Jordan Rakei : « On devrait moins se fier à ce que les gens pensent ».

Après près de dix années d’activité dans la capitale anglaise, le producteur et multi-instrumentiste australien Jordan Rakei sort en cette fin de période printanière son cinquième album studio : The Loop. C’est précisément à cette occasion que nous avons la chance de nous entretenir avec ce dernier pour discuter de la conception de ce nouveau disque.

Jordan Rakei

VERSION FRANÇAISE (English Version Below)

Manu Lima : Salut Jordan ! Merci beaucoup d’être là. Comment vas-tu ?

Jordan Rakei : Salut, ça va, merci !

Manu Lima : Donc, nous sommes là pour discuter de ton nouvel album, The Loop. Déjà, je voulais te féliciter parce qu’il est vraiment sublime. C’est vraiment un album merveilleux.

Jordan Rakei : Merci beaucoup mec !

Manu Lima : Je voulais te demander si tu avais des ambitions particulières quand tu as commencé à penser la conception de ce nouveau disque ?

Jordan Rakei : Ouais c’était le cas ! Il y avait quelques règles qui ressemblaient à la marche à suivre. La première concernait le story-telling, ce qui touche aux paroles, ça devait être le plus cru et honnête possible. C’était quelque chose que je me disais continuellement pendant que j’écrivais les paroles. Mon ambition était d’être plus vulnérable, plus honnête, ce qui pouvait me mener vers un monde effrayant dans lequel tu ouvres ton cœur tu vois. Puis musicalement, je voulais faire un album qui sonne immense. Je ne savais pas à quoi ça allait ressembler à ce stade-là mais, je l’imaginais comme étant vraiment ambitieux avec les arrangements et l’orchestration, tous les éléments, les chœurs, les cuivres. Je voulais que quelqu’un appuie sur le bouton « Play » et se dise « Wow, c’était comme une claque ». Je voulais ce ressenti-là. Et je ne savais pas comment ça allait sonner, je ne savais vraiment pas ce que j’allais écrire au tout début mais c’était mes deux règles, que j’ai suivies jusqu’à la fin.

Manu Lima : C’était quelque chose d’en quelque sorte très intimiste et en même temps quelque chose qui sonne très imposant. Comme une grosse pièce intimiste ?

Jordan Rakei : Ouais ! C’est bien dit parce que certaines des paroles sont très personnelles avec ma manière de chanter assez délicate dans le micro, mais en même temps il y avait cette énorme section de cordes. C’était vraiment intéressant de créer cette balance.

Manu Lima : En fait, j’ai pensé à Bruises qui m’avait marqué quand il était sorti pendant que j’écoutais l’album. C’est là que tu as vraiment commencé à incorporer ses éléments d’orchestration dans ta musique, et ça te sied très bien, ça te va très très bien.

Jordan Rakei : Oh merci beaucoup ! Je trouve que c’est cool. Tu sais, les arrangements de cordes c’est tellement quelque chose d’intemporel, ce n’est pas juste là depuis les années quarante, mais c’est présent dans la culture musicale depuis le dix-septième siècle ou quelque chose comme ça. J’ai l’impression que c’est tellement enraciné dans la musique, et c’est tellement intemporel. Donc ouais, je voulais l’intégrer à l’album.

Manu Lima : Ouais, en mettre juste une petite touche peut donner une impression de grandeur à un morceau.

Jordan Rakei : Exactement, ouais. Et c’est pour ça que je me disais continuellement qu’à la place de mettre un synthé dans tel couplet, pourquoi pas mettre une section de cordes à la place, tu vois. Ça donne un rendu plus large et ça fait sonner le résultat final plus grand.

Manu Lima : Il y a une question que je me posais, quand tu t’es plongé dans ces arrangements avec les cordes, est-ce que tu as pensé à comment tu allais faire une fois que tu devrai jouer ces nouveaux morceaux sur scène ?

Jordan Rakei : Hmmm, pas vraiment parce que je suis toujours dans l’état d’esprit de donner à l’album et à son processus d’enregistrement les meilleures éléments. Je ne fais jamais de compromis, parce que c’est ça qui va réellement rester pour toujours. Un concert ne dure qu’un soir dans cette ville dans laquelle tu te rends, et c’était super d’apprendre l’album pendant les préparations pendant la tournée et d’essayer de réimaginer certains d’entre eux dans la configuration d’un groupe simple de six personnes. On n’a pas à jouer avec des bandes, donc on essaye de trouver le moyen de reproduire ce son large juste entre nous. Et ça se fait par le biais du looping et des modifications. Ça va être une sorte de clé de construire le set pour le faire fonctionner mais, c’est une bonne question. Mais c’est quelque chose sur lequel je ne fais jamais de compromis. Dans cinquante ans, quand je me pencherai de nouveau sur cet album, je veux avoir l’impression que j’ai fait tout ce que je pouvais pour le rendre aussi grand que possible. 

Manu Lima : Donc tu ne t’es imposé aucune restriction finalement ?

Jordan Rakei : Non, aucune.

Manu Lima : Dans le petit texte de présentation que j’ai pu lire quand j’ai commencé à travailler sur l’album, j’ai lu que l’un des axes principaux était la place spéciale que tu souhaitais donner à ta voix. Tu voulais qu’elle soit centrale au sein du disque. Comment tu as organisé l’écriture des différents morceaux en prenant en compte cette considération spécifique ?

Jordan Rakei : En fait, je les ai tous écrits à un stade très prématuré. Concrètement, je travaille en blocs. J’ai écrit toutes ces démos et je suis allé les enregistrer puis après on les a mixées. Pendant l’étape des démos, j’étais constamment derrière le piano à écrire des morceaux qui résonnaient bien en moi, juste avec le piano et ma voix. Puis ensuite j’ai senti que j’étais prêt à passer à la prochaine étape. Ça c’était le premier focus. On est donc allés en studio avec tous les musiciens. Je me suis dit tout le long que peu importe si quelqu’un suggère quelque chose, que ça soit à la guitare ou au piano, il faut que ça aille dans le sens de ma voix, parce que dans le passé j’avais l’habitude de poser ma voix sur une couche dense de production. Mais je ne veux rien pour entraver ma voix. Donc d’une manière un peu bizarre, l’album est très dense et construit en couches, mais jamais en couvrant ma voix parce que c’était pleinement conscient. Parfois quelqu’un jouait une pattern polyrythmique à la guitare et je répondais qu’on en avait pas besoin. J’adorais comment ça sonnait, mais ce disque est à propos de ma voix. J’ai continué à amener les gens dans cette direction et à simplifier les choses, pour ne pas distraire l’oreille de l’auditeur de mon histoire, de ma mélodie ou quelque chose comme ça.

