Légende. C’est un mot un peu galvaudé, qu’on utilise désormais pour tout et n’importe quoi. Pourtant quand on pense à Soulwax, c’est le premier mot qui nous vient en tête. Tout simplement parce qu’aussi loin qu’on s’en souvienne, les frères Dewaele font partie de notre culture musicale, qu’ils ont influencé un nombre incalculable de groupes qu’on adore (écoutez donc le récent Creature Comfort d’Arcade Fire …) et qu’ils ont remixé à peu près tout ce que la musique indé a fait de cool (et aussi Kylie Minogue). C’est donc avec une boule au ventre qu’on est allé à la rencontre de Stephen Dewaele en ce dimanche de Solidays. On a parlé de leur dernier album, de Belgica et des relations entre frères.
La Vague Parallèle : Votre dernier album sous le nom de Soulwax remonte à 12 ans. Est ce que vous avez ressenti une attente particulière à l’annonce de la sortie de From Deewee ?
Stephen Dewaele : Beaucoup de gens nous demandaient tout le temps « quand sort le nouvel album de Soulwax ? », mais nous, Dave et moi, on n’en a jamais vraiment parlé, on n’a jamais cette discussion de « qu’est ce qu’on va faire »… Plus les gens nous le demandaient, plus c’était quelque chose qu’on laissait de côté. Et en avril de l’an passé, on était à Coachella, James (Murphy) faisait LCD Soundsystem et on faisait Despacio ensemble. On a parlé avec Dave et on a eu l’idée de faire un projet live, sans parler de nouvel album, avec trois batteurs tout ça . Le premier week-end de Coachella on a parlé et le second on a déjà eu complètement l’idée de la mise en place du set up live, etc … Après on a appelé les batteurs, puisqu’on a pensé à Igor, Victoria et Blake. Ils ont dit oui directement et ça s’est mis en place beaucoup plus vite que ce qu’on pensait et on sait dit « Fuck ! Si on veut jouer live, on doit écrire des nouvelles chansons ».
On a fait quelques concerts en festival l’été dernier qui se sont terminés en septembre, et là on a commencé à écrire et on a eu cette idée de toute enregistrer en une prise. Tout est venu vraiment vite, et cette idée de tout faire rapidement c’était aussi une manière d’avoir une limitation de temps, un cadre, un manifesto un peu, pour ne pas s’éparpiller.
Le plus étonnant c’est qu’on a eu cette idée y’a un an et deux mois et là, on a enregistré l’album et on a fait deux tournées. Pour nous c’est déjà bien (rires).
LVP : C’est donc plus l’idée du live qui vous a poussé à faire l’album ?
S.D : C’est hyper important pour Dave et moi que ce qu’on fait sur un album de Soulwax, on puisse aussi le faire live. C’est pour ça qu’on a fait une liste des instruments qu’on a utilisé en studio pour les reprendre sur scène. Et c’est pour ça aussi qu’on a tout enregistré live, cette idée de set fait dans un espace confiné.
LVP : Votre set-up live reprend en fait votre studio …
S.D : C’est le même. Ce que tu vois sur scène, c’est la même mise en place que celle avec laquelle on a enregistré en studio.
LVP : Justement votre album s’appelle From Deewee, et plus qu’un studio j’ai l’impression que c’est un véritable état d’esprit. Est ce que vous pouvez nous l’expliquer ?
S.D : L’idée derrière Deewee, c’est un endroit où on peut se perdre un peu, se déconnecter de tout ce qui a trait au mileu et nous inspirer pour faire d’autres choses. Donner une page blanche pour faire des choses, essayer des trucs sans avoir une maison de disques ou quelqu’un d’autre pour te dire « faut faire ça, ou autres » … Tu vas dedans et tu fais les choses. C’est un peu naïf, mais ça marche vraiment bien pour Dave & moi.
LVP : Vous avez sorti des choses en 12 ans, mais le monde de la musique a vraiment changé depuis votre dernier album en tant que Soulwax …
S.D : Complètement !
LVP : Vous avez quelle image du monde de la musique justement ?
S.D : Je pense que nous, on a vécu comme des enfants dans ce monde et on l’a déjà vu changer plusieurs fois. Ce que tu vois dans les festivals, ce sont des gens qui jouent de la musique et des gens qui y réagissent, qui voient des lives. Ce qui a changé c’est la manière dont les gens apprennent la musique ou l’entendent. C’est partout dans ta vie : dans ton ordinateur, sur ton téléphone, dans les bars… C’est partout.
La manière dont les jeunes voient la musique aujourd’hui, c’est lié aux images, à Youtube, à des choses comme ça. Mais plus que les vues, il faut encore que la musique soit bonne, qu’elle te connecte avec quelqu’un ou que quelqu’un puisse te dire« ça c’est pas du tout cool » (rires).
LVP : Justement la façon dont vous envisagez la musique c’est quelque chose d’assez militant dans le sens ou vous êtes très éloignés de ce qui est marketing. Finalement ce que les gens retiennent de vous, c’est la musique et vos lives.
