Johnny Jane : « La musique c’est une façon de fouiller en soi »

Un débit mitraillette et une sincérité rafraîchissante, voilà ce qu’on pourrait retenir de notre entretien avec Johnny Jane. On a longuement échangé avec le musicien orléanais, de la création de son excellent premier album, Attitude(s). On a notamment parlé de personnage, du fait de venir de province, de garder sa spontanéité, de chercher le sublime et d’accepter les influences (et parfois le plagiat) au sein de sa propre musique.

La Face B : Comment ça va ?

Johnny Jane : Ça va et toi ?

LFB : Ça va bien. Tu as commencé ta tournée il y a quelques temps. Je me demandais comment tu vivais la rencontre avec ton vrai public ? Les gens qui viennent vraiment te voir toi, en dehors de Paris ?

Johnny Jane : C’est une vraie satisfaction. Le mot gloire est exagéré mais ça vaut plus que tous les chiffres. Parfois, tu vois des chiffres tomber. Quand tu fais à Montpellier 300 personnes, tu te dis « ah c’est bien quand même ». Il y a 300 personnes qui chantent tes paroles alors que tu n’es jamais allé dans cette ville. À Bordeaux, Lyon ou même à Roubaix. Franchement, c’est une expérience totalement différente. C’est la plus grande réussite dans ma musique. Voir qu’il y avait la même énergie qu’à la Gaîté Lyrique à Lyon avec 700-800 personnes, ah ouais.

LFB : Sortir du milieu en fait.

Johnny Jane : Ouais, tu sors du milieu, ça parle aux gens. Il y a une connexion. C’est dingue. Grande claque. Même j’ai des amis qui m’ont dit que quand tu vas dans une ville et que ça se passe bien, souvent les gens reviennent. Tu crées un lien avec une ville. Les gens en parlent. J’ai hâte d’y retourner, ça donne envie de le refaire.

LFB : Le fait que tu sois désormais avec un groupe, qu’est-ce que ça a changé pour toi ?

Johnny Jane : C’est la même chose. C’est une sorte de rencontre mais là, pour le coup avec des musiciens. J’adore parce que je suis avec des gens qui sont assez entreprenants musicalement, qui ont un gros niveau. Entreprenants dans le sens où ils vont prendre des risques, me proposer des choses. Alex va me proposer un SPD sur scène qui va faire qu’il va reprendre de la musique électronique à la batterie. Ils sont force de proposition. On rajoute des boucles à des moments, on tente des trucs. Ça me sort de ma zone de confort. Après, être seul c’est déjà sortir de sa zone de confort parce qu’être seul sur scène, c’est vraiment dur. Mais là, avec un groupe, à la fois ça me rassure et à la fois, ça crée un autre danger que j’aime bien aussi. Ce sont deux choses ultra différentes. Je trouve ça cool en vrai.

LFB : Ton album est sorti il y a un mois et demi. Si je te dis que la pochette de l’album me fait flipper, est-ce que tu prends ça pour un compliment ?

Johnny Jane : Oui, je comprends.

LFB : Ce n’est pas qu’elle me fait flipper. Ça m’a fait penser à American Psycho.

Johnny Jane : Oui. Ce n’était pas du tout le but premier. Interpeller était le but premier. Il y a certaines personnes qui trouvent ça flippant. Ce que j’entends grave mais ce n’était pas le but premier. Je pense que c’était de conserver le masque. À la fois de faire comme une photographie d’identité, d’avoir un truc très classique dans le format. La couleur de fond très légère. Le bleu est le bleu ciel, référence à Gainsbourg. Mais c’était vraiment un truc assez classique. Le masque était censé être une sorte de distance très fine mais qui était quand même présente.

LFB : Ça continue à jouer le décalage constant entre Johnny Jane et la personne qu’il y a derrière.

Johnny Jane : Toujours. Je pense que ça sera toujours un peu comme ça.

LFB : C’est ça qui est intéressant. Il y a un peu ce puzzle de qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui est de l’ordre du fantasme.

