Meryem Aboulouafa : « J’ai voulu explorer la cellule familiale, la première cellule sociale »

Le 3 décembre, Meryem Aboulouafa dévoilait Family, son deuxième album, cinq ans après le succès retentissant de Meryem. Dix chansons aux ambiances variées, chantées en arabe et en anglais, dans lesquelles l’artiste explore la complexité des liens familiaux et la transmission. Quelques jours avant sa sortie, on s’est plongé dans le processus créatif de Meryem Aboulouafa, et dans les morceaux qui composent ce disque puissant.

Crédit photo : Jean-Leo Bost

La Face B : Il y a 5 ans, tu sortais ton premier album, Meryem. Là où certains artistes tâtonnent au début, toi, tu es arrivée tout de suite avec ce premier disque au style très assumé, pour lequel tu as été très entourée, notamment par Para One, et qui a tout de suite rencontré un très beau succès, ce qui est rare pour un premier album. Comment est-ce que tu as vécu la sortie de ce premier album et son accueil par le public ?

Meryem Aboulouafa : C’est vrai qu’il y a eu un beau retour médiatique, c’était vraiment très flatteur. Mais la sortie s’est passée avec un peu de distance pour moi, parce que l’album est sorti en plein Covid. Je pense que je ne réalisais pas tellement, notamment parce que je n’ai pas pu le défendre sur scène à l’époque. On avait plein de dates prévues, qui ont été repoussées jusqu’à annulation.

LFB : Et est-ce que tu as pu le défendre sur scène, finalement, cet album ?

Meryem Aboulouafa : Pas tellement. Donc quand je joue certains morceaux de cet album sur scène aujourd’hui, je le vis un peu comme si c’était la première fois que je les jouais en dehors du studio. 

LFB : Le titre Breath of Roma, de ton premier album, est récemment apparu dans la série Bref 2. J’ai l’impression qu’il y a toujours une dimension cinématographique dans ta musique, que ce soit voulu ou non. Est-ce que ça te plairait de faire de la musique à  l’image ?

Meryem Aboulouafa : L’apparition dans Bref 2, c’était une belle surprise. La musique à l’image, c’est quelque chose que j’aimerais vraiment bien faire. Mais ce n’était pas intentionnel, au départ. Je suivais vraiment mon intuition. Et puis, ce qui se passe, c’est que je visualise la musique. Enfin, je ne suis pas synesthète. Mais disons que je visualise les personnages et la narration. J’ai des codes dans le processus d’écriture des morceaux, aussi. Par exemple, ne pas genrer les personnages, ce que permet l’anglais. Ça permet de s’identifier beaucoup plus facilement. Je crois que tout ça permet d’avoir une musique qui peut aller très bien avec l’image.

Crédit photo : Jean-Leo Bost

LFB : Est-ce que ça veut dire que dans chacun de tes morceaux, il y a un cheminement, une narration ?

Meryem Aboulouafa : Je dirais que dans ma façon d’écrire, le fait de visualiser, ça me permet de poser les bons mots. J’ai des scènes fictives dans ma tête, des histoires. Et dans mes textes, je décris ces scènes-là. Me représenter la scène me permet aussi de poser l’émotion qui va avec.

Je prends l’exemple du morceau Letter to Andalus. Il fallait que je visualise un peu la scène. Je me vois assise sous un arbre, et pas n’importe quel arbre : un olivier. Et puis il va y avoir une conversation. Qu’est-ce que je dis ? Qu’est-ce que je raconte ? J’ai envie de raconter une histoire nostalgique. Et les émotions arrivent de manière très naturelle.

Les mélodies font sens, automatiquement, et les choses prennent place de manière intuitive. Ça arrive plus ou moins rapidement. Chaque chanson a son rythme, et je me donne le temps et la liberté de suivre le rythme qu’il faut. Je crois que c’est tout ça qui fait que les morceaux suggèrent le côté visuel.

LFB : Ton album Family vient de sortir. C’est un album sur les liens familiaux. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’explorer ces liens à ce moment-là ?

Meryem Aboulouafa : Je dirais que mon premier album était vraiment très introspectif. Ça partait de moi, de mes émois intérieurs, c’était vraiment très puissant.

Je pense que, pour le deuxième album, j’ai naturellement voulu élargir un peu le cercle d’exploration. Et le cercle d’exploration suivant, c’était la cellule familiale, la première cellule sociale. Il se trouve que c’est aussi le moment où j’ai créé ma propre cellule familiale. Donc cette transition-là m’a permis de remettre pas mal de choses en question. De me demander quels bagages familiaux je voulais emporter avec moi ou pas, les choses que je trouve précieuses dans ce que j’ai reçu… ça m’a vraiment beaucoup inspirée. 

LFB : En commençant à travailler sur l’album, tu savais que c’est ce thème-là que tu voulais explorer ?

