A l’occasion de la sortie de son premier album It’s a Long Way to Happiness, Alban Claudin nous a accordé un entretien pour évoquer la sortie de son disque et tout le processus de création qui l’a accompagné. Dans cet album il nous dévoile au travers d’une déclinaison de mélodies entêtantes sa personne, son univers. Il nous permet de retrouver un sentiment d’insouciance bien trop souvent oublié. Morceaux choisis…
La Face B : Comment ça va ?
Alban Claudin : A fond, je suis à fond, tout se passe très bien.
LFB : Ça va bientôt faire deux semaines que ton album est sorti. Tu es content des retours que tu as pu avoir ?
Alban Claudin : Ouais complètement. Il y a plein de choses auxquelles je ne m’attendais pas et tout se passe très bien. Que ce soit les streams, la presse, le retour des gens aussi. Je suis beaucoup sur les réseaux à voir les chiffres, les commentaires les likes et le nombre de streams. Mais ouais, tout se passe très bien.
LFB : Cet album il a été pensé et conçu depuis 5 ans, qu’est ce que ça fait d’arriver au bout du chemin ?
Alban Claudin : C’est comme accoucher de triplés, ça doit faire mal je pense. Disons que c’est spécial, en plus avec la période actuelle. Je vis le truc sans vraiment le vivre justement via les réseaux en virtuel. Ça a un côté un peu frustrant mais comme tout se passe bien je crois que ça prend le pas sur tout le reste.
LFB : Est ce qu’il y a eu un déclic dans ta vie pour te dire “ok je veux sortir mon album” ?
Alban Claudin : Oui, c’était en plein milieu de tournée avec Clara Luciani. J’écoutais beaucoup de musique un peu similaire qu’on ne va pas ranger dans le mainstream mais qui n’est pas non plus des musiques de niche.
Je me suis rendu compte que ça intéressait beaucoup de gens. Que c’est des musiques qu’on retrouve souvent à l’image et que ce sont des choses que tout le monde peut écouter.
J’écoutais des artistes comme Nils Frahm ou même Chilly Gonzales avant et je me rends compte qu’il suffit de personnifier cette musique pour que ça ait un intérêt. Là où certains ont tendance à un peu se cacher.
J’ai aussi pris conscience de comment marchait le métier. Je me suis juste dit “fais le quoi, faut que tu arrêtes de te refuser certaines choses parce que tu as peur et que tu imagines que ça n’intéresse personne ». Le genre de frustration d’artistes.
Parce que beaucoup de gens que je fréquente sont des gens qui sont dans la lumière donc je pouvais ne pas me sentir à ma place.
LFB: Arriver avec une musique instrumentale aussi c’est une démarche assez spéciale …
Alban Claudin : C’est ça, je me suis dit force et ne leur laisse pas le choix (rires).
LFB : C’est ton éditeur qui parlait du fait de saisir “la bonne inspiration” pour cet album, du coup c’est quoi la bonne inspiration ?
Alban Claudin : Il dit beaucoup de conneries (rires).
Pour moi l’inspiration c’est un truc vraiment complexe, je crois pas que ce soit quelque chose qui tombe du ciel.
Forcément des fois je peux être dans la rue et avoir une petite mélodie donc je l’enregistre. Mais je pense que ça vient vraiment avec le travail.
Ma façon d’écrire de la musique ça marche comme ça en tout cas. Je peux avoir une idée mais je vais tailler dedans pendant des heures ou des semaines selon le travail à faire.
Je ne crois pas comme McCartney qui s’est réveillé en disant “j’ai rêvé de Yesterday”. Ok peut être que ça arrive mais c’est sans doute un peu un mytho et qu’il a quand même pas mal travaillé sur le morceau. En tout cas moi je fonctionne comme ça.
Saisir l’inspiration c’est un peu une connerie, pour moi il faut surtout la chercher. On la provoque et c’est à ce moment là qu’il faut la saisir !
LFB : Parce que j’imagine qu’il est difficile de s’affranchir de son bagage technique pour aller chercher des émotions pures ?