Manu Lima : En fait, quand j’ai lu ça, je me suis dit que c’était l’idée parfaite parce que pour moi, ta voix est l’une de tes grandes qualités. Même quand tu harmonises une ligne de chant, je me souviens la première fois que j’ai écouté What Kinda Music et que j’ai entendu ton harmonie sur Nightrider, je me suis dit « Mais bon Dieu ! ».

Jordan Rakei : [rires]

Manu Lima : Donc je pense que c’est vraiment une très bonne idée et que ça fonctionne parfaitement dans le contexte de The Loop.

Jordan Rakei : Merci ! C’est marrant parce que c’est l’une des choses pour lesquelles je suis connu dans mon travail, les gens pensent que je suis un chanteur mais c’est la première fois que j’ai vraiment embrassé ce statut, accepté le fait que je suis un chanteur. Je me vois comme un musicien, comme un producteur, comme si j’étais dans les étapes de création, mais comme je l’ai dit, mes amis, mon label ou encore mon manager m’ont dit « Enfin Jordan tu as fait un album de chanteur ! » [rires]. Et c’est assez marrant parce que j’ai toujours chanté, mais je ne me suis jamais réellement concentré sur ma voix.

Manu Lima : Tu as parlé de cette espèce de nouvelle étape dans l’utilisation de ta voix. Clairement, je trouve que The Loop est un changement de direction assez voyant dans ta carrière. Est-ce que tu vois personnellement ce nouveau disque comme tel ?

Jordan Rakei : C’est définitivement une nouvelle page dans ma carrière, c’est dur de savoir si je vais continuer, parce que chaque album que j’ai fait allait dans une direction différente. Je n’ai jamais fait deux albums qui avaient le même son. Par contre, mon quatrième peut sonner comme mon second. Il peut y avoir des similarités entre les albums mais j’ai toujours cherché à aller ailleurs, mais c’est clairement un nouveau chapitre. Mon dernier album était produit de manière très digitale, c’était très électronique, et celui-ci est très acoustique et organique. En fait, je ne sais même pas s’il y a un synthétiseur qui est joué sur ce nouvel album qui a dû être manipulé ou quoi. Je me suis dit que je n’étais pas autorisé à utiliser une quelconque ligne de synthétiseur, c’était la seule règle que j’avais ! Je voulais que tout sonne organique, mais j’ai vraiment aimé ce processus donc c’est probablement quelque chose que je vais continuer de faire. J’aime un peu plus ce côté organique, ou peut-être que c’est une forme de rébellion contre le monde qui devient de plus en plus en digital. C’est comme si je créais quelque chose d’un peu plus naturel et facile, donc peut-être, peut-être. Mais c’est assurément une nouvelle étape comparé au dernier album, c’est un gros changement c’est vrai.

Manu Lima : Au final, tu voulais quelque chose d’old-school ?

Jordan Rakei : Ouais, parce que j’en ai écouté pendant toute la dernière année qui s’est écoulée, et même avant de commencer cet album. Il y a encore tellement de belles choses à y découvrir. Il y a tous les albums classiques l’on connaît des années 1970s, mais il y a aussi plein d’autres albums que je n’avais jamais entendus. Je ne sais pas, peut-être que c’est un moyen de rendre hommage à ce processus, tu sais, utiliser un studio, engager des musiciens, utiliser des instruments acoustiques. Je me sens plus connecté à tout ça.

Manu Lima : On parlait du fait de travailler avec d’autres musiciens, The Loop est très joueur je trouve. Il y a beaucoup de parties très groovy. Comment tu as procédé pour rassembler toutes ces idées ? Ça a dû passer par des sessions jams avec les autres musiciens je suppose ?

Jordan Rakei : Non ! Je suis arrivé en studio avec dix-sept squelettes de morceaux. Il y a quelques morceaux qui sont nés d’une blague, une blague de musicien [rires]. Du genre le claviériste qui joue quelque chose et puis le batteur le suit et ça se transforme en un petit jam qui dure peut-être une heure. C’est comme ça qu’un morceau comme Trust, qui est l’un des titres funky, est né. Je me souviens du jour où on a commencé à le jouer, et j’ai commencé à me dire qu’en fait j’aimais beaucoup ce que j’entendais. C’est super marrant, très facile, il n’y avait pas besoin de le sur-intellectualiser. Après ça, on l’a joué pendant une heure, on a convenu brièvement d’un arrangement, et puis le morceau a été enregistré. Concrètement, le morceau que tu entends sur album est une prise live. Cette sorte d’énergie était vraiment amusante parce qu’on était dans le moment, j’étais très ouvert au fait que les choses changent. Je suis arrivé en studio avec certaines idées, quelques lignes directrices et des embryons de morceaux, puis on a fait quelques modifications sur chacun des morceaux puis vu comment on le sentait, mais j’ai laissé de l’espace à l’ouverture et à la réinterprétation, c’était comme une espèce de processus mixte entre des jams, et un petit peu de direction. 

Manu Lima : C’est marrant que tu choisisses cet exemple parce qu’en fait, je pense que Trust est sans doute mon morceau préféré de l’album.

Jordan Rakei : Ah ouais ?

Manu Lima : Ouais ouais ! Je dois avouer être un peu obsédé par le morceau [rires].

Jordan Rakei : [rires] Merci !

Manu Lima : Je trouve que la section rythmique est absolument fantastique.

Jordan Rakei : Ouais, je suis d’accord. Ils sont incroyables. Ce que j’aime à propos de ce morceau c’est que, dans un sens, il sonne comme beaucoup d’autres, comme du Funk classique. C’est tout simplement une partie de batterie inspirée des années 1970s, comme une sorte de break, mais qui est mixée de manière très moderne, comme du Hip-Hop. Donc c’est très puissant comme la musique moderne, mais dans une forme un peu nostalgique. Et comme je l’ai dit, tu peux entendre ce côté très joueur dans ce genre de morceau parce que c’était très amusant à jouer. J’ai l’impression qu’en tant que musicien, surtout moi, dans ma carrière, tu juges le processus de création. Quand on jouait ce morceau, deux ans plus tôt, j’aurais probablement dit que c’était trop funky ou trop classique, et qu’il ne fallait pas continuer dans cette direction, que j’avais déjà entendu ça il y a trente ans. D’ailleurs je dis ça mais je n’ai que vingt-cinq ans [rires]. Mais à l’heure actuelle, ils le jouaient et je me disais que j’aimais ça, que ça sonnait bien. Je me suis dit qu’il fallait y aller et l’enregistrer pour voir ce qui allait se passer. C’était beaucoup de cette énergie très ouverte, s’amuser en studio avec des musiciens géniaux. C’est pour ça que Trust sonne aussi naturel. 

