A l’occasion de la sortie de son dernier EP Anger Live, nous avons rencontré SIERRA pour échanger sur l’évolution de son projet.
La Face B : Comment tu vas ?
SIERRA : Ça va et toi ?
LFB : Ça va ! Tu as sorti il y a un mois un EP live. C’est un format qu’on retrouve assez rarement. Quelle était ta volonté par rapport à ça ?
SIERRA : Ça a été enregistré en janvier pendant une petite tournée européenne que j’ai faite. Pourquoi on a fait ça ? C’est un format que je ne vois pas trop, trop souvent surtout en musique électronique. On s’est dit que c’était sympa de ressortir certains morceaux qui étaient déjà sortis il y a quelques années. Par exemple, Gone ou See Me Now. On trouvait intéressant de les mettre sur un même EP. Ça n’aurait pas été cohérent pour moi de sortir un EP « best-of ». Donc je trouvais ça sympa d’enregistrer en live, d’entendre le public. Aussi sur mon premier album que j’ai sorti il y a huit mois, il y a le morceau Stronger que je joue différemment en live, en version presque un peu piano/voix sur une bonne partie. Je trouvais intéressant de le ressortir avant les festivals, les concerts importants que j’ai en ce moment.
LFB : Tu as un univers qui est quand même assez dark, avec des sonorités qui vont percuter et saisir. Il y a certains passages un peu oppressants, d’autres qui réveillent des trucs presque instinctifs. Est-ce que tu peux nous en parler un peu ?
SIERRA : Oui, clairement on peut dire que c’est dark. Il n’y a pas photo. Pour moi, c’est impossible de composer en majeur. Je n’arrive pas à composer des choses happy. Ça ne m’intéresse pas vraiment. J’aime bien quand j’écoute de la musique entendre quelque chose qui va réveiller une émotion peut-être parfois enfouie, de la tristesse. Ou même une énergie de colère parce que t’as écouté un son qui te dit qu’il faut que tu te réveilles. J’aime bien les choses un peu comme ça donc forcément je suis attirée par les sonorités dark.
Dans cet univers, je regroupe à la fois cette partie mélancolique que j’ai pas mal en moi. J’aime bien les musiques tristes. Je suis quelqu’un de très nostalgique et mélancolique. Donc forcément, ça se ressent sur certains passages de mes morceaux. Sur d’autres, j’aime les beats très énervés, j’aime les grosses basslines. J’aime la musique qui peut te réveiller et susciter des émotions qu’on a en nous. J’essaie de regrouper un peu tout ça : mélancolie, énervement, …
LFB : Pour moi, c’est impossible de l’écouter sans avoir l’aspect visuel où tu as presque l’impression d’être dans un monde post-apocalyptique. C’est quelque chose que tu prends en compte dans la création ?
SIERRA : Oui, totalement. J’ai du mal à me plonger dans l’écriture d’un EP ou d’autres choses sans avoir des images qui sont liées. Ce n’est pas que j’ai du mal, c’est que ça m’intéresse dès le début dans ma création d’avoir des images, quitte à ce qu’après elles ne sortent pas et que chacun s’imagine ce qu’il veut. Depuis mon premier EP, j’ai toujours fait des recherches visuelles avant de composer mes morceaux. Ça me permet de créer un lien dans ma tête, de lier les morceaux les uns aux autres.
À la base, j’ai travaillé dans un premier temps dans l’audiovisuel, je voulais faire du cinéma. J’ai commencé la musique électronique parce que j’ai rencontré des compositeurs à l’image dans les milieux de productions audiovisuelles. Cet aspect-là a toujours fait partie de moi. J’ai fait le choix de partir vers ce style musical avec l’espoir un jour de peut-être faire de la musique à l’image. C’est vraiment ce qui m’intéresse. Donc oui, clairement il y a un lien. Au niveau du live, j’aimerais aussi de plus en plus amener un visuel, une scénographie qui me permet de transposer un peu tout ça de manière encore plus forte.
LFB : Sur la partie dark/mélancolique, est-ce que ça ne retranscrit pas une certaine conception de la société d’aujourd’hui ?
