En février, Josy Basar a dévoilé Alinéa, un premier album saisissant, aussi poétique que dansant, propice à l’évasion. On a profité de son récent passage au Grand Mix à Tourcoing pour reprendre une conversation commencée quelques mois plus tôt dans un bar un parisien. Au programme : pochette, écriture, scène et entourage.
La Face B : Salut Gaël, comment ça va ?
Josy Basar : Ça va super bien, juste après le concert. Ça va forcément bien. C’est une salle qu’on ne connaît pas, dont on nous a souvent parlé. Du coup, ça va super bien parce que c’est une salle incroyable, avec des gens trop cool, très bienveillants. Tant qu’il y a de la bienveillance, ça va.
LFB : Justement, comment tu la vois ta musique pour le live ? L’album est sorti il n’y a pas très longtemps et c’est un peu une découverte pour toi de le présenter à des gens. Tu n’as pas fait énormément de concerts en dehors de Metz.
Josy Basar : Bien sûr, hors région. Paradoxalement, j’ai, par la force des choses, par mal joué l’année dernière, pendant que l’album était en construction. Finalement, un live, ça se construit aussi sur le terrain je pense. Ce n’est pas un truc très business plan de dire ça mais c’est un truc que je pense. Un live, les premiers en tout cas quand on travaille un disque, ce sont des tentatives et surtout, ce qui est encore l’exercice actuel, c’est l’éternelle question de trouver une justesse entre ce que tu donnes à écouter dans le format phonographique et ce que tu donnes à voir en live. Pendant longtemps, j’ai eu un gros lâcher prise avec la musique live en général. L’idée de me démarquer un peu de ce qu’il y avait sur le disque, ça m’intéressait parce que je trouvais que les dimensions sont tellement différentes de base que c’était intéressant de revisiter. Mais là, je suis quand même dans des réflexions où j’essaie d’incarner au mieux, tout avec mon envie à moi… Il y a cet éternel exercice de trouver la justesse entre ce lâcher prise que j’affectionne en live parce que c’est ma drogue à moi. C’est cliché de dire ça mais c’est vrai. Et ce que tu donnes à écouter après.
LFB : C’est quand même plus pêchu sur scène.
Josy Basar : Carrément. Dans tous les cas, je ne pourrais jamais m’en empêcher parce que dans ce que j’aime voir et entendre en live, j’aime bien quand les choses sont incarnées. Incarner quelque chose, ça comprend à la fois l’interprétation… La justesse d’interprétation, pas la justesse harmonique parce que je viens de loin par rapport à ça. Comment est-ce qu’on peut incarner au mieux le propos qu’on défend ? Finalement, ce qui m’intéresse, c’est faire des belles choses qui peuvent faire du bien à écouter en disque et chercher à aller bousculer un tout petit peu en live pour leur donner une vie, pour les faire vivre. Parce que sinon, on ferait simplement du karaoké et ça suffirait. Enfin, pour ma part.
LFB : C’est marrant que tu parles de propos qu’on défend, parce que finalement la grande évolution par rapport aux projets que tu as pu avoir avant, c’est que là le propos est compréhensible par les gens. Le fait de chanter en français fait que là, les gens comprennent à 100 % ce que tu peux raconter.
Josy Basar : Ouais, c’est justement l’exercice supplémentaire. Cette fois, j’ai un truc à dire directement, enfin à raconter plus qu’à dire. C’est finalement des textes que je revendique, qui laissent beaucoup de place aux silences aussi. Je ne suis pas encore trop confortable avec l’idée d’écrire des textes trop bavards, trop littéraux. Je préfère que les gens dansent entre les mots plutôt qu’ils saisissent réellement. Je préfère qu’ils ressentent un message suggéré, plutôt que quelque chose de très littéral.
LFB : Il y a encore une écriture un peu cryptique, un peu de pudeur aussi.