Manu Lima : Et combien de temps ça t’as pris de finir tout le processus créatif de l’album ?

Jordan Rakei : Alors, il me semble que j’ai écrit les démos en un petit mois. Donc peut-être une démo par jour. Mais comme je l’ai dit, ce n’était que des squelettes, j’avais beaucoup d’idées brutes. Et puis on est allés en studio pendant deux semaines, pour faire tout l’album. Ce qui est plutôt rapide parce que parfois les gens dédient une journée aux parties de batterie, puis deux mois plus tard ils enregistrent les parties vocales. Tu sais c’est souvent un truc que tu étales dans le temps, mais nous on l’a fait en deux semaines. C’est en majorité du live, on jouait tous ensemble donc au final c’est très facile. On a passé la matinée sur le morceau Freedom, en faisant cinq prises pour voir où ça allait. Et puis au bout de la cinquième prise je me disais que c’était mal, et qu’on allait l’utiliser et c’était tout. Donc ouais, ça s’est fait très rapidement et naturellement.

Manu Lima : Pour un album qui est enregistré de nos jours, c’est effectivement plutôt rapide.

Jordan Rakei : Oui mais je pense que la raison pour laquelle ça a été aussi rapide, et l’étape des démos était aussi rapide, c’est pour ça que ça m’a autant plu, c’est que j’ai travaillé sur chaque idée, mais j’ai fait confiance à mon instinct sur le moment. Si je le sentais bien, que je m’amusais et que j’aimais comment ça sonnait, je me disais que c’était probablement bon, ou que la raison pour laquelle je m’amusais était que j’aimais ce que j’étais en train de jouer. Je tentais juste de faire plus confiance à mon instinct en ce qui concerne la musique. 

Manu Lima : Oui, tu ne l’as pas sur-intellectualisé.

Jordan Rakei : Non non, pas du tout.

Manu Lima : Pour rester sur cet aspect très joueur de l’album, tu es accompagné par des musiciens merveilleux. Tu les a mentionnés juste avant. On sent, en écoutant l’album, que tout le monde se sent à l’aise, qu’il y a une réelle synergie au sein du groupe. Comment tu as trouvé ces musiciens ?

Jordan Rakei : Ce ne sont que des personnes avec qui je n’avais jamais travaillé avant. Je les ai tous rencontrés par le biais du bouche à oreille ou de recommandations. C’était une semaine très amusante, on s’est rassemblés le premier jour, et c’était une sorte de rencontre à l’aveugle pour tout le monde. Personne ne se connaissait, et tu dois en quelque sorte être à l’aise très vite, mais en fait c’est le moment où je suis arrivé. J’ai fait un petit discours, en leur exprimant le fait que j’avais hâte de passer ces deux semaines avec eux. Je voulais que tout le monde sache que j’étais ouvert à chaque suggestion. Bien sûr c’est mon album, mais je reste très ouvert pendant le processus créatif. Et je pense que c’est avec cette sensation-là, que les gens se sont sentis assez à l’aise pour suggérer des choses. C’est devenu, comme tu l’as dit, quelque chose de très synergique parce qu’il n’y avait aucune pression. Ça commençait plutôt avec quelqu’un qui proposait de faire telle chose sur le refrain, et le guitariste répondait qu’il ne pensait pas que c’était la bonne chose à faire. Il y avait ce genre de discussions générales. Évidemment, j’observais le tout et donnait quelques indications mais je laissais cet espace ouvert pour les musiciens pour qu’ils prennent confiance et pour qu’ils puissent exprimer leur propre son. Ils étaient tous des inconnus, et maintenant on est tous très proches. 

Manu Lima : Je suppose que c’est avec eux que tu pars en tournée ?

Jordan Rakei : Non parce que j’ai toujours le même groupe de tournée. Peut-être qu’ils viendront à certains concerts pour s’amuser un peu mais je vais tourner avec mon propre groupe.

Manu Lima : Okay ! Et, tu as dit plus tôt que tu voulais donner une perspective un peu plus intimiste aux paroles de The Loop. L’un des thèmes qui traverse l’album est ta paternité. Est-ce que tu dirais que ça a changé quelque chose dans ta manière de considérer et d’écrire de la musique ?

Jordan Rakei : C’est le cas oui. Dans un premier temps j’ai exploré ce thème pour la première fois parce que c’est mon premier enfant. Dans un sens, c’est comme une sorte de reflet, je regarde mes parents et pense à comment ils ont fait, comment moi je me débrouille. J’ai passé beaucoup de temps à y réfléchir et oui, ça a changé beaucoup de choses. Ça m’a en quelque sorte redonné cette liberté que j’ai mentionnée au début. Je juge beaucoup moins le processus créatif dans son ensemble maintenant. Quand j’étais plus jeune, même avant d’avoir mon fils, je prêtais beaucoup d’attention à ce que mes paires pensaient, ou à ce que mon label, mon équipe de management ou mon public pensaient… Que vont-ils penser de mon prochain album ? Est-ce que je devrais faire ça ? Je me posais continuellement ce genre de questions. Quand j’ai eu mon fils, je me suis dit que c’était la seule personne qui m’importait vraiment. C’est encore un bébé, il s’en moque, mais on devrait moins se fier à ce que les gens pensent, et en ce sens ça m’a libéré et permis de simplement faire la musique qui m’était destiné. Donc ce disque c’est en quelque sorte moi qui essaye d’aller vers ce qui a toujours été là. L’album va dans différentes directions, et le fait d’avoir mon fils m’a donné la confiance de faire une grande ballade et de faire des morceaux très funky et de faire un morceau cinématique un peu bizarre. Je ne ressens aucune pression qui m’oriente vers telle ou telle direction, je me sens assez libre dans le processus créatif. 

Manu Lima : Tu as aussi évoqué la musique old-school. Est-ce que tu as des influences particulières que tu choisirais, et qui t’ont particulièrement inspiré pendant le processus créatif de l’album ?

Jordan Rakei : Oui assurément. C’est marrant, c’est une sorte de mélange. En termes de musique de cet ère, c’est principalement Donny Hathaway et Curtis Mayfield. Et à côté de ça, ça va être D’Angelo, Musiq Soulchild. Et il y a les choses plus modernes comme Robert Glasper. Je divaguais entre mes artistes préférés de quand j’avais entre dix-huit et vingt-deux ans. Je suis retourné écouter toute cette musique et ai réalisé pourquoi j’adore ça. Et je l’ai transformé en quelque chose dans ma tête qui m’a permis de me fier à mon instinct. Je voulais essayer d’être un peu plus insouciant, donc j’écoutais D’Angelo, ses chœurs qui sont toujours merveilleux, ça m’a inspiré aussi. Donc ouais, ce sont mes plus grosses influences.

