Après avoir semé l’anarchie douce sur les ondes avec Tokebakicitte et consolidé son culte avec Antigéographiquement, Jérôme 50 revient le poing levé et le cœur en vrac. Avec Anarcolique, son troisième album, il pousse sa verve libertaire dans les coins les plus bruyants du ska-punk et signe un manifeste festif à hurler entre deux moshpits et une 50 tiède. Un disque à vivre, plus qu’à écouter — et surtout, à brailler en gang, dans la sueur des salles et des festivals.

Un virage ska-punk trash et frontal
Il y a quelque chose de viscéralement live dans Anarcolique. Ce n’est pas un album à écouter à travers des écouteurs hi-fi ou à analyser dans un salon feutré — c’est un disque de bras en l’air, de coude dans les côtes et de cris lancés à gorge pleine. Jérôme 50, fidèle à son irrévérence poétique, signe un disque trash, tendre et tapageur, qui s’inscrit dans la veine punk québécoise à la façon d’un croisement entre Mononc’ Serge, Plume Latraverse et les Vulgaires Machins.
Les cuivres sont là, les chœurs à gueule-de-bière aussi. Et ce virage ska-punk ne vient pas de nulle part : La plus belle fille du moshpit, en début d’album, est un hommage plein d’adrénaline à une punk de Hochelaga, shootée aux Ramones et aux shows de Québec Redneck Bluegrass Project. On y retrouve les marques de Jérôme 50 : tendresse tordue, portrait au couteau, et une maîtrise impeccable du crescendo dans les refrains.
La politique, en gueulant et en riant
Derrière les blagues sales et les gorgées de Tremblay, Anarcolique est aussi un brûlot politique. L’artiste y dénonce les faux-semblants d’une gauche élitiste (Roche papier ciseau), les dérives du capitalisme de confort (Le pauvre riche), les traumas de l’enfance institutionnelle sur l’air de la comptine du Petit Prince (Fuck you mon ostie), ou encore les hypocrisies de l’Église (Ode à l’église, véritable catharsis blasphématoire). L’ironie est acide, mais jamais gratuite : chaque éclat de rire cache une brûlure.
Dans Chanson dont vous êtes le héros, morceau fleuve de huit minutes coécrit avec Julie Marcotte, il se livre à une fable anarchiste presque théâtrale saupoudrée de choeurs d’enfants, où les utopies s’embrassent, se déchirent et finissent dans un pogo existentiel. C’est un Jérôme 50 plus politisé que jamais, sans filtre, sans détour — qui crie plus fort que le cynisme ambiant.


De la rue à la scène : l’évolution d’un chilleur devenu leader
Anarcolique, c’est aussi un album de bilan. Dans la chanson-titre, Jérôme 50 revisite ses débuts de musicien de rue, ses amitiés fracassées, sa relation trouble au succès, à la sobriété, au Québec touristique qu’il observe avec amertume. On y retrouve une tendresse désabusée pour ses premiers bands et pour les laissés-pour-compte qui peuplent ses textes. Il y a du vécu, du vrai, et surtout cette distance ironique qui évite toujours le pathos.
Là où La hiérarchill célébrait le chillage comme une philosophie de vie, et où Antigéographiquement s’attardait à la marge territoriale et affective, Anarcolique donne un grand coup de pied dans la fourmilière, à coups de slogans punk et de solos ska. Le chill est devenu militant, le sarcasme est devenu arme.
Un album pour pogoter, pas pour méditer
On ne ressort pas indemne de Anarcolique. On en ressort décoiffé, un peu soulevé par le tourbillon de mots, de beats, de malaises qui crient trop fort pour être ignorés. C’est un album qui prend son sens dans le collectif, dans le corps, dans la foule. Jérôme 50 ne cherche pas la perfection — il cherche l’impact.
Et il réussit : sur scène, on imagine déjà les bières voler, les bodies surfer, les cœurs se serrer sur les refrains malades. C’est un album qui se vit au chaud, collé aux autres, les pieds sales et le sourire en sang. Anarcolique, c’est peut-être ça, au fond : une défonce joyeuse contre un monde qui étouffe.