Avec plus d’un million de vues sur YouTube pour leur clip Purple… Vous n’avez pas pu passer à côté du phénomène Retriever. Avec leur esthétique léchée et leurs textes oniriques portés par une voix aérienne et éthérée, le jeune groupe apporte une bouffée d’air frais à une scène pop où ses quatre membres ont déjà bien leurs marques. Rencontre.
La Face B : Je vous ai suivi Jim, Marc-Antoine, Nico, du temps de Filago. Rejoints par Baptiste, vous êtes réunis autour de ce nouveau projet, Retriever, toujours en anglais. Pouvez-vous me parler de vos parcours respectifs et de l’histoire du groupe ?
Jim (chant et textes) : Je fais de la musique depuis 2006, dans un style plutôt pop. J’ai eu, à 25 ans, un groupe de folk, avant de fonder Erevan Tusk qui m’a vraiment mis le pied à l’étrier, en me permettant notamment de devenir intermittent.
À la base de notre précédent groupe, il y a eu la rencontre avec Nico, qui était vraiment, avec moi, l’élément fondateur, rejoint par Marco. Baptiste est arrivé plus tard. La magie, l’amour ont opéré, pour composer Retriever !
Concernant le fait que le projet soit en anglais et étant le songwriter du groupe, je suis bilingue de naissance grâce à ma double nationalité – j’ai d’ailleurs aussi un projet en suédois ! Mais je m’intéresse beaucoup et depuis toujours à l’anglais que j’ai beaucoup étudié et pratique énormément, il était donc tout naturel pour moi de composer dans cette langue.
La Face B : C’est un projet qui est plus aérien que Filago, plus rêveur ou optimiste, peut-être ?
Jim : Il y a clairement un truc un peu moins dark, mais aussi plus carré, plus rigoureux, moins indé en fait. Moins coldwave aussi, aspect qu’on avait choisi à l’époque très marqué.
Marc-Antoine (guitare, chœurs) : Côté coldwave on avait beaucoup d’influences de musiques éthérées comme Talk Talk…
Je dirais que le lien entre les deux groupes reste vraiment une musique très organique, très jouée. C’est boisé, il y a un côté un peu folk qu’on a gardé avec des batteries acoustiques, et en même temps on a voulu faire quelque chose de plus esthétisant et de moins sombre.
Jim Paillard
La Face B : Justement je voulais vous parler du côté très organique. Je pense à ce morceau, Purple, viscéralement percussif, et puis il y a cette voix qui n’a pas peur de prendre de la hauteur… Retriever, c’est un projet émotionnel ?
Nico (batterie) : On est véritablement dans la quête de trouver où se situe l’émotion dans la musique. Pour nous, c’est super important. On fait plein de maquettes, et finalement ce qui nous dirige nos choix, c’est plutôt le mood du morceau, quelles sensations il va procurer, plutôt qu’une question de tempo par exemple. On a véritablement cette ligne directrice du cocon où on se sent bien et il y a une recherche et un travail fait dans cette direction, tant sur les textes que les mélodies.
Marc-Antoine : Cette transition, qui s’est faite un peu avant le premier confinement, a été engagée par le fait que Jim commence à travailler à partir de samples, donc d’amorcer une forme d’écriture qu’il n’avait pas auparavant. Il s’est mis à choisir des samples et à les sélectionner pour leur couleur, et à les trier pour placer les voix par dessus. Dans un second temps, le travail conjoint de Nico et Jim était d’identifier ce qui allait rester du sample et ce qu’on allait en déconstruire pour en faire une composition originale. Le tout dans une configuration très particulière puisque, même si on intervenait tous sur les morceaux, on ne pouvait pas se voir !
La plupart du temps, ça créait une sorte de ping-pong ; par exemple Purple s’est vraiment construit comme ça, il part d’un sample choisi par Jim, bossé avec Baptiste, dans ce process de déconstruction. On est vraiment sur une musique impressionniste.