Josy Basar : Oui, c’est pareil, la pudeur c’est un truc que je trouve vachement beau. Évidemment que chaque artiste se dévoile, quelque soit sa musique. Mais simplement en usant de la langue maternelle, dans laquelle on joue dans son propre pays, il y a une adresse directe. Du coup, il y a encore une fois cette posture de raconteur que j’aime bien. Que je pouvais moins trouver dans les paroles anglophones ou autres. Tout ce qui est anglais pour moi, c’est censé jaillir, percuter phonétiquement. Même en français finalement. J’ai des souvenirs de quand j’entendais avec mes parents de la musique francophone, par les plus grands, que ce soit Catherine Ringer, Bashung, Thiéfaine ou autre. J’ai le souvenir de sensations physiques quand j’entendais un mot. Je ne cherchais pas de sens, je me laissais un peu porter. Je pense que tu peux raconter seulement avec des syllabes sans qu’on comprenne une histoire ou un truc comme ça.
LFB : Avant de parler de l’album, j’aimerais bien parler de deux choses qui vont avec. Déjà, il y a la pochette. Je trouve qu’elle représente bien ce que pour moi représente l’album, c’est-à-dire une sorte de surréalisme coloré.
Josy Basar : Ah ouais, ça c’est un truc qui me parle un peu. Quand tu parles de surréalisme, il y a un truc… De par mon parcours via l’art contemporain avant, il y a un truc sur lequel je me suis beaucoup attardé, c’était les artistes contemporains qui travaillent le principe de surréalisme social. C’est un truc, dès que j’ai entendu, lu ou vu quelque chose qui travaillait sur ce terrain-là, ça m’a beaucoup plus. Ou le réalisme du banal. Cette poésie du banal, des trucs un peu humbles comme ça.
Tu parlais de pudeur tout à l’heure et en fait, ce disque via les clips et la pochette, et toujours l’idée d’avoir un masque entre les personnes. Justement, je trouve que cette pudeur, ça peut faire du bien de la revendiquer paradoxalement.
LFB : Il y a ce truc aussi qui est à contre-courant de l’époque dans la pochette, c’est la non-mise en avant de la personne.
Josy Basar : Ouais, ça me tenait un peu. Ça sera peut-être des choix différents à l’avenir mais pour ma part, je pense qu’on est beaucoup, beaucoup à souffrir de la dynamique des réseaux sociaux en général et de ce culte de l’individu talentueux qui arrive et pop comme ça. Ce qui est finalement quelque chose d’assez marketing. On découvre aussi en un certain sens que les réseaux sociaux arrivent, te laissent penser que n’importe qui peut bronzer comme ça. On en parlait avec d’autres artistes qui ont 40 ans, qui commencent seulement à décoller, contrairement à cette idée de : j’ai 21 ans, je suis talentueux et tout. Je trouve que justement, c’est intéressant de prôner la non-mise en avant… En tout cas, pour incarner un disque, c’est un propos. Ce disque s’annonçait plus comme ça. Pas forcément par timidité, mais par parti pris. Ça me semble être un parti pris que de ne pas se mettre en avant. J’aime bien la physicalité sur scène mais j’aime bien que les gens soient surpris par ça.
LFB : Même dans les clips, tu apparais peu ou quand tu apparais, c’est pour incarner justement le propos de la chanson, plus que pour de la mise en avant. Pour La ligne par exemple.
Josy Basar : Oui, pour ce titre-là, il y a une adresse de tutoriel un peu directe. Il y a l’aspect un peu prof des beaux-arts qui arrive comme ça et là, ça me semblait logique. Après, il y a toujours ce masque via le filtre, la lumière. Le discours est tellement abstrait que ça en devient un masque aussi. C’est un petit peu chercher une justesse à chaque titre. C’est l’occasion de collaborer avec des artistes que j’aime trop. Ce qui est le cas pour la pochette et les clips finalement.
LFB : L’autre chose que j’aime beaucoup, c’est le titre de l’album. Cette espèce de retour à la ligne et cette idée de renouveau qui correspond bien. Même si c’est un premier album, il y a beaucoup cette idée de renouveau et de nouveau départ.
