Jacques est le genre d’artiste à nul autre pareil. Surprenant, fascinant, le garçon nous entraîne à chaque expérience dans un monde incertain et merveilleux. C’est à l’occasion de la présentation de Vidéochose aux Francofolies de La Rochelle que nous avons eu le plaisir de le retrouver. L’occasion de parler avec lui de ce projet, de l’ennui et de la beauté du monde.
La Face B : Comment ça va ?
Jacques : Ça va. Comment ne pas aller ? On a tellement de chance. C’est une responsabilité d’aller bien. On y bosse en tout cas.
LFB : On essaie, c’est déjà pas mal. Tu viens présenter un nouveau projet. Tu avais commencé avec un projet où tu utilisais des objets pour faire de la musique. Tu as basculé sur un album complètement pop et assez sublime. Là, tu reviens en utilisant de la vidéo.
Jacques : C’est ça. Là surtout je reviens sans album. En plein développement.
LFB : Est-ce que l’ennui dans la musique et dans la création musicale, c’est quelque chose qui te fait peur ?
Jacques : Ça ne me fait pas peur mais c’est vrai qu’effectivement, je n’ai pas prévu de m’ennuyer. Disons que j’ai constaté dans mon cas que l’industrie de la musique, si je voulais optimiser mon rapport à l’industrie, ça me poussait à faire des choses qui malheureusement allaient m’ennuyer. Donc je suis dans une période de ma vie où je continue de faire comme si de rien n’était vis-à-vis du business. Je fais mes petites recherches tout seul dans mon coin. Après, il y a des points de rencontre mais c’est vrai que je m’amuse bien chez moi à expérimenter des choses, développer des visions. D’où un peu ce zigzag artistique.
LFB : Est-ce que tu as l’impression que chaque étape, chaque chapitre est une épopée pour repousser encore plus loin ce que tu as pu faire auparavant ?
Jacques : C’est ça. J’ai quand même l’impression, comme un embryon qui se développe, ça passe par toutes les phases. Tu vois tout l’aspect animal. J’aime bien cette vision évolutive. Il n’y a rien que je faisais à un instant T qui ne contient pas un out de ce que j’ai appris à faire sur le chemin. Mais il y a quand même un truc de balancier entre des choses qui sont plus personnelles et de l’ordre de la recherche et en plus, des choses qui sont plus abouties et de l’ordre de la trouvaille.
LFB : Est-ce que tu avais été surpris quand tu as sorti ton album de pop, de voir cette musique-là sortir de toi ? C’était un peu inattendu je pense pour beaucoup de monde.
Jacques : C’était drôle. Je savais que j’avais ça en moi quelque part mais je suis allé à fond là-dedans. Ça m’a emmené plus loin que ce que j’imaginais. La surprise était lente. La surprise était de réaliser que la sortie de l’album m’a pris deux ans de ma vie. Alors que c’est juste un aspect de ce que je fais, et pas forcément l’aspect que je trouve le plus intéressant. C’est vrai que j’avais besoin d’apprendre à faire de la pop, à chanter, à être présent. J’avais envie de ça. Aujourd’hui, je n’ai plus du tout envie. Mais c’est comme ça, ce sont des phases.
LFB : Tu t’es dit que tu pouvais être chanteur donc que tu allais passer à quelque chose.
Jacques : Voilà. Mais je ne pense pas que je puisse être chanteur. Enfin si, je pourrais être dans une ambiance un peu comme Flavien Berger ou des anciens qui font de la chanson. Mais il manquerait quelque chose. Et puis, si c’est pour raconter des histoires, je préfère faire du cinéma. J’ai un rapport plus sensoriel à la musique. Il y a aussi un truc, c’est qu’avec le langage, tu ne t’adresses qu’aux gens qui comprennent ce langage. Je trouve ça un peu snob de chanter en français parce que du coup, les indiens, les chinois ne comprennent pas. Quelque part, le langage de base est quelque chose d’excluant, peu importe le langage.
LFB : Tu parlais de réalisation. Là tu reviens avec la musique à partir de vidéos. Est-ce que tu peux nous parler de ce concept ?
Jacques : J’ai l’impression que tout dans la vie fait partie d’une seule et même chose. Même si on divise, on identifie et on sépare, au fond du fond, on est tous une seule chose qui n’a qu’un seul mouvement. Lorsqu’on s’en rend compte, ça créé un fort sentiment. J’ai eu la chance d’observer ce sentiment, même de l’avoir accessible au fond de moi quand je veux. J’ai remarqué que ce n’était pas le cas de tout le monde. La façon la plus limpide que j’ai trouvée pour partager ce sentiment, c’est de faire une musique qui contient tout et qui harmonise et met en rythme tout. Et à défaut d’avoir un orchestre, de refaire la vie. Un peu comme Synecdoche New-York, un film de Charlie Kaufman où son projet est tellement grand qu’il finit par vouloir refaire la vie. Moi, c’est un peu similaire mais à une échelle plus petite. L’évidence pour partager ce sentiment a été d’avoir sur scène des instruments qui n’en sont pas, des objets, que les gens peuvent emmener dans leur quotidien. Et des extraits vidéos qui font allusion à des sentiments, des souvenirs, des objets que je ne pouvais pas emmener sur scène mais que je pouvais filmer. L’idée est de faire une musique qui inclut tout ça. Je n’en suis qu’au début de mes recherches pour mettre en place ça.