Johnny Jane : C’est mon grand truc. J’adore ça, même dans mes musiques, on se demande qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? Il y a des moments où je laisse des pièces de vérité. Tu m’as parlé tout à l’heure d’American Psycho, je pense que c’est absolument vrai. J’aime bien de manière générale, même dans Bbye, il y a plein de gens qui m’ont dit que c’était vachement solaire et qui n’ont pas forcément compris la seconde lecture qu’il y avait sur ce son. Mais j’aime bien laisser des pièces comme ça, j’aime bien ne pas être évident.

LFB : J’ai l’impression que Bbye parle de suicide par moments.

Johnny Jane : Ça parle d’addiction, d’états seconds, d’un bleu artificiel. C’est vrai qu’à un moment je me suis dit que ça aurait été énorme de faire un clip dans un solarium. Tu sais les cabines solaires pour le bronzage. Un truc en mode, c’est du faux. Tu bronzes. Pour moi, c’est ça Bbye, le faux ciel bleu, le truc artificiel. Mais les gens le prennent premier degré, disent que c’est trop bien, que c’est un son d’été. J’adore que les gens le prennent comme ça mais en concert, il y a des gens qui me disent qu’ils captent que c’est un peu deep.

LFB : Il est un peu darkos. Mais c’est toujours ça.

Johnny Jane : J’aime bien jouer là-dessus. C’est intéressant.

LFB : La dernière fois qu’on s’est vus, tu t’apprêtais à sortir Normal. Je me demandais si ce morceau n’avait pas en quelque sorte défini un peu un style que tu cherchais à atteindre ?

Johnny Jane : Si je suis sincère, je pense que Normal, là où Kleenex est le terrain, Normal c’est les fondations et le ciment du truc. Attitude(s), c’est encore autre chose. Je pense qu’avec Attitude(s), on a atteint ce que Normal n’a pas atteint, un truc un peu entre-deux électronique machin. C’est un morceau qui finalement est dans sa maladresse, même dans le texte, c’est aussi parfois fait sur un coup de tête, c’est peu contrôlé. C’est le morceau que j’ai fait le plus vite dans ma vie. Ma maladresse a amené quelque chose de nouveau. Ou après dans Attitude(s), on a beaucoup, beaucoup bossé. Justine par exemple.

LFB : Ce sont les deux seuls morceaux que tu as gardé d’avant sur l’album. J’ai l’impression que ce sont des fondations comme tu le dis. C’est un peu un bourgeon de fleur qui était en train d’éclore et qui a mené à Attitude(s).

Johnny Jane : C’est ça qui est intéressant aussi quand tu es artiste, tu n’es pas obligé de subir le son que la maison de disque veut mettre en valeur. Tu peux aussi choisir. J’ai choisi Kleenex parce que je trouvais que c’était celui qui était le plus intemporel et j’ai choisi Normal qui était plus intemporel. Parce que dans mes EPs, il y a avait des trucs comme Hier soir, Zéro, Dans mon corps qui étaient des choses intéressantes mais qui restent plus anecdotiques finalement quand tu les compares à Kleenex ou Normal qui restent des sons où je trouve que j’avais atteint ce que je voulais le plus trouver au niveau de l’arrangement dans chaque EP.

On sent l’évolution. Dans JTM, il y a un truc très pop et il y a un embryon très rock. Dans Désordres, il y a totalement un truc où on s’embarque vers le rock et dans Attitude(s), il y a un rock qui revient à un truc électronique mais plus french touch. À chaque truc, il y a une évolution mais chaque projet amène l’autre. C’est bien aussi je trouve dans un projet de laisser des traces de ce qui a amené ça.

LFB : Est-ce que ce sont des morceaux que tu as pensé à retravailler pour coller à l’album ou tu les as laissés bruts comme ils étaient ?

Johnny Jane : Non, je trouve qu’ils collaient déjà à l’album. Je n’ai pas pris encore de virage. Le seul virage que j’ai pris, c’est Les lois de l’univers. C’est vraiment le son où j’ai pris des risques énormes en faisant un son où je prends de l’orgue d’église, deux voix. Une voix grave saturée, une voix overdrive en aigu. Je crie. C’est le son où j’ai pris le plus de risques largement. 1998, c’est un son finalement qui ressemble à Hier soir. Le texte est différent parce qu’il parle de mon enfance et de mon adolescence à Orléans, dans une ville de Province.