SIERRA : Quand je compose, je ne me pose pas ces questions-là. Je ne pense pas à la société, c’est vraiment quelque chose d’introspectif. Sincèrement, je ne compose pas pour passer des messages politiques ou sur la société. Mais par contre, je ne parle vraiment que de mes émotions. C’est vraiment très égocentrique finalement. Mais mes émotions peuvent aussi faire appel à la colère que je peux ressentir parfois et effectivement, elle est liée aussi à la société. L’un dans l’autre, oui mais ce n’est pas direct.
LFB : Tu en parlais tout à l’heure, on peut entendre sur certains morceaux du piano. On a aussi des cordes sur Stronger sur l’EP live. Est-ce que ça te plairait d’aller vers un projet qui serait sur certaines parties un peu plus instrumental ? Ou est-ce que pour toi, ton univers ne peut se retranscrire qu’à travers des machines ?
SIERRA : C’est vraiment la question que je me pose en ce moment. Et encore plus après avoir joué au Hellfest il y a dix jours. Là, pour le coup, des personnes qui arrivent qu’avec des machines, il n’y en a presque pas. Je me pose la question. Maintenant, ce qui n’est pas forcément évidemment, c’est que ma musique est composée à 100% sur ordinateur. J’ai quelque fois des synthés en hardware que j’ai à côté mais je compose vraiment beaucoup sur ordinateur. Ça voudrait dire qu’il faudrait que je remette en question dès le début de l’enregistrement et dès la composition tout ça. Et ça voudrait dire que j’apporte dès le début des instruments.
Je ne sais pas si je suis en mesure pour l’instant de le faire. Juste pour des choix musicaux. Je sais faire un peu de guitare, du piano. Je pourrais sur certaines parties si je le souhaitais faire ça mais là, ça remet en question presque mon projet en lui-même. Donc je ne sais pas encore. Ce qui est certain, c’est que je n’aurais jamais, sur l’ensemble de mon live, des instruments acoustiques. Maintenant, apporter sur un ou deux morceaux une partie un peu plus acoustique, ça peut être intéressant. J’y réfléchis en tout cas.
LFB : Je trouve que sur Stronger, ça donne vraiment de la profondeur à ton morceau. J’ai vu que tu avais plein de dates prévues, est-ce que tu peux nous parler de la place du live dans ta musique ? Est-ce que tu fais de la musique pour le live ? Est-ce que c’est un complément ?
SIERRA : À la base, je ne fais pas du tout de musique pour le live. Quand j’ai commencé SIERRA, je n’avais même pas en tête de faire du live. Ça paraît bizarre de dire ça parce que c’est indissociable mais en tout cas, quand j’ai commencé à faire de la musique, je ne me suis pas du tout dit que j’allais faire du live. Je voulais juste faire des sons. Et petit à petit, j’ai vu que c’était quand même dans l’intérêt du projet de se produire sur scène. Ça a été un vrai coup de pied au cul parce que ça ne m’intéressait pas.
Petit à petit, j’y ai pris goût. J’ai apporté de plus en plus de choses. Et finalement, ça a pris une place primordiale dans mon projet. Ok ma musique est écoutée sur Spotify, etc. Mais le live, c’est vraiment le seul lien que j’ai avec les gens qui m’écoutent. Un lien direct. Donc aujourd’hui, ça a peut-être la place la plus importante dans mon projet.
Maintenant, c’est vrai que quand je compose des morceaux, dès le début, je réfléchis à ce que j’ai envie d’amener sur scène en composant. J’y pense. Je ne veux pas que ça devienne une obsession. J’ai envie de dissocier les deux aspects mais j’ai quand même une petite réflexion là-dessus. Ça m’arrive parfois de composer des débuts de morceaux, je me dis que c’est intéressant et après je m’aperçois que je ne me verrais pas du tout le jouer en live. Je me suis dit ça il y a quelques jours sur un morceau. Le choix était fait, j’ai arrêté cette intro. Aujourd’hui, j’y pense de plus en plus.
LFB : L’évolution de ton projet t’amène à te poser d’autres questions.
SIERRA : Ouais, forcément.
LFB : En préparant l’interview, je me suis rendu compte qu’au niveau des pochettes, elles sont toutes assez sombres avec certaines parts d’ombre, sauf sur l’EP live où tu es sous les projecteurs. Est-ce que c’est voulu ?
