Juniore est de retour en cette rentrée avec Trois, Deux Un, un troisième album qui continue d’affirmer la patte à la fois sonore et thématique du groupe. On a eu le plaisir de pouvoir discuter avec Anna Jean, chanteuse du projet, lors de leur concert complet à l’Aeronef. On a évoqué ce nouvel album, mais aussi le précédent, l’évolution de l’écriture, l’Amour comme source d’inspiration infinie et le besoin d’être parfois discret et en décalage avec son époque.
La Face B : Bonjour Anna, comment ça va ?
Juniore : Écoute ça va bien. Un peu fatiguée parce qu’on reprend doucement les concerts et qu’on avait un peu perdu le rythme. On avait oublié ce que c’était de plier, déplier, charger, décharger, conduire. C’est une bonne fatigue.
LFB : Vous avez repris cette semaine. Ce soir, c’est complet. C’est complet à Paris aussi depuis un moment déjà. Pour un groupe discret, est-ce que ça reste surprenant de voir qu’on est encore attendu ?
Juniore : Ouais, surtout après quatre ans parce qu’on n’imaginait vraiment pas que ça allait être facile. Alors ce n’est pas facile de revenir au bout de quatre ans de silence. Ce n’est pas forcément la chose la plus facile mais on a eu des gens vraiment très sympa. Il y a eu des gens qui nous avaient attendus, qui sont venus nous voir à des concerts en nous disant qu’ils étaient trop déçus que les concerts aient été annulés en 2020.
LFB : Dans le même temps, j’ai remarqué que sur chaque date en région, vous faites une dédicace de l’album chez des disquaires. Est-ce que c’est important de renouer ce contact direct avec les gens ?
Juniore : C’est sûr. Ce n’est pas quelque chose qu’on avait forcément fait avant mais on s’est aperçus, comme on se produit un peu nous-mêmes, c’est Samy (Osta nldr) qui produit, c’est notre label. On s’est rendu compte que c’était important d’aller voir les disquaires juste aussi pour les voir, pour voir les gens qui vont vendre notre petit produit artisanal qu’on a fait, de les rencontrer, de voir s’ils avaient reçu. Donc d’aller voir les disquaires, c’était hyper important et en même temps, d’essayer de rencontrer les gens. Ce n’est pas forcément évident pour les gens de se libérer. Il n’y avait pas beaucoup de monde qui est venu à ces rencontres mais une poignée, et notamment un monsieur qui avait conduit d’Allemagne hier à Rouen.
LFB : Tu en parlais justement, Un, Deux, Trois, qui est pour moi un super album, était sorti juste avant le Covid. C’est un album qui n’a pas eu la vie qu’il méritait. Est-ce qu’il y a une volonté de ressortir ces morceaux-là pour le live et de leur redonner une vie ?
Juniore : Oui, complètement. On a fait un choix quand même parce que c’est toujours un peu frustrant. On avait fait une résidence en préparant vraiment tout un spectacle autour de Un, Deux, Trois. Finalement, on n’a jamais pu le jouer. On n’a joué qu’une fois et après c’était le Covid. Du coup, il y a quelque chose de frustrant de devoir rejouer quelque chose que tu as mis en place il y a quatre ans. On en a gardé certaines mais on en a enlevé aussi pas mal. C’est difficile quand on est un groupe comme nous, on n’a pas un grand succès avec des tubes. Du coup, qu’est-ce qu’il faut jouer ? Du coup, on aménage un peu et on met les morceaux qu’on aime bien je crois.
LFB : C’est marrant que tu parles de succès parce que j’ai l’impression que Juniore est un peu le groupe que tout le monde connaît sans vraiment connaître. Vous avez une musique vraiment utilisée, que ce soit dans les films ou dans les pubs, avec une identité sonore très reconnaissable.