Josy Basar : Ouais, de retour au point A. C’est un peu le premier truc qui m’a un peu hanté quand je l’ai écrit au château de Menthon. Quand je suis allé jouer en Europe de l’Est, c’était cet horizon qui, entre ici pareil que chez nous dans l’est, jusqu’en République Tchèque, jusqu’à la Bourgogne, cet horizon qui ne cesse d’être là, cette ligne qui, même quand tu es loin de chez toi, tu la retrouves. Il y a cet entêtement qui revient par le paysage, par ce que tu traverses. Tu refais un point. C’est un petit témoignage de vie mais encore une fois, qui n’a rien d’exceptionnel. C’est un témoignage de vie. Je l’espère en tout cas, c’est dans la vocation de faire de la chanson à tendance pop. De trouver un discours où d’autres personnes pourront s’y retrouver. Dans ce rapport esthétique.
LFB : Quand tu appelles un album Alinéa, que le premier titre s’appelle En suspens et que le dernier s’appelle Terminus, il y a quand même une recherche de storytelling et de mouvement. Je me demandais comment tu avais agencé la construction de cet album ?
Josy Basar : La première difficulté, c’est qu’il y a certaines chansons qui ont été écrites bien avant, sous forme de singles. C’est là où Romain et Mélo du label m’ont vachement aidés. Je n’osais pas sortir ces trucs-là et ils m’ont dit que c’était légitime. En fait, il a fallu pour cet album coudre des liens entre des morceaux écrits depuis longtemps et un ensemble de plusieurs titres, une vingtaine de titres que j’avais écrits en résidence d’un trait qui sont arrivés comme ça. Donc c’était un peu un travail de couture au début. Au final, à force de savoir que tu ne sais pas trop coudre, et que tu prends un peu de recul, tu te dis que c’est logique.
LFB : J’ai l’impression que c’est un socle. Ce premier album est un peu la base solide du futur.
Josy Basar : Ouais, c’est un peu ça. Construire une espèce de petite bâtisse. On commence à couler la chape. Il faut que je m’y retrouve. Encore une fois, quand tu construis ta maison, tu calcules les trucs.
LFB : Ça aurait très bien pu s’appeler Fondations.
Josy Basar : Ouais, c’est un petit peu ça.
LFB : Je trouve qu’il y a cette idée. Finalement, tu as les singles qui sont sortis il y a deux ans qui se fondent là-dedans. Ce que je trouve intéressant, c’est que dans la façon dont tu as choisi les titres, il y a cette espèce de cohérence dans l’écriture. Tu ne vois pas justement la différence.
Josy Basar : C’est un super retour. Tant mieux, ça me rassure.
LFB : Moi qui te suis depuis le début, je trouve qu’il y a une vraie cohérence dans la façon dont il est créé. On parle de l’Est et on avait parlé d’influence la dernière fois, mais je trouve qu’on a oublié une influence qui marche avec les frontières, celle de la techno allemande dans ce que tu fais.
Josy Basar : Ouais. C’est con mais je regardais un truc et je me reconnaissais vachement la dernière fois, une interview de Flavien (Berger) qui disait qu’au début, il écoutait ce type de musique et qu’à un moment, il s’est dit qu’on avait le droit de faire ça en musique. Moi le truc, c’est que venant de l’Est, il y avait des sonorités que j’entendais depuis des lustres. Parce que finalement, il y a la techno allemande qui revient beaucoup. On en parlait avec Sylvain tout à l’heure, de cette mouvance techno/rave. C’est un truc sur lequel je suis en train de m’attarder. Celle des années 90, tout ce qu’à sortir Bonzaï Records ou ce genre de techno qui tout simplement te font remémorer quand tes grands frères, tes grandes sœurs faisaient la teuf, que toi t’avais 12 ans et eux en avaient 22. Ils allaient à telle salle des fêtes et ils écoutaient cette musique-là, beaucoup de Belgique, musique trance, avec toujours des mélodies, des trucs très mélancoliques, qui marquaient un peu la fin 90, début 2000. On ne savait pas. Il y avait une espèce de néo-futur qui était cool à ce moment.
