Kat Pereira : “Mon rêve, ce serait que les gens puissent connecter avec la musique, peu importe la langue”

Ce vendredi 24 octobre, Kat Pereira sort son premier album vert de lichen. On a pu, autour du premier spiced pumpkin latte de l’année, discuter de la genèse de cet album, de ce qu’il représente et des causes qu’il défend.

Crédit photo : Benoit Paillé

La Face B : Salut Kat, comment ça va ? 

Kat Pereira : Ça va super bien et toi ? 

LFB : Ça va, merci ! Attention, grosse première question. On te connaît sur la scène musicale pour avoir été au clavier et choriste pour, entre autres, Alfa Rococo, Laura Niquay ou encore Natasha Kanapé et aujourd’hui, tu sors ton premier album solo, vert de lichen. Qu’est-ce que ça te fait de passer cette fois-ci en lead d’un projet et qu’est-ce qui t’a donné l’impulsion de te dire “ok, là maintenant, c’est mon tour ?”

Kat Pereira : Oui, c’est une bonne question. En fait, j’écris des chansons depuis vraiment longtemps. J’avais déjà fait un premier pas quand j’étais plus jeune, j’avais sorti des choses et tout. Puis là, je suis tombée vraiment dans mon rôle de pigiste à fond et j’adore ça vraiment. Mais j’avais le sentiment que j’allais avoir du regret et je ne voulais vraiment pas regretter de ne pas rendre tangibles les idées que j’avais dans ma tête et qui existent dans l’univers. C’est ça, je ne voulais vraiment pas regretter. J’attendais qu’il y ait comme un creux pour me lancer et je me suis dit non, il ne faut pas que j’attende, il faut juste que je fasse l’espace pour ça moi-même. Puis l’année passée, je me suis dit que c’était le moment, je sentais l’appel qui était vraiment trop fort. Je me suis dit, je me lance à fond, peu importe ce qui se passe après avec tout ça, je sais juste que je n’aurai pas le regret de ne pas l’avoir fait. Je pense que c’est ça, la motivation première, c’est de ne pas regretter.

LFB : Tu as répondu à l’appel de la forêt comme Pocahontas, et tu l’as bien fait ! C’est quoi ton sentiment de te retrouver toi sur le devant de la scène ? Est-ce que ça change quelque chose ?

Kat Pereira : Tout, parce que quand je suis accompagnatrice, j’aime avoir un rôle de filet de sécurité pour l’artiste et d’être là pour rendre l’artiste confortable et être vraiment en soutien. Quand tu es lead, c’est toi qui est pitché dans le vide, tu dois te soutenir. C’est pour ça que je me sens entourée de gens qui me soutiennent. C’est des ami.e.s, des musiciens et des musiciennes de grands talents. Je me sens supportée par eux. Je n’avais jamais ressenti pour un show ce genre de stress-là. C’est vraiment différent. En tant qu’accompagnatrice, il peut y avoir de l’adrénaline. Mais là, c’était vraiment un stress, c’est moi qui est mise à nu, c’est moi qu’on va juger. Je me présente vraiment d’une façon vulnérable. Ça a vraiment changé toute ma perspective de ce que je ressens pendant un show. Mais en même temps, c’est le fun de ne pas être un caméléon, de ne pas juste me mouler à l’artiste, mais vraiment d’être qui je suis.

LFB : Entre le vert de lichen, la camomille, l’océan ou encore l’électrostriction, cet album est très organique. Tu peux nous raconter la genèse de ta thématique ?

