Rencontre avec TedaAk

Au Printemps de Bourges, sur scène, TedaAk était une vraie boule d’énergie qui nous a bien fait danser et nous révolter. On a eu envie de le rencontrer pour en savoir plus. On profite de cette entrevue pour vous partager le clip d’Un jour mon prince en avant-prmeière.

LFB : On commence toujours les interviews chez la Face B par une question extrêmement basique, comment ça va ?

TedaAk : J’ai bien vécu l’expérience Bourges. Une grosse pression qui est relâchée. J’ai fait mon taf, j’ai donné ce que j’avais à donner. Maintenant, le reste appartient aux gens qui étaient là. Maintenant j’ai hâte de la suite, de voir qu’est-ce qui va se passer. Mais il y a eu quand même un petit temps de récupération, on ne va pas se mentir.

LFB : Comment est-ce que tu décrirais ton style de musique ?

TedaAk : En général, j’aime bien parler de trois aspects qui sont importants :

Le style musical qui est de la musique électronique, mais plutôt orientée techno. Au niveau de l’énergie, on va avoir une énergie qui va être plus punk, à la fois dans l’attitude sur scène que dans le travail de la voix. Le travail des textes qui vont être des textes plutôt narratifs, plutôt engagés, mais avec une grosse place à donner à l’absurde, à la poésie. C’est vraiment un truc sur lequel j’ai beaucoup travaillé, le côté dansant de la musique électronique, et quelque part, le punk, et la narration et la poésie des textes.

LFB : C’est hyper complet comme réponse !

TedaAk : J’ai commencé à m’entraîner un peu à y répondre, parce qu’au début, j’étais un peu vague, « ouais, techno, punk, voilà… », mais je pense que précisément, c’est vraiment ça qui se joue sur les trois choses importantes à l’intérieur.

LFB : Et justement, pour toi, la musique et l’art de manière générale, c’est forcément engagé ?

TedaAk : Disons que moi, aujourd’hui, je considère – et il y a plusieurs personnes autour de moi qui font aussi de la musique ou de la scène -, on considère que la scène, c’est une tribune. En fait, mon approche de la musique, elle est très portée sur le live avec TedaAk. C’est vraiment un projet que j’aborde par le live pour l’instant. Je considère vraiment qu’une scène, c’est une tribune. Tu montes sur scène, tu représentes quelque chose, tu viens de quelque part. Et s’il y a de la voix dans ta musique, alors tu as aussi cette responsabilité-là, de ce que tu racontes sur scène, comment tu occupes cette tribune, comment tu prends la parole.

Et comme j’ai quand même des questions politiques qui sont importantes dans ma vie, j’ai envie de lutter. En ce qui me concerne, il y a toutes les questions queer, du rapport de notre société à la transidentité, à la communauté LGBT. Et puis ensuite, les questions sur les femmes, parce que j’ai été une femme quand même (rires). Et puis ensuite, il va y avoir les questions auxquelles j’ai envie de me sentir solidaire : ça va être plus le racisme, la question des dominations en général dans la société. Et tout ça, ce sont des choses que je vais venir aborder dans mes textes. Je pense que moi, c’est ma manière de militer, la musique.

LFB : Tu ne te verrais pas du tout faire de la musique avec des textes pas engagés ?

TedaAk : Ça pourrait. Je ne sais pas si ça sera le propos de TedaAk. Parce que TedaAk, l’essence est quand même très proche des engagements politiques et, en tout cas, des dénonciations de ces choses-là. Mais pour moi, la musique peut ne pas être engagée directement politiquement si elle fait de la poésie et qu’elle a pour but d’inventer autre chose, de faire des associations qui n’ont jamais existé, de venir révéler de l’imaginaire. Après, je pense que tout est intimement lié quand même. Ça veut dire que même dans des nouveaux imaginaires et dans des nouvelles poésies, ça va toujours être en lien avec comment on est traversé par ce qui se passe dans la société. On pourrait dire qu’indirectement, ça dépend du degré de distance que tu mets avec ton sujet.

LFB : On s’est rencontré à Bourges, sur le Printemps de Bourges. Toi, tu as été sélectionné aux iNOUïS.
Comment ça s’est passé et comment tu l’as vécu ?

TedaAk : J’avais déjà postulé aux iNOUïS. C’était une prise de risque. Parce que je ne savais pas du tout où je mettais les pieds. J’étais assez jeune dans le milieu de la musique. Je n’étais pas entouré. Ça n’a pas marché. J’étais allé jusqu’aux auditions régionales, puis ce n’était pas allé plus loin, parce que je pense que le projet était trop fragile.