Juniore : C’est vrai. On n’a pas forcément, surtout moi, hyper bien incarné la musique qu’on faisait. Je ne suis pas hyper photo, selfie, tout ça. Je le fais mal. Je crois que je mets mille ans. Du coup, je ne le fais pas. En plus ça me stresse. Je n’y arrive pas. Je suis complètement déconnectée, je ne suis pas du tout réseau. Du coup, je crois que je n’ai pas réussi à l’incarner. On me l’a beaucoup reproché. Quand on est un groupe en développement, on a des rendez-vous avec des professionnels, que ce soit de la SACEM ou des trucs comme le Chantier des Francos. Il y a des rendez-vous comme ça que tous les gens autour de nous faisaient et on nous a proposé d’en faire certains. Et c’était systématique, on nous disait qu’il fallait incarner, être là, parler aux gens. Et moi, je n’y arrivais pas du tout. Je pense que ça a contribué à faire un truc d’anonymat bizarre.
LFB : Pour moi, c’est une vraie qualité parce que c’est quelque chose qui te représente, ce besoin d’être en retrait de l’injonction de l’époque à incarner sa musique.
Juniore : J’ai essayé mais je n’y arrive pas. Donc à un moment, je me suis dit qu’après tout, j’ai le droit aussi de ne pas réussir à m’adapter à mon époque. Elle est exigeante cette époque. Il faut tout le temps être connecté, raconter ce qu’on fait, faire des stories. Je ne sais pas faire.
LFB : Oui alors que ça devrait être la musique qui devrait parler.
Juniore : Oui. Et puis, c’est vrai que dans un sens on se dit… Je pense que c’est un peu facile de dire ça parce qu’il y a beaucoup de groupes que j’aimais aussi pour tout ce qu’ils incarnaient, toute l’image aussi et c’est important. Avant je pensais que plus les gens avaient des déguisements comme David Bowie, plus je pensais qu’ils étaient sûrs d’eux. Après coup, j’ai compris que ce n’était pas du tout ça. C’est Bob Dylan qui est tout seul avec sa guitare qui est très sûr de lui.
LFB : Je vais reparler de Un, Deux, Trois qui pour moi marquait une espèce de libération et de radicalité, de choix d’orfèvrerie pop, même dans la façon dont il est écrit. J’ai l’impression qu’en fait, Trois, Deux, Un le poursuit. J’ai l’impression que les titres sont en miroir aussi par rapport à ça.
Juniore : C’est exactement ça. En tout cas, c’était l’idée. Il y a un moment pour Un, Deux, Trois où je me suis un peu affranchie de ce que cette époque exige aussi. Trois, Deux, Un, on s’est dit que c’était bien de raccrocher les wagons, de faire une espèce de conversation, d’essayer de continuer un peu cette conversation qu’on n’avait pas vraiment réussi à avoir en y ajoutant des petites choses particulières. Ne serait-ce que parce que dans la fabrication, il était très différent parce que le Covid nous a séparés les uns des autres. Alors que pendant des années, on avait tourné ensemble. On passait beaucoup de temps ensemble. Du jour au lendemain, ça s’est interrompu.
Et du coup, j’ai écrit les choses et j’ai envoyé, par exemple à Samy, les pistes par mail. On communiquait comme ça, là où avant j’aurais fait une ligne. Finalement, les exigences du moment ont fait qu’on était obligé de composer différemment et de communiquer un peu différemment. Je crois que ça nous a rendu moins timorés dans la façon de faire les choses parce que finalement, on était même affranchi du regard des uns et des autres.
LFB : Même dans la pochette, il y a un côté un peu négatif de l’une à l’autre, et en même temps le personnage de Samy qui est plus en recul avec les visages féminins qui ressortent plus. Il y a vraiment cette idée de choses qui se répondent et de complémentarité.
Juniore : Absolument, c’est exactement ça.
LFB : Est-ce que c’est parce qu’il y avait un goût d’inachevé avec le deuxième album ?
Juniore : Oui, et je crois que c’est une façon aussi de se redonner de l’élan, de se dire qu’on ne part pas complètement à zéro mais on renoue avec cette dernière chose qui était restée inachevée.
LFB : C’est marrant que tu parles d’élan parce que Le silence, c’est un morceau avec de l’élan, qui est très énergique pour ouvrir l’album. Il y a un truc de repartir à 100 à l’heure un peu.