LFB : C’était l’idée de fin de siècle.
Josy Basar : Ouais, c’est ça. Je trouve ça très attachant, surtout que ça marque beaucoup de choses pour les gens qui sont nés début 90 ou avant ça et qui se trouvent en transition. C’est le moment où internet a commencé à faire comme ça, pour les meilleures et les pires raisons. Il y a tout ça. Je divague beaucoup mais quand j’ai commencé à écouter de la musique industrielle, la musique plus techno, quand j’ai commencé à constater que ça ne se passait pas si loin de chez moi, ça m’a encore plus touché. Je me suis dit qu’il y avait un truc. Il y a des atomes crochus qui se font et tu te dis que c’est marrant qu’il y ait ça. Et ça se sent encore une fois dans les paysages. C’est comme le Nord et l’Est. Il y a des grandes connivences, qui ne sont pas que météorologiques.
LFB : Ou avec Saint-Étienne. Des trucs un peu de région post-industriel.
Josy Basar : Ouais, ce sont des paysages qui te donnent envie de courir vers eux mais en même temps, tu sens…
LFB : Quand tu es dedans, tu as envie de te barrer.
Josy Basar : Bah ouais, et parfois de revenir, pour te re-barrer.
LFB : Quand j’écoute ta musique, la démarche que je vois, c’est une musique minimale pour une émotion maximale. Je trouve que c’est la meilleure manière de définir ce que tu as essayé de faire dans l’album.
Josy Basar : C’est trop beau. C’est super chaleureux à entendre. C’est ce que je revendique mais ça va plus être inhérent à ma pratique de la musique, qui est à la base assez complexée. J’ai de plus en plus d’amis qui sont musiciens et qui ont un background, un rapport à la musique ou à l’harmonie en tant que tel. Ça avait tendance à me faire complexer. Je me dis que du coup, j’essaie de prendre mes marques. J’ai essayé de trouver un équilibre entre ce que j’aimais écouter, ce qui me touche réellement dans ce que j’écoute. Quand j’ai des potes qui partent en vrille parce que la suite d’accord est incroyable, moi je ne m’y retrouve pas forcément. Par contre, quand j’y trouve une incarnation à une espèce de truc, un mot est lâché, c’est ce son et pas un autre. Des trucs très concrets qui vont à l’essentiel. C’est finalement mes points d’accroche. C’est là où je m’y retrouve aussi bien en tant qu’auditeur qu’en tant que quelqu’un qui produit le son qu’il peut. Mais c’est super bien dit. L’émotion, ça dépend comment elle est reçue c’est sûr.
LFB : Tu as un morceau qui s’appelle Voyageur sédentaire, j’ai l’impression que c’est aussi ce que tu cherches à faire. Tu fais de la musique pour transporter les gens ailleurs.
Josy Basar : Ouais. À un moment donné, quand j’arrivais à Paris, ce qui était chouette, je parle avec Voyou qui avait un discours ultra bienveillant et qui à un moment donné disait que lui son parti pris, c’est de faire de la musique tout simplement sans prétention, qu’il y ait un truc d’évasion et de bonhomie pour les gens. Je me suis dit que c’était fou, qu’on ne m’avait jamais dit ça si simplement. Le fait de transporter, sans trop d’ambition. À la base, beaucoup des titres comme celui-là, viennent d’anecdotes qui n’ont rien d’exceptionnelles. Ça, c’était un lien entre ma vie en Chine et la vie que j’avais à Paris en revenant avec un petit détour par des formes opiacées de soirées récréatives. Cette espèce d’illusion d’être complètement chez soi sans l’être. Pour revenir au premier titre, de s’assumer en tant que quelqu’un qui est à côté de la plaque. Je trouve ça cool de se dire que je suis à côté de la plaque. Je suis un rêveur et j’encourage les gens à rêver ou à les conforter dans leurs rêves, dans le fait de ne pas être dans leur temps parce que ça peut être une sécurité aujourd’hui.