Après, j’ai rencontré des personnes, notamment ma manageuse aujourd’hui, Solène et d’autres personnes du milieu de la musique, qui ensuite m’ont accompagné et m’ont aidé un peu à solidifier les choses. Là, quand je me suis représenté, il y avait un peu ce truc de « ok, je reviens, mais cette fois-ci, je suis sûre que ce que je présente, c’est solide ». Il y avait un peu cette assurance derrière de me dire « si vous me refusez ce projet, ce n’est pas parce qu’il est fragile, c’est parce que, esthétiquement, soit politiquement, soit par rapport aux autres personnes qui se sont présentées… », il n’y avait pas de doute en tout cas sur la solidité de ce que je proposais .

Il y a des gens qui se sont rendus compte que si, en fait, ça valait le coup. Donc il y avait un peu de surprise et en même temps quelque chose d’assuré, quand même, sur la qualité de ce que je pouvais proposer. Je pense que je ne l’aurais pas mal vécu de ne pas être sélectionné. Mais là, on dirait qu’il y a une espèce de tampon de validation qui s’est mis quelque part.

© Romane Leo Marsault

LFB : Si ça te va, on va parler plus de ta musique maintenant, quelle est l’histoire de L’enfant fou ? Comment tu l’as écrite et composée ?

TedaAk : Alors, si je me souviens bien, je pense que l’essence du morceau, c’était vraiment le refrain. J’avais cette phrase « Je suis un enfant fou dans une boîte en forme d’humain ». Je l’ai vraiment écrite avec ce regard-là dessus. J’aimais bien l’image de la boîte en forme d’humain, cette carcasse corporelle.

Elle reste imaginaire au rapport à la domination dans notre société, par rapport à la transgression des normes et des règles qui sont tellement intégrées une fois que t’es adulte qu’elles disparaissent complètement ou qu’en tout cas, elles sont très effacées. Alors que quand t’es enfant, il y a toutes ces choses-là qui sont encore assez neuves. Et je pense que c’était ça que ça venait aussi pointer.

Il y a une instrumentale que j’avais écrite à la base, quelque chose de très hip-hop. Parce qu’à l’époque, j’étais encore en recherche très forte sur l’identité du projet. J’avais écrit un instru très hip-hop, très chill. Et je me disais : « putain, ça ne marche pas du tout ». J’ai fait une autre instru qui était beaucoup plus vénère, beaucoup plus techno, avec le refrain plutôt crié. Et je me suis dit, là, ça marche, et ça a un peu signé ensuite la manière d’écrire dans la suite du projet.

Il y a une fois une personne sur Internet qui m’a dit, c’était un peu un hymne queer. Et ce qui est drôle, c’est qu’à l’époque, je ne m’identifiais pas comme une personne queer. Enfin, j’étais une femme qui relationnait avec des femmes. Et je ne me sentais pas queer, je n’avais pas réalisé toutes ces choses à l’intérieur de moi. Mais il y a des gens qui ont cette lecture-là aujourd’hui, à distance, avec le temps. Et je trouve ça marrant.

LFB : Tu dirais que le projet TedaAk a trouvé son identité à partir de ce morceau ?

© Romane Leo Marsault

TedaAk : Oui, je pense que ça a marqué quelque chose parce que c’était la première fois que je trouvais un bon équilibre entre les trois choses dont je te parlais au début. C’est l’instrumentale techno, l’énergie punk et un texte avec du fond et de la poésie. Avec du fond politique et de la poésie. C’est la première fois qu’il y avait un bon équilibre entre ces éléments et que je me suis dit, que c’est la direction dans laquelle j’ai envie d’aller.

LFB : Tu parlais juste avant de ta « queerness ». Est-ce que les paroles que tu écris sont directement inspirées de toi ou de témoignages de proches, de gens que tu connais ou que tu lis sur Internet ? Typiquement, Bonjour Monsieur, au revoir Madame, est-ce que c’est un truc qui, toi, t’arrive ou t’es déjà arrivé ?

TedaAk : Ah ouais, complètement. Ce morceau-là, il parle vraiment d’une expérience vécue. Mes potes se marrent parce qu’ils étaient présents quand moi, je revenais de la boulangerie et que je disais « putain, j’ai encore été mégenré, « bonjour Monsieur », « au revoir Madame », ça me saoule ». C’est vraiment parti d’un témoignage personnel et qu’ensuite, j’ai développé en narration.

