En novembre dernier sortait uplifters, dernier album en date d’Isaac Delusion. Voilà maintenant quelques années que l’on suit le groupe aux innombrables tubes et au groove qu’aucun autre ne pourrait égaler. Trois albums sortis jusqu’ici, trois albums que l’on a tous forcément écouté de manière abusive, bercés par la voix suave de Loïc. Alors qu’ils font salle comble partout en France et même ailleurs, c’est en janvier que nous sommes allés à leur rencontre afin de lever le voile sur les secrets qu’ils se gardent encore de nous raconter. Un échange passionnant et enrichissant où on y a parlé mélancolie joyeuse et éternelle jeunesse.
La Face B : Hello Isaac Delusion ! Comment allez-vous aujourd’hui ?
Jules : Très bien !
Loïc : C’est super car on est à Nantes et c’est une ville particulière pour moi car j’ai passé mon enfance là-bas. Maintenant je suis breton donc je suis content de revenir, c’est un peu comme un retour aux sources.
LFB : Votre album uplifters a été en gestation pendant près de deux ans. L’accueil qui lui a été fait a-t-il été à la hauteur de vos espérances ?
J : Je crois oui, même si c’est dur de s’apercevoir de la manière dont les gens le reçoivent avant de faire des concerts.
L : Il a été bien reçu, mieux que tout ce qu’on a fait auparavant. C’est un album relativement plus facile d’accès que le précédent et ça joue énormément.
LFB : Vous dîtes que ce troisième album est celui qui reflète le plus votre univers et qui vous représente le mieux. Pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre ?
J : On a dit ça dans le sens où, avec cet album, on est revenu vers des sonorités qu’on avait au début alors qu’avec le précédent, on s’était écartés de ça donc pour le coup ça nous ressemble plus, enfin ça ressemble plus à ce que l’on faisait au début et je pense que c’est pour ça qu’on a dit ça. On voulait un retour à la pop.
L : Oui, un retour à la simplicité ! Le premier était un peu dans cette veine, on savait faire moins de choses donc évidemment, c’était plus simple. Avec tout ce qu’on a appris, on a commencé à complexifier les choses et c’est dur après de revenir à la simplicité. C’est comme un peintre qui apprend à bien peindre et qui un jour doit refaire des trucs un peu plus dépouillés, c’est pas facile.
LFB : Au fil des années, on a pu constater qu’Isaac Delusion était un groupe qui évolue en permanence. À quel stade de l’évolution en êtes-vous aujourd’hui ?
L : Justement ce qui est intéressant, c’est que dans l’art il n’y pas de stade, c’est infini. Il n’y a pas un moment où tu t’arrêtes et où tu touches le plafond.
LFB : Tout dépend de la manière dont on perçoit les choses. Si l’on s’impose une fin, un but, l’approche est différente.
J : Le but c’est d’aller toujours plus loin. Il se décale, se repousse en permanence.
LFB : Est-ce que justement vous voyez chaque album comme une sorte d’accomplissement ? Comme la clé d’accès à un niveau supérieur, toujours plus proche de l’excellence ?
L : Pas vraiment. Après je suis d’accord avec le début de la phrase sauf sur le terme d’excellence. L’excellence n’existe pas, c’est abstrait.
LFB : On peut parler de votre propre notion de l’excellence alors.
L : Notre notion de l’excellence c’est la sincérité. Tout est très relatif, chacun à sa notion du beau.
J : Ton idée de l’excellence change avec la maturité, ce que tu apprends au cours de ton parcours. C’est comme le but, ça se décale. Par rapport au nous d’avant, on a atteint une forme d’excellence sur certains points même si aujourd’hui, on ne considère plus ça comme ça. C’est dur d’être satisfait, de dire qu’on est excellent.
LFB : D’ailleurs, il y a un peu une idée « d’élévation » à travers le titre de l’album, non ?
L : Tout à fait, c’est ce que ça signifie. Upfliters est un mouvement d’élévation, c’est le thème de l’album. Ce sont des morceaux qui sont positifs et qui véhiculent une bonne énergie donc ça fait sens.
LFB : Cet album rend hommage à votre adolescence et ses rêves. Le passé est-il une source d’inspiration plus significative que le présent ou même le futur ?
L : Le futur tu ne le connais pas, donc c’est difficile de s’en inspirer.