Marc-Antoine Perrio
La Face B : Pour faire un pont entre les arts, parlons littérature. L’EP il faut l’écouter dans l’ordre ou c’est plus un recueil de nouvelles qu’un roman ?
Jim : Le fait que Marco évoque la déconstruction, c’est aussi ça. J’avais très envie de spliter avec ce côté folk, narratif, où vraiment t’as une grille, tu racontes telle chose, dans tel ordre. De partir d’une autre méthodologie, ça m’a mis dans une autre zone, où au début j’étais super mal à l’aise, malhabile. Le groupe m’a vraiment soutenu dans cette nouvelle façon de travailler en m’encourageant, en me disant que justement, c’était cool, que je les mettais dans un mood qu’ils ne retrouvaient pas dans un simple guitare-voix avec une grille définie. Et je pense que le fait que ce soit aussi interactif est pleinement lié au fait qu’on ait pu réaliser ce travail à distance, pendant le confinement.
Marc-Antoine : Et peu importe si au début, il n’y avait que trois accords ! On s’en foutait !
Jim : C’est vrai que dans le songwriting, t’as toute une pression avec le fait de te dire « Ouais, je dois faire une grille à mille accords, hyper complexes ». Avant c’était beaucoup plus enclavant, parce que je me disais, ok, faut que je fasse un couplet, un refrain, et qu’il y ait un sens là-dedans. Avec Retriever, c’est devenu beaucoup plus abstrait, plus contemporain… plus impressionniste, c’est ça !
La Face B : Et du coup, de ne pas vous confronter à la scène, ça vous a manqué ?
Nico : C’était un mood complètement différent, je pense que pour tous, c’était un peu frustrant au bout d’un moment, après je pense qu’on a essayé de l’exploiter au mieux, ce temps. D’ailleurs même maintenant, alors qu’on pourrait, on a pas encore repris complètement les lives pour pouvoir proposer vraiment un éventail de morceaux le plus cohérent possible.
La Face B : À propos de l’EP, pourquoi ce titre de Carnival Blues ?
Jim : C’est un extrait de paroles, dans Barbwire. D’ailleurs, comme faisait Kurt Cobain à l’époque où il envoyait n’importe quelle phrase dans son dictaphone, j’ai cette fois davantage privilégié la sonorité, l’intuition, les allitérations, la poésie dans l’écriture… J’ai préféré le son au sens, en somme. Par exemple sur Barbwire, c’est l’histoire de deux personnes qui s’embrassent, l’une marche sur du verre pilé, peut-être en boîte on ne sait pas, et tout à coup ça part en spirale, comme quand tu termines saoul en position allongé – avec la nostalgie de quelque chose, mais quoi ?
Marc-Antoine : Dans Barbwire, il y a quand même aussi ce truc où tu évoques le fait de te raccrocher à quelqu’un alors qu’au final, c’est comme un barbelé.
Il y a une violence en fait dans pas mal de nos textes, et vraiment ce côté très organique dans les paroles de Jim, où il traite d’éléments incarnés ou de la rencontre de deux corps et de la violence que cela peut engendrer. On magnifie ça, ensuite.
Marc-Antoine Perrio
La Face B : pour vos clips, vous vous êtes soigneusement entourés, je pense par exemple à Théo Lesourd.
Nico : Alors ça, ça vient du label, Profil de Face, avec qui on a travaillé aussi sur la sélection des morceaux pour l’EP. Même si on est libres dans 99% des cas de nos choix, ce qui est super, il nous a proposé ce réalisateur. Le premier clip, Week-end Spiders, s’est fait pendant le premier confinement. Théo a écouté la musique, il a kiffé, nous a proposé un scénario, on a juste revu deux ou trois points ensemble et voilà ! Ce qui est ironique c’est qu’on ne l’a toujours pas rencontré ! Il a tout fait à New-York. Que ce soit Week-end Spiders ou Purple. D’ailleurs c’est ouf, ce sont des clips tournés entièrement sur pellicules en partenariat avec Kodak, ce qui est super rare de nos jours !