Ça veut dire qu’au début, je me promène dans la rue, je vis ma meilleure life, j’arrive à la boulangerie et il se passe ce truc-là où la perception de mon genre n’est pas en accord avec ce qui se passe à l’intérieur de moi et ce que j’aimerais avoir, en tout cas, j’essaye de donner à voir. A partir de là, la suite est beaucoup plus dans l’imaginaire parce que le personnage met le feu à la boulangerie, s’enfuit, il se fait courser par la police, etc. Ce sont des choses qui ne me sont pas arrivées, je rassure (rires). Mais en tout cas, c’est un peu ce qui se passe dans sa tête à la suite de cet événement. Ça part complètement d’un témoignage personnel et qui est commun à beaucoup de personnes. Et même à des personnes cis aussi, qui ont juste des caractéristiques physiques qui diffèrent de la norme. Dès que tu as un attribut physique qui diffère de comment nos cerveaux sont calibrés à la perception du genre. C’est assez impressionnant. Ça va très vite.

LFB : Ça serait quoi ta scénographie de rêve ? Quand je t’ai vu à Bourges, tu étais super énergique, mais peut-être que tu aimerais à l’avenir, dans tes concerts solo, avoir une scénographie qui te parle plus et qui soit plus personnelle. Tu as des idées déjà ?

TedaAk : Pour l’instant, effectivement, on est quand même sur un dispositif qui tourne facilement. Parce que le projet musical est en développement, donc il faut qu’on puisse faire des premières parties, jouer dans des festivals. Donc on est sur quelque chose de tout petit. Ca va se développer, notamment là, on vient de finir des résidences juste avant Bourges sur la forme d’une heure. On commence à intégrer des petits éléments, à créer d’autres espaces sur scène avec de la lumière. J’ai une guirlande lumineuse qui vient délimiter un espace, qui intervient à un certain moment. Donc il y a des éléments de scénographie, de lumière qui commencent à se mettre en place.

Aujourd’hui, je pense que je ne m’autorise pas trop à penser en grandeur parce que je suis dans ce souci de tourner, d’être tout terrain. Pour l’instant, c’est mon énergie qui tient tout. Peut-être plus tard, ça va évoluer, mais pour l’instant je ne m’autorise pas parce que je sais qu’après c’est des choses qui sont justement pas rétroactives. Dans le sens où quand tu commences à avoir un show lumière, à avoir de la scénographie, tu prends un kiff aussi qui fait que revenir sur plus petit, ça peut être difficile. Je pense qu’on n’en est pas encore là, mais oui, il y a plein de choses à imaginer et quand on va s’y mettre, ça va être super intéressant.

LFB : Pour terminer l’interview, je te propose de me donner des artistes ou des disques qui t’ont inspiré ces derniers mois, semaines ?

TedaAk : Il y avait l’EP Me Money & Politics de DITTER, qui sont pareil dans l’émergence, il commence vraiment à tourner, à faire des trucs vraiment chouettes. Après j’ai un peu poncé Bad Boys Love Story de Theodora aussi. Et il y a un album que je kiffe trop, il y a des classiques comme ça que je réécoute très régulièrement, comme celui de Yamê, ELOWI C&$, je le trouve monstrueux. Il est hyper bien écrit. Ça c’est un peu le dernier truc que je m’étais écouté.

Après, aux Inouïs j’ai découvert des trucs très bien. Des artistes vraiment chouettes. Nord Noir, j’ai trop kiffé.

LFB : Merci pour cette interview. Merci d’avoir pris le temps !

TedaAk : Merci à toi ! Ça me fait plaisir. J’aime bien échanger !

Focus sur Un jour mon prince

Impossible de ne pas penser à la légendaire chanson du Disney Blanche-Neige. TedaAk l’intègre notamment en ouverture de son clip pour mieux l’interrompre avec sa techno-punk. Retenez une chose : le prince est mort !

Exit l’innocence ! Sur fond de consentement, violence, amour passionnel, domination, TedaAk et sa bande en duo avec Argalouve font voler en éclats le conte façon rave party. Le collectif s’est attelée à une réécriture radicale, profondément inscrite dans l’engagement sans concession de l’artiste.

Réalisé par Marine Bréhin et Francois Balthazard, le clip est un mélange de teuf et postures familiales bien rangées. Les figures du conte remanié défilent et le propos dépote sévère. Le conte d’un nouveau genre s’achève dans un semblant de cloche de verre où une petite fille déguisée en Blanche-Neige tourne sur elle-même innocemment.

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