Kat Pereira : Je suis synesthète. Je vois des couleurs avec les notes de musique. Les couleurs ont toujours eu un gros impact sur mon univers. J’écris des chansons un peu plus sérieusement depuis le secondaire, et j’ai toujours pu définir la couleur qui représentait l’époque dans laquelle j’étais. Quand j’ai commencé à avoir toutes les idées pour cet album-là, j’étais attirée aussi visuellement par tout ce qui était vert de lichen, une sorte de vert pâle. J’étais attirée aussi par tout ce qui était en ré bémol. C’est pour moi la note qui est vert de lichen, c’est comme naturel, je le sens quand je joue, tout mon univers devient cette couleur-là. Ça guide un peu tous mes choix de mood, mes choix esthétiques. J’étais beaucoup sur la Côte-Nord et en Gaspésie quand j’écrivais l’album. En fait, j’étais tout le temps sur le bord du fleuve salé quand j’écrivais mes chansons. De là aussi un peu le vert de lichen, tout cet univers maritime m’a beaucoup influencé. Il y a tout ce côté couleur maritime, mais aussi que je voulais clasher. Je ne voulais pas que ce soit un album qui représente la douceur de la nature. Je voulais vraiment faire un clash analogue-digital, quelque chose de vraiment très frontal, très fort, mais qui est inspiré par la nature quand même.

LFB : Tu as deux chansons en anglais dans ton album. Pourquoi ?

Kat Pereira : Parce qu’au début, j’écrivais quand même beaucoup en anglais. C’est drôle parce que j’ai toujours écrit beaucoup en français, beaucoup de prose, beaucoup de poésie. J’avais l’impression que ma voix sonnait mieux en anglais ou que j’avais plus de facilité à m’exprimer dans cette langue-là. Je me suis posé la question de pourquoi, alors que j’adore écrire et écouter du français. J’écoute de la musique queb tout le temps. Je me suis rendu compte qu’en fait, beaucoup de mes influences musicales étaient quand même plus anglophones.

Ça me donnait l’impression que je ne pouvait pas faire mon style de musique en français. À un moment donné, je me suis juste dit, j’ai la même voix, peu importe dans quelle langue je chante, et j’adore écrire en français, il faut juste que je m’enlève ça de la tête. Je me suis mise à plus écrire en français et j’ai adoré le faire. Je trouve ça le fun quand même d’avoir deux tounes en anglais pour présenter cet aspect-là. Pour ces chansons-là, on dirait que ça coulait plus naturellement dans cette langue-là. Mais c’est important pour moi de pousser le français aussi à travers mon art et de pouvoir l’exporter. Mon rêve, ce serait de ne pas juste jouer dans des pays francophones, mais que les gens puissent connecter avec la musique, peu importe la langue. Ça serait vraiment mon grand rêve.

LFB : Ce serait où le pays, le continent dans lequel t’aimerais vraiment, vraiment aller jouer ?

Kat Pereira :  J’aimerais vraiment ça développer plus l’Europe. Autant francophone que non francophone. Puis plus en Amérique centrale, Amérique du Sud, aller tâter le terrain au Mexique ou au Brésil. Peut-être aller dans des endroits qui parlent portugais, pour connecter avec cette langue. Pour l’instant je dirais c’est deux grands territoires.

Crédit photo : Benoit Paillé

LFB : On se croise les doigts pour l’Europe déjà ! Tu dis souvent que tu fais de la pop maximaliste. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus et définir ce que c’est pour toi ?

Kat Pereira : C’est toujours difficile, surtout maintenant, de mettre dans des boîtes les genres musicaux qu’on fait. Tout est tellement éclaté, tout est tellement en fusion des genres les uns entre les autres. C’est difficile de définir une case. J’avais l’impression que ce qui définissait le plus mon univers, c’était le maximalisme. Parce que je suis dans l’extra, dans les textures, l’utilisation de plusieurs couches de synthétiseurs, de voix, des kits. J’adore ça mettre des accords, puis aller dans des harmonies et des rythmiques qui sont très entraînantes, qui sont effervescentes, qui sont maximalistes. Il y a juste beaucoup de tout, beaucoup de couleurs, beaucoup d’images aussi dans mes paroles. Puis même visuellement sur la mise en scène, j’aime ça qu’il y ait beaucoup de choses comme pour nos outfits, et j’aime ça qu’ils se passent plein d’affaires. Je pense que c’était vraiment le mot qui englobe le plus tout mon univers.

LFB : En parlant de tes prestations sur scène, on se souvient de celles aux Francouvertes cette année, et notamment de ton panneau WOO. Ils sont passés où, les WOO, dans l’album ?