LFB : Justement, à travers la pudeur et la façon dont tu as d’écrire, en étant critique tout en étant compréhensible, ça laisse place à des interprétations hyper personnelles et intimes des gens par le vecteur de ta musique.
Josy Basar : Quand j’ai commencé la musique en tant que telle, parce que c’est comme ça que je le vois, c’est un peu cet exercice. Tu pars du moi pour aller jusqu’aux autres et sinon… Ça peut être de la chanson autrement mais je pense que la chanson multiforme, qu’elle soit très pop et très écoutée ou qu’elle soit une musique de niche, si c’est de la chanson, à mon sens on se raccorde et on se raccroche un petit peu à ça. Je ne suis pas du tout du genre à parler devant dix personnes que je ne connais pas en règle générale, ça me fait peur. Je suis plus du genre à écouter et à entendre à moitié. Mais là, c’est le moment de le faire, toujours dans un esprit de partage et pas forcément de discours frontal.
LFB : Tu parles de chansons. Moi je définis ta musique comme de la chanson française. La question qui se pose, c’est si c’est important de pouvoir s’amuser et de pouvoir continuer à s’amuser avec cette idée de chanson française qui est malgré tout très codifiée.
Josy Basar : Oui, et sur plusieurs plans, c’est très complexe. Ce sont les premières questions qui te viennent. On en a peut-être parlé l’autre fois. C’est comment tu fais une langue si riche ? Au tout début quand j’ai commencé, j’avais l’impression qu’il fallait soit faire de la poésie, soit de la blague. Les deux me font peur. Je ne suis pas super fan de la blague pour la blague en musique. Il y en a qui le font très bien et c’est très chouette. Mais du coup, je ne me situais pas. Je me demandais comment je pouvais faire. Je me suis dit pareil. Un mot sonne dans le silence qu’il y a après lui ou avant lui. Et je trouvais que moins on était bavard… Surtout aujourd’hui. On est dans une actualité très bavarde. Je trouve qu’avoir un mot qui se balade comme ça… C’est finalement des trucs que j’ai retrouvés parce que la chanson française est très riche. Ce sont des trucs que j’ai retrouvés chez Jacno, des trucs comme ça, qui vont structurer quelque chose avec soit un titre, soit un mot. Pareil quand Catherine Ringer chante et qu’elle a un double discours, que ça se veut très joyeux et très ludique, très infantile et qu’en fait derrière le texte se cache un truc très monstrueux. Ce sont des trucs qui m’intéressent un peu.
LFB : Cette espèce de fausse simplicité.
Josy Basar : Ouais, c’est ça. Une naïveté à revendiquer mais une naïveté qui cache autre chose.
LFB : Oui, parce que malgré tout, il y a quand même de la noirceur dans ta musique.
Josy Basar : Beaucoup oui. Ça s’entend dans le disque aussi ou plus en live ?
LFB : Peut-être plus dans le live, mais dans le disque aussi. Si tu prêtes l’oreille aux paroles, un morceau comme Opossum par exemple, à force de l’écouter, tu sens qu’il y a un discours un peu moins entraînant que la musique.
Josy Basar : Ouais, c’est le contrepied qui m’intéresse aussi. Sans tomber encore une fois dans la blague, parce que c’est un sujet qui n’est vraiment pas marrant, surtout aujourd’hui. Mais encore une fois, c’est comment tu peux un peu rêver la dépression. Ça touche tellement de gens que tu aimes, c’est une saloperie ce truc. C’est un ravage. À un moment donné, comment tu en parles en prenant l’allégorie d’un petit animal dont on se moque sur Instagram ? C’est un petit peu ça, le contrepied. À un moment donné, ça te pèse tellement que tu te demandes comment tu peux parler de ça. Je n’ai pas été atteint de ça autant que d’autres amis ou familles qui ont été affectés par la dépression. Mais c’est un truc qui te pèse. Les gens que tu aimes, tu n’as pas envie de les voir mal tout simplement.