Mais sinon, si tu regardes bien, je n’ai pas pris de virage encore énorme, donc je pouvais encore être dans l’identité de Kleenex et Normal. Puisque je n’ai pas fait ce choix comme d’autres artistes ont pu le faire où tu changes tout et ton album d’avant ne colle pas avec le nouveau. Là, moi ce n’est pas trop mon cas.

LFB : Quand tu parles des Lois de l’univers, peut-être que ça n’a pas été pensé mais j’ai l’impression que c’est un morceau qui est fait pour être une ouverture. Il y a cette montée, truc qui part et comme tu le dis, il y a un peu une mise au point qui est hyper importante. C’est un morceau qui est fait pour accrocher l’auditeur dès le départ en fait.

Johnny Jane : Oui. Je me suis inspiré de plein de trucs. Il y a des trucs qui viennent de Johnny Halliday, de Polnareff. Il ne peut pas aller dans JTM ou Désordres, il n’a pas sa place là-dedans. Alors que par contre, tous les autres sons, même Another love story qui est un son en anglais, peuvent rentrer dans JTM ou dans Désordres. Il y a des risques un petit peu comme ça dans mes EPs. J’ai toujours pris des risques, j’ai toujours aimé me balader un peu. Dans JTM, il y a kny qui est un son assez chelou. Dans Désordres, c’est plus Dans mon corps. Ça reste des sons un peu plus étranges.

LFB : Tu parlais de 1998 qui termine l’album. Est-ce que tu avais besoin de faire un morceau qui permettait aussi d’évacuer certains stéréotypes qu’on pouvait coller à ta musique et au personnage de Johnny Jane ? Je trouve que c’est le morceau qui est le plus premier degré et le plus sans-filtre de l’album.

Johnny Jane : De ouf. C’est vrai.

LFB : Quand on parle de ta musique, les gens parlent d’alcool, de fête. Je trouve que ce morceau annonce aussi autre chose.

Johnny Jane : Il n’y a pas que ça et ça vient de quelque part aussi tout ça. Bien sûr. C’est le morceau que parfois même en live je n’arrive pas à finir tellement je suis ému. En plus, en live, tu as les basses qui sonnent dans ta tête et tout ça. Je me rappelle d’où je viens parce que c’est hyper important dans ma conception.

LFB : Je trouve qu’il y a une colère dans l’interprétation aussi, qu’il n’y a pas forcément dans le reste de l’album, à part sur Les Lois de l’univers.

Johnny Jane : C’est aussi la chance de faire un premier album. Quand tu fais un EP, c’est quatre-six titres max. Mais là du coup, de pouvoir faire un album long, un long format de 40-45 minutes, je me suis dit que j’avais le droit de faire une vraie intro et une vraie outro. Donc là, c’est totalement libre. Tu fais ce que tu veux. Du coup, je me suis dit orgue d’église, voix trafiquées, ça part en vrille. Outro pareil, on commence avec une guitare reverse avec une reverb de salle de bain. On se laisse totalement aller. C’est ça qui est trop bien aussi. Donc forcément, dans ces moments de pleine liberté, peut-être que mes textes reflètent aussi quelque chose de totalement déconstruit. Mais c’est vrai que 1998 dénote. Je sais que des gens ont découvert des choses aussi. Il y a des gens qui m’ont découvert avec Kleenex, d’autres avec Normal, d’autres même encore après et qui écoutent 1998 et qui disent qu’ils comprennent. J’aime bien. Ça sème le doute, la pagaille.

LFB : Ça colle parfaitement au titre de l’album. Attitude(s), c’est exactement ça. C’est un album avec des attitudes. Il y a le morceau mais aussi des attitudes dans les interprétations, dans la couleur musicale que tu vas présenter.