Marc-Antoine : Et puis aussi il faut dire qu’on a été tellement contents du résultat de Week-end Spiders qu’on a vu ensuite avec le label pour laisser entièrement carte blanche à Théo sur Purple, et on est ravis parce qu’il a super bien interprété le mood de la chanson…
Nico : Perso ce que j’aime bien dans le clip c’est qu’il y a une réponse entre l’image et la musique, où aucune des deux narrations ne prend le pas sur l’autre.
La Face B : C’est vrai ! Si on sort du visuel pour ne parler que musique, on sent vraiment beaucoup d’influences dans vos morceaux, entre les accents jazz, pop, psyché, très british, mais aussi californiens parfois… Du coup si vous deviez citer vos influences respectives ?
Jim : Elliott Smith, entre autres. C’est un mec que j’écoute tous les mois, avec une petite monomanie pour Watlz # 1.
Baptiste (basse, production) : Si je réfléchis vite, j’ai écouté beaucoup de choses en travaillant sur l’album, que ce soit du classique, de la musique contemporaine, populaire etc., mais je m’aperçois que ce que j’ai le plus écouté et que j’écoute encore maintenant, c’est peut-être le hip-hop ! Plutôt côte Est pour le coup.
Marc-Antoine : Faut aller chez lui, il a que des bombes !
Nico : C’est vrai, j’ai fait plusieurs fois le test en diggant, je lui sors « Tu connais ce tube de soul des années 60 ? Il est trop bien ! », et il me sort « Ha bah je l’ai ouais, en 33 tours. ». Et puis il y a aussi tes influences de musiques japonaises, Baptiste…
Baptiste : Influences je sais pas, c’est plus un truc qui me fascine. J’en écoute beaucoup c’est vrai.
La musique japonaise m’influence peut-être dans une certaine propreté dans la manière de faire, de produire, presque chirurgicale. Parfois c’est fatigant… Ça manque de hip-hop !
Baptiste Germser
Marc-Antoine : Il faut savoir que pour Carnival Blues on a beaucoup travaillé avec les outils qu’on avait à dispo, et notamment avec des gadgets japonais que Baptiste collectionne des années 80/90, on a fait beaucoup de sons de synthé avec ça notamment, donc forcément derrière y a du Sakamoto, du Tasuro Yamashita… Me concernant il y a même une partie de la B.O. de Donkey Kong pour GameBoy que je trouve ouf et qui représente très bien le rapport qu’on a aux musiques électroniques !
Il y a une construction dans les musiques de jeux vidéos de l’époque 80/90 avec une grande influence française, de Debussy à Ravel. Pour moi, dans Retriever, ça a aussi été une source d’inspiration.
Marc-Antoine Perrio
Jim : D’inspiration ou d’influence ?
Marc-Antoine : Les deux. Mais bon, il y a aussi évidemment la côte Ouest pour moi. Avec Retriever on fait des boucles d’accords assez courtes mais quand même raffinées dans lesquelles on insère des mélodies qu’on drape dans quelque chose d’assez sain, qui donne envie d’aller ailleurs avec toujours une mélodie, et tout ça c’est une architecture qu’il y a beaucoup dans la musique hip hop hi-life des années 90.
Nico : Moi mes influences ça va être Beach House, James Blake… Drake !
Jim : Hein ?
Nico : Je plaisante. Non, en vrai j’aime bien Drake. Et globalement tout ce qui a des influences des années 70/80. Dans Retriever finalement on est drivés par plein d’époques différentes et la magie c’est que chacun ramène ses époques de prédilection respectives à une création contemporaine.
Marc-Antoine : Oui, par exemple Baptiste a une grosse influence de funk des années 70. Nous on arrivait, on faisait des sessions et je me rappelle, il y avait toujours un disque qui tournait. C’était peut-être, ça, le fil conducteur.