LFB : Oui, et à l’inverse, un morceau comme Les jonquilles qui peut être un peu plus dur dans la musique, est beaucoup plus lumineux dans ce qu’il raconte.
Josy Basar : Ouais, c’est ça. Justement, il y a le contrepied. Toujours cette espèce de petit puzzle que tu essaies de voir. Après, ça reste une ouverture. Opossum, on s’enfonce un peu plus. Quoi que, dès l’instant où le mot demain arrive, pour moi c’est déjà un truc « lâche pas » ou si tu lâches, on pense à toi. On a le droit de lâcher, justement. Les jonquilles va un peu dans ce sens-là. C’est plus un truc géographique et social. Tu vois, tu viens à Paris en te disant que tu vas tout défoncer. En fait, Paris existait avant que tu y arrives. Personne ne t’attend, du coup rentre chez toi.
LFB : C’est le complexe provincial. C’est ça qui est intéressant, cette idée de ne pas faire de la musique de parisien. D’assumer ses racines, sa trace d’accent. Un mec comme TERRIER le fait très bien par exemple. Il le dit dans ces chansons : oui, je suis un peu un gueux et je le resterai.
Josy Basar : C’est un discours dans lequel je me retrouve vachement. Paris, ce qui est marrant, c’est que c’est une ville de gueux. Il n’y a quasiment que des non-parisiens, qui sont là depuis vingt ans. En fait, ce n’est même pas la faute de la ville ou des gens. Il y a des gens exceptionnels que je n’aurais jamais pu rencontrer avant. Ça peut être très stimulant. Mais il y a un fantasme d’aller vers là où les choses se passent vraiment.
LFB : Cette idée de « monter à Paris », je trouve que c’est un truc qui n’existe plus dans notre époque parce que finalement, avec internet ou toutes les possibilités, peu importe d’où tu viens, ta musique est entendable.
Josy Basar : Alors ça, c’est une bonne chose. Après, je pense que c’est bien d’aller voir les choses pour les connaître et savoir si ça te convient ou pas. Pour ma part, à un moment donné, j’ai un peu perdu le sens des choses là-bas. C’était surtout lié au niveau de vie finalement. Mais j’ai l’impression que c’est plus des questions politiques aujourd’hui. Cette espèce de retour à l’échelle 1. Une ville comme Metz où tout le monde se connaît très facilement ou pas. Tu bois un café le matin, tu vois tel mec qui fait de la musique, qui organise des trucs sous les ponts depuis vingt ans. Toi, tu es là. Tout le monde se dit salut. Entre les gens du spectacle de l’art vivant, qui font en sorte que les scènes existent, il y a une espèce de truc échelle 1 où j’ai l’impression que politiquement, les gens vont de plus en plus vers ça aussi. Même dans leur mode de consommation, dans leur rapport aux gens. Moi, je le cherchais tout comme eux. Mais je le cherchais par rapport à mon médium quoi. Je ne me sentais plus… Je cherchais un peu de confort et d’humain. Le fait d’avoir de l’humain me stimule plus que d’être dans un endroit qui te pousse à courir tout le temps vers des modèles de réussite.
LFB : C’est comme signer chez Coco Machine, ce n’est pas innocent. C’est un truc qui te permet de prendre le temps et de te développer.
Josy Basar : Justement, dans le sens où on s’est développés en même temps. Avec 2PanHeads par exemple, on a amorcé ça. On les rencontre à Metz en jouant là-bas. Finalement, on se rencontre avec Romain . On a vachement sympathisé, pour des questions existentielles aussi. On parle et finalement, il monte le label en même temps que notre rencontre. C’est pareil, dans des milieux un peu plus de niches, encore plus alternatifs parce que Metz a une bonne scène black metal, il y a un groupe que j’adore qui s’appelle Loth qui a bâti son fief. On parle. C’est ça que j’adore à Metz. Moi, je vais faire de la chanson et je vais parler à Flo, chanteur de Loth. C’est super agréable.