Juniore : C’est exactement ça. C’est le premier que j’ai écrit pour ce disque.
LFB : Pour moi, il y a une chose qui définit bien la musique de Juniore et qui est très présente sur cet album, c’est l’idée de clair-obscur. Est-ce que c’est quelque chose qui te parle ?
Juniore : Complètement. Ça va paraître débile mais en cours de français en 3ème du collège à Nice où j’étais, on a appris les figures de style. J’ai appris l’obscure clarté qui tombe des étoiles de Victor Hugo qui est une oxymore. J’ai trouvé ça merveilleux à 14 ans. J’étais là : mais on a le droit de dire des choses qui ne veulent pas dire la même chose à côté ? Je crois que je suis restée un peu dans cette idée de clair-obscur. Ça me parle. J’adore cette idée.
LFB : Il y a cette idée d’être une musique un peu solaire et les textes sont beaucoup plus profonds que la naïveté. Il y a des sujets hyper sérieux et des choses qui sont traitées sous couvert de ce côté un peu naïf et qui amènent à la réflexion.
Juniore C’est rigolo que tu l’aies perçu. C’est exactement ça.
LFB : Tout en restant divertissant.
Juniore : Exactement.
LFB : C’était le cas sur le deuxième album et sur celui-là aussi. Il y a quand même cette idée de faire de la musique pour faire du bien aux gens et à soi-même.
Juniore : Tout à fait. C’est une notion hyper importante. Je trouve que c’est difficile d’écrire des choses tristes dans une époque qui est un peu particulière. L’époque qu’on vit n’est pas très réjouissante, même s’il y a beaucoup de choses très, très bien qui s’y passent. Mais il y a quand même des angoisses certaines. Je trouve que c’est difficile d’ajouter quelque chose de lourd et de pesant. Et en même temps, je suis traversée par ça donc j’aimerais bien qu’on soit contents tout en étant très angoissés. Il faut faire un peu les deux.
LFB : C’est schizophrénique un peu mais c’est l’image de l’époque aussi.
Juniore : Je crois oui.
LFB : Est-ce que l’Amour est une source intarissable d’inspiration ?
Juniore : Oui, complètement. Mais ce n’est pas forcément l’amour amoureux. C’est certainement un peu niais de dire ça mais j’ai l’impression que c’est la seule chose qui donne de la valeur à la vie.
LFB : La relation humaine, la parentalité, la transmission, tout ça, ce sont des choses qui traversent.
Juniore : Oui, tout. L’Amour, ce qui fait que tout à coup, une chose n’est pas qu’une chose. C’est animé, ça devient le verre de ma grand-mère, je l’adore parce qu’il appartenait à ma grand-mère. L’autre jour, j’expliquais que j’ai les doigts de mon père, j’ai la même main. Mon père a des doigts très raides, il n’est pas du tout manuel. Il croit que si mais il a des doigts très raides. J’expliquais que j’avais hérité de ça, je n’arrive pas à tendre les doigts, ils sont toujours un peu pliés, ils ne sont pas souples.
LFB : Ce n’est pas compliqué pour faire de la musique ?
Juniore : Si, sans doute mais j’y tiens vachement. J’adore mes doigts un peu biscornus parce que ce sont ceux de mon père. Donc oui, je crois que l’Amour, c’est ça.
LFB : Dans la façon d’écrire cet album, tu as gardé quelque chose qui était intéressant du précédent, c’est la répétition des mots qui revient très souvent. Mais par rapport à l’autre, je trouve qu’il y a un équilibre qui se fait avec la volonté de raconter des histoires et faire des espèces de courts-métrages.
Juniore : Complètement. Je crois qu’il y a l’idée aussi que quand tu écris des chansons, c’est un équilibre assez délicat parce qu’il faut d’abord que tu estimes que ce que tu racontes, ça ait suffisamment d’intérêt pour l’écrire. Déjà, faut être un peu mégalo. Mais en même temps, il y a tellement de chansons merveilleuses qui existent que tu ne peux pas être suffisamment mégalo pour aller jusque-là. Il faut avoir l’humilité de se dire que ce que tu écris, c’est un peu nul et ce n’est pas grave. Les gens vont l’entendre. Sinon tu ne sors rien.