S.D : C’est le plus important. Dans vingt ans, personne n’ira voir ce que j’ai fait sur instagram, mais la musique sera toujours là, l’expérience de nous avoir vu en live restera. Tout ce qu’on a fait, c’est toujours la musique qui a fait la différence, qui a mis en place les opportunités qu’on a eues. Avec internet et les réseaux sociaux ça a changé, mais pour moi il faut que la musique soit bonne.
LVP : Sinon ça reste éphémère alors que vous vous restez dans la durée.
S.D : On est dans un système, où les maisons de disques, les managers, les agents… Ils te parlent de followers, sur Youtube, sur Instagram, mais il faut pas oublier que ce qui reste le plus important c’est avant tout l’art. Je comprends tout ça, mais moi c’est pas ce que je fais, c’est pas comme ça que je veux vivre ma vie d’artiste. Il faut jouer avec tout ça mais ça doit pas devenir la règle.
LVP : Pour revenir à l’album, moi je l’avais défini comme un match de boxe où les machines et les batteries se répondent. Je voulais savoir comment vous vous le définissiez ?
S.D : Pas comme un match de boxe (rires). L’idée c’était d’utiliser trois batteries, parce que pour nous, les groupes électroniques, tu sais pas s’ils jouent live ou pas. Et même si c’est live, tu le vois pas souvent. Alors que le truc qui attire quand tu vois un live, c’est le batteur, les musiciens… C’est un exercice pour découper la rythmique. Les trois batteurs ne jouent pas la même chose. L’idée c’est d’avoir ça et de l’associer aux synthés et aux machines, et de jouer live dans cet esprit. Mais peut-être que c’est un match de boxe… C’est une bonne interprétation.
LVP : Ce qui est hyper impressionnant dans votre live c’est qu’on sait pas où regarder et on a l’impression qu’il y a une seule batterie tellement ils sont synchrones.
SD : C’est un compliment ça. C’est un compliment pour eux parce qu’ils font c’est hyper dur. Ce qui est cool c’est qu’on a enregistré l’album en studio mais c’est pourtant à travers le live qu’on a l’a vraiment découvert, après mixage. Maintenant qu’on a fait plusieurs dates, ils connaissent de plus en plus les chansons et elles leur appartiennent. Et donc plus on joue live et plus ça marche.
LVP : En fait Soulwax au final c’est un animal vivant…
SD : C’est un organisme, c’est une bactérie (rires). Ça se diffuse tout le temps…
LVP : Justement en parlant de diffuser, ce que je trouve super intéressant c’est qu’il y a plusieurs générations de personnes dans votre public. Y’a ceux qui vous suivent depuis longtemps et les autres, plus jeunes, qui viennent se greffer derrière. Comment vous ressentez ça ?
S.D : Ça nous fait plaisir, vraiment. On en a parlé avec PIAS qui nous disaient que c’était étonnant de voir que, même si Soulwax existe depuis longtemps, quand on joue, la moitié du public est constitué de jeunes qui ne nous connaissaient pas avant.
LVP : Limite qui vous découvrent avec From Deewee…
S.D : Oui c’est ça, y’a beaucoup de mecs qui voient Deewee comme un label, qui ne connaissent pas 2 Many DJ’s etc… On a eu cette chance de voir que différentes générations se connectaient à notre musique.
C’est un truc particulier concernant notre parcours. Mais c’est bien, c’est vraiment bien je trouve.
LVP : C’est à dire que la musique elle touche peu importe la personne.
S.D : Ce qui est bien avec les festivals justement, c’est pas les gens qui viennent pour nous voir mais plus les gens qui viennent pour les autres groupes. Je pense qu’on aime bien être … pas underdog, mais cette position de « tu nous connais pas mais on va t’attirer à nous ».
On aime le challenge et la raison pour laquelle on a pas sorti d’album depuis 12 ou 13 ans, c’est justement parce que on n’était pas vraiment motivés à l’idée de faire encore la même chose. Enregistrer, faire des interviews… Tout le système qui va avec un groupe et qui est super lent et lourd, on s’ennuie trop vite. Je pense que pour PIAS, on n’est pas un groupe traditionnel, alors c’est dur de temps en temps.
LVP : En parlant de challenge, je voudrais revenir sur le film Belgica, dont vous avez signé la BO. Est ce que ça vous a intéressé d’écrire vos chansons pour les autres.
(ndlr : Belgica est un film belge de Felix Van Groeningen, dans lequel deux frères décident d’ouvrir un bar – le Belgica – qui se transforme rapidement en un lieu de fête et de débauche. La bande son a été entièrement composée par Soulwax, qui a spécialement créé des groupes pour le film).
S.D : Ecrire des chansons pour les autres gens ? On a eu énormément de demandes pour ça. Pour produire ou faire des remixes. On fait trop d’autres choses pour se lancer vraiment là-dedans.
Mais avec Belgica, les raisons pour lesquelles on l’a fait, c’est déjà que Felix Van Groeningen est un vrai ami, il fait presque partie de la famille. Quand il nous a parlé de faire le film sur deux personnes qu’on connaît, qu’il nous a demandé à Dave et moi de faire la musique, il voulait qu’on soit inclus pendant l’écriture du scénario et à ce moment là, on a dit oui. Ce qui nous a attiré, c’était vraiment de faire partie de ce parcours, de faire un film.