Johnny Jane : Il y a quelque chose de pluriel. Toujours. Tu avais dit « le colosse aux pieds d’argile ». C’est peut-être ça aussi la pochette. Le masque : la rigidité et finalement derrière, on ne sait pas ce qu’il se passe. C’est ça et ça a toujours été le projet. Il y a une attitude devant mais il y a aussi des choses derrière. Ça correspond aussi à toutes ces parties de moi que je montre ou que je ne montre pas.

LFB : Le masque social, la représentation.

Johnny Jane : Je suis totalement là-dedans. On peut parler de plein de trucs comme ça qui sont hyper intéressants et où je suis tombé dedans. La musique, c’est aussi une façon de fouiller en soi-même ou en tout cas de se chercher. Il y a un truc de thérapie dans la musique je trouve. Quand j’écris des textes et que je chante, c’est aussi quelque chose de thérapeutique.

LFB : Ce qu’il y a de fou, c’est que j’ai l’impression que ton public est beaucoup plus large que ce qu’on voudrait bien nous faire penser.

Johnny Jane : Ouais, j’ai remarqué ça. À Cabourg il y a un an, une meuf est venue me voir, assez jeune, et me demande de faire une photo et elle a appelé son père pour qu’il vienne sur la photo. C’était pour les trois. Ça m’a toujours fait rire. J’ai reçu beaucoup de messages, des gens qui me disent qu’ils viennent à l’Olympia avec leurs parents. Il y a un truc où ça rassemble les générations. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être que c’est parce que mes textes sont finalement actuels, ou en tout cas intemporels et que les choix instrumentaux et d’arrangements font référence à des trucs d’époque. Rien à voir avec l’hyperpop, etc. Là où je pense que mes parents ne pourraient pas écouter KALIKA parce que les trucs qu’elle écrit sont très similaires aux miens mais ma façon d’appliquer les textes est plus un truc vintage donc ça peut plaire à des gens plus âgés.

LFB : Il y a cette idée de respecter une certaine idée de la tradition de la chanson française tout en l’appliquant à une formule avec une passion pour le rock anglo-saxon et la musique électronique.

Johnny Jane : Bien sûr. C’est aussi un grand truc en moi mais je n’ai jamais cherché à être singulier. Ce n’est vraiment pas une recherche dans ma musique. Jamais. Je n’ai jamais eu peur du mot plagiat par exemple. J’ai l’un de mes meilleurs potes Clovis qui fait mes clips, lui niveau image c’est sa plus grande peur, qu’on lui dise que ce plan-là ressemble à un truc déjà vu. Là où j’ai l’impression que moi, ça n’a jamais été une peur et au contraire, je suis content quand on me dit que ça ressemble aux Strokes ou à Tellier.

LFB : Si je te dis que Justine ça me fait beaucoup penser à Casablancas, ça ne va pas te gêner ?

Johnny Jane : Bien sûr. Les couplets de Justine font beaucoup penser à Odezenne. Moi, c’est totalement assumé et il n’y a pas de souci. En tout cas, je trouve ça ultra important de comprendre la trace de ce qu’il y a dans ta musique, que ça parle à des gens. Moi je pense que je serai toujours issu de quelque chose et je ne suis pas dans la recherche constante de nouveauté, là où parfois je trouve que c’est une perte de temps. Tu cours toujours après un truc. C’est plein de feux de paille. Je trouve que se dire qu’il faut que j’aie une chanson qui soit puissante avec un piano/voix ou un guitare/voix, c’est un exercice qui pour moi est plus dur. Après évidemment que je prends des risques, comme Une fleur qui est une chanson hyper pop, je m’amuse. Les gens comprennent ou ne comprennent pas, c’est différent mais en vrai, ce n’est pas le son de l’album qui est le plus mis en avant.

LFB : C’est intéressant parce qu’il y a vraiment cette idée de vivre la musique comme un Provincial mais pas comme un Parisien. D’éviter la posture.