LFB : C’est relatif, l’approche du futur varie selon chacun. Je pense que l’on peut tenter une approche du futur en se basant sur nos aspirations et nos rêves.
L : Oui, c’est vrai. Mais le passé c’est souvent des souvenirs, des sentiments, des souvenirs de voyage etc. Le passé est définitivement plus inspirant que le futur.
J : Il y avait aussi beaucoup l’idée de l’élévation dans l’adolescence et ça parle de ça, de l’élévation à tous les niveaux qu’est l’adolescence. C’est assez inspirant voire intéressant comme période et c’est cool de s’en souvenir, de se souvenir de tous ces rêves. On n’a pas vraiment traité l’adolescence comme un retour vers le passé mais plus comme un hommage. On parle d’une époque pendant laquelle on regardait beaucoup vers le futur.
LFB : Quel est votre rapport à la mélancolie alors ? Comment l’extériorisez-vous dans votre musique ?
L : C’est vrai que la mélancolie fait partie intégrante de notre musique. On a toujours eu une part de mélancolie dans nos morceaux, c’est un ingrédient de la recette.
J : On n’arrive pas à faire des morceaux vraiment joyeux, ni des morceaux vraiment tristes. J’ai cette impression, et je crois que Loïc aussi, d’aller un peu trop dans le pathos, quand c’est vraiment triste et dans le trop niais quand c’est trop joyeux. C’est un peu pour ça qu’il y a toujours un mélange car l’ambivalence des sentiments est importante. Après peut-être qu’on fera des morceaux vraiment joyeux ou vraiment tristes un jour. (rires)
LFB : Est-ce qu’il arrive que vous ressentiez un manque voire un besoin de recouvrer certains aspects de votre adolescence ou votre jeunesse ?
L : Oui, carrément ! Pour ma part, j’ai été papa assez jeune donc j’ai tout de suite été projeté dans la vie d’adulte responsable et parfois j’ai l’impression d’avoir raté un épisode et de ne pas avoir vécu certaines choses. Du coup, ce sentiment est en quelque sorte un moteur voire une inspiration musicale pour moi. La musique permet d’être dans l’aventure, t’es en tournée, t’as une vie où tu rencontres des gens, tu fais la fête, tu bois sauf qu’en fait c’est ton travail ! (rires) Je crois que j’ai plutôt bien rattrapé le temps perdu finalement.
J : Moi je suis toujours un enfant, je n’ai aucune responsabilité donc je ne regrette rien. (rires)
LFB : Je n’ai jamais eu l’occasion de vous découvrir sur scène. Isaac Delusion en live, ça donne quoi ?
L : Suspense, tu verras ça ce soir ! (interview réalisée avant leur concert du 18 janvier au Stéréolux de Nantes, ndlr)
J : Malheureusement, elle n’a pas sa place ! (rires)
L : Tu ne verras pas alors ! (rires)
J : En live c’est différent. On le bosse beaucoup, on essaie d’en faire quelque chose de très unique par rapport à l’album, de très énergique, de rendre les morceaux encore plus dansants.
LFB : Après deux Cigales complètes, vous êtes désormais en route pour conquérir l’Olympia, ce qui est toujours une sorte de consécration pour un artiste. Est-ce que c’est une date que vous appréhendez ?
L : Pas vraiment car le sentiment d’appréhension, tu l’as quand tu n’es pas sûr de toi. Après il y a toujours une part d’appréhension avant de monter sur scène mais là on a fait en sorte de travailler un maximum pour nous dire qu’on ne pouvait pas être plus près de ça. Au final, tu n’as pas vraiment de regrets et si ça marche tant mieux sinon tant pis, j’aurais fait au mieux. C’est un peu ce que je ressens moi et quand j’ai l’impression de ne pas avoir assez travaillé et qu’il y a des trucs un peu bizarres avant de faire un concert, des zones d’incertitude, je stresse. Je pense que tout le monde est pareil, tu as peur de te planter alors que quand tu connais bien tes parties, tu te dis que tu ne peux pas faire mieux et pour le coup, tu n’as pas trop peur.
J : Et puis, on a déjà fait l’Olympia donc on appréhende beaucoup moins aujourd’hui.
LFB : La quasi-totalité des morceaux d’uplifters a un rythme plutôt entraînant avec des refrains catchy. Cet album a-t-il dès le départ été pensé pour faire danser votre public ?