Meryem Aboulouafa : Je dirais que c’est le morceau Family, qui est au centre de l’album et qui m’a donné envie d’explorer ce thème. Il parle de cette relation avec la famille, qui est très complexe et très riche en émotions. J’écrivais des morceaux sans vraiment y réfléchir, puis en sélectionnant les morceaux pour l’album, je me suis rendue compte que c’était vraiment ça qui ressortait, et que j’avais envie d’aborder. 

LFB : La pochette de l’album est très belle. On dirait presque un tableau. Est-ce que tu peux me raconter son histoire, comment elle a été réalisée, et comment est venue l’idée ? 

Meryem Aboulouafa : C’est une photo qui a été réalisée par la très talentueuse Zoé Cavaro. L’idée c’était de parler de racines, de veines, et c’est elle qui a eu l’idée de capturer les mains, qui m’a tout de suite séduite. L’idée c’était d’en faire avec un membre de la famille. Finalement ça n’a pas été possible, mais c’est ma charmante voisine qui s’est proposée pour m’accompagner dans cette aventure.

LFB : À travers les mains, l’idée, c’était de représenter la transmission ?

Meryem Aboulouafa : Oui, c’est ça, et je trouve que les mains expriment vraiment énormément de choses. Le temps qui passe, par exemple. C’était assez particulier, parce que pendant la séance photo, j’ai réalisé que le toucher avait vraiment une expression. On a fait pas mal de photos, et dans certaines, le toucher paraissait naturel, dans d’autres non. On a imaginé qu’elle touchait la main de sa fille, et moi celle de ma mère, mon père ou ma grand-mère. Et c’est fou comme les mains ont des expressions, même si on ne voit pas le reste.

LFB : Tu parlais tout à l’heure du morceau Letter to Andalus. Si j’ai bien compris, c’est une lettre imaginaire que tu as adressée à Tarek Ibnou Ziad, un guerrier berbère et une figure historique amazighe. C’est un personnage qui a eu un rôle majeur dans la naissance de la civilisation andalouse. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ce personnage, ce qui t’a inspiré dans son histoire, et d’où t’est venue l’envie de lui adresser cette lettre ?

Meryem Aboulouafa : C’est un personnage qui fait partie de la mémoire collective. Il est très connu dans les pays arabophones. On l’a étudié, je l’ai joué au théâtre. Il a un discours très célèbre, qui est souvent appris par cœur. Qu’on a peut-être un peu fantasmé d’ailleurs, parce que son discours est en arabe classique alors que lui-même ne le parlait pas. Personnellement, je n’aime pas associer cette idée conquérante à la chanson, car je n’encourage aucunement ça. Ce qui m’intéresse plutôt, c’est l’unicité autour de la parole, qui a motivé ce discours. Je voulais mettre ça en lien avec la parole d’un proche, et comment elle peut vraiment nous influencer. À quel point elle peut nous faire bouger des montagnes ou nous écrouler, intérieurement. Ce que je voulais explorer dans ce morceau, c’est vraiment la force de la parole.

LFB : Les autres morceaux sont aussi des lettres ? 

Meryem Aboulouafa : Pas vraiment, mais inconsciemment, peut-être. Ce qui est sûr, c’est que c’est un hommage à la famille, à différents membres de ma famille. Et le dernier morceau pourrait être vu comme une lettre d’amour à mon époux, même s’il n’a pas été formulé comme tel. 

LFB : J’aimerais parler du morceau Horses, qui ouvre l’album. C’est un morceau qui explore de manière métaphorique les émotions indomptables, sauvages, qui sont représentées par des chevaux dans le clip. Si je comprends bien, c’est un morceau qui symbolise le retour des émotions, de la sensibilité, voire de l’hypersensibilité. Le fait d’accepter ces émotions et de leur donner de la place plutôt que de chercher à les dompter, c’est ça ? 

Meryem Aboulouafa : Absolument. Je trouve que les émotions, parfois, rendent difficile le fait de rester objectif, dans un monde qui prône le cerveau plutôt que le cœur. Je crois qu’un équilibre entre les deux serait bien. Mais laisser la place aux sentiments de surgir, ne pas réprimer ses émotions, c’est très libérateur. Et j’aimais l’idée que ces émotions soient incarnées par des chevaux, ça rendait la chose très réelle.

LFB : Le clip du morceau est magnifique. Il a été réalisé par Théo Gottlieb, avec qui il était prévu que vous fassiez un clip sur le premier album. Et au moment où tu as écrit ce morceau, lui travaillait justement sur un documentaire autour d’un cavalier marocain, qui s’appelle Yassine. Tu peux m’en dire plus sur la réalisation du clip ?Meryem Aboulouafa : En fait, je crois que les astres se sont alignés à ce moment-là. Théo Gottlieb avait fait sa recherche sur les chevaux, et nous on est arrivé avec le pitch de Horses. Il avait fait des repérages à Essaouira, et il connaissait Yassine. On a préparé le clip en France, puis on l’a tourné à Essaouira. C’était naturel et spontané, comme une évidence.

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