Donc c’est un mélange très étrange entre se prendre un peu au sérieux quand même parce qu’on écrit une histoire et en même temps, on a l’humilité de savoir que notre histoire n’est pas très intéressante mais ce n’est pas grave. C’est un mélange un peu comme ça.
Du coup, je crois que je le fais avec les histoires des gens qui m’entourent. Quand ils me les racontent, je me dis que c’est super et que ça ferait une super chanson. J’y réfléchis un petit peu et j’ai l’impression que progressivement, c’est devenu un peu comme la BO de mon film imaginaire.
LFB : Tu incarnes des histoires qui ne sont pas forcément les tiennes.
Juniore : Exactement.
LFB : Est-ce qu’il y a un défi particulier à trouver le mot juste ? J’ai l’impression qu’il y a une expansion dans le vocabulaire de Juniore au fur et à mesure des années.
Juniore : C’est possible. Évidemment, je suis la fille d’un monsieur qui écrit donc c’est compliqué. Je me dis que je n’ai pas forcément le droit d’écrire aussi pour cette raison. Je sais ce que c’est d’écrire quelque chose de très soigné qui a vraiment de la valeur. Je ne veux pas me dévaloriser mais je veux dire par là que ça fait quand même une petite ombre. Quand on grandit, on se dit que c’est impressionnant de réussir à faire tout ça.
Mais je pense que progressivement, j’ai commencé à me libérer un peu de ça et me dire que j’avais aussi le droit d’utiliser des mots un peu compliqués. Déjà, il y avait Ah bah d’accord où on dirait une chanson très guillerette mais qui finalement ne l’est pas complètement parce que ça parle un peu de problèmes cardiaques aussi. Je parle d’extrasystole. Je me demandais si j’avais le droit de l’utiliser dans une chanson.
LFB : Il y a des idées du quotidien aussi, des images, qui sont assez fortes quand tu dis « sur la tête de ta mère » notamment. Ça se confronte et créé un monde où tout existe dans l’écriture.
Juniore : C’est gentil de dire ça, mais oui c’est ce que j’essaie de faire.
LFB : Ce qu’il y a de très intéressant par rapport à ça et aux mots, c’est aussi le choix du titre des chansons. Sur cet album, le choix des titres est très concis. J’ai l’impression que chaque titre est un peu une effluve de ce que la chanson va raconter.
Juniore : C’est exactement ça. Par exemple Le silence, je ne le dis qu’une fois. Je l’avais appelée comme ça et c’est resté. Mais souvent les maquettes changent de nom parce que je les écris au départ et les paroles sont un peu floues. Je n’ai qu’une ou deux phrases qui vont rester. Du coup, le titre change. Le silence n’a pas changé. Mais c’est vrai, c’est l’histoire que ça raconte.
LFB : Dans les mots qui sont répétés, qui sont là aussi pour les sonorités et faire chanter le français, qui est quelque chose très compliqué et qui a beaucoup évolué sur les dix ans de Juniore. Ce que j’aime bien, c’est que quand tu répètes le mot, il n’a pas forcément le même sens et la même pesanteur selon le moment où il est répété dans le morceau.
Juniore : C’est vrai que j’ai réécouté dernièrement tout un tas de chansons qui ont été un peu les chansons qui m’ont donné envie de monter Juniore au tout début. Il y a une chanson qui s’appelait Sadomaso de Georges de Giafferi. Pendant tout le long, il répète ça. Il y a tout un pan de la musique que j’ai beaucoup écouté qui était juste quelques mots par ci, par là. Pour moi, c’est hyper riche parce que dans l’instrumentation, ça raconte tout un tas de choses et la parole vient juste ponctuer comme ça une histoire racontée par des claviers, par des orgues, par une basse. J’adore cette idée d’une conversation qui se fait à travers les instruments et qui est ponctuée par des vraies paroles. Je ne sais pas si j’arrive vraiment à reproduire cette atmosphère mais c’est ce que j’ai cherché, cette faculté à raconter une histoire en quelques mots.
