le début et qu’est-ce que ça vous apporte et en même temps, en quoi ça vous limite ?

Raphaëlle : Je pense que c’est l’espèce de nouveau modèle de business viable aujourd’hui parce que dans le temps, quand t’étais avec un label, premièrement il n’y avait plus d’argent dans l’industrie, puis on versait des plus gros dividendes, puis on donnait un chèque. C’était « bon écoute, je te donne 1000000 pour commencer, puis va-t’en composer » t’avais pas besoin d’avoir plein d’autre travail, t’avais pas besoin de faire de la pige. Alors qu’aujourd’hui il faut complètement diversifier ses sources de revenus. Même nous on fait de la Pige, on joue pour d’autres gens. Alors c’est vraiment un modèle qui est plus viable pour nous parce que directement quand tu donnes pas 50% des droits voisins, des droits d’auteur à ta production, ce que tu reçois c’est 100% à toi. Tout revient à nous autres et on voit la différence. On travaille fort, c’est beaucoup de travail mais c’est plus intéressant comme ça.
Tu sais on est en booking avec un label par exemple, donc on a du booking, on a du PR avec Chloé, on a de la distribution physique, on a de la distribution numérique, c’est toutes des choses qu’on va chercher, que ça me tente pas de faire moi, mais tout ce qui est annexe, les réseaux sociaux, gestion de courriels, l’espèce de job un peu plus de management, ça c’est nous autres. C’est comme si être musiciennes en 2022, c’est faire de la musique, mais aussi toute les autres tâches connectées. C’est ça qu’on dit tout le temps, c’est la réalité aujourd’hui, pour survivre t’as pas le choix de diversifier tes tâches, voilà. C’est triste, mais au moins on le fait pour les bonnes raisons, clairement on est là parce que on on aime ça, parce que sinon on serait plus là.

La Face B : C’est la première fois que tu tournes en France avec Les Shirley ?

Raphaëlle : Non, on a fait une première tournée en avril dernier, on a joué à Lyon, à Dunkerque, à Tours, et on est allées en Belgique. C’était vraiment le fun ! Mais à Paris, oui c’est la première fois.

La Face B : Qu’est-ce que tu attends de ces nouvelles dates pour la suite des Shirley ?

Raphaëlle : J’espère revenir encore faire une autre tournée en Europe, c’est franchement extraordinaire. Il y a plein de choses sur lesquelles vous nous recevez de manière tellement mieux qu’au Québec, entre autres le catering excellent, les trois quarts du temps fait maison (rires). C’est tellement une attention incroyable. Et puis il y a des pros ici, c’est bon pour le réseautage, c’est bon pour plein de choses tu sais. Et puis le public aussi ! Donc c’est du réseautage, c’est tendre des perches… C’est toujours intéressant de ça. Voilà, voilà. Le but est toujours de revenir donc faut revenir souvent pour susciter l’intérêt du public, pour se faire connaître.

La Face B : Est-ce que tu as eu des coups de coeurs récemment que tu aimerais partager ?

Raphaëlle : C’est drôle parce que j’avais répondu aussi à mon top 5 des chansons pour La Face B, j’avais mentionné Ariane Roy justement, puis elle m’a écrit, aujourd’hui, pour me dire « ah j’ai vu la mention, vous êtes tellement gentils » c’est toujours drôle. Mais donc j’ai trippé sur elle.

La Face B : Nous aussi.

Raphaëlle : Ouais, ouais, non mais en plus c’est énorme parce qu’elle vient de gagner la révélation de l’année à l’ADISQ, et j’espérais tellement que ça soit elle parce que c’est pour le statement aussi. C’est tellement important qu’elle l’ait gagné. Mais j’essaie de penser ce que j’ai vu… Triangle of Sadness ! C’est particulier, quand le film s’est terminé, je savais pas c’était quoi mon feeling, c’est vraiment edgy, ça m’a sorti de ma zone de confort. J’ai vraiment aimé ça. C’est très lent, puis en même temps l’histoire est improbable, ça a pas rapport là. Donc j’ai trié dessus alors je vous le conseille !

Crédit photos : Cédric Oberlin