Alban Claudin : C’est ça aussi qui a pris du temps. Pas pour sortir le projet mais pour aboutir à quelque chose qui soit vraiment authentique.
J’ai passé autant de temps dans ma vie de musicien à désapprendre qu’à apprendre.
Peut être que je suis passé dans une autre phase là mais il y a bien 10 bonnes années où c’était assez complexe.
J’ai décidé d’aller au conservatoire de mon plein gré. Ce ne sont pas mes parents qui m’y ont mis, et c’était au moment où normalement on en sort, vers 18 ans.
Je prenais des cours avant mais c’était des choses moins académiques.
Je voulais vraiment perfectionner la musique classique et en avoir tous les codes pour savoir la jouer. Et au même moment comme j’avais des groupes de musique plus modernes, j’avais envie de faire des choses simples. Même dans la musique classique que j’écoute, c’est des choses assez populaires et que tout le monde connaît.
Je ne vais pas chercher un son hyper complexe même si ça m’arrive parfois.
Pour moi c’était très important de désapprendre parce que ça m’a permis de faire des choses qui parlent à tout le monde et qui sont surtout très franches, qui vont droit au but. C’est-à-dire les émotions que je veux transmettre.
LFB : On peut aussi vite tomber dans la démonstration technique et c’est un piège…
Alban Claudin : Carrément, je déteste les musiciens qui en font des caisses. Pour moi c’est comme si quand tu parlais t’étais en train de vomir. Je préfère les choses concises et claires. Après je sais le faire, j’ai su le faire, à un moment je voulais faire du Jazz. Alors je ne critique pas du tout le jazz mais souvent ce qui en font ont tendance à en mettre partout sans que ce soit très légitime. C’est des choses qui me rebutent un petit peu.
Et c’est difficile parce qu’il faut arriver à exposer sa patte. C’est quelque chose d’important pour un musicien d’avoir une identité. C’est très compliqué de le faire avec peu de notes, donc c’est là que réside la difficulté aussi.
LFB : Dans cet album on sent que tu te livres, il y a ce truc très personnel mais à la fois complètement universel…
Alban Claudin : Ça me fait plaisir parce que c’est ce que j’ai recherché.
LFB : Comment tu expliques cette “mélancolie heureuse” qui ressort du projet ?
Alban Claudin : Je ne savais pas comment l’expliquer au début et c’est un mec qui me suit sur insta qui m’a dit qu’en portugais on disait saudade.
Je ne le savais pas. Au début je justifiais ça en expliquant que la mélancolie ce n’est pas la nostalgie donc ça peut être assez léger.
Pour moi c’est une forme de mélancolie dans laquelle il y a beaucoup d’espoir, c’est pour ça que je dis qu’elle est heureuse et positive.
Quand j’ai des moments de mélancolie, je pense que j’analyse suffisamment les événements qui peuvent me rendre aussi nostalgique et du coup je regarde devant. J’ai une grande vue dégagée.
Ce que j’essaye de faire ressortir surtout c’est l’espoir, je ne voulais pas quelque chose de plombant.
Disons que je préfère m’imaginer écouter ça dans un train en admirant des paysages plutôt qu’en étant en dépression.
J’adore le contraste des émotions dans l’art et c’est ce qui qualifie l’art en quelque sorte d’ailleurs. J’adore jouer là dessus et même en live je vais essayer de faire ça avec des moments qui explosent plus en terme d’intensité.
LFB : Tu arrives à imaginer de passer d’un album que tu as conçu seul face à ton piano à un spectacle devant beaucoup de monde ?
Alban Claudin : Plus il y a de monde, plus je suis content (rires). Je dirais que ça se fait logiquement, je ne sais pas encore la forme qu’aura mon live.
Je ne sais pas si je vais reproduire mon studio en mode intimiste par exemple.
LFB : D’ailleurs comment on arrive à redécouvrir un instrument qu’on connaît par cœur ?
Alban Claudin : Justement, pour moi c’est ça le vrai travail. C’est une fois que tu as atteint un certain niveau et ce n’est même pas obligatoire d’ailleurs parce que mes pièces ne demandent pas un niveau exceptionnel non plus. La difficulté c’est de se renouveler en fait, de ne pas avoir d’automatisme.