L : Totalement ! C’était un peu la tendance de l’album, on voulait vraiment quelque chose dansant, c’était le but et ça a plutôt bien marché.
LFB : Dans sa globalité, cet album a une couleur plus lumineuse que ses prédécesseurs, il est plus optimiste, plus enjoué. Est-ce qu’il y a une raison particulière au fait qu’il soit justement plus mélodieux, plus jovial dans les sonorités proposées ?
L : La raison c’est que l’album d’avant, c’était l’inverse. C’était un album assez torturé, avec des morceaux plus mineurs donc on a voulu faire autre chose, tenter une nouvelle approche.
LFB : J’ai deux questions concernant votre reprise de couleur menthe à l’eau. Tout d’abord, pourquoi l’avoir inclus dans la tracklist de l’album ? C’était primordial pour vous ?
J : On ne voulait pas la mettre à la base, on trouvait que ça servait à rien de mettre une reprise dans l’album étant donné qu’elle était sortie depuis un an ou deux déjà. Mais elle a tellement bien marché qu’on a changé d’avis, tout le monde nous disait de la mettre donc on l’a fait.
LFB : Pourquoi avoir choisi de reprendre ce morceau plutôt qu’un autre ?
L : On voulait faire un truc différent, surprendre les gens et sortir de notre zone de confort en faisant quelque chose qu’on n’avait jamais. Et reprendre un classique de la chanson française des années 80 était un des trucs les plus étranges qu’on pouvait faire.
LFB : On retrouve beaucoup d’influences soul dans uplifters. Pensez-vous que c’est une influence qui vous suivra indéfiniment ? Ou est-ce que c’est possible que le prochain album prenne un virage tout autre ?
L : Complètement !
J : C’est même très probable car on n’a plus trop envie de rester là-dedans. Après on dit ça et parfois on a l’impression de faire des morceaux fondamentalement différents alors que les gens trouvent que pas du tout. C’est dur d’être objectif sur notre musique car il reste toujours cette patte qu’on ne changera jamais radicalement.
LFB : Avez-vous quelques anecdotes à partager sur la conception de cet album ?
L : Alors il faut savoir que lorsqu’on a commencé à faire l’album, j’avais pleins de démos sur mon disque dur, ça représentait des milliers d’heures de travail. L’ordinateur a planté et tous ces débuts de morceaux ont été effacés car le disque dur a brûlé de l’intérieur. On a donc recommencé l’album et le fait de le refaire nous a permis de changer la démarche, de se prendre moins la tête en faisant un truc plus simple. On avait déjà passé du temps à essayer de se triturer les méninges et c’est ça qui a donné cette teinte plus poppy, plus légère à l’album.
LFB : Vous pensez qu’il aurait été meilleur sans ce drame du disque dur ?
L : Il n’aurait pas été meilleur ni moins bien, il aurait été différent. Il n’aurait pas eu la même gueule, ça c’est sûr ! (rires)
LFB : Pour finir, avez-vous des coups de cœur récents à partager avec nous ?
L : J’ai un coup de cœur, c’est Bob Marley ! (rires) Non je déconne, la honte.
J : Je tourne un peu en rond en ce moment.
L : J’aime beaucoup infinite bisous, il est français en plus. Je lis aussi L’insoumis de Judith Perrignon en ce moment, c’est un livre sur Mohamed Ali. Ça ne parle pas de boxe mais de tout ce qui s’est passé autour de ce mec, le culte musulman aux USA, la guerre entre les noirs et blancs, Malcom X, Martin Luther King etc. Ils gravitaient tous autour du culte du black muslims, certains étaient plus radicaux que d’autres, c’est super intéressant.
LFB : Un bon roman historique donc.
L : Oui, franchement c’est dingue car ça ne prend pas parti. Il y a du positif, du négatif et c’est très modéré. L’auteur travaille chez France Culture et elle est partie aux USA sur les traces de Mohamed Ali pour faire toute une enquête sur qui il était vraiment. Tu te rends compte que c’était un personnage assez trouble, c’est pas du tout le héros golden boy.
LFB : C’est souvent le cas, on a toujours cette fâcheuse tendance à idéaliser les grands personnages.
L : Exactement et tu vois, j’avais regardé un documentaire sur lui en rentrant de Turquie et il est dépeint comme un demi dieu alors qu’au final, c’était pas du tout ça.