SIERRA : Je ne me suis pas posé ces questions-là. J’aimais bien juste cette photo parce que c’est un pote photographe qui l’a prise. J’aime bien cette photo parce qu’effectivement, j’ai tendance à ne pas forcément me mettre trop en avant. Enfin, sur l’EP Gone, il y a quand même mon visage en plein face (rires). Mais bon, pour le coup, je la trouvais cool cette photo parce qu’elle retransmettait bien. On ressent une sorte d’énergie sur cette photo que je trouve cool et que je ne pensais pas transmettre forcément. Ce n’est pas prétentieux mais je la trouve intéressante parce qu’on ressent une sorte de rage avec mon micro. C’était vraiment un choix esthétique, sur l’énergie que je trouvais qu’elle dégageait. Il n’y avait pas de choix de me mettre sous les projecteurs.
LFB : J’ai trouvé que le live amenait vraiment quelque chose en plus. Du coup, j’ai trouvé cette pochette super appropriée et cohérente parce que c’est comme si le live venait sublimer toutes tes productions.
SIERRA : Super, tant mieux. C’est trop cool.
LFB : SIERRA sur scène, qu’est-ce que ça donne au niveau du set-up et de la scénographie ?
SIERRA : Au niveau du set-up, je fonctionne pas mal avec des samples. Comme je te le disais tout à l’heure, beaucoup de mes morceaux sont composés vraiment avec des plug-ins sur ordinateur. Je fais le choix sur scène d’apporter plutôt du travail de sample. Je choisis sur chaque morceau des petits sons que je vais ajouter. J’ai des petits pads avec des samples dessus, j’ai de la voix évidemment. J’ai un clavier sur lequel j’ai des samples aussi.
Je travaille beaucoup, beaucoup avec des samples. J’ai un drumpad sur lequel j’ajoute quelques percussions. Je suis au centre de ces deux machines qui sont posées sur des stands. Au niveau de la scénographie, j’ai un super éclairagiste qui a créé la lumière que je trouve vraiment cool. J’ai des néons sur scène. Il y a un gros travail de lumières. On a ça pour l’instant et le but, c’est d’évoluer constamment. On verra sur la suite ce qu’on apportera.
LFB : Oui, parce que tu avais quand même pas mal de dates prévues.
SIERRA : On vient d’en faire pas mal. Demain, on fait les Vieilles Charrues, Terre du son dimanche et après cet été, on finit et on reprend en septembre-octobre.
LFB : Il y a deux semaines, tu as joué au Hellfest qui est assez mythique. Comment tu as vécu cette date ? Est-ce que tu as eu une préparation dédiée ? Est-ce que tu as changé des choses uniquement pour cette date ?
SIERRA : Déjà, c’est une date qui est arrivée un peu au dernier moment parce qu’il y avait une annulation. Je l’ai su vraiment une semaine avant. Donc ce n’est pas la même préparation, ce n’est pas la même manière d’arriver sur un festival parce que je n’ai pas eu le temps de stresser. Je suis presque contente d’avoir été en remplacement à la dernière minute parce que ça m’a vraiment permis d’arriver détendue. Je n’ai pas mentalisé le truc.
Vu que c’était un remplacement, j’ai joué de jour alors que normalement, je ne joue que de nuit vu que j’ai une scéno lumière qui est importante. Je n’avais jamais joué de jour, c’était la première fois de ma vie que je jouais en voyant les gens. C’était très particulier d’arriver sur scène. J’ai joué avec des lunettes de soleil parce qu’il y avait un peu de soleil. Du coup, j’avoue que je me suis un peu cachée derrière en matant les gens parce que c’était tellement bizarre pour moi de voir un public. C’était ultra kiffant parce que le public du Hellfest est incroyable. Ils étaient vraiment à fond. Je l’ai ressenti, je l’ai vu.
Au niveau du set, j’ai joué le même set que je joue en ce moment, mais il a fallu que je le réduise parce que je ne devais jouer que 50 minutes. J’ai dû faire le choix d’enlever deux morceaux, notamment Stronger où je me suis dit que la version un peu piano sur le Hellfest, ça dégageait. Je ne pensais pas que les gens étaient venus là pour ça. Ça m’a permis d’avoir un set un peu plus bourrin et j’ai trouvé ça très agréable d’avoir un peu moins de nuances et d’aller directement strait to the point. J’ai trouvé ça plutôt cool et j’ai passé un super moment, c’était vraiment l’un de mes meilleurs ressentis sur scène. J’ai rarement ressenti un truc aussi fort sur scène.
LFB : Ça donne envie d’y retourner et de ne pas être remplaçante.