Manu Lima : C’est marrant que tu parles de D’Angelo, je suis pas mal dans toute cette vague de Jazz britannique, tout particulièrement à Londres. Je l’étudie à l’université pour mes études. Et à chaque fois que je parle avec un artiste de Jazz de Londres, la plupart du temps, on me parle de D’Angelo.

Jordan Rakei : C’est parce qu’il est tellement bon [rires]. Pour être plus sérieux, je pense qu’en fait c’est une bonne remarque. J’en parle beaucoup à mes amis parce que dans cette ère de la musique, dans cette génération avec Erykah Badu, D’Angelo, Angie Stone, Musiq Soulchild, je pense qu’il sort plus du lot et paraît un peu plus intemporel parce que ses albums qui appartiennent à leur temps, ce sont des classiques, même ses albums les plus récents qui ont dix ans maintenant. C’est tellement en avance sur le reste de la production, mais c’est aussi tellement classique en même temps. C’est comme s’il écrivait comme un Baby Prince ou Aretha Franklin mais il est moderne. Il a les harmonies Jazz, mais aussi l’influence du Hip-Hop et je pense qu’on s’inspire tous tellement de lui. Évidemment je suis plus un chanteur qu’un musicien de Jazz, mais eux aiment D’Angelo du fait des accords qu’il utilise, et les fans de Hip-Hop l’aime à cause des sections rythmiques. Il est tellement varié et je pense qu’on l’aime tous, c’est vraiment un artiste légendaire, ce n’est pas juste un artiste d’il y a vingt ans, j’ai l’impression que c’est l’un des plus grands artistes de tous les temps.

Manu Lima : Pour rester, juste un petit peu, sur toute cette scène londonienne. Ces dernières années tu es devenu une figure importante de toute cette nouvelle génération de musiciens, en tant qu’artiste mais aussi en tant que producteur. Par exemple tu as produit certains morceaux de Loyle Carner. Tu travailles régulièrement avec certaines grosses têtes de cette scène, je suppose que tu es ami avec d’ailleurs [rires]. Et tu es aussi devenu l’un de ces gros noms. Comment tu te sens à propos de ce que vous avez créé il y a quelques années, qu’est-ce que tu penses de cette scène ?

Jordan Rakei : Ouais, à la base je ne suis pas de Londres mais je suis plutôt fier de faire d’une communauté comme celle-là. En fait c’est tellement varié. Généralement autour du monde mais aussi en Grande-Bretagne on appelle ça la « scène londonienne » mais en un sens je suis chanceux parce que mon travail est à la frontière avec la musique commerciale, j’ai des tendances Jazz. Mais il y a aussi des gens aux tendances plus Free Jazz, certains sont des fans de Hip-Hop qui adorent le Jazz, comme je l’ai dit à propos de D’Angelo. Quand je suis arrivé sur Londres, toutes les personnes comme Yussef Dayes, Ezra Collective, Tom Misch, Alfa Mist, même Loyle Carner, même si c’est un rappeur, je les ai rencontrées et on essayait de sortir notre premier EP à l’époque avec Jérémy, on essayait de faire ce genre de choses. C’est comme une source ouverte. Je ne sais pas comment sont les autres scènes dans le monde, mais j’ai l’impression que tout le monde est là pour les autres, il n’y a pas de compétition. La collaboration est l’une des grandes particularités de cette scène pour sûr. Et j’ai fait partie de tous ces projets de plusieurs manières et ces artistes ont fait partie de mes projets. Ouais, c’est génial.

Manu Lima : Récemment je discutais avec Joe Armon-Jones, d’Ezra [Collective], et il me disait que la spécificité de la scène est que ce ne sont pas juste des musiciens, ce sont plutôt des amis qui jouent et font de la musique ensemble.

Jordan Rakei : Oui c’est vrai ! Surtout cette petite scène au sein même de la scène, ils sont tous allés aux cours du dimanche ensemble. C’est vraiment super parce que je suis arrivé et on m’a permis de m’intégrer dans ce petit monde. Puis j’ai rencontré mes amis dans le Rap, et le monde de la dance music est très cool aussi. Il y a de la dance music jazzy, et c’est toute une nouvelle scène aussi. Yussef Dayes le fait un petit peu mais il y a toute une scène électronique à part entière, qui est géniale aussi. J’ai réussi à toutes les infiltrer d’une manière ou d’une autre. Et sur l’ensemble de toute cette scène londonienne, il y a tellement de sous-scènes superbes. 

Manu Lima : Et certains artistes ont d’ailleurs des alter egos avec lesquels ils font de la musique électronique et ont infiltré ces scènes comme Tom Misch et Kamaal Williams. 

Jordan Rakei : Ouais exactement ! Tom est un bon exemple en fait parce qu’il est comme moi, il a un son assez commercial, il fait de la musique facile d’accès, mais il adore la dance music, il adore le Jazz aussi. Je ne sais pas, c’est inspirant de voir tout le monde essayer de faire son truc et juste essayer de s’exprimer à leur manière.

Manu Lima : On ressent dans The Loop qu’il n’y a aucune barrière, il n’y a pas de limites. Finalement tu fais vraiment ce que tu veux.

Jordan Rakei : Ouais c’est sûr. Peut-être que c’est de ta faute, je cherche peut-être à aller trop loin [rires]. Mais non, j’ai vraiment l’impression que je me suis vraiment donné à fond sur le nouvel album. Royals sonne un morceau Pop des années 1980s et Trust ressemble à un morceau de Funk old-school. Comme je l’ai dit, il y a une section de cordes qui fait un peu cinématique, c’est un disque très riche mais j’aime ça. J’aime bien pousser les gens vers ce genre de choses. 

Manu Lima : Dans ma vision de ton art, je te qualifierais d’artiste versatile. Je pense que tu es quelqu’un de très éclectique. 

Jordan Rakei : Merci !

Manu Lima : Tu peux transformer un morceau en une superbe ballade. J’ai en tête la version acoustique de Family, qui est un peu une sorte de safe place pour moi [rires]. Et juste après, tu peux sortir un morceau qui est très influencé par le Reggae comme Bruises. Comment tu gères toutes ces influences ? Comment fais-tu pour ne pas te perdre dans toute cette énorme vague de musique ?

