Le singer–songriter folk français Jeff Mailfert signe son retour en solo avec un nouvel EP pensé comme symbole du lien entre le passé et le présent de l’artiste. La Face B a discuté avec cet amoureux des grands espaces et des petits bonheurs simples, autour de son parcours et de ses aspirations à la fois personnelles et collectives.
La Face B : Salut Jeff ! Tu viens de sortir ton nouvel EP Revival. C’est déjà ton troisième EP, après le premier, Let me travel, en 2016, et Atlas en 2020 pour ton projet de duo Morgane & Jeff. Est-ce que tu peux commencer par nous parler de ton parcours musical, et ce qui t’amène aujourd’hui à revenir en solo ?
Jeff Mailfert : J’ai commencé la guitare à 16 ans, quand j’ai écouté le premier album de Paolo Nuttini. Je viens du 77, et suis monté sur Paris après le bac pour faire mes études. Là-bas, j’ai commencé à jouer dans les bars, et j’ai rencontré un autre artiste qui avait monté son label. Nous avons travaillé ensemble, et j’ai sorti avec ce label mon premier EP en 2016, Let me Travel. C’était un cinq titres, dont deux avaient été réalisés avec ce producteur-arrangeur. Par la suite, j’ai fait deux tournées, et j’ai fini par quitter le label. A la fin de cette expérience, qui s’est avérée compliquée à plusieurs égards, j’ai pris du temps pour me reconstruire et me sentir prêt à repartir dans un nouveau projet. J’ai rencontré Morgane [Gaudin] en 2017 à l’occasion d’un concert, on s’est mis à travailler ensemble, et tout s’est enchaîné. Cela m’a permis pendant près de 5 ans de défendre un projet à deux et de le gérer de A à Z, comme on n’avait pas de label. J’ai aussi beaucoup appris musicalement, notamment le travail autour des harmonies. L’aboutissement de ce projet était l’EP Atlas, sorti en 2020. Puis, pendant les confinements, j’ai décidé de revenir sur mon projet solo. Je me sentais prêt à repartir et redonner quelque chose de plus personnel, en me concentrant sur ce qui me faisait du bien et me motivait.
La Face B : Le début du Revival ?
Jeff Mailfert : Oui ! J’ai appelé l’EP Revival pour deux raisons. D’une part, cela marque mon retour à un projet solo. Pendant toute la période Covid, j’ai dû reprendre confiance, retrouver l’énergie nécessaire à mon projet, son dynamisme. J’ai composé la plupart des chansons de mon album [à venir en 2023], dont Trecolpas, premier single de l’EP, qui tire son nom d’un lac dans le Mercantour où on a fait notre première randonnée après le confinement. D’autre part, j’ai choisi de reprendre deux titres, Let me travel et Grey Sky, qui étaient sur mon premier EP en 2016, et dont j’avais envie de faire une version qui me ressemble davantage. Je suis reparti de zéro sur ces titres-là, avec mon ami Glenn Arzel.
La Face B : Et comment avez-vous retravaillé ces morceaux ?
Jeff Mailfert : Déjà, je voulais un vrai son professionnel. J’ai rencontré Glenn Arzel, qui est un multi-instrumentiste incroyable, avec qui j’ai eu un très bon feeling. On a rajouté des cordes, du banjo… Comme il habite à Lyon et moi dans le Sud, on enregistrait chacun de notre côté, puis on a été en studio à Paris pour les voix et la batterie, le mixage et le mastering.
La Face B : Dans Let me Travel, tu faisais l’éloge du voyage, de la liberté. A l’inverse, The Tribe et Trecolpas sont des chansons beaucoup plus introspectives, célébrant l’ici et maintenant, ce qui nous entoure sans avoir besoin d’aller trop loin. Est-ce que cette évolution dans tes textes reflète aussi ton évolution personnelle et intérieure ?
Jeff Mailfert : Oui, c’est bien vu. Let me travel a été la première chanson que j’ai écrite, à 18 ans, alors que j’étais au lycée dans le 77. J’ai toujours eu cette âme de vadrouilleur, et à cet âge-là, je ne rêvais que de voyager. Je ne savais pas comment l’exprimer, et la musique a été un médium pour crier cette envie. Pour apprendre des choses, je savais qu’il fallait que je parte de chez moi, aller à la rencontre de gens différents. Et effectivement The Tribe est venu plus tard, et Trecolpas encore plus tard, à la fin du premier confinement. Mes chansons reflètent vraiment mes émotions, là où j’en suis dans ma vie.
La Face B : Ta musique actuelle évoque d’ailleurs beaucoup la tranquillité, la connexion avec la nature, les plaisirs simples. Et c’est aussi comme ça que tu as construit ta vie. Tu vivais dans un van, maintenant dans une petite maison en bois. Tu dirais plutôt que ta vie est inspirée de ta musique, ou ta musique de ta vie ?