LFB : C’est marrant que tu parles d’instrumentation. Juniore a un son très défini. Est-ce qu’il n’y a pas un danger parfois à être un peu fainéant et à se reposer sur la production ?
Juniore : Si bien sûr. En plus, ça nous vient très naturellement. On nous a posé la question assez récemment à Samy et moi parce que pour le coup, c’est plutôt Samy qui est plus responsable de ça parce que c’est lui qui produit et qui donne le ton. Là par exemple pour cet album, il y avait une basse qu’il voulait absolument. C’était cette basse et rien d’autre. Il a fallu la trouver. Elle a traversé l’Atlantique, ça a été un périple incroyable. Elle n’arrivait pas. On ne pouvait pas enregistrer s’il n’y avait pas cette basse. C’est vraiment lui qui est responsable du son, de la couleur finale de Juniore.
Mais c’est vrai qu’on ne sait pas vraiment expliquer pourquoi il choisit telle ou telle chose. C’est un langage assez naturel. Mais le risque, c’est de se répéter trop et d’être toujours dans une forme de répétition. Surtout quand on a commencé, j’avais commencé ce projet en voulant faire vraiment quelque chose de l’ordre de l’exercice de style. Du coup, ça aussi c’est dangereux parce qu’il y a un moment où ça s’essouffle. Il faut quand même réussir à injecter quelque chose de suffisamment personnel aussi pour même à toi te donner envie de réécrire des nouvelles chansons. Heureusement, dans les années 60, il s’est passé beaucoup de choses.
LFB : Je trouve que sur cet album, ce qui est très réussi, c’est qu’il y a ce son global mais chaque morceau a sa personnalité.
Juniore : Ça c’est gentil. Je crois que Samy serait très content que tu dises ça. C’est une vraie volonté pour le coup.
LFB : La musique est aussi importante que le texte et elle ramène des émotions qui sont très différentes tout au long de l’album. Même en termes de rythme, c’est un album qui est parfois surprenant dans son espèce de lenteur et dans la volonté de faire des slows.
Juniore : On en a parlé il n’y a pas très longtemps avec Samy. On se disait que pour le prochain, on n’aurait le droit de ne faire que des midtempo. Parce qu’en fait j’ai très envie de faire des uptempo parce que j’adore les jouer sur scène. J’adore que les gens dansent, mais je ne sais pas trop le faire. Je sais mieux écrire des milieux où tu ne danses pas trop. Mais ce n’est pas vraiment un slow où tu peux être triste et écouter. Ce n’est pas ça, ça non plus je n’y arrive pas. C’est toujours au milieu. J’espère toujours me forcer à faire l’un ou l’autre. Mais très naturellement, j’ai un truc avec le midtempo. J’ai dit à Samy que peut-être que la prochaine fois, on n’aurait le droit de ne faire que des midtempo. Il m’a dit que oui.
LFB : Un morceau comme Amour fou représente un peu toute la recherche esthétique de cet album et cette idée de morceau que tu peux limite écouter les pieds dans le sable à la plage mais qui en même temps, est hyper dur dans ce qu’il raconte.
Juniore : Ouais. Alors ça, c’est rigolo aussi. C’est un autre truc qui nous caractérise assez. C’est que j’écris beaucoup de chansons qui ne nous étaient pas destinées et qu’on finit par garder. Là pour le coup, c’était une commande. On m’a demandé d’écrire une chanson pour quelqu’un qui a fini par ne pas la vouloir. Pour le précédent aussi, il y en avait deux qu’on avait écrites pour quelqu’un qui n’en avait pas voulu. Samy m’avait dit qu’elles étaient chouettes, qu’on allait les garder pour Juniore. Pour le coup, Amour fou c’est une chanson que j’avais écrite pour quelqu’un d’autre, qui n’a pas été retenue mais qu’on a fini par garder. Comme quoi, je ne sais pas non plus m’adapter.