Jordan Rakei : C’est une bonne question [rires]. En fait je me suis déjà perdu dans le passé parce que parfois j’ai l’impression qu’un album a besoin d’avoir une sonorité. Par exemple, j’adore la Funk, disons que des fois je me demande si je ne devrais pas faire un album entièrement de ça. Puis j’y réfléchis à deux fois parce que j’aime tellement de musiques différentes, ce qui lie tout ensemble c’est ma voix. Si je fais un morceau Reggae puis un morceau Indie Rock et qu’encore après je fais quelque chose d’ambiant et électronique, je pense qu’ils peuvent tous coexister sur le même album, si j’arrive à trouver une manière cohérente de les assembler. Ça me pose beaucoup de problèmes par moment, dans ma tête, quand j’écris des démos derrière mon piano, je les aime beaucoup, et puis quand je commence à les produire je me dis que ça pourrait faire une loop de Hip-Hop sympa, puis je pense à cette influence du Reggae. Je me pose constamment des questions. Et tu peux l’entendre avec mes morceaux les plus connus, Mind’s Eye ou Borderline, qui est un autre de mes gros morceaux, Borderline a quelque chose comme sept versions différentes. Une qui était une ballade, une autre qui était très rapide et jazzy, une qui touchait plus au Hip-Hop… La version finale est celle qui va chercher du côté du Hip-Hop mais ouais, j’essaye d’explorer de nouveaux chemins et je m’en tiens à celui avec lequel j’ai le meilleur ressenti. Mais oui, c’est assez fou. 

Manu Lima : Okay. Et tu pars en tournée au début du mois de septembre, pour jouer ces nouveaux morceaux. Tu joues deux fois au Royal Albert Hall en octobre. Je suppose que tu as hâte de retourner sur la route, mais comment c’est de jouer ces nouveaux morceaux sur scène ?

Jordan Rakei : Ouais ça va être super excitant. On parlait du chant, et j’ai tellement hâte de pouvoir chaque soir aller sur scène, chanter et raconter mes histoires. Habituellement je me cache derrière le clavier ou je joue juste dans le groupe, mais là j’ai envie de changer un peu les choses. J’ai envie d’être là en tant que Jordan l’artiste et Jordan le chanteur, ça va être un peu différent au niveau de la présentation. Particulièrement dans un endroit comme le Royal Albert Hall, il va y avoir un orchestre et une section de chœurs et tout ce genre de choses. Être la personne devant tout ça, ça va être effrayant mais aussi très enthousiasmant, pouvoir montrer au monde, ou juste à Londres, que c’est ce que je peux proposer. Tu sais, j’ai l’impression que ce concert là précisément est pour moi l’occasion de montrer le meilleur de ce que je peux faire. Je n’ai jamais eu l’opportunité avant de jouer avec un orchestre et un groupe complet donc, ouais ça va être incroyable. 

Manu Lima : Est-ce que c’est pas un peu écrasant dans un sens ?

Jordan Rakei : C’est effrayant ouais, d’un point de vue logistique, un orchestre représente beaucoup de personnes qui doivent s’accorder les unes aux autres. Ils suivent leurs partitions, donc ça ne laisse pas énormément d’espace pour l’interprétation. Parfois quand tu as des règles comme ça, c’est bien de se cantonner à un arrangement mais je pense que ça va être cool, on va s’amuser.

Manu Lima : Merveilleux. Avant qu’on se quitte, j’ai une question que j’aime bien poser aux musiciens avec qui je discute : actuellement, est-ce qu’il y a un artiste, un album ou un morceau que tu écoutes et que tu voudrais recommander à nos lecteurs en France ?

Jordan Rakei : Oui, laisse-moi juste y réfléchir un peu.

Manu Lima : « Laisse-moi juste ouvrir Spotify » [rires].

Jordan Rakei : Ouais carrément, laisse-moi ouvrir l’application [rires]. Il y en a quelques uns en fait, attends que je choisisse le meilleur. On a parlé de Trust et des trucs Funky, je suis vraiment retombé amoureux de ce genre de musique et il y a ce groupe américain, qui s’appelle Ghost Note, qui est un groupe de Funk. Et ils ont ce morceau, qui s’appelle Where’s Danny?, et il est juste fou. C’est tellement amusant de l’écouter. De juste essayer d’échapper à ce monde dur des réseaux sociaux et d’une musique très digitale, c’est super et amusant d’écouter ça. Ça serait ça ma recommandation.

Manu Lima : Superbe. Et bien, merci beaucoup de m’avoir accordé de ton temps aujourd’hui !

Jordan Rakei : Merci à toi aussi !

Manu Lima : Encore une fois, félicitations pour The Loop, c’est sublime. Et j’ai vraiment hâte d’entendre tous ces morceaux sur scène.

Jordan Rakei : Je suis persuadé que tu les verras sur YouTube un jour [rires].

Manu Lima : Super mec, merci beaucoup. À la prochaine !

Jordan Rakei : À la prochaine mec !

ENGLISH VERSION

Jordan Rakei

Manu Lima: Hi Jordan! Thank you very much for being here today. How are you doing?

Jordan Rakei: Yeah, I’m good, thanks! 

Manu Lima: So, we are here to discuss a bit about your new album, The Loop. First, I want congratulate you, because it’s really beautiful. It’s truly a beautiful album.

Jordan Rakei: Thank you very much man!

Manu Lima: And I wanted to know if you had any specific ambition when you started to think about making this new record?

Jordan Rakei: Yeah I did! There were like a couple a rules that were like, what to do. The first one was on the story-telling, on the lyrical side, to be as raw and honest as possible. It was one thing I kept telling myself as I was writing lyrics. You know my ambition was to be more vulnerable, more honest that might lead to the scary world of putting your heart out there. And then musically, I just wanted to make a huge record. I didn’t know what that sounded like yet but, I wanted it to be like really ambitious with the arrangements and classic with the orchestration, all the elements, all the choirs, all the horns. I wanted just someone to press the press the play button and feel like « Wow, that was like a slap in the face ». I wanted it to feel like that. And I didn’t know how it would sound like, I didn’t really know what I was going to write about at that early stage but there were my two rules I followed right up until the end.

Manu Lima: It was kind of something really intimate and at the same time a big thing. Like a big intimate thing?

Jordan Rakei: Yeah! That’s a good point actually because of some of the lyrics were really personal with my own delicate way of singing into the microphone, but at the same time there was this huge string section. It was nice to create that balance.

Manu Lima: I actually thought about Bruises that marked me you released it when I was listening to the album. That’s when you really started to get into these orchestration things, and it suits well, it suits you very very well.