Flo, qui est aussi l’ancien disquaire de la face cachée, je lui parlais de ça et il me disait que pour les labels, si j’avais la chance et l’immense privilège d’avoir des copains qui montent un truc, il fallait que je les rejoigne. Il ne fallait pas chercher plus haut, parce que ça ne veut rien dire. On allait tout apprendre ensemble. Encore une fois, le principe de bienveillance intervient. Ce sont des copains qui montent un truc, qui se donnent de fou. Qui se donnent vraiment au mieux, avec leurs contraintes de vie. Parce que ça inclut beaucoup de bénévolat.
LFB : Il faut se dire aussi que si tu prends un gros label, ils n’ont pas le temps de faire du développement et je ne suis pas sûr que tu aurais pu sortir ton album aussi facilement que tu as pu le faire.
Josy Basar : Ouais, il y a une espèce de liberté. On est entre nous et on a tous envie de voir un disque comme ça. Je suis hyper heureux. Ils voient le disque et ils sont trop contents. Encore une fois, c’est de l’humain. On a envie que tout se concrétise ensemble. Ça inclut beaucoup de bricolage. Le fait de faire des allers-retours pour récupérer les presses, machin. Mais c’est ce qui est marrant, comme entre potes. Comme quand tu te trouves à monter une sono, que tu es quatre copains et que tu dois organiser un concert dans un chant. C’est pareil. Ce sont les mêmes dynamiques. Tu comprends le sens des choses. Ça me paraît clair. Du coup, ça m’évite de me poser des questions à la con du style ; pourquoi tu fais ça ? Ça ne sert à rien. Quand tu es bien entouré…
LFB : Et quand tu es avec des gens qui peuvent te répondre.
Josy Basar : Ouais, clairement. Après, je ne sais pas du tout ce que c’est de signer chez un gros label et tout, mais pour l’instant, ça ne m’intéresse pas.
LFB : Cet album et ces morceaux-là, tu les portes depuis deux ans.
Josy Basar : Deux ans pour les tout premiers, genre Madonne, Opossum, Sol 21. Ce sont les trois que j’ai gardés. Sable Noir qui n’apparaît qu’en live et n’apparaît pas sur le disque. Ces trois morceaux sont là depuis deux ans et ça va bientôt faire un an pour le reste de l’album.
LFB : Comment vois-tu vois l’évolution ? Qu’est-ce que tu as envie d’aller chercher ?
Josy Basar : Dans tout ce que tu as dit si justement, ce qui m’intéresse, c’est de chercher les fondations de chaque chose. D’être à la fois dans un langage de plus en plus épuré, venir de plus en plus à l’essentiel tout en assumant de plus en plus le parti pris de la chanson. Ça va être un travail de funambule. Surtout assumer ce qui est le plus dur à assumer, ce qu’on demande souvent. On ne comprend pas trop : tu fais de l’électro ou de la chanson ? Je suis content de voir tout ce qu’il se fait maintenant, il y a une sensation où tu t’inscris dans quelque chose. Dans cette espèce de recherche. Il n’y a pas besoin de se justifier parce que plus le temps passe et on me demande si je veux choisir un truc plus électro ou plus chanson. Il n’y a pas longtemps, on m’a super bien conseillé et on m’a dit qu’il fallait que je pousse les deux. Si tu aimes quand ça fait boum boum, si tu aimes bien la musique plus ambiante, plus expérimentale… Le travail va être d’articuler au mieux les deux. J’aimerais bien jouer sur des codes de la chanson qui me touchent, même dans l’orchestration, tout en conservant ce truc très fondamental, très rudimentaire du rapport au rythme et aux mots via le rythme. Ça n’a pas à être dissocié finalement. Pour la suite, je suis dans un travail d’affinage. Dans ce travail sempiternel de justesse et d’incarnation d’un truc. Gratter, gratter, gratter. Il y a un cumul de qu’est-ce que tu gardes et comment tu assumes tes outils de travail.
LFB : Est-ce que tu as des choses récentes qui t’ont touché ?
Josy Basar : La pluie de Brigitte Fontaine. Je suis très lent sur les fondamentaux.