Joy as an Act of Resistance de Idles : Boys do cry

Musique et politique, acte 2 ! Quelques jours après vous avoir parlé du premier album de Kiddy Smile, on passe de la house au punk pour se diriger vers les terres brutales de Idles. Moins d’un an après leur premier effort, Brutalism, le gang de Brixton a visiblement toujours beaucoup de choses à dire avec ce Joy as an Act of Resistance où l’on parle de la vie, de l’actualité, d’amour et d’une forme de masculinité toxique qui doit définitivement disparaitre.

Enfonçons une porte ouverte : non, l’époque n’est pas glorieuse. Elle est même plutôt terriblement affligeante, flippante et carrément pas engageante. Alors comment faire pour résister, pour exister, pour vivre dans un monde où tout nous donnerait plutôt envie de baisser les bras ? Et bien tout simplement en faisant exister ce qui ne semble pas fait pour se trouver des atomes crochus. Y’a t’il plus antinomique que la rage et la joie ? A priori, pas vraiment. Et pourtant, ces deux sentiments si éloignés ont fini par copuler pour offrir au monde la catharsis qu’il attendait désespérément, donnant naissance à un quintette made in Bristols : Idles.  Et définitivement, si la joie est un acte de résistance, elle est aussi un des albums les plus importants de cette année 2018.

3 prises et pas une de plus, telle est la devise des Idles. Pas de superflu, pas de recherche de la perfection, mais une envie, un idéal, celui de garder l’urgence, la puissance et la brutalité de chansons qui marchent comme des uppercuts. Cette gageuse existait déjà sur Brutalism, elle est à nouveau utilisée pour Joy as an Act of Resistance. Et c’est sans doute ce qui fait en partie la réussite de la musique des Anglais, cette sensation de fraicheur, d’immédiateté, d’un son qui transpire et qui est humain, avec ses défauts, ses qualités, ses erreurs. Bref, une proposition musicale, une vraie. En résulte donc un son massif, qui tape, qui accroche, qui frappe. C’est la première sensation qui nous envahit à l’écoute de l’album. C’est un son lourd, habité, impressionnant qui devient par moment presqu’oppressant, notamment sur June. Mais toute zone d’ombre a aussi ses lumières : les guitares lumineuses et la basse énergique de Danny Nedelko en sont l’exemple parfait.

Des bombes sonores, l’album en est gorgé, c’est l’essence même du punk que d’envoyer avec force des chansons qui appellent à l’exutoire, à l’exaltation. À ce titre Television, Gram Rock, I’m Scum… en réalité la quasi totalité de l’album fait son office d’efficacité et d’intensité.

On pourrait se contenter de voir Idles comme un vulgaire groupe punk à l’énergie débordante, et certains s’en contenteront certainement, mais à l’image de leurs contemporains Slaves, ils ont des choses à dire. Et comme le duo du Kent sur Acts Of Fear And Love, ils mêlent avec aisance sujets de sociétés et plus intimes, le tout à l’aide d’une écriture aussi précise que poétique. Danny Nedelko est un véritable plaidoyer humaniste contre la xénophobie alors que Great est une charge virulente contre le Brexit et la peur du changement à une époque où l’Angleterre semble encore et toujours plus à la recherche d’une grandeur passée qu’elle ne retrouvera plus. Rottweiller semble parler de troubles mentaux et Television est un hymne, un appel à la révolte contre les diktats de la société de consommation qui cherchent indéfiniment à nous mettre en cage, à nous faire constamment nous sentir mal pour mieux nous soumettre. Et puis il y a aussi Love Song et June, qui forme un duo aussi étrange qu’évident. Si la première semble être une déclaration d’amour déglinguée de Joe Talbot à sa petite amie, la seconde, qui parle de la perte de sa fille mort-née par le chanteur, est sans doute l’une des chansons les plus pesantes et douloureuses qu’on ait eu à écouter, juste à l’aide d’un refrain aussi simple que déchirant, et qui donne une lumière bien différente à la première. Mais ce qui apparait dans presque tout l’album c’est cette façon de défoncer au bulldozer les carcans d’une masculinité aussi toxique que désuète. Colosus, Samaritans, Cry To Me… Oui, les hommes pleurent, sont vulnérables, aiment, dansent et surtout existent en dehors de l’ombre de leur père.

Idles frappe fort avec ce second album qui a tout l’air d’un futur classique et d’un album qui marquera son temps de son empreinte, de part son urgence, son regard avisé sur le monde qui l’entoure et surtout la grâce de ses paroles. Joy is an Act of Resistance, alors résistez putain !