En tant qu’instrumentiste je n’aime pas poser mes doigts et savoir qu’ils vont aller à un endroit, c’est pas bon signe.
Après sur cet album j’ai beaucoup travaillé sur la production sonore. Quand je voulais faire évoluer ce projet je me suis demandé comment le différencier.
On parlait tout à l’heure de patte sonore, j’utilise des effets modernes, de la reverb par exemple. J’ai vraiment travaillé différemment en enregistrant toutes les parties. Même quand tu entends une simple mélodie, j’ai mis des couches de plein de pianos différents par dessus pour que ça fasse un truc particulier.
LFB : Justement, par moment dans cet album on a l’impression que tu n’es pas seul à jouer. Comme si il y avait plusieurs personnes et pianos, comment tu expliques ça ?
Alban Claudin : Là en ce moment je dois faire les partitions des titres et je suis bien emmerdé. Des fois quand j’ouvre la session on dirait un truc surproduit avec 70 pistes. Tu dois avoir 12 pianos différents et c’est des choses qui ne sont pas jouables par un seul pianiste.
Après pour le live j’adapte et c’est mon délire. Mais sinon oui c’est exactement ça, si on résume c’est comme si il y avait 8 pianos différents qui jouent.
Tu sais historiquement ce qu’on fait c’est qu’on prend le piano, on l’ouvre et on l’orchestre que ce soit pour un groupe ou pour un orchestre plus symphonique. J’ai commencé à format réduit sur un petit piano pour trouver des mélodies puis je les ai orchestrées. Mais à chaque fois sur des pianos et sur des prises de sons différentes. Des trucs de geeks et de producteurs que j’aime beaucoup aussi.
LFB : Il y a une vraie expérimentation au final.
Alban Claudin : Tout à fait et je suis bien emmerdé parce qu’il y a des pièces qui sans le son ont beaucoup moins d’intérêt.
Tu vois je me dis qu’en live si je joue sur un piano droit c’est beau et mignon mais je voudrais quelque chose de plus profond.
Donc là je travaille aussi dans ce sens là.
C’est pour dire l’importance du son et aujourd’hui dans tout ce qu’il se fait si tu enlèves la prod il y a beaucoup de morceaux qui perdent leur charme.
LFB : Ce que je trouve très fort avec ton album c’est qu’il est très visuel. C’est plus que de la musique, c’est très suggestif. Est ce que toi de ton côté dans ton processus de création c’est justement des images qui t’aident à composer ?
Alban Claudin : Je fais tout à l’instinct, je ne réfléchis pas du tout à tout ça, je sais que ça inspire pour la musique à l’image. Chacun se fait des films mais je n’ai pas ce truc quand je créée.
Après, comme tout le monde je suis très souvent sur mon téléphone et j’ai une vie agitée. Donc je me barre souvent à la campagne chez mes parents et je passe des demi journées à me promener dans le vide. C’est là que je pense et que je compose inconsciemment.
Tu vois il y a beaucoup de compositeurs que j’adore qui sont Nordiques donc on peut se dire ok c’est lié aux grands espaces et aux paysages. On peut toujours chercher une explication. Peut être qu’inconsciemment ça me le fait mais ce n’est pas quelque chose qui est réfléchi.
LFB : En parlant d’image, tu as déjà sorti trois clips pour cet album. C’est quoi ton rapport à la vidéo? Et cette collaboration avec Maxime Charden ?
Alban Claudin : Maxime c’est un vieux pote qui m’a toujours dit qu’on travaillerait ensemble là dessus. J’ai eu pleins de gens qui m’ont proposé des idées de clips mais je n’étais jamais emballé.
Comme avec lui on se connait bien, on a un peu le même humour sarcastique. Il y a toujours un douzième degré caché dans les clips.
Lui il vient du docu, il était sur canal dans les années 90/2000, avec un esprit décalé, c’est le réalisateur d’Action discrète notamment.
Je lui fais entièrement confiance. Autant sur la musique je fais tout absolument tout seul, autant là j’y vais les yeux fermés.