Au début, Felix voulait utiliser telle ou telle chanson de Soulwax, et là on a dit « mais non, pourquoi on fait pas tout nous même ? », il nous a pris pour des fous.
Et puis on lui a dit qu’on pouvait faire plusieurs groupes groupe avec des musiciens, écrire et les faire jouer live sur le set… Ce qui est cool, c’est qu’au final c’était un peu impossible à faire si tu décris l’expérience à quelqu’un. Mais on l’a fait, et on est hyper fier du résultat, de faire tous ces groupes et de les faire jouer live.
LVP : Je pense qu’en dehors de la Belgique ça aurait été impossible à réaliser.
S.D : C’est juste. Un groupe comme The Shitz dedans, quand ils ont fait la soirée pour la sortie du film, ils ont joué live. Et c’était hyper émouvant pour nous, parce qu’ils jouaient hyper bien et c’était un morceau de Dave et moi. Je voyais notre esprit devant nous et c’était dur.
LVP : Ce que je trouve le plus beau dans le film, en dehors de l’histoire, c’est qu’on ressent la sensation du live.
S.D : C’était hyper important pour nous. On a beaucoup parlé avec Felix, on lui a dit qu’on avait marre des films avec des bandes sonores… Même si je comprends pourquoi car au niveau de la production c’est dur, y’a peu de temps et ça coûte beaucoup d’argent.
Comme on avait le studio à Gand et que le tournage avait lieu là aussi, on lui a proposé de répéter avec les groupes. C’était beaucoup de travail, mais on a réussi à montrer dans le film le sentiment du live et la réaction des gens. Lorsqu’on a fait jouer le premier groupe sur le tournage, je pense que c’était The Shitz, il y avait plein d’extras dans le bar, etc… Mais quand le groupe s’est mis à jouer, tout s’est arrêté atour. Ça a vraiment apporté quelque chose, le fait de jouer en live, car le tournage est devenu comme Belgica, c’était une fête. Alors que c’est une histoire vraiment dark (rires).
LVP : C’est vrai que le film est très sombre… Justement, pour faire le parallèle entre le film et Soulwax : Est-ce que c’est facile de travailler avec son frère ?
S.D : Hum oui … Pour nous, c’est facile. On a la chance d’avoir les mêmes goûts. On est complètement différents, mais pour tout ce qui a trait à la musique et à certaines autres choses, on est pareils. Quand on est dans une ville qu’on ne connaît pas et que tu nous sépares, on va revenir avec les mêmes trucs. Je ne sais pas comment le dire, mais il y a un truc quand on est ensemble. On se sent vraiment bien l’un avec l’autre pour créer, malgré nos caractères différents.
L’histoire des deux frères dans le film, beaucoup de gens pensaient que c’était sur Dave et moi, mais ce n’est pas le cas. Ils sont incroyables mais nous, c’est pas du tout comme ça.
Je pense que pour Felix c’était dur aussi, parce que ça parle un peu de son frère et lui. Et moi et Dave on est frères aussi, et tu as deux acteurs qui essayaient d’être frères et tout ça, c’était un tournage vraiment bizarre. Pour tout le monde. Ces quelques mois vont rester dans notre tête toute notre vie.
LVP : Est-ce qu’avoir grandi en Belgique, ça a eu une influence sur votre musique ? D’être coincé entre plusieurs influences… ?
S.D : J’ai toujours trouvé qu’il y avait un lien entre la Belgique, la Suisse et Montréal. La musique qui vient de ces régions est vraiment dure à caractériser. Avec Peaches, Tiga, Arcade Fire … Y’a beaucoup de groupes difficiles à définir. Ils ont créé un monde influencé par la musique française, germanique, hollandaise, anglaise et tout ça. Je pense que musicalement, on est vraiment au milieu de tout. J’ai grandi avec la télévision française, où je voyais Etienne Daho et Indochine. Jean Jacques Goldman, je détestais mais c’était partout dans nos vies, tout le monde autour de moi aimait vraiment ça. C’était dur pour moi de comprendre que parfois, les gens ne connaissent qu’un truc, qu’un genre de musique. Par exemple quand j’allais en Angleterre et que les gens ne connaissent pas de groupes français ou hollandais importants pour moi. C’est peut être l’avantage d’être dans un pays qui n’est pas vraiment nationaliste, savoir qu’il y a beaucoup d’autres cultures et être influencé par elles.
LVP : Ma dernière question, c’est une question un peu stupide : Est ce qu’en 2017 y’a pas trop de DJ ?
S.D : Oui. Ce qui est étonnant c’est que Dave et moi on fait des festivals avec que des DJ, et y’a encore notre nom, 2 Many DJ’s, qui est imprimé en gros sur l’affiche, ce que je trouve incroyable. C’est assez ironique, et je pense toujours que quelqu’un va venir me voir et me dire « Arrête » (rires).