Karkwa : « on ne veut pas penser à l’avenir »

Après la sortie de leur album Dans la seconde à la rentrée dernière, les gars de Karkwa sont venus nous rendre visite à l’occasion de leur concert à la Maroquinerie. On s’est retrouvé la veille pour parler de la composition de leur album, de la reception de ce retour après douze anset de l’importance du laisser-aller dans leur processus de composition.

La Face B : Comment ça va?

Louis- Jean : Très très bien ! On est heureux d’être de retour en sol français. Ça fait très longtemps qu’on est venus les cinq ensemble et on est vraiment dans une autre mentalité que les fois où on venait avant. On est là pour le plaisir, c’est le retour de notre groupe après 12 ans d’absence. On n’est plus en train de vouloir développer une carrière, on est là juste sur notre X pour le plaisir de faire de la chanson, de la musique.

François : Oui, comme Louis-Jean dit, on était dans une optique de développement de la carrière. La dernière fois qu’on est venu, Karkwa était notre activité principale. C’est dispendieux pour un groupe de venir en France faire des spectacles, il y a une espèce de stress et d’impression qu’il faudrait que ça fonctionne.

La Face B : Comment ce sont passés vos shows au Québec ?


Louis- Jean : Là, c’est un peu la folie. Au Québec, on est bien connus. Les gens nous attendaient. Les fans de la première heure, d’ailleurs, ne nous attendaient peut-être même plus parce qu’ils ne croyaient plus qu’un retour soit possible, donc l’annonce du retour, ça a fait exploser les trucs qu’on a vendus. Tous les concerts qu’on mettait en vente, on les vendait en quelques minutes. C’était excitant pour nous parce que on travaillait depuis un an sur le fameux… le dit retour. On entrevoyait quand même de façon assez lucide le fait que ça ferait plaisir aux gens, mais on ne pensait pas que ce serait aussi fort. On était surpris lors de la sortie. D’ailleurs, les critiques aussi de disques, tout ça… Je vais essayer de dire ça sans que ça sonne pompeux ou prétentieux du tout, mais quand n’importe quelle carrière artistique prend son envol puis s’arrête de façon relativement abrupte, ça tombe dans une zone un peu en suspens, ça devient presque mythe. Donc, au moment de revenir il y a quelques mois, je pense que les gens étaient comme on dirait chez nous, fous comme la marde.

La Face B : D’ailleurs pourquoi vous avez fait le choix de jouer dans des salles avec des petites capacités au Québec ?

Louis- Jean : Ben, c’était le rodage et on l’a fait aussi dans l’optique de revenir à la case départ, un petit peu. Retrouver les bars dans lesquelles on avait commencé. Je pense que c’était un clin d’oeil qui était, à la limite, un peu philosophique… En tout cas, c’était volontaire de notre part. On voulait aussi mettre le prix des billets comme dans les temps, t’sais, avec pas d’inflation, et caetera, Pis… C’était l’idée de Sandy notre manager pis c’était vraiment une bonne idée, je trouve.

Julien : Oui, c’était un retour aux sources pis jouer dans les bars, ça reste les shows les plus agréables, en fait. Je pense que sur cette tournée, on fait à peu près que des trucs cools. Des bars ou des M-Telus, des salles où les gens sont majoritairement debout. Ouais. Fait que ça reste aussi ancré dans la philosophie de juste faire ce qu’on aime, pour le plaisir.

La Face B : Comment est-ce que, justement, toutes ces années, où vous avez eu tous des projets personnels, ont influencé votre musique sur le dernier album?

Louis- Jean : De millions de manières. C’est dur à décrire, mais j’aimerais surtout mettre le doigt sur l’expérience de tous et chacun qui nous mène peut-être à une meilleure sagesse ou maturité musicale, mais c’est beaucoup dans la façon de s’exprimer. Il y a une espèce de lâcher-prise que t’apprends à développer au fil du temps, et je pense qu’on n’avait pas il y a 12 ans, les cinq ensemble. Là, on était vraiment tous dans la lenteur, pis dans l’idée d’aller voir loin, essayer des trucs différents, laisser la parole à tout le monde…

François : Il y a rien qui presse, c’est juste de la musique. C’est comme un moment donné, il faut juste faire ce qu’il y a à faire, pis s’il n’y a pas d’idée qui sort, si on n’y arrive pas aujourd’hui, on va y arriver, ou pas, c’est pas grave. C’est ce lâcher-prise-là, je pense que tout le monde a gagné avec le temps, du fait d’avoir travaillé sur des projets solo ou avec d’autres, pis d’avoir appris avec d’autres aussi, et appris, sur soi-même, le fait de travailler dans un autre contexte que dans un contexte de groupe comme on l’a été pendant des années, tu sais. Je pense que la pause était nécessaire justement pour ça.

Stéphane : Faut pas oublier qu’aussi dans le processus, on a mis carte sur table, pis on avait décidé de ne rien composer d’avance, de composer en studio, donc on apprenait quand même le laissez aller, pis une confiance collective, pour se dire « OK, on y va, on se confronte, on essaye des choses » et c’était beaucoup d’expérimentation, au final, quand même. On arrivait le matin, on avait rien, pis le soir, on avait une toune… C’était pas simple à faire, mais avec ces gars-là, c’était possible. Le défi, c’était de pas casser l’élan. On va à quelque part, pis ça se peut qu’à un moment donné, on frappe un mur, et chaque fois que ça arrivait, les cinq, on était tous d’accord pour dire « ah, ça me dit pas trop ». Mais si tu pars, tu casses pas l’élan, pis tu essaies d’aller le plus loin que tu peux, même si t’es pas convaincu, ou que les autres sont pas convaincus, tu continues à chercher.

La Face B : Vous l’avez créé en combien de temps, l’album ?

Louis- Jean : Sur un an, quand même. On a pris vraiment beaucoup de temps. De avril 2022 à avril 2023. Mais c’était pas du temps-plein. On a fait 28 dossiers différents, de travail. Dans ces 28-là, il y a parfois 2 à 3 arrangements par chanson aussi.

La Face B : Ça fait sens aussi avec le fait que vous n’ayez rien composé en l’avance, mais de tous vos albums, je trouve que c’est celui qui a le plus de suite logique, je trouve que c’est un album qui s’écoute difficilement chanson par chanson. Pour moi, c’est quelque chose qui s’écoute vraiment d’une traite. C’est vraiment un album qui raconte une histoire peut-être plus que les précédents.

Martin : Tu vois, ça, c’était pas un concept jusqu’à un moment donné, où la pièce s’appelle L’ouverture a donné une autre chanson. Et de fil en aiguille, les 5-6 premières chansons, on les a mêlées comme si c’était une seule chanson, mais ça a été facile. C’était juste un hasard.

Louis- Jean : Tu commences à tester des choses musicalement pis là tu entends Parfaite à l’écran. À la fin, de la composition de Parfaite à l’écran, j’entendais le petit beat de A bout portant.

La Face B : Aussi c’est un album dans lequel vous avez intégré davantage de sons électroniques…

Martin : C’est juste qu’on a plus de matériel qu’à l’époque. (Rires)

Louis- Jean : Non, mais on a développé ça dans les années de pause aussi, beaucoup. Moi, j’aimais beaucoup développer les samplers pendant une année sabbatique que j’avais prise. Il y a un musée du 5 et 10 heures au studio maintenant. Ça a été un beau travail aussi avec du moderne, du vieux… On se promenait des fois entre la science-fiction et l’organique, vraiment vintage.

La Face B : Oui moi y’a des chansons comme A bout portant qui me font penser à Harmonium sur les lignes de guitare, ou même le beat.

Louis- Jean : Effectivement, pis dans cette période-là, on écoutait aussi de la musique brésilienne, mexicaine. On était plein de zones pis on était pas complexés à en rajouter. On cherchait pas un son « rock indépendant montréalais de 2004 ».

La Face B : Mais est-ce que vous étiez plus là-dedans aussi sur les albums précédents ?

Louis- Jean : Tu sais, on a quand même participé, on a eu la chance de participer à cet espèce de mouvement-là qui est devenu un peu un mouvement planétaire, le rock indé avec Arcade Fire et tout ça. On se sent faire partie de cette famille-là. Mais on n’a jamais été arrêtés sur un style, Karkwa, on a toujours été… Même à la limite, on a eu des problèmes de « trop d’influences » de partout, on avait de la misère à les canaliser. Et là, sur ce disque, on arrive à faire quelque chose qui est bien homogène, je trouve.

Julien : Ce qui est le fun aussi, c’est que tout le monde joue de tout. Moi, j’ai trouvé ça super le fun que tout le monde touche à tout.

Louis- Jean : Ouais, puis des fois, touche à rien aussi (Rires). Non, mais c’est vrai, des fois, il y avait deux personnes qui travaillaient sur le truc. Martin faisait les 100 pas comme d’habitude dans la régie, puis il disait, « Ah non, ça, c’était bon, mais ça, c’est moins bon, mais ça, c’était bon. » L’air de rien quand tu joues pas. T’as plus d’attention sur tes oreilles.

La Face B : Est-ce que c’est pas aussi vos projets avant votre retour qui vous ont permis de vous exprimer aussi librement dans la composition de l’album ?

Martin : C’est sûr, ça a amené des munitions. Des flèches au Karkwa (Rires). Écrit pas ça.

La Face B : Ça va être le titre de l’article (Rires). Non c’est faux, mais est-ce que tout ça, ça vous a donné envie, de peut-être, après cet album, refaire de la musique ensemble, faire d’autres albums ou des concerts ou des projets ?

Martin : Tout est ouvert, non ?

Louis- Jean : Ouais, il a mon numéro de téléphone.

Martin : Mais non.

Louis- Jean : Il peut m’appeler (Rires).

Martin : Non mais tu sais, ce qui est bien, c’est que même avant qu’on commence à travailler l’album, on a eu la chance de jouer ensemble dans les projets solos. Tu sais, mettons, j’ai accompagné Louis-Jean en live, j’ai travaillé avec lui sur deux disques. J’ai travaillé avec Julien aussi et ces portes-là sont ouvertes aussi pour des collaborations futures qui ne sont pas nécessairement dans le contexte du groupe. Je veux dire, on a fait une grande famille.

Louis- Jean : On a eu tellement de plaisir là que tu sais, on ne veut pas penser à l’avenir, en fait. C’est ça qui est beau ici.

Julien : Je pense qu’on va être accro aux sentiments qu’on a là. Mais pour le vivre et pour le garder, il faut conserver la zone d’incertitudes. Il y a quelque chose d’angoissant de savoir où est-ce que tu vas être, des mois, genre dans un an, là. C’est bien de ne pas prévoir.