Johnny Jane : Bien sûr. Ça pour le coup, c’est un truc dont j’ai vachement parlé avec Zed Yun Pavarotti. Même quand j’écoute Walace Cleaver, je le sens. Ce sont des artistes que j’ai pu rencontrer qui sont dans ce combat-là. C’est limite un combat chez eux de dire que ce sont des artistes et qu’ils ne sont pas de Paris. On n’a pas ce truc qu’ils ont de cette évidence. Après, je n’ai aucune haine contre les artistes parisiens, il n’y a pas de souci mais je sens que je ne fais pas partie de ce club-là et je ne cherche pas à en être. Quand des parisiens m’ont dit plusieurs fois que 1998, c’est un truc beauf, je leur ai répondu que c’était pour ça que je le sortais. Quand je vois que mes potes d’Orléans, cette musique les a grave touchés. La première fois que je l’ai jouée, c’était à l’Astrolab à Orléans, c’était légendaire. Toute la salle était folle. Et là, je sais d’où je viens.

LFB : Je pense que c’est aussi pour ça que c’est un morceau qui me marque peut-être plus que les autres. Quand tu es à Paris, il y a beaucoup de gens qui effacent leur origine, leur accent pour se fondre dans un moule qui ne leur correspond pas forcément.

Johnny Jane : Par exemple, c’est con, à Motorbass, il y a Antoine qui vient des Vosges et c’est tout ce que j’aime dans la vie. Il vient des Vosges, il a 25 ans, dans la vie il est paumé, il fume que des joints et il boit, il est fan de Philippe Zdar. Il prend un train, il reste 48h devant Motorbass. À un moment, il voit Philippe, lui dit qu’il est fan de ce qu’il fait et veut bosser là-bas. Philippe, tellement touché parce qu’il vient de province, le prend en stage, il le forme en un an avant qu’il décède et Antoine reprend Motorbass. C’est pour ça qu’avec Antoine, on s’est vachement entendus en faisant l’album, parce qu’on se comprenait. On savait d’où on venait. Il comprenait tout ce que je disais. C’était trop bien. C’est important de le partager parfois avec des artistes qui comprennent ça.

LFB : Ça aussi, ça va bien avec le titre de l’album. J’ai l’impression que tu t’es plus ouvert aux autres. Je me demandais si aller chercher des gens pour te donner un point de vue différent sur ta musique, ça t’avait aidé à l’amener plus haut ?

Johnny Jane : Je pense qu’il y a des gens qui m’ont donné confiance dans le risque. Parfois, tu fais des trucs où tu te dis que si tu fais un son en anglais, c’est ridicule par exemple. Ou si je fais un son avec de l’orgue d’église et que je crie, c’est ridicule. Ou si je dis dans un texte : « une brochette de cons », c’est ridicule. Mais quand j’ai réussi à comprendre que j’ai rencontré des gens qui m’ont dit que si c’était d’une sincérité absolue, ce n’est pas ridicule. Donc le chant en anglais, je le fais parce qu’effectivement c’est vrai, je suis en soirée, je rencontre une pote de pote qui est anglaise, je commence à faire ce truc de guitare avec du yaourt dessus et elle commence à chanter en anglais et moi aussi. On écrit ensemble et voilà. Ce truc de risque, c’est vraiment dû aux rencontres. Lâcher prise par rapport à certaines idées préconçues. Et en vrai, je n’ai jamais été aussi bien de ma vie de manière globale. Je suis hyper en phase avec ce que je fais. Je suis hyper content de la sortie et de tout ce qu’il se passe. J’ai fait ce que j’avais à faire. Je suis trop content des risques que j’ai pris, des compromis que j’ai faits.

LFB : Tu parles de ces deux morceaux-là depuis tout à l’heure. Je trouve que ce sont un peu deux morceaux qui tranchent dans l’album justement.

Johnny Jane : Another love story et Une fleur ?

LFB : Ouais. Une fleur, je trouve qu’il ne tranche pas forcément dans la prod’ mais dans le texte aussi, il y a un truc un peu onirique bizarre.

Johnny Jane : C’est de l’impro mais c’est rigolo. J’avais besoin aussi de cette touche d’absurde.

LFB : Ce qui continue à driver ta musique aussi, c’est ce besoin de capturer la spontanéité.