Jordan Rakei: Ow thank you very much! I think that this is nice. String arrangements are so classic you know, it’s not only been in pop music since the forties, but it’s been in music culture since like the seventeenth century or something like that. I feel like it’s so ingrained in music, and it’s so timeless. So yeah, I wanted to pull it all over the album.

Manu Lima: Yeah, just a bit of it can give something very big and impressing to a song.

Jordan Rakei: Exactly, yeah. And that’s why what I kept thinking to myself was like, you know I could put a synthesizer in this verse, but I was like why wouldn’t I do it with a string section instead. It just makes it even more large with its huge sounding. 

Manu Lima: And a question I was asking myself was, when you started to to get into these string arrangements, did you think about how you would do when you will be playing these songs on tour?

Jordan Rakei: Hum, not really because I’m always on the mindset of giving the record and the recording process the best you can give. Like never compromise, because that’s what really gonna last forever. A live show is one night in that one city that I’m going to, and it was really fun learning the album during the preparation for touring and trying to reimagine some of these things in a natural six piece band. We don’t have to play with tracks, so we try to figure out how we can create this large sound with just a few of us. And it’s happening through looping and manipulation. It’s gonna be a sort of a key building the set to make it work but, it’s a good question. But it’s something I actually never compromise on. I just think that, you know in a fifty years time, when I’ll go back and listen to this album, I want it to feel like I done all that I can to make it sounds as big as I could. 

Manu Lima: Yeah, so you don’t put any restriction to yourself, actually?

Jordan Rakei: No, at all.

Manu Lima: In the little presentation text that I was able to read when I started to work on the album, I read that one of your main focus was this special place you wanted to give to your voice, actually. You wanted it to be central in the record. How did you organise the writing and recording of the songs taking that specific point into consideration?

Jordan Rakei: So, well I wrote them all like very early on. Basically, I worked in blocs. I wrote all these demos and I went to recording and we went to mix them. In the demo stage, I just kept sitting down at the piano and basically writing songs that feel good, just with me and the piano. And then I felt that it was ready to be moved on to the next step. That was the first focus. Then we went on the studio with all the different musicians. I just kept telling myself « Whenever someone suggests a part, wether it’s a guitar part or a piano part, it has to be on the way that my voice was doing », because in the past I used to sing as a little layer on the dense productions I had. But now I wanted nothing to get in the way. So, in a very weird way, the album is very dense and layered, but never anything really in the way of the vocal because it was all conscious yeah. Sometimes there was someone who was playing a polyrhythmic guitar pattern and I was like « It doesn’t need that. I love that sound, but for this record it’s gonna be about my voice ». So I kept challenging people along the way to simplify things, to don’t distract the ears of the listener from my story, my melody or something like that.

Manu Lima: Actually, when I read that, I thought that it was kind of the perfect idea because in my mind, one of your main strengths is your voice. Even when you harmonise things, I remember when I listened for the first time to What Kinda Music and when I heard your harmony on Nightrider, I was like… « Oh gosh! ».

Jordan Rakei: [laughs]

Manu Lima: So, I think it was a very good idea and it works very very well in the context of The Loop.

Jordan Rakei: Thank you! It’s funny because it’s one of the things I’m known as in my whole career, people think of me as signer but it’s the first time I ever really embraced it, embraced the fact that I was a singer. I thought myself as a musician, as a producer, like into the whole circle of things, but as I said, the main focus was my voice. And it’s funny because a lot of people that known me for a while, in my friends, in my label, my manager told me « Finally Jordan you’ve done a vocal album! » [laughs]. And it’s quite funny cause I always kept singing but I never really focused on my voice. 

Manu Lima: You talked about this kind of new step with the use of your voice. Clearly, I see that, in my opinion, The Loop is a clear change of direction in your career. Do you personally see this new record as a form of a new step [in your career]?

Jordan Rakei: Definitely a new step, it’s hard to know if I will continue, because every album I’ve made has been a new direction. I never made two albums in a row that sound quite similar. However, my fourth album may sound like my second. There’s been similarities across albums but I’ve always gone somewhere different, but it’s definitely a new chapter. You know like my last album was quite very digital produced, it’s very like electronic, and this one is extremely acoustic and organic. In fact, I don’t even know if there’s a synth played on this new album that had to be reamped and sent out into the room. I told myself that I was not allowed to have any direct synth line, it was the only rule I had! I wanted everything to feel organic, but I did really love this process so it’s probably something I will continue to do. I love organic sounds a bit more, or maybe it’s like a rebellion against the world which is becoming more and more digital. It’s like I was just creating something a little bit easy and natural, so maybe, maybe. But it’s definitely a new step from the last album, it’s like a big change for sure.

Manu Lima: You kind of wanted something old-school actually? 

Jordan Rakei: Yeah yeah, because I’ve been to old school music for the last year, and even before I began to make this album. There’s still so much good stuff there to dive into. There’s like all the classic albums we know from the 70s, but there’s also a lot of other albums I haven’t heard. I don’t know, maybe it’s a way for me to pay homage to that process of, you know, using a studio, using musicians, using acoustic instruments. I feel more connected to it.

Manu Lima: We were talking about working with other musicians, The Loop is very playful, I think. There’s a lot of very groovy parts in it. How do you proceed to gather all the ideas for the album? I guess that you maybe did some jam sessions with all the musicians?

Jordan Rakei: No! I came into the studio with like seventeen skeletons. There are a couple of songs that started like a joke, a musical joke [laughs]. Like the keyboard player doing something and then the drummer thought to turn it into a little bit of jam for something like one hour. And then, a song like Trust, which is one of the funky songs, was born. I remember the day we were playing it and I was like « I actually really like this ». It was really fun, really easy, there were no need to overthink it. After we jammed it for an hour, we talked about a little bit of an arrangement, and then they recorded, basically, the full version that you hear of Trust is a live take. That sort of energy was really fun because we were like embracing, I was really opened to things changing. I came in the studio with some ideas, some guidelines and some skeletons, and then we were doing inflections on each songs and see how it felt but I left a room for openness and reinterpretation, it was like a mixed process of jams, mixed with a little bit of direction. 

Manu Lima: It’s funny that you take that example because, I actually think that Trust is my favorite track of the album.

Jordan Rakei: Oh yeah?

Manu Lima: Yeah yeah! I’m kind of obsessed with it actually [laughs].

Jordan Rakei: [laughs] Thanks!

Manu Lima: I think that the bass and the drums are absolutely fantastic.

