ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les chansons qui les définissent. Julii Sharp vient de dévoiler le super Burning Line. À cette occasion, la musicienne nous dévoile ses influences musicales.

Wonderful life – Felice Brothers
Il y a une dizaine d’années, un ami m’a envoyé une version live de ce morceau. Au début, la voix de Ian Felice s’est imposée à moi avec une douceur et une profondeur qui n’était rien à côté de la poésie qu’elle détenait puis déversait comme une poussière vieille de centaines d’années qu’on reconnaît comme si elle était là depuis toujours.
Quand on voit le live, on ressent un engagement mêlé à une pudeur dans la posture du chanteur: la voix est puissante mais retenue, les yeux renversés vers l’intérieur comme pour lire ce qui y est inscrit. Je ne suis pas férue d’accordéon, mais quand celui-ci arrive, je suis tout de suite projetée dans un cabaret sombre, bringuebalant, une bâtisse qui tiendrait qu’à quelques fils de fer… Mais qui tient. Et enfin les choeurs. Là juste pour porter encore plus loin la poésie. Il n’y a pas de déguisements, c’est beau, mais on dirait que ce n’est pas fait exprès.
J’ai choisi ce morceau parce que c’est le premier que j’ai entendu de ce groupe, mais je conseille bien sûr les albums, dont le dernier en date, Valley of abandoned songs.
Golden Apple – Country Teaser
C’est le premier morceau que je découvre de Country Teaser. Été 2023, sur la route des Landes. Je somnole à l’arrière de l’Audi 80 (je précise la marque parce que ça va bien avec la chanson).
Entre deux égarements de mon inconscient, je perçois les premières notes de guitare – Onze notes en boucle qui s’entremêlent au tableau. Une ritournelle fantastique de cinq minutes, sale comme le sol du métro londonien et réjouissante comme un lever de soleil sur l’océan.
C’est un cocktail noir, sucré à point, saignant, punk. Mon rêve, ça serait d’en écrire un comme ça : il y a tout, avec rien. C’est la nonchalance à son apogée : Ils sont pas là pour te faire plaisir, et pourtant…
Golden Apple a inspiré la ligne de basse de Pirate in the Room qui est un morceau de mon album… Quelques litres de whisky en moins dans le gaviot…Et encore…
Not – Big Thief
Difficile de ne pas parler de ce morceau, et surtout de la version live: Bunker Session. C’est un groupe que j’ai énormément écouté, dès leur début et leur apparition dans Tiny Desk concerts.
Not défie mes propres lois de la gravité (si tant est qu’on puisse avoir ses propres lois de la gravité, mais c’est un autre débat). Le jour où je suis tombée sur ce live, je connaissais le groupe depuis des années, et pourtant, je les découvrais à nouveau. J’ai pris un marteau de la taille d’une étoile dans le fond de mon corps, du genre à irradier une galaxie toute entière.
Certains diront que j’exagère, mais quand on tombe sur quelque chose qui vient toucher si profondément une part de nous-mêmes, c’est le monde entier qui tremble.
Comme pour Ian Felice dont je parlais tout à l’heure, les yeux sont révulsés vers l’intérieur, le corps dans son entièreté devient l’instrument. Quand je les vois, ça me fait penser à un train.
C’est bizarre dit comme ça, mais c’est comme si on les avait posés sur des rails, et qu’ils avançaient, sans flancher, jusqu’à l’arrivée et au dénouement: lâchés en miettes à nos mâchoires entrouvertes. Je ne vais pas spoiler davantage, et un conseil : écoutez-le fort.
Viens viens – Marie Laforêt
2018, en voiture avec ma mère. Elle me parle d’une certaine Marie Laforêt et s’étonne que je ne la connaisse pas. Alors je prends mon portable, tape son nom sur YouTube et mets le premier morceau qui apparaît : viens viens. Je suis complètement hypnotisée. Ce n’est pas difficile de tomber dans ses yeux, à Marie, tout le monde le sait.
Je n’avais jamais rien vu de pareil… Pourtant l’orchestration n’est pas trop originale et viens viens a tout d’une chanson populaire de l’époque. C’est l’acte qui me bouleversait. La voix devenait un tout, à travers lequel elle transformait une chanson qu’on pourrait trouver banale en un tableau magnifique, puissant et désespéré. Je tombais immédiatement amoureuse de cette tessiture portée par un jeu d’interprétation qu’elle avait inventé.
Pour terminer, si je choisis d’en parler, c’est aussi pour la façon dont elle tisse la langue française à des sonorités qu’on n’attend pas. Ça m’a beaucoup inspirée à cette époque… Mon premier EP comporte trois chansons sur six dans cette langue, je vous laisse deviner pourquoi.
What are they doing In heaven Today – The Deslondes feat Twain
On parle ici d’un morceau écrit par l’un des fondateur du Gospel noir américain: Charles Albert Tindley. Je le découvre dans mon appartement miteux de l’époque, tout petit, tout rempli de mes cours de fac qui me faisaient franchement moins rêver que l’idée d’aller rencontrer de vrais folkeux de la Nouvelle Orléans… A ce moment-là, mes seuls voyages sont les trajets nuls sur la ligne A de « Marengo SNCF » à « Mirail Université », et le rayon « musiques du monde » de la médiathèque José Cabanis.
Béni soit le jour où je tombe sur « The Deslondes ». Cinq kids du Mississippi, chantant à tour de rôle leurs compositions pendant que les autres accompagnent en choeurs et en musique.
Au cours de mon exploration, je découvre what are They doing in Heaven. Interprété au chant lead par Sam Doores, l’un des fondateurs du groupe, Twain (en Feat sur le live) et enfin le reste des musiciens en accompagnement. Le morceau me fait bondir. La voix de Sam, douce comme c’est pas possible laisse place à celle, hurlante, de Twain. Deux couleurs complémentaires pour chanter « mais que font-ils au paradis aujourd’hui? ».
Pas besoin d’être une grenouille de bénitier pour se laisser porter par la mélancolie merveilleuse de ce qui se passe. Le violon transperce le bois comme un éclair, les chœurs se soulèvent comme les voix de ceux qui ne sont plus, et le son si particulier de cette guitare qu’on retrouve dans tous leurs albums en fil d’Ariane se dépose pour toujours au creux de mes influences.