Johnny Jane : Ouais. J’étais hier avec Adé en studio, on discutait de ça et elle me disait qu’elle quand elle écrivait par exemple, elle avait des heures de réflexion sur le thème, puis des heures sur les mots. Moi, l’album m’a pris quatre heures d’écriture au max. Mais par contre, quand j’ai un début de son, comme par exemple Justine, j’ai ma boucle, j’ai le refrain, et les couplets viennent tout seul. Ça, c’est trop bien. C’est spontané. Évidemment que c’est maladroit dans plein de sons. Mais je trouve que cette maladresse me correspond et j’aime bien. Ça ne me fait pas peur.

LFB : Il y a quand même une recherche hyper ambitieuse dans le son sur tout l’album.

Johnny Jane : C’est ultra important pour moi. J’adore. C’est trop bien de chercher le meilleur son. Quand on a fait l’intro de Justine Martin Lefebvre est le plus grand génie de la musique que je connaisse. Antoine Poyeton c’est le bosseur déterminé. Pierre Juarez et Romain Dupont , ce sont les mecs les plus pragmatiques et les plus logiques dans la musique, qui sont des mathématiciens hors pairs et qui comprennent tout dans la musique et Martin, c’est un magicien. À un moment, on est sur Justine et on fait le fameux solo de la fin. J’ai toutes les notes de la musique, je le joue et ça ne marche pas. Martin vient pour Bbye mais vu qu’on est en retard sur Justine, on galère. Il arrive, écoute une fois, le fait une fois et c’était ça. On l’a gardé. C’est fou. Ça en studio, ces moments-là, c’est magique.

LFB : C’est capturer le sublime.

Johnny Jane: L’orgue des Lois de l’univers, on a passé des heures dessus à trouver le meilleur orgue et à un moment, on écoute la démo, on s’est dit que c’était celui-là et en fait c’était l’orgue de démo qu’on avait fait qui était le plus bête. Au bout de six heures de recherches, on prend le truc le plus simple, c’est rigolo. Parfois le truc le plus spontané, c’est ça.

LFB : Maintenant que tu le joues en live et que l’album ne t’appartient plus, est-ce que tu as l’impression qu’Attitude(s), ça marque aussi la fin d’une espèce de chapitre pour Johnny Jane ?

Johnny Jane : Totalement. Très bien dit.

LFB : J’ai l’impression que 1998 est aussi là pour dire que tu fermes la porte à un truc.

Johnny Jane : Les paroles de la fin du couplet sont « si je n’avais pas fait tous ces choix, je ne serais jamais arrivé là. J’aurais peut-être jamais écrit mes meilleures chansons ». Je laisse la porte ouverte au futur mais c’est vrai qu’il y a une boucle qui est fermée. Je trouve qu’il y a eu JTM, Désordres, Attitude(s), qui vont ensemble et la suite. Quelle est-elle ? Je ne sais pas mais j’adore laisser ce truc flou. Même en moi, en vrai j’avais toujours rêvé de faire une chanson d’amour sur quelqu’un très précise. J’ai fait Justine, j’ai fait un son avec un orgue d’église. J’ai toujours rêvé de faire un son qui parle de mon enfance à Orléans, je l’ai fait. Un peu tous mes objectifs de musique, je les ai faits. C’est en vivant que je vais ressentir les prochains.

LFB : Il faut revivre pour refaire quelque chose.

Johnny Jane : Il faut que je fasse des rencontres parce qu’il y a des gens qui sont hyper inspirants. La dernière fois, à Motorbass, tu croises Tellier et tu vois que tu as une image qui est l’artiste complet, total et en fait, il arrive, il est défoncé et il joue à Candy Crush. Ça veut juste dire que parfois, il ne faut pas chercher non plus toujours la précision. Parfois il faut juste aussi se perdre dans des moments de vie et après d’un coup, tu vas au studio et tout se passe de manière très spontanée.

LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour le futur ?

Johnny Jane : Un beau concert ce soir. Après je ne sais pas. Il y a l’Olympia. On est en train de préparer un truc de malade avec une scéno de fou. J’avoue que l’Olympia, encore plus que l’album, c’est une sorte de boucle qui se finit en moi. Quand j’étais petit, je me disais que je voulais faire l’Olympia. Là, j’ai 26 ans, je vais le faire.