Je sais que ses idées vont correspondre à ce que je suis et à ma musique.
LFB : Tu as conscience qu’un album comme ça qui sonne très pop puisse être la porte d’entrée vers le classique pour des gens ?
Alban Claudin : Oui et j’en suis très fier, on me l’a dit plusieurs fois. Ce qui est drôle c’est que parmi le milieu classique je ne suis pas du tout classique. Dans les rayons Fnac je suis en pop rock indé d’ailleurs.
Je me fous de ce genre d’étiquette mais si des gens accèdent à la musique classique en me découvrant c’est juste tant mieux.
LFB : Et pourquoi ce nom d’album d’ailleurs ?
Alban Claudin : Parce que le processus a mis 5 ans à sortir mais on va plutôt parler de 3 ans qui ont été des années très animées professionnellement et sentimentalement.
A un moment où j’étais pas au mieux, j’ai réussi à comprendre que le bonheur venait vraiment de moi.
Je te dis ça mais je ne veux pas faire de la philosophie de comptoir. Il ne faut pas attendre quelque chose de notre conjoint ou de l’argent par exemple.
C’est un tout qui vient du cœur et de nous tout simplement. C’est assez basique, décevant non ? (Rires)
LFB : A l’époque où tu faisais du foot, tu t’imaginais sortir un album ?
Alban Claudin : Tellement pas. Bizarrement je ne me suis jamais dit que je serais musicien.
J’ai toujours passé ma vie à faire que ça donc au final c’est logique.
Pour l’anecdote j’ai essayé de faire une fac de pharmacie pendant 2, 3 mois. Je ne sais même pas pourquoi, après le lycée je croyais que tu avais le choix entre droit et médecine donc j’ai un peu pris au hasard.
Quand j’ai annoncé à mon père que j’arrêtais après 2 ou 3 mois, il m’a dit qu’il avait parié avec un pote à lui 300 balles ou quelque chose comme ça.
Donc au final ça parait logique que j’en sois là.
Pour le foot je jouais en national en moins de 13 et moins de 15 et j’étais en pré formation à l’ESTAC à Troyes. J’ai joué avant à Auxerre, Guy Roux tout ça, en benjamin puis je suis revenu dans le club de ma ville où on a été en nationale une année puis en régionale.
LFB : Vrai niveau quand même…
Alban Claudin : Ah oui, c’est pour ça que je pars de loin, j’étais avec un papa rockeur/ batteur, moi en piano classique et en centre de formation avec des gars qui n’avaient pas d’affinité pour tout ça.
D’ailleurs j’étais encore hier avec le chanteur Hervé et je le confronte à chaque fois. Parce qu’on fait des foots avec des potes comme les Pépite ou l’Impératrice et lui ne vient jamais.
Bon maintenant c’est un peu une superstar donc il dit qu’il a plus le temps mais comme il fait que dire qu’il est chaud au foot je le provoque.
LFB : Est ce que tu as des coups de cœur récents à nous partager ?
Alban Claudin : J’ai eu le temps de lire. Il y a Nicolas Mathieu qui a eu le Goncourt en 2018 avec un livre qui s’appelle Leurs Enfants après eux qui m’a beaucoup touché.
Ah oui et évidemment le dernier album de Feu Chatterton. Les deux premiers albums je n’étais pas plus fan que ça et je les ai vus en concert et je me suis pris une claque.
Mais là c’est un disque qui n’est pas forcément très accessible mais qui est une œuvre d’art, un objet sonore.
Je trouve que l’équilibre entre Arthur, son écriture, son charisme et sa voix et le niveau musical derrière est hyper intéressant. C’est parfaitement produit.
On n’a pas le chanteur avec des musiciens derrière ni des musiciens trop bons et qui en font trop comme (hum hum) l’Impératrice (Rires)
Pour moi c’est un truc de ouf et puis ils ont pas de limite, sur Écran Total il se met à gueuler c’est génial.
Même ce qu’ils ont fait avec Rebotini tu vois qui a fait quoi et l’équilibre il est classe.