Jordan Rakei: Yeah, same. They’re crazy. What I like about that song is like, in a way, it’s quite a classic sounding song, like classic Funk. It’s only a drum beat, from the seventies, like a break, but it is mixed very modernly, like Hip-Hop. So it’s very heavy like modern music, but it’s like nostalgic. And like I said, you can sort of hear the playfulness in that sort of track because it was literally so much fun to play it. I think  as a musician, especially me, I think, in my career, you sort of judge the process of it. When we were playing that song, two years ago, I probably would have been like « This is too funky » or « This is too classic, let’s not do this. I’ve heard this thirty years ago », I’m saying this and I’m actually twenty five though [laughs]. But now, they were playing it and I was like « Man this is fun, this feels good. Let’s just go for it and record it and see what happens ». And it was a lot of that open-minded energy, having fun in the studio with some great musicians. That’s why the track really feels natural. 

Manu Lima: And how long did it take to completely finish the creating process of the album?

Jordan Rakei: So, well I guess, I wrote all the demos within like a month. So maybe a demo a day. But they were just like skeletons as I said, I had many rough ideas. And then we were in the studio for two weeks, to do the whole album. That’s actually quite fast because sometimes people do a drum day, and two months later they do the vocals. You know it’s kind of a spreader thing, but we did it entirely in two weeks. Most of it is live, we were playing at the same time so it’s really easy actually. We spent the morning doing the track Freedom, let’s do five takes and see where do we go. And then the fifth I was like « That’s pretty good, let’s use that » and that’s all it was. So yeah, it happened really naturally and quickly.

Manu Lima: For an album that is recorded nowadays, it’s kind of really fast actually. 

Jordan Rakei: Yeah but I think the reason it was so fast, and the demos stage was very fast as well, it’s why I sort of like it, because I did labor on any idea, I just trusted how I felt at the time. If I felt good, if I was laughing and feeling good about it then I just kept saying to myself « This probably mean it’s good, or there’s probably a reason why you’re laughing, because you like that sort of music ». I was just trying to trust my guts a bit more musically. 

Manu Lima: Yeah, you didn’t overthink it.

Jordan Rakei: No no, not at all.

Manu Lima: Still considering that very playful aspect of the album, you’re accompanied by marvelous musicians. You mentioned them before. We feel, while listening to the album, that everybody feels comfortable, that there is a real synergy within the band. How did you find these musicians?

Jordan Rakei: They all are people that I never worked with before. They all came through word of mouth or recommendation. It was actually a really funny week, we came together on the first day, and it was like a big blind day. No one knew anyone, and you have to sort of very quickly become comfortable, but that’s the moment when I came in. I basically did a little speech, I was like « I can’t wait to do these next two weeks. I just want everyone to know you can suggest any ideas as you want to. Obviously it’s my album but I’m very opened in the creative process ». And I think that with that sort of sentiment, people felt quite safe to suggest things. It became, as you said, kind of a very synergistic crew because there weren’t any pressure about any ideas. It’s much more like someone said « Hey, let’s try this in the chorus », and the guitarist would just say « Nah, I don’t think that’s right ». It was this sort of general conversations. Obviously, I was starring at it and giving some directions but leaving this opened to musicians actually give them more confidence and then they play and have their own sound. They were once strangers and now we’re all really close.

Manu Lima: I guess that you are going on tour with them?

Jordan Rakei: No because I always have my same live band. Maybe they’ll come up at some shows and do some fun things but I’ll be touring with my own band.

Manu Lima: Okay! So, you said earlier that you wanted to give a more intimate perspective to the lyrics of The Loop. One of the themes that is going through the album is your fatherhood. Would you say that this changed something in the way you were considering and writing music?

Jordan Rakei: It did yeah. Firstly I explored this theme for the first because I hadn’t been a father before. In a way, it’s reflecting because I’m looking up at my parents and also thinking about how how they did, about how I’m doing you know. I went through a lot of reflection and that’s it, but it changed a lot. It sort of gave me that freedom again like Im mentioned it at the start. I judge the whole process way less now, because I think when I was a bit younger, even before my son, I was caring a lot about what my peers thought or my label, management, my fans… What they are gonna think about my new album? Should I do this? You know, I was always asking myself those questions. When I had a son, I was like « He’s the only person I really care about ». You know, he’s a baby, he doesn’t care, you should care less about what people think, and in that way it freed me up just to make the music that I really have been destined to make. So, the record is like me taping into what was always there. The album goes in different directions, and having my son gave me the confidence to do a big ballad and to do really funky songs and to do a weird cinematic song. I don’t feel any pressure to do any direction, I just felt quite free in the creating process.

Manu Lima: You also evoked all the old-school music, I would say. Do you have specific influences that you would pick, that particularly inspired you during the creating process of the album?

Jordan Rakei: Yes, definitely. It’s funny, there’s a bit of a mixture. I think it’s mostly Donny Hathaway and Curtis Mayfield in terms of this old era. And it’d definitely be D’Angelo, Musiq Soulchild in the middle era. And then more modern stuff like Robert Glasper. I was sort of taping into my favorite artists from my age, when I was like between eighteen and twenty two. I just went back and listened to all that music again and realised why I love music. And I did make it like a thing in my head to trust my feeling. I wanted to try to be a bit more fearless, so I was listening to D’Angelo, like his backing vocals that are always so amazing, that inspired me as well. So yeah, I would say these are my biggest influences. 

Manu Lima: It’s funny that you mentioned D’Angelo because I’m really into this whole new UK Jazz thing, especially in London. I’m studying it at the Uni for instance. And every time I’m taking with a London Jazz artist, most of the time, they are mentioning D’Angelo. 

Jordan Rakei: It’s because he’s so good [laughs]. No wait, I think it’s such a good point actually, I talk to my friends about this a lot because in that era of music, in this generation with Erykah Badu, D’Angelo, Angie Stone, Musiq Soulchild, I personally think he sticks out a bit more as timeless because he made records that feel like it comes from that era, they’re classics, even his newest records, even if he’s ten years old now. It’s so ahead of the game, but it’s so classic at the same time. It’s like he writes like a baby Prince or Aretha Franklin but he’s modern. He got Jazz harmony, but Hip-Hop as well and I think we all take so much inspiration from him. I’m more like a singer obviously, more than a Jazz person, but they love D’Angelo because of the chords he does, and this Hip-Hop guy loves D’Angelo because of the beats. He is so various and I think we all love him, he really is like a legendary artist, he is not just like an artist from twenty years ago, I feel like he is one of the greatest artists of all time. 

Manu Lima: To stay, just a bit, on this whole London thing. Within the past few years you became an important figure of this whole new generation of musicians, as an artist but also as a producer. For instance you produced tracks for Loyle Carner. You are regularly working with big names of the wave, I suppose that you are friends with them actually [laughs]. And you are also one of these big names. How do you feel about what you kind of created a few years ago, what do you think about that scene?