Jeff Mailfert : C’est ma musique qui permet d’extérioriser mes émotions. A la base j’étais un gamin très anxieux, dans un environnement où il faut s’en tenir à un certain schéma de vie.
La Face B : Tu avais l’impression de subir une certaine pression sociale de la part de ta famille ?
Jeff Mailfert : Pas directement, parce qu’ils m’ont toujours soutenu. Mais forcément, quand il n’y a pas d’autres musiciens dans la famille, pour des parents, avoir un gamin qui arrête ses études d’ingénieur, c’est pas commun. Mais c’était le deal qu’on avait, ils m’avaient demandé de faire des études supérieures avant de me lancer dans la musique à temps plein. Et pour revenir à ta question, au début j’exprimais beaucoup mes angoisses dans mes chansons, et maintenant que je suis arrivé à un âge plutôt cool, avec une certaine sérénité, entouré de personnes positives dans un cadre sain, j’écris des chansons sur la plénitude. Peut-être que dans le futur j’écrirai sur d’autres choses, mais pour le moment, c’est ça. Je n’ai plus besoin d’écrire des chansons de rupture, j’en ai déjà faites ! Quand j’écris des chansons c’est un peu comme si j’écrivais dans mon journal intime, mis en musique.
La Face B : Tu as dit que ton morceau Trecolpas évoquait la recherche de “la plénitude dans un monde qui souffre”. Dans ce contexte actuel de guerre en Europe, réchauffement climatique etc., on peut être pris de désespoir. Quel est pour toi le rôle de la musique et des artistes dans un tel contexte ?
Jeff Mailfert : Je pense que l’on a un rôle très important, même s’il a été minimisé durant le Covid par le gouvernement… Notre parole est importante, ne serait-ce que pour faire du bien aux gens, et apporter une vision différente de la vie. On nous dit que c’est en allant vite, en gagnant toujours plus, en dédiant notre vie au travail qu’on aura une belle vie. Mais pour moi, c’est tout l’inverse. Je suis quelqu’un de très positif, mais j’en deviens sarcastique quand je vous tout ce qu’il se passe : qu’on ne s’écoute plus les uns les autres, pas de sourires dans la rue, chacun pour sa gueule… Cela me met en colère, et ce qui me permet de rester stable c’est de retrouver la nature, me poser, prendre le temps. Après, je ne me considère pas comme un modèle, mais quand tu sens que tu ne vas pas bien, il faut avoir un endroit où se poser, et prendre conscience que la beauté est dans tout ce qui nous entoure. Cette chanson Trecolpas reprend cette idée. Après le confinement, lorsque j’ai été devant ce lac Trecolpas, où personne n’avait été pendant plus de deux mois, il y avait des chamois, des oiseaux, des marmottes. J’ai reçu énormément de messages bienveillants sur cette chanson, notamment des gens qui font de la méditation dessus, ou des gens malades à qui elle fait du bien.
La Face B : C’est vrai qu’en cette période, on peut se sentir vraiment oppressé et dépassé par les flux d’informations anxiogènes, et avoir l’impression que tout va mal. Les journées passent vite, parce qu’on essaye de faire plein de choses, et on ne prend pas le temps de faire une pause et se concentrer sur l’ici et maintenant, ce qui nous entoure. Je trouve aussi que la nature aide beaucoup à cet égard.
Jeff Mailfert : Oui, c’est très basique, mais essentiel.
La Face B : Pour revenir à ta musique : tu composes principalement en anglais. Est-ce que ce sont tes influences qui ont conditionné ce choix ?
Jeff Mailfert : J’ai toujours écouté de la musique anglo-saxonne, depuis tout petit avec mes parents : Michael Jackson, Ray Charles, Otis Redding… J’avais ça tout le temps dans mes oreilles, et je chantais en phonétique, ce qui m’a je pense permis de developper une oreille pour l’anglais. Je trouve aussi que l’anglais permet d’imager beaucoup plus facilement, alors que le français est une langue très complexe qui peut vite devenir cucul si tu ne la maitrises pas bien. Et puis comme je suis quelqu’un de pudique, ça me permet d’imager mes émotions, et ensuite les auditeurs les interprètent comme ils le veulent. Par exemple, pour exprimer un sentiment de tristesse, je vais parler de la pluie. Et je suis bien sûr aussi influencé par des artistes internationaux comme Ben Howard ou Bon Iver, c’est ça que j’écoute tout le temps. Je n’exclus pas non plus d’écrire de temps en temps en français, j’avais écrit Feuille de route pour Morgane & Jeff, et j’en suis très content.