Kat Pereira : C’est sûr qu’il n’y en a pas dans toutes les tounes. En fait, j’ai réalisé que j’avais un penchant pour le WOO après avoir terminé l’album. C’est vrai que j’ai souvent cette onomatopée qui revient. Je ne me suis pas dit consciemment que je voulais mettre des WOO partout. Peut-être que si je me l’étais dit, il y en aurait dans toutes les tounes, mais je l’ai réalisé après. En même temps, je pense que c’est le fun qu’il y ait quelques tounes qui ont leurs moments WOO. Il doit y avoir au moins 4 ou 5 tounes qui ont des WOO dedans sur les 10 tounes.

LFB : Même plus, tu as 14 pistes sur ton album.

Kat Pereira : J’ai 14 pistes, mais j’ai 10 tounes complètes et 4 interludes. Il y en a une mamamannedit (croquons dans des concombres) C’est juste une niaiserie. On était en résidence et on faisait juste jouer. À un moment donné, on devient un peu crazy quand ça fait deux semaines qu’on fait juste jouer plein d’affaires. On a juste joué quelque chose de complètement niaiseux. Je me souviens, je m’étais dit, ça serait drôle que ça soit sur l’album. Un truc niaiseux de même. Et à la dernière minute, avant d’envoyer l’album au master, j’étais comme, “oh mon Dieu, c’est vrai !”. Je retrouve ça et on passe ça dans des tapes machines, à cassettes, et on met ça de même sur l’album. On va explorer ça en live aussi.

LFB : J’ai vraiment hâte de l’écouter en live. Tu vas faire Coup de cœur francophone cette année pour ton lancement d’album, est-ce que tu penses que tu vas la jouer dan le show ?

Kat Pereira : Oui, on a pas mal terminé ce à quoi va ressembler le show. On n’a jamais fait tout le show complet, on a fait une heure, mais il manquait quand même des bouts. Mais là, tout va être là. J’ai hâte !

LFB : Je me rappelle aussi que dans ta vidéo que tu avais présentée pour les Francouvertes, tu avais ramené un grand panneau. Tu disais que ça serait en arrière dans tes shows. Malheureusement, les vidéos étaient en noir et blanc, donc, on a vu que des textures.

Kat Pereira : En fait, il va y avoir une scénographie plus extra que ça encore. Je travaille avec Pestacle en ce moment pour la scénographie, et mon copain qui est le drummer aussi du band a geeké un gros setup de vidéos et des trucs live qui vont nous filmer. Il y aura des écrans, des miroirs,… Ça va être vraiment chouette !

LFB : Dans presque tous tes concerts, tu marques ton soutien à la Palestine et également à d’autres pays en guerre comme l’Ukraine. Pour toi, c’est important que les artistes prennent la parole sur les différents conflits et même les causes sociales qui existent?

Kat Pereira : Oui, c’est un gros sujet que j’ai souvent avec d’autres artistes. C’est important d’être politisé pour moi en tant qu’artiste, mais je ne dis pas que l’art en général doit toujours être politique. Je crois qu’il doit quand même y avoir de l’art qui sert juste à décrocher, juste avoir du doux. Parce qu’on a besoin de ça aussi. Dans l’époque dans laquelle on est, avec tout ce qui se passe d’affreux, souvent je me demande c’est quoi ma pertinence dans ce monde-là ? En tant qu’artiste, à quoi je sers ? Est-ce que c’est vraiment l’endroit où je peux avoir le plus d’impact individuellement ? Pour moi, la façon de trouver un peu la pertinence de ce que je peux faire, c’est dans mon art, de parler de toutes ces causes-là qui ont besoin d’être mises de l’avant, de ne pas avoir peur de les nommer, de montrer que c’est possible de faire de l’art qui est lumineux, qui est quand même joyeux, mais en mettant la lumière aussi sur ces causes-là.