Jordan Rakei: Yeah, I’m not from London originally but I feel quite proud to be part of a community like this. It’s so varied actually. Generally around the world and also in the UK it’s called « The London Jazz Scene » but I’m lucky in a way that my music sometimes is borderline commercial Pop but I have Jazz tendencies. And whereas there’s some people in the scene that like Free Jazz, some people are like Hip-Hop that love Jazz, like I said about D’Angelo. When I moved to London, all the people, like Yussef Dayes, Ezra Collective, Tom Misch, Alfa Mist, even Loyle Carner as well, even though he’s a rapper, I just met them all and we were trying to make our first EP back then with Jeremy and doing that sort of thing. It’s like an open source in a way. It’s not like, I don’t know how all the other scene are like in the world but I feel like everyone is really in for everyone, there’s no like competition. It’s like collaboration is in the forefront of this scene for sure. And I’ve been a part of basically all of these artists projects in some way and they’ve been a part of mine. Yeah it’s been amazing. 

Manu Lima: Yeah, recently I was discussing with Joe Armon-Jones, from Ezra [Collective], and he was telling that the specificity of the scene is that it’s not just musicians, it’s kind of just friends who are playing together and make music together. 

Jordan Rakei: Yeah that’s true! I mean especially this particular small scene within the scene, they all went to Sunday music class together. It’s really nice, because I came and was just were able to tap into this little world. And then I met my rapping friends, and the dance music world is also very cool. There’s like jazzy dance music, and that’s like a whole new thing as well. Yussef Dayes does it a little bit but there’s a whole electronic scene, it’s amazing as well. I just managed somehow to infiltrate envy little pocket. And on the umbrella of this London scene, there’s so many cool little pockets within that scene.

Manu Lima: And some artists, actually, have alter egos to do some electronic dance music and infiltrate all these pockets Tom Misch and also Kamaal Williams.

Jordan Rakei: Yeah yeah yeah exactly! Tom is a good one actually because he’s quite like me, he has quite of a commercial sound, accessible music, but he loves dance music, he loves Jazz as well. I don’t know, it’s inspiring to watch everyone just trying to do their thing and trying to be just expressive in their own way.

Manu Lima: We can also feel it in The Loop, there’s no borders, there’s no limits. You are doing whatever you want actually.

Jordan Rakei: Yeah, definitely. Maybe it’s your fault, I might just push myself too much [laughs]. But no, I definitely feel like I really pushed myself on the new album. Royals feels like an eighties Pop tune and then Trust is like an old-school Funk tune. Like I said, there’s kind of a strange cinematic string, it’s a very varied record but I like that. I sort of like pushing people to that sort of thing. 

Manu Lima: In my vision of your art, I would definitely insert you somewhere with the word « versatile ». I think that you are a very very eclectic artist. 

Jordan Rakei: Thank you!

Manu Lima: You can switch a song into a wonderful ballad. I have in mind the acoustic version of Family, which is kind of a place to me to be honest [laughs]. And right after, release a tune which is greatly influenced by Reggae music like Bruises. How do you deal with all these influences? How do you not lose yourself in this big whole wave of music?

Jordan Rakei: That’s a good question [laughs]. I actually got lost in the past because sometimes I feel like an album needs to sound consistent with one of my influences. Like I love Funk music, let’s say, sometimes I think like « Should I make a whole album that’s just Funk style? ». But then I think because I love so much music, what ties it all together is my voice. If I make a Reggae track and then I make and Indie Rock track and then I make an ambient electronic tune, I feel like they can exist on the same album, if I somehow manage to write in a way that has a cohesive sound. I do struggle a lot with it because sometimes in my ideas, when I’m at the piano writing demos, I like them a lot, and then when I start producing it I’m like, Okay this could be a Hip-Hop loop style thing, but then I think what if it’s a Reggae thing. I constantly asking myself questions. And you can hear it in my most famous songs, Mind’s Eye or Borderline, which is another one of my big songs, Borderline has something like seven different versions. One that was a ballad, one that was really fast jazzy, one that was Hip-Hop… The definitive version is the Hip-Hop one but yeah, I just keep try new ways and I stick with the way that feels the best. But yeah, it’s pretty crazy. 

Manu Lima: Okay. Actually, you’re going on tour at the beginning of September, to perform these new songs. You’re playing two times in the Royal Albert Hall, in October. I guess that you’re excited to go back on the road, but does it feel to play these new songs on stage?

Jordan Rakei: Yes, it’s gonna be exciting. We were talking about the singing element, I can’t wait to go out there every night and belt out some vocals and tell my stories. I’m usually always hiding behind the keyboard or playing in the band but I’m looking forward to sort of breaking through and change things up a little bit. Being out there is like Jordan the artist and Jordan the singer, it’s gonna be a little different presentation. Especially in a place like the Royal Albert Hall, there’ll be an orchestra and a choir and that sort of things. To be the one person in front of it all, it’s gonna be scary but also exciting to show the world, or just London, this is like what I can offer. You know, I feel like that show specifically is really like me presenting the best I can. I never get the opportunity before to play with an orchestra and a full band so, yeah it’s gonna be amazing. 

Manu Lima: Isn’t that a bit overwhelming in a way?

Jordan Rakei: It’s scary yeah, in a logistical way, orchestras are a lot to agreed you know. They follow their sheet music so, there’s no room for much interpretation. Sometimes when you have rules like that, it’s nice to really stick to an arrangement but I think it’s gonna be nice, it’s gonna be fun. 

Manu Lima: Beautiful. Before we leave, I have a last question that I like to ask to the musicians with whom I discuss: Currently do you have any artist, album or song that you’re listening to and that you would recommend to our readers in France?

Jordan Rakei: Yes, just let me think quick.

Manu Lima: « Just let me open Spotify » [laughs]

Jordan Rakei: Yeah definitely, let me open the app [laughs]! There’s actually a few, let me choose the best one. We talked about Trust and the Funk things, I really fell back in love with that style of music and there’s this American band called Ghost Note, which is a Funk band. And there’s a track called Where’s Danny?, and that song’s just insane. This is so fun to listen to. Just try to escape the crazy arch world of social media and music just being so digital, it’s nice and fun tune to listen to. That would be the one that I suggest. 

Manu Lima: Okay, beautiful. Well, thank you very much for being here today!

Jordan Rakei: Thanks to you too!

Manu Lima: Once again, congratulation for The Loop, it’s beautiful. And I can’t wait to hear all the live versions of the songs.

Jordan Rakei: You’ll see them on YouTube one day I’m sure! [laughs]

Manu Lima: Beautiful man, thank you very much. See you!

Jordan Rakei: See you man!