La Face B : Est-ce que tu prévois de jouer en live dans les mois qui viennent ? As-tu déjà quelques dates de prévues? De qui vas-tu t’entourer sur scène ?
Jeff Mailfert : Vu que je bouge beaucoup, je ne peux pas toujours prendre les mêmes musiciens. J’ai ma team sur Paris : Alex, Arnaud, Glenn et Josh, avec qui j’ai joué mes deux derniers concerts. Cet été, je vais prendre mon van avec Maya, qui fait des tatouages, et notre concept c’est de faire du “tattoo-concert” dans les festivals etc. Ça marche plutôt bien, on a une vingtaine de dates cet été. Apres ça arrive que je joue sans qu’elle tatoue, ou inversement. De fin mai à début juillet, je vais tourner avec deux amis : Matt Hood et Victor Rouxel, qui lui sera aux percussions. Ça va s’appeler “Brotherhood Tour”, et on va tourner surtout dans les Landes et le Tarn. Je vais aussi jouer à Montpellier avec Quentin Kaiser, qui fait du handpan.
La Face B : Tu es un membre fondateur du collectif “Folk & Friends”. Comment est né ce collectif ? Est-ce que tu peux nous le présenter ? Comment envisages-tu son développement ?
Jeff Mailfert : C’est parti de ma rencontre avec Leo aka Pileos. On s’est rencontrés à Paris, où il organisait des soirées open mic. On a fait un petit trip avec quelques autres artistes dans un refuge dans les Vosges, en plein hiver. Le nom “Folk & Friends” est né à ce moment-là, et au départ il ne s’agissait que d’une playlist collaborative. Puis on s’est dit : pourquoi pas monter des soirées ensemble autour de la folk ? On a donc commencé en 2019 à organiser ces soirées, baptisées Folk & Friends comme notre playlist, sur le bateau El Alamein. D’autre part, faisant de la folk, je me suis dit que j’aurais peu de chances d’être signé par un label en France. J’ai donc pris exemple sur le milieu du rap dans les années 2000 : les artistes ont monté un maximum de labels et cette émulation a aidé ce style de musique à se developper en France. Leo m’a proposé que l’on monte un label de folk ensemble. L’idée c’était de faire un collectif d’artistes, monter des projets communs et s’entraider. Cela a mis 2 ans à se structurer, et là je suis en train de faire valider les statuts. Entre temps, on s’est entourés d’autres artistes : Bobbie, Greg Novan, Peter Deaves, The Yokel, Telegraph, Hugo Barriol, Romy Ryan James, Tiger and The Homertons, et Caravelle. On est partis tous ensemble en Ardèche en 2020, et on est restés près de deux mois ensemble, dans la nature, à composer. On a enregistré un EP qui verra le jour bientôt, et ce qu’on a appelé les “Valley Sessions », quand un artiste / groupe du collectif reprend une chanson d’un autre artiste du collectif, tirée au sort. Ces sessions ont été filmées et sortent progressivement. Aux soirées Folk & Friends, tous les premiers jeudis du mois, on invite un artiste du collectif ainsi que trois artistes “spotlight” dont on veut faire découvrir les compositions. Mon souhait, c’est que Folk & Friends devienne un point focal de la folk en France, pour les musiciens mais aussi les photographes et vidéastes.
La Face B : Et concrètement, une fois que le label sera finalisé, les artistes folks qui le souhaiteront pourront postuler pour en faire partie ?
Jeff Mailfert : On est en train d’y réfléchir. Je ne peux pas me lancer dans la production d’artistes, j’ai déjà beaucoup de travail sur mon propre projet. Mais pour le moment, si un artiste a besoin d’un musicien sur un morceau, ou de direction artistique, on peut aider. On se pose aussi la question d’ouvrir une asso en parallèle. Tout l’argent gagné par le collectif doit en tout cas servir à des projets communs, pourquoi pas un festival à l’avenir. On organise aussi des apéros les mardis à Paris, où tout le monde est le bienvenu pour discuter et en apprendre plus sur nos activités.
La Face B : Le message est passé ! Pour finir, est-ce que tu pourrais nous donner quelques noms d’artistes ou de morceaux que tu écoutes en ce moment et que tu voudrais conseiller aux gens ?
Jeff Mailfert : En ce moment j’écoute énormément RYX, qui fait des chansons très aériennes avec de la guitare classique et des sons électroniques derrière. C’est un peu dans cette direction que je vais aussi. Il va sortir un nouvel album bientôt. Je reviens aussi toujours aux fondamentaux, comme Ray la Montagne. Et j’écoute aussi pas mal de soul-blues, dont un groupe australien qui s’appelle les Teskey Brothers.