SIERRA : C’est clair. Ça donne envie d’y aller avec une scéno lumière de nuit. Mon univers est quand même plus parlant la nuit. Je pense que tu peux te plonger un peu plus dans ce que je veux transmettre. Mais c’était très sympa de faire danser les gens à 17h sous le soleil.
LFB : Est-ce qu’il y a une heure pour faire danser les gens ?
SIERRA : Non, mais pour faire passer certaines émotions, je trouve que oui.
LFB : Tu disais que tu travaillais sur certaines productions. Tu as des projets en cours ?
SIERRA : Je suis en train de composer. Je ne sais pas encore ce que ça va donner. Il n’y a pas de deadline, pas de stratégie pour l’instant. Je me suis juste remise à la production au printemps parce que c’est vrai que j’avais pas mal enchaîné entre la sortie de mon album, la tournée américaine, européenne, etc. Là, tout simplement rallumer Ableton, faire les updates logiciels et voilà. Pour l’instant, je cherche des idées. Je suis à l’étape brouillon, comme je te disais tout à l’heure où je commence des trucs et je me dis que c’est vraiment nul donc je jette. Ou alors reprendre, me dire que c’est cool et m’apercevoir que je ne me vois pas le jouer.
LFB : Maintenant que tu as fait un album en plus des EPs, tu as un format de prédilection ?
SIERRA : Oui, je pense que je vais quand même m’intéresser à l’album plutôt qu’à l’EP. J’aime bien les EPs parce que ce n’est pas très engageant. Ça permet de sortir trois ou cinq morceaux et te dire hop c’est un EP. C’était ma manière de le voir avant, c’est beaucoup moins engageant. Ça coûte moins d’argent. Au niveau de la promo, ce n’est pas la même chose. Je trouve qu’avec un album, il y a un aboutissement plus fort. Je l’ai senti sur l’album. Donc je pense que je vais rester sur ce format-là mais après, ce n’est pas dit que je ne revienne pas sur un format double EP qui fasse un album ou triple EP. Rien n’est figé, pas de contraintes pour le moment.
LFB : Jusqu’où tu veux amener ta musique ? Quel est l’idéal pour SIERRA ?
SIERRA : J’aimerais que ça ne soit que le début d’un plus gros aboutissement sur tous les aspects de mon projet. Après, ça ne dépend pas de moi. Il y a le public, les finances, les labels. Mais moi dans un monde parfait, je me verrais bien sur scène avec une très grosse scéno, avec un vrai format, avec beaucoup de matos lumière, pourquoi pas de la vidéo, beaucoup de machines en plus. Vraiment un truc beaucoup plus fat pour ma perspective live. J’aimerais continuer de faire des très beaux festivals et des très belles scènes. C’est mon rêve.
J’aimerais aussi travailler sur de la musique à l’image. C’est aussi un objectif que j’ai. Une envie très, très forte. Après sur les formats, continuer de proposer des albums, avoir si possible plus de clips. J’aimerais faire la même chose que maintenant mais de manière beaucoup plus exacerbée, avec beaucoup plus de moyens aussi. J’aimerais pouvoir transposer ma créativité encore plus. Il faut y aller par étape. Mais voilà, je ne me mets pas de limites.
LFB : Tu parlais de musique à l’image. Tu envisages d’autres choses que les clips ?
SIERRA : Les clips, oui idéalement dans un monde parfait, un morceau = un clip. J’aimerais bien mais ça coûte très cher d’en faire. Je n’en ai fait qu’un seul sur mon album. Quand je te dis musique à l’image, mon rêve ultime, c’est de faire la BO d’un film. Si tu me demandes entre faire de la scène, composer un nouvel album ou travailler sur un long-métrage, un thriller, je fonce direct sur le thriller. C’est vraiment ce qui me fait rêver depuis le début. C’est un peu compliqué de se mettre en relation avec cet univers mais ça me fait vraiment rêver.
LFB : Plutôt thriller que science-fiction ?
SIERRA : Je me verrais plus dans le thriller que dans la science-fiction oui. Après, science-fiction c’est cool mais ce n’est pas le même univers. J’adore le piano. J’aime bien ce qu’avait fait Gesaffelstein pour Maryland. Ça me parle bien plus. C’est typiquement le genre de truc qui me ferait vraiment rêver.
Notre chronique du dernier EP de SIERRA : ici.
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