Kids Return : “Kids Return c’est un retour à l’enfance, un retour à ce que l’on est vraiment au fond de nous”

C’est à l’occasion du Ici Demain Festival qui se tenait du 24 au 26 novembre dernier, que nous sommes partis à la rencontre de Kids Return. Rencontre durant laquelle on y a parlé de l’influence du septième art au sein de leur projet, de l’importance d’user de vrais instruments qui « sentent la vie » ou de leur besoin de s’échapper pour trouver l’inspiration. Retour sur cet échange.

La Face B : Comment allez-vous ?

Clément : Ça va très bien, surtout aujourd’hui. Là on est très heureux car on a fini quelque chose d’important musicalement, on en dira un peu plus bientôt. On a fait notre première Cigale hier soir en première partie et c’est la salle de nos rêves avec Adrien car on a vu tous nos groupes préférés là-bas, c’était complet et c’était fou. Là on va faire un concert qui va être incroyable et demain on part aux Etats-Unis, c’est vraiment génial, on ne peut pas aller mieux.

LFB : Que ce soit avec le nom de votre projet, Kids Return, ou même avec votre dernier clip, on constate que le cinéma semble occuper une place importante au sein de votre formation. D’où vous vient cette influence du septième art ?

Clément : C’est une question pour Adrien ça.

Adrien : Ça vient plutôt de mon côté parce que petit, mon père nous a montré beaucoup de films à moi et mon frère. J’ai vu beaucoup de westerns, la musique de film m’a toujours bercé comme les BO d’Ennio Morricone sur les films de Sergio Leone par exemple. C’est aussi le cas avec les films français des années soixante-dix et Francis Lai pour les films de Claude Lelouch. Inconsciemment, ça m’a bercé et je crois que plus tard, c’ est-à-dire très récemment, pendant la pandémie il y a un an et demi, on était confinés avec Clément chez mes parents qui n’étaient pas là et on s’est dit que tous les soirs on regarderait un film. Et donc pendant deux mois, on a regardé un film. On a regardé toute la filmographie de Takeshi Kitano qui est un réalisateur japonais qui a justement réalisé Kids Return qu’on a vraiment adoré, l’histoire nous a beaucoup parlés, énormément touchés, la musique de Joe Hisaichi est incroyable aussi.

Clément : Le cinéma est inspirant pour nous dans notre façon de composer car on se dit que chaque morceau que l’on fait pourrait être une musique de film et en même temps les musiques de films nous inspirent beaucoup aussi, c’est un cercle vertueux tout ce rapport que l’on a avec le cinéma. On a toujours rêvé de faire un album BO comme Air ou Pink Floyd ont pu le faire. C’est un goal dans notre carrière.

LFB : C’est d’ailleurs après avoir vu ce film réalisé par Takeshi Kitano que l’envie de donner vie à ce projet est venue. Cela signifie-t-il que sans ce film Kids Return n’existerait pas ?

Clément : Ça aurait peut-être été différent. Il y a eu tellement de circonstances atténuantes dans nos vies qui ont fait que ce projet a démarré. On avait un groupe avant dans lequel on avait du mal à composer car Adrien et moi on a toujours été branchés ensemble pour faire de la musique et ça ne plaisait pas forcément aux autres. On avait des difficultés à sortir des morceaux car on se faisait trimballer dans des maisons de disques et on s’est retrouvés à faire des concerts aux Etats-Unis puis le Covid est arrivé, on a dû rentrer puis on s’est retrouvés tous les deux. Je m’en rappelle très bien, on venait de regarder ce film et le lendemain j’étais sur le canapé, Adrien faisait de la musique et j’ai dit « si on avait un groupe, je pense qu’on s’appellerait Kids Return ». Et j’ai le sentiment que dans la vie, lorsque tu mets des mots sur quelque chose, ça veut dire que tu te projettes et quand il y a cette projection, il y a tout ce truc de fantasme qui peut arriver très vite et c’est ça qui te donne la force d’arrêter quelque chose pour en commencer une autre, comme en amour, comme dans tout finalement. Ce film a été très important.

Adrien : On a vu le film après avoir déjà fait pas mal de musique ensemble et on avait déjà ressenti cette fusion artistique que l’on a depuis que l’on est gamins puisque l’on est potes depuis nos treize ans. Il s’est passé quelque chose de différent, il y a eu le film et cette alchimie parfaite qui a fait que c’était un point de départ sur lequel il fallait se mettre.

LFB : Puisque les films vous nourrissent artistiquement, j’en déduis que pour vous la musique est davantage visuelle que sonore ?

Clément : Alors non, on pourrait le croire comme ça mais on est des psychopathes du son. (rires)

Adrien : C’est plutôt l’inverse je dirais, elle est plus sonore que visuelle.

LFB : Pourtant quand on vous écoute, c’est d’emblée très cinématographique.

Clément : Alors ça c’est super car c’est voulu et recherché.

Adrien : Plus on travaille le son, plus ça appelle les images.

Clément : C’est vrai. Rien que le fait que l’on décide de ne pas faire de la musique sur ordinateur et que l’on se laisse partir dans de grands espaces pour composer, je pense que ça influe forcément sur le côté projection. On compose en pensant à un film certes mais il y a quand même ce truc où ça arrive dans un second temps.

Adrien : Quand on crée de la musique, le but est de transmettre des émotions et les émotions que l’on transmet par la musique que l’on sait faire et que l’on a envie de faire, ce ne sont pas des émotions physiques comme avec l’électro ou un truc qui te prend avec un gros kick qui va te faire bouger. Nous, on va chercher les mélodies, le son, on travaille énormément sur ça et du coup ça appelle les images, la nature, les histoires d’amour, le voyage…

Clément : Ce sont des chansons imagées.

Adrien : Ce ne sont pas des illustrations sonores d’un monde visuel.

LFB : Vous dîtes vouloir rendre votre musique la plus vivante, la plus organique possible et c’est d’ailleurs pourquoi vous enregistrez vos morceaux en analogique. À une époque où la modernité domine et où le numérique est omniprésent, l’exercice est-il complexe ?

Clément : On a eu la chance de ne pas se poser la question. Tu vois les claviers MIDI, ce sont des claviers que tu mets dans ton studio et que tu branches à ton ordinateur pour avoir plein de sons car tu as plein de plugs-in etc. Et ça, on l’a pris et on l’a jeté. On s’est donc dit qu’il y aurait des contraintes, que l’on ne pourra pas tout faire mais que de ces contraintes vont naître beaucoup d’évidences car tu as certes moins de synthés mais chaque synthé tu les connais bien, tu fais les sons, tu mets les mains dedans. Pour les boîtes à rythme, ça ne sera pas sur ordi, on appellera un batteur, un bassiste, on va tout composer et on va jouer en live, il y a aura des défauts mais ces défauts feront le son.

Adrien : On s’est aussi rendu compte que c’est la musique que l’on aime depuis le début. Quand on a commencé à faire de la musique ensemble, c’était une évidence, ce n’était même pas un défi que l’on s’est imposé comme si on était des mecs qui bossaient toujours sur ordinateur et que l’on voulait alors s’en séparer. C’est un truc qui était en nous et c’est pour ça que le nom du groupe c’est Kids Return, c’est un retour à l’enfance, un retour à ce que l’on est vraiment au fond de nous, de la manière la plus sincère qui soit. La musique que l’on écoute, la musique qui nous fait vibrer, c’est la musique