Les arbres se dénudent, les doudounes remplacent les vestes et les bières en terrasse se transforment en cafés au coin du feu, l’automne est officiellement là. Une magnifique saison qui peut cacher beaucoup d’incertitude et amener pas mal de questions. Une période où l’on fait le point, ce qu’a parfaitement compris Jewel Usain avec Où les garçons grandissent. Le Parisien dresse un certain bilan de son évolution personnel et artistique à travers 17 titres d’une grande sincérité. Il s’engage cette fois dans une voie encore plus lyrics, tout en innovant et s’entourant d’invités de génies.
Voyage entre prise de conscience et confiance
“La dernière fois que je sortais un projet je sauvais la fille sur la pochette…” sont les tous premiers mots de Où les garçons grandissent. Ils permettent de restituer la situation dans laquelle nous avait laissé Jewel Usain avec Mode difficile. Le Parisien revient sur ce précédent projet en expliquant un certain changement de statut, tout en envoyant un clin d’œil amer à son ancien taffe. Compliqué est une intro parfaite pour se plonger dans ce vrai tout premier album. Entre introspection et ambition, ce morceau indique le niveau et les différents sujets que va parcourir le rappeur pendant les prochaines 51 minutes.
Une certaine prise de conscience se fait ressentir tout au long de l’album. Tout d’abord au sujet de la technique. Le rappeur n’a plus besoin de sortir des singles bien techniques, bien kickés comme il sait le faire. Il est également certain, aujourd’hui, qu’il est fait pour la musique. Les moments d’incertitudes font place à de réelles ambitions. Il est conscient que cet album ne va pas lui ouvrir les portes de la cours des grands. Mais ici, le but est de se livrer. C’est sans doute une des raisons pour laquelle il a réalisé une tournée d’écoutes dans plusieurs villes. Une envie ici de se construire un vrai public, qui le comprend, et avec lequel il peut communiquer.
L’enchaînement des interludes (Skit : l’Ancien et Skit : La Licorne) entrecoupé par Eleanor fait terriblement penser à cette obsession de Jewel Usain pour l’argent. Il illustre cette course au portefeuille plein avec l’Eleanor, voiture légendaire que tout le monde convoite mélangée à cette idée de licorne, créature mythique, mais inaccessible. Cette fois, le rappeur adopte une tout autre relation avec l’argent. Fatigué de courir après un portefeuille plein, il se rend compte que le bonheur se trouve peut-être ailleurs. Idée exprimée dans Le Biff part.2, où l’on entend un Jewel Usain se noyant dans ce cercle vicieux de la poursuite de richesse. Il en prend pleinement conscience avec Tuerie dans New Slave + avec ce refrain criant de vérité « Je me sens déjà esclave de mon oseille ». Un signe qui montre un changement de statut, mais surtout, un symbole de maturité.
Une maturité trouvée peut-être dans le fait d’être papa. De la magnifique pochette (réalisée par alegria_blue), aux nombreuses références, jusqu’à les entendre sur Turquoise, par Saintdoss, l’album est un bon moyen de comprendre comment l’arrivée de ses deux fils a changé la vie du rappeur. Il s’ouvre à son public, mais également à ses enfants, et exprime ce qu’il ne pourrait peut-être pas leur dire directement… Malgré la présence de gros mots! (Cf. Son excellente interview sur La Pépite)
Comment ne pas mentionner Où les garçons grandissent en parlant de cette évolution musicale ? L’artiste s’essaye à de nouveaux styles, passant par du chant sur Turquoise, par Saintdoss et Grand, des touches de rn&b avec Pastille bleue ou des inspirations de gospel sur New Slave +, il propose une véritable palette de musicalité. N’ayant plus rien à prouver dans l’exercice du kick, il rappelle toutefois qu’il maîtrise cet art à la perfection avec les morceaux Eleanor, The Hustler’s Book, Les journées se ressemblent ou encore Compliqué où il enchaîne punchs et paroles aiguisées. Jewel Usain voulait un album 100% honnête, qui lui ressemble réellement. Un mélange de style logique pour un amoureux de musique tel que lui.
Un casting 5 étoiles
En tant que projet introspectif et honnête, le rappeur s’est entouré de personnes qu’il apprécie. En plus de 10 ans de carrières, il a eu la chance de se construire un entourage aussi talentueux qu’important. Il se joint d’abord avec le musicien Béesau pour la composition de Où les garçons grandissent. Une collaboration qui a permis d’apporter un certain corps artistique au projet en ajoutant de nombreux instruments organiques. Une présence directe sur le titre Incapable, où le trompettiste, accompagné du chanteur – compositeur Hedges, se lance dans une mélodie aérienne et accrocheuse.
Une fois la composition dans les mains de ce créateur de génie, Jewel Usain a fait appel à deux vétérans du rap français. Il accueille tout d’abord Prince Wally dans un passe-passe puissant avec Eleanor. Une collaboration où les deux artistes montrent leur facilité dans la technique, l’égotrip et un rap aiguisé. Ensuite, auteur d’une année 2023 presque parfaite avec notamment son album Papillon Monarque, Tuerie est le deuxième invité de marque du projet. Il débarque avec son style planant, apportant ce petit côté gospel / chantant sur New Slave +.
Quand un album commence aussi bien avec un titre aussi percutant que Compliqué, il faut le terminer avec autant de punch. Heureusement, Bleu marine remplit ce rôle à merveille. Il résume à lui seul l’intégralité du projet. Il mélange d’abord cette dualité musicale, avec une partie de rap énervé et une autre beaucoup plus chantante et aérienne. Dans un unique couplet puissant, Jewel Usain démontre une dernière fois son talent de poète et de kickeur, en nous laissant avec une instru géniale, qui l’a accompagné sur tout l’album. Ce projet est un véritable voyage dans une vie d’un artiste bourré de talent, formé à travers des expériences qui lui ont permis de grandir, et de s’apaiser. Où les garçons grandissent est sans aucun doute un des projets immanquables de cette année, et surtout la consécration d’un artiste qui n’a presque plus rien a prouvé.