On les savait proches, on les savait doués en rap, mais il a toujours manqué quelque chose à l’évocation des noms d’Isha et de Limsa d’Aulnay. Peut-être plus de reconnaissance ou d’introspection ? En tout cas, leur projet en commun, Bitume Caviar Vol. 1 nous en apprend beaucoup plus sur les deux hommes guidés par leurs expériences et leur vécu.
2 micros, 1 album
Entre Jay-Z et Kanye West, Drake et Future mais aussi Kaaris et Kalash Criminel, Vald et Heuss l’Enfoiré ou encore Jazzy Bazz X Esso Luxueux X Edge, en France les collaborations ont toujours eu une place spéciale dans le rap. Et 2023 n’en est pas exempt. Au-delà de la simple connexion entre deux artistes, ce concept gonfle en importance et s’érige parfois comme un vrai catalyseur entre deux visions du rap. Ces différents projets provoquent parfois une sorte d’événement pour les fans, qui peuvent maintenant fantasmer sur n’importe quelle collaboration de rêve entre leurs artistes favoris.
Tiakola est sans doute l’un des artistes qui le représente le mieux. Auteur d’une année 2023 exceptionnelle, il n’a pas hésité à franchir la Manche pour souder des liens avec l’Angleterre et sortir un mini-projet de deux titres avec Dave. Il réitère les faits pour un projet plus conséquent avec Gazo en cette fin d’année avec La mélo est gangx. Si ce blockbuster a tenu ses promesses, un autre projet collaboratif et assez attendu a vu le jour ce même vendredi : Bitume Caviar (vol. 1), une nouvelle démonstration de l’alchimie découlant de la connexion franco-belge entre les talents de Limsa d’Aulnay et Isha.
Isha et Limsa d’Aulnay : une connexion logique
Les deux rappeurs ne sont pas des amateurs et ont déjà eu moult opportunités de le prouver. Si l’un a fait ses classes via des freestyles Grünt en apparaissant comme un surdoué de la rime, l’autre a du batailler pour se faire une place à Bruxelles sous le nom de Psmaker avant de délivrer toute sa maîtrise et sa sensibilité sur les trois tomes de La Vie Augmente. Une série qui aura grandement inspiré son collègue qui livrera enfin ses premiers projets avec lui aussi une trilogie, celle des Logique. Des succès d’estime qui peuvent sembler tardifs à l’heure où des nouveaux rappeurs plus jeunes les uns que les autres voient le jour toutes les semaines. Mais ces années auront au moins permis aux deux hommes de perfectionner leur musique mais surtout d’acquérir une expérience non négligeable.
Issus d’une autre génération de rap, ils font la synthèse de leurs propres expériences sur ce projet collaboratif qui, au vu de leur vécu presque similaire, coule de source. Une alchimie humaine retranscrite en cabine et qui se décline sur les onze titres de Bitume Caviar (Vol.1). Les deux hommes prennent leur temps pour faire le point sur une multitude de sujets : de l’industrie à leurs relations humaines en passant par leurs écosystèmes, ils les balayent avec le recul et la fatalité de la trentaine.
L’illusion de la trentaine
Le risque en évoquant tous ces sujets aurait pu être de tomber dans l’agisme, de baliser le projet d’un « c’était mieux avant » grisant. Il n’en est pas question sur ce projet qui même sur le plan musical ne semble pas vieillissant. À l’aise aussi bien sur les influences Detroit de la production d’Inna di Club que sur le boom-bap de Le chant des cigales, ils prouvent leurs versatilités de flows mais surtout que l’âge n’est pas nécessairement un mauvais facteur dans ce sport de jeune qu’est le rap. En se racontant sans prendre le parti prétentieux de moralisateurs, les deux rappeurs apportent l’émotion nécessaire pour faire passer leurs messages.
Dans des univers aussi percutants qu’explosifs, Isha et Limsa font de chaque morceau une démonstration d’élégance et de maîtrise.
Dès la première écoute, l’auditeur rentre dans un voyage aux mélodies calmes et parfois apaisantes. Un choix qui ne diminue pas la force des rappeurs qui livrent un album aux flows variés qui s’ancrent dans un tout cohérent notamment grâce à des transitions maîtrisées. L’album révèle alors toute sa profondeur, laissant s’entrechoquer toute la technique et la puissance du duo. Ses dernières sont sublimées par des rythmes qui varient entre douceur et intensité, créant une expérience sonore riche et surprenante.
Seule collaboration du projet, la présence de Caballero et JeanJass était presque inévitable. Avec le double J à la production, Flûtes recyclables est un terrain de jeu parfait pour que les quatre rappeurs se jettent la balle dans un exercice technique de rap appréciable. Le morceau devient alors la fusion de différents flows, une force musicale commune, qui démontre qu’en plus de partager peu ou prou le même vécu, Limsa et Isha jouissent d’une belle complicité avec le duo belge.
En faisant le point, les deux hommes balayent plus de trente années d’existence. Ces dernières ont été parsemées de désillusions, d’un rapport conflictuel au rap qu’ils aiment autant qu’ils détestent mais aussi de changements, de lieux de vies ainsi que dans leurs relations. Ces évolutions les auront vu, devenir les trentenaires qui sont à l’heure actuelle et qui prennent le temps de raconter des récits avec l’élégance et le fatalisme des plus grands et ce, sans jamais être larmoyant.