LFB : Ça vous correspond bien finalement. Il y a un truc de beau et d’inquiétant dans ce morceau. Dans d’autres morceaux dans l’album aussi. Il y a ce truc d’idée cachée derrière.
Juniore : Complètement, c’est exactement ça.
LFB : Tu parlais du live. Sur une musique qui est très produite et très recherchée en studio. Tu parlais de l’orfèvrerie tout à l’heure mais pour moi Juniore c’est de l’artisanat. Comment on le transpose ? Parce que l’énergie du live n’est pas forcément la même.
Juniore : Ce n’est forcément la même. On a eu beaucoup de mal parce qu’au début, ça paraît un peu étrange de dire ça mais enregistrer un disque aujourd’hui ou même il y a dix ans quand on a commencé, c’est très différent de ce que c’était dans les années 60. J’enregistrais sur Protools, je pouvais me reprendre 50 fois, couper, remonter là où j’avais mal joué. Ce qui fait qu’en fait, je ne jouais pas suffisamment. Là on pouvait faire des concerts qui étaient aussi bien que ce qu’on avait enregistré. Heureusement, ça fait dix ans qu’on existe donc maintenant je joue un peu mieux mais au début, je n’avais juste pas les capacités. Comme on savait s’enregistrer, on avait bidouillé quelque chose d’hyper sophistiqué et sur scène, on était tout nul. Je crois que les gens étaient un peu déçus au début. Ce que je peux comprendre maintenant. Ils nous disaient que ça ne ressemblait pas à nos disques. Progressivement, avec Un, Deux, Trois, c’est un disque qu’on a enregistré quasiment en live. Là pour le coup, on n’a pas pu faire ça mais on a compensé et on a fait appel à Lou Maréchal qui est à la basse avec nous. Il s’est hyper bien adapté, il a compris tout de suite l’atmosphère de Juniore et les parties basses sont hyper importantes. On lui a demandé de prendre un rôle hyper central dans la structure et les compositions des chansons. Il le fait avec brio. Ça nous autorise à faire un peu tous les autres arrangements. Avant, on ne pouvait pas. Maintenant on a plus de mains pour faire les autres arrangements.
LFB : C’est le luxe d’avoir une quatrième personne dans le groupe et surtout d’avoir un truc hyper important pour le groupe, la section rythmique. Il y a la basse mais la batterie aussi joue un rôle hyper important. Je suppose que ça libère aussi d’avoir un truc aussi solide et d’avoir des super musiciens avec soi.
Juniore : Oui. Moi je ne suis pas musicienne, je n’ai pas appris. Je n’ai pas été à l’école, je n’ai pas étudié la musique. Ce qui fait que je me sens moins légitime je crois. Alors que Swanny, même si elle a appris tard la batterie, je crois qu’elle s’est sentie moins légitime aussi parce qu’elle a appris tard, vers 18 ans. Mais maintenant elle se sent plus légitime et surtout maintenant elle est prof aussi donc je pense qu’elle l’est encore plus. Et puis c’est une vraie bonne musicienne. Elle est très douée, très talentueuse. En plus d’être très gracieuse, ce qui n’est jamais désagréable à regarder. C’est vraiment une super batteuse. Elle joue divinement bien. Lou Maréchal aussi joue super bien. C’est un super bon bassiste qui chante très bien, il a une très jolie voix. Il a la capacité aussi de s’imprégner de l’univers des autres, ce qui n’est pas forcément facile à faire. Il faut vraiment être doué en musique pour réussir à s’imprégner de la musique des autres.
LFB : Surtout qu’il joue dans plein de projets différents. Même son projet à lui est complètement différent.
Juniore : Il faut beaucoup de talent pour réussir à s’adapter. Samy lui c’est pareil. Il a étudié au conservatoire quand il était jeune. Il a une oreille extraordinaire. C’est la personne la plus musicale que j’ai rencontrée. Du coup moi au milieu, je me sens un peu comme le débile de la bande. Il y a des trucs où ils me perdent et je fais comme si je savais mais en fait je ne sais pas.
LFB : On parlait du fait que vous aviez tourné en Angleterre pendant l’été. Est-ce qu’au bout de dix ans, il y a quelque chose de surprenant à ce qu’une musique qui est très francophone et très lettrée ait encore autant d’aura à l’étranger ?
Juniore : Moi j’ai fini par le comprendre un peu en allant là-bas parce que je ne connaissais pas l’Angleterre. Je n’y avais jamais été. On a beaucoup traversé l’Angleterre entre 2016 et 2020. C’est le pays des Beatles. Quand les Beatles viennent de chez toi, les années 60 c’est hyper important. C’est un truc hyper important au quotidien, dans la culture populaire. Les années 60 ont vraiment beaucoup marqué la culture populaire. Encore aujourd’hui, quand les gens viennent à nos concerts, il y a des gens de tout âge. Il y a des gens hyper jeunes, qui ont 15-16 ans, ils sont habillés en copies conformes des années 60. C’est trop mignon. Les filles qui arrivent avec des yeux de biches et des espèces de coiffures improbables. On regrette de ne pas être à la hauteur de leur implication dans l’incarnation des années 60. Je pense que c’est lié à ça. Je crois que les gens en Angleterre sont hyper fans des années 60 encore. Il y a encore ça.
En France, les années 80 sont passées et ont un peu balayé beaucoup de choses qui se sont passées dans les années 60. Ce qui n’était pas si mal. Et puis dans les années 90, il y a eu encore plus de gens qui ont balayé, notamment Jean-Jacques Goldman qui n’est pas à mon goût, je suis désolée. Du coup, la variété française est devenue un peu gros mot, tout le monde trouvait que c’était moche. C’était Jean-Jacques Goldman qui écrivait des chansons pour Céline Dion et c’est devenu ce truc. Finalement, tout ce qui était très populaire dans les années 60, tout a été balayé. Ça n’existe plus. Tout le monde a complètement oublié. Moi je trouve ça hyper grave, c’était merveilleux.
LFB : C’est un peu aussi cette trajectoire qui a mené aux années 2000 et à l’espèce de l’extinction du chant français et qui est revenu à partir des années 2010-2013 avec des gens comme vous, le début du label Entreprise, des gens comme Fauve aussi qui a un peu réhabilité le français. Et surtout le français qui chante.
Juniore : Complètement. Tout à coup, il y a eu La Femme, Fauve, il y en a eu 2-3 qui ont commencé où on s’est dit que c’était génial. En fait, c’est possible de ne pas faire un faux anglais tout bancal, chanté. Il y a des gens qui y arrivent très bien de chanter en anglais. Et finalement tout le monde a essayé de chanter en anglais et ça ne marchait pas du tout. On s’est un peu libérés de ça.
LFB : Est-ce que tu as des coups de coeur récents ou qui t’ont marquée pendant la création du dernier album ?
Juniore : On a beaucoup écouté les Coasters. Je n’ai pas découvert mais je me suis vraiment plongée dedans. J’adore ce groupe. Je me suis dit que c’était peut-être le premier vrai groupe de rock. Il y a une chanson qui a été reprise par les Beatles qui s’appelle three cool cats. Elle est trop bien. Il y a ça et sinon dernièrement, j’ai re-regardé un peu toutes les chanteuses yéyés. J’ai réécouté beaucoup de la musique yéyé. J’ai découvert un groupe qui s’appelle Les petites souris que je ne connaissais pas. C’est l’un des rares groupes français avec que des filles dedans. J’ai trouvé très peu de choses sur internet. Il y a dix ans, c’était plus facile. Je trouvais plus de choses il y a dix ans qu’aujourd’hui. Progressivement, tout se monnaie maintenant sur Youtube. Je pense que les gens ont retiré des tas de vidéos donc c’est moins facile de trouver.
Retrouvez notre chronique de Trois, Deux, Un par ici
Photo de couverture : Cédric Oberlin / Photos de l’article : David Tabary