LFB : Tu t’attendais à ce que ça aille aussi vite ?

Johnny Jane : Non. On verra mais l’Olympia, je pense qu’on a rempli bien plus de la moitié. C’est assez ouf. Ça avec un public. Axelle, mon batteur qui joue avec beaucoup de groupes, me le dit : j’ai un public. Des gens qui m’écoutent et qui comprennent la musique que je propose. Ils sont bienveillants, ils sont gentils. Je ne pensais pas.

Pour chaque date, je me disais que ça allait être compliqué de remplir mais la Maroquinerie, une semaine avant c’est complet. La Gaîté Lyrique, deux semaines avant c’est complet. La Cigale, un mois avant c’est complet. C’est quoi ce délire ? J’ai l’impression pour l’instant de ne pas faire tant de compromis que ça dans ma vie et ça c’est super. Parfois, je parle avec des gens dans la musique qui me disent qu’ils ont fait des compromis de fou, ils sont malheureux. Là, c’est la 3-4ème fois qu’on se voit et je trouve que c’est merveilleux de faire ça.

Je le dis toujours et il faut le rappeler, mon groupe référence, ça reste Odezenne. Ce sont des boss. Pour moi, ce sont des héros. Ils ont un rapport à la musique tellement sain. C’est vraiment sain. C’est beau, ils viennent de Bordeaux, ils ne sont pas de Paris, ça se voit, ça se sent. Ils ont ce truc naturel. Ils sont entre potes depuis le collège. Quand j’avais fait une première partie avec eux, j’arrive il est 16h, on discute et je vois que ce sont des mecs comme moi mais ils ont cette magie de n’avoir jamais cherché à être d’autres hommes.

LFB : Ils n’ont jamais fait de compromis non plus.

Johnny Jane : Ils n’ont jamais cherché à être un autre groupe qu’eux-mêmes. Ça c’est le truc que j’admire le plus dans la musique. Bien plus que les chiffres.

LFB : Et ce sont des mecs qui malgré tout font des chiffres.

Johnny Jane : Ils font des chiffres qui ne sont pas pour plein de gens énormes mais ils font des chiffres depuis vingt ans. Et faire des chiffres pendant 20 ans comme ça… Faire des millions sur deux ans, avoir tous les médias d’un coup, ok, ok. Je respecte aussi. Mais être là pendant vingt ans et faire un zénith à 42 ans en France, pour moi c’est légendaire.

LFB : Tu sais qu’ils avaient mis une hypothèque sur leurs maisons pour financer leurs Zénith ?

Johnny Jane : Oui, ce sont des fous. Ce sont des dingues de la musique. J’admire à 100% leur carrière. Ils le savent, à chaque fois que je les remercie d’exister.

LFB : Ça aussi, garder un côté enfantin dans la façon dont tu vois la musique : c’est important. Il y en a qui le perdent.

Johnny Jane : Oui. Il y a un truc qui m’insupporte, 9-18h pour faire de la musique sur le camp. Qu’est-ce que j’ai envie de faire de la musique sur un piano à 9h ? Je n’y arrive pas et à 18h on me dit qu’ils ferment et c’est là que je commence à avoir des trucs. Je leur dis que faire de la musique à des heures de bureau, ça ne marche pas. Ce n’est pas comme ça qu’on fait de la musique. Du coup, parfois je me sens un peu en décalage sur quelques trucs. En tout cas, ce décalage-là, j’avoue qu’il y a des moments où je l’ai mal vécu en me disant que peut-être je ne marcherais jamais comme machin, que je serais peut-être un peu marginal alors qu’à un moment, je me suis dit que non. Trop bien ce que je vis. J’ai des artistes qui me parlent, on se connaît, on aime bien notre musique, on partage, on s’aide. C’est trop beau. Ça fait plaisir. Le soleil revient en disant ça, c’est merveilleux. La vie est belle, la vie est douce.

Crédit Photos : Céline Non