LFB : Est-ce que ça t’intéresse cette idée de l’éphémère de la représentation ? Parce que forcément les gens qui vont venir te voir ne savent pas forcément à quoi s’attendre. Il n’y a rien qui a été figé auparavant.
Jacques : Maintenant, j’essaie de figer un concert, qu’il soit tout le temps le même. Ce qui n’était pas le cas avant. Avant, il y avait un aspect improvisé qui faisait que les concerts n’étaient pas toujours bien, même souvent un peu bordéliques. Mais c’était sympa, c’était une performance. Mais aujourd’hui, ça je ne l’ai plus. Parce que maintenant, j’ai quand même envie de feater dans une heure construite. Et il y a aussi que faire de la musique avec des vidéos, ce n’est vraiment pas facile. Et d’ailleurs je n’y suis pas encore. J’ai figé une version du show qui me plaît mais qui est encore loin de créer le sentiment que je voulais.
LFB : La semaine dernière, j’ai vu Marc Rebillet en concert qui lui crée des trucs sur scène. A travers la création directe, ça laisse du vide et donc une certaine forme d’ennui sur certains moments et qui disparaît complètement d’un coup. C’est ce que tu as voulu éviter là du coup.
Jacques : Là, tu vas voir que le show est limite trop construit, et pas si bien construit que ça. Donc j’ai encore du boulot. Pour l’instant, je suis plutôt du côté écrit de la force et maintenant que le système fonctionne, je vais intégrer des phases de recherche. C’est tout un truc de réussir à trouver l’équilibre qui soit parfait. C’est vrai que je trouve que je n’y suis pas encore. Ça prend du temps, c’est normal, c’est comme ça. C’est aussi en jouant devant les gens qu’on se rend compte des choses. Donc là, je suis un peu comme si tout le monde était un cobaye.
LFB : Tu parlais du matériel que tu as avec toi sur scène. Tu as des objets mais aussi des logiciels. Les logiciels, c’est toi qui les construis ?
Jacques : Ouais. J’ai un contrôleur qui permet de contrôler la musique, les effets et tout. J’ai un ordinateur de vidéo qui est piloté par l’ordinateur de son et qui permet de déclencher les vidéos en Synchro avec le son. Après, j’ai aussi une espèce de mini-laboratoire avec une caméra en top shot sur un fond d’incrustation rétro-éclairé qui permet, lorsque j’enregistre un objet, de voir mes mains de près et de voir l’objet, chose que je n’avais pas avant. Maintenant sur les écrans, on voit mes mains et l’idée, c’est que quand j’enregistre un bruit d’objet, ça enregistre aussi la vidéo et ça playback l’objet avec le son. L’idée est aussi que quand je mets un effet sur le son de ces objets, ça met aussi une effet sur la vidéo de ces objets. C’est quand même un petit truc. Ça fait longtemps. Ça, c’est de la recherche que je finance tout seul et qui ne s’inscrit dans aucun planning de l’industrie de la musique. Parce que les plannings, c’est que tu sors ton album, ensuite tu fais un an, deux ans. Moi il a fallu quatre ans pour développer mon truc, on est un peu à cheval. Donc si on attend que ce soit prêt pour faire des concerts, on n’en fait jamais. Parce que c’est en faisant des concerts que ça se précise.
LFB : C’est intéressant. Il y a ce truc aussi de créer un peu le futur en direct.
Jacques : C’est ça. Et il y a aussi un truc, c’est que quand ça va fonctionner bien et que mon show sera bien écrit et tout, dans un an ou deux, ça va être ultime. Ça va être méga violent. J’ai hâte.
LFB : Est-ce que tu te sens un peu parfois, en matière de musique, comme un alchimiste qui cherche à reproduire de l’or ?
Jacques : Ouais, il y a un truc où j’essaie de créer un sentiment nouveau. Mais tout ça dépend beaucoup de la musique après. Là, on a parlé de technique mais en fait, il y a aussi beaucoup de musicalité derrière, de pistes qui sont des pistes d’instruments, de synthé. C’est ça aussi qui donne de la couleur aux objets. Je pense que tous les musiciens sont alchimistes. J’ai juste un délire un peu plus technique. Ça nécessite un peu plus de technique mais en réalité, il n’y a pas besoin de toute cette technique pour parler aux gens. C’est juste que moi, ça me fait marrer. Il y a une interview de Jim Morrison qui dit dans les années 60 qu’il voyait l’avenir de la musique, qu’il y aura des gens seuls qui joueraient avec des tapes et qui enregistreraient des choses en direct et les joueraient en synchro. Finalement, il parlait de ce qu’est la musique électronique maintenant. Moi quand j’étais gamin et que j’ai vu cette interview, je me suis dit qu’il parlait de moi. Depuis, je suis sur cette inspi.
LFB : Pour revenir à l’idée du langage, j’ai l’impression que tu utilises la musique comme un langage et dans ce que tu me dis de ce nouveau projet, j’ai aussi l’impression que tu es sur une phase un peu mixée de ce que tu faisais au début et de ce que t’as fait après.
Jacques : Ouais exactement. Je n’ai pas encore l’album qui permet de confirmer ce que tu dis, mais c’est complètement le but ouais.
LFB : Prendre le meilleur des deux mondes et montrer que tu peux créer de la musique avec des instruments mais que la musique est partout.
Jacques : Exact. J’aimerais faire un disque qui soit dans l’hybridation, dans le juste milieu et qui aussi, c’est important pour moi, ne soit pas que français. Ne soit pas basé sur la compréhension des mots. Je trouve ça trop limitant. J’ai envie de voyager, de rencontrer des gens à l’autre bout du monde. C’est vrai que mon album de pop français, tous les gens que j’ai rencontrés, avec qui j’ai joué à l’époque où je ne faisais que des objets, ils s’en foutent un peu de l’album. C’est normal, c’est ok. C’est juste que je ne veux pas passer ma vie à explorer ce filon alors que j’ai fait une tournée partout dans le monde et c’est inoubliable. Maintenant, j’ai envie de continuer. Et je vois bien qu’il y a plein d’artistes français qui n’ont pas cette opportunité, d’aller jouer aux États-Unis, en Chine… Donc j’ai envie d’exploiter ça.
LFB : Il y a un autre élément sur cette tournée, c’est que tu es à nouveau tout seul sur scène.
Jacques : C’est aussi une réalité du marché parce que ce n’est pas évident de ramener tout le groupe. Surtout que dans une vision d’hybridation comme tu le disais, si j’avais un groupe aujourd’hui, je ne le ferais jouer qu’un tiers peut-être du show. Donc c’est un luxe de dingue que de ramener 3-4 personnes en plus pour juste 20 minutes. Mais c’est vrai que l’idée à terme serait d’avoir un groupe qui apparaît.
LFB : Est-ce que tu es quand même heureux seul sur scène ?
Jacques : Ouais, ça va. Tu sais, il y a le public et j’aime bien mon équipe technique. Je ne m’ennuie pas en tournée. Non, je suis heureux seul. Là ça commence à marcher ce que je développe depuis 3-4 ans. Donc je suis heureux. C’est une chance.
LFB : Tu parlais de choses un peu figées dans le développement. Comment tu crées de l’échange avec le public sur scène ?
Jacques : Je leur parle un peu. J’arrive comme ça, je leur parle. Il n’y a pas énormément d’échanges. C’est plus qu’ils sont témoins… C’est plus un rendu. Ils découvrent des morceaux qu’ils ne connaissent pas. Il n’y a que deux morceaux que je joue et qu’ils connaissent. Après ce ne sont que des bouts de trucs donc il faut qu’ils soient attentifs. Il ne faut pas que je les déconcentre.
LFB : Est-ce que Videochose, ça a un rapport avec Vidéodrome de David Cronenberg ?
Jacques : Ah non, je ne l’ai pas vu. J’ai hésité à mettre un nom mais comme j’arrive toujours avec mon concept pas évident pour les pro de suivre… C’était dans mon travail, je disais Vidéoshow. Je pense que ça a été bien de mettre un nom pour que les gens captent. Qu’ils captent qu’il y a encore un tournant. Parce que les pros sont un peu lents à la détente. Donc on a essayé de le faire limpide. Je pense que les gens ont capté. Je pense que le vidéoshow, c’est ce dispositif. Il va rester plus longtemps que le groupe. Je pense que là, je pars pour 5-10 ans avec ce même live. Ça ne sera pas les mêmes sons. Le dispositif est maintenant en place. Maintenant, c’est juste : combien de caméras ? Quelles vidéos ? Quels effets ? Le coeur du système va rester le même pendant longtemps. Et aussi combien de musiciens on branche ?
LFB : C’est quoi pour toi les meilleures vidéos pour créer de la musique ?
Jacques : Ce sont des vidéos qui, en un très court laps de temps, évoquent un souvenir. Un tout petit truc. J’aime bien les gros plans.
LFB : C’est l’infini qui ramène l’éternité.
Jacques : C’est le petit qui ramène l’immense. J’aime bien les gros plans. Il y a toute une vibe de films, on appelle ça l’hypercut. Le truc le plus connu, ça va être Requiem for a Dream. Quand ils prennent de la drogue, c’est déjà de la musique un peu. J’aime bien les plans comme ça. Guy Ritchie en fait pas mal. Mais à terme, ça va être des vidéos que je vais filmer moi-même. Il y a déjà pas mal de vidéos comme ça.
Crédit Photos : Célia Sachet