En bref, je pense que l’art n’a pas besoin d’être toujours politique, mais je pense que c’est important quand on a une voix, même si elle est petite, on a quand même accès aux gens en faisant de l’art. C’est important d’utiliser ce canal-là pour véhiculer des bonnes causes, des causes sociales.

LFB : Même dans les paroles de tes musiques, tu es quand même assez engagée, tu parles beaucoup de féminisme aussi.

Kat Pereira : Pour moi, ce sont des sujets qui sont là au quotidien, c’est important d’en parler et de voir comment mettre ça en mots dans des chansons, et comment faire passer tout ce mal-être. Je ne prétends pas que ça a un impact quelconque, mais je me dis que plus on en parle, plus ça peut faire un bout de chemin chez les gens et qu’on va peut-être pouvoir se connecter et se rallier ensemble si on est conscient de ce qui se passe et qu’on en parle entre nous.

Crédit photo : Benoit Paillé

LFB : Dans ton clip l’écumeur des mers, j’ai vu que tu n’as travaillé qu’avec des femmes, c’était quelque chose de voulu ?

Kat Pereira : Ce n’était pas un effort conscient. C’est juste des personnes avec qui j’ai connecté. C’est aussi Juliette Balthazar qui fait la réalisation, et je pense qu’elle s’entoure beaucoup de femmes, et c’est avec ces personnes-là qu’on s’est mis en lien pour faire le clip. Je suis vraiment fière de ça. Le résultat est incroyable. Sur des albums, tout ce qui est hors caméra, tout ce qui est derrière, plus technicienne, on dirait que les gens, on ne les voit pas. C’est tellement important d’avoir des femmes dans ces rôles-là parce qu’on en a encore moins souvent.

LFB : On va faire un saut dans le temps. On est un an plus tard et donc, on fête les un an de ton album. Qu’est-ce que tu souhaites qu’il se soit passé pour toi et dans le monde dans un an ? 

Kat Pereira : Je pense que j’aimerais ça que l’album résonne chez les gens et que je puisse aller à la rencontre de ces gens-là, autant au Québec que pour l’année prochaine, j’imagine que ça va être plus en Europe. J’aimerais avoir développé une connexion avec le public au Québec, faire des beaux festivals l’été, développer le public européen. Avoir un plan qui est peut-être capable de me projeter à long terme avec ce projet-là, de continuer à sortir peut-être des nouvelles chansons. J’ai aussi un projet à côté que j’espère avoir sorti pour l’année prochaine, un recueil de poésie sur lequel je travaille. J’ai un peu moins de temps avec la sortie de l’album, mais c’est mon objectif pour l’année prochaine. Sinon, dans le monde, je ne peux pas croire qu’il n’y aura pas une fin à ce génocide d’ici un an, je ne peux pas croire que rien ne va bouger, qu’il ne va pas y avoir une révolte civile. J’espère que quelque chose va bouger et qu’on va renverser tout ce qui penche vers la droite en ce moment. Est-ce qu’on peut se révolter ensemble ? Est-ce qu’on peut faire des actions ? C’est quoi le poids qu’on peut avoir ? J’ai l’impression que les choses bougent vite en ce moment. Peut-être qu’elles peuvent bouger vite aussi dans le renversement des choses. Je souhaite ça à tout le monde, de tous les côtés. Je souhaite trouver de l’empathie, de la prendre et de la mettre à l’œuvre, et d’être heureuse dans le monde dans lequel on est. Je souhaite aller dans ce choix de ne pas regretter et d’aller un peu plus loin vers mon projet musical.

LFB : Est-ce que tu as un dernier mot pour la fin?

Kat Pereira : Je dirais, merci aux gens qui sont curieux de découvrir de la nouvelle musique, de la musique qui peut être un peu plus alternative. La musique francophone, mais aussi de tout, je pense qu’on ne devrait juste pas s’attarder à une langue. Merci aux gens qui sont curieux. Je pense qu’on a tellement besoin de ça en ce moment. Ça sera ça mon mot de la fin.

LFB : Merci beaucoup Kat pour ton temps et tes réponses !

Kat Pereira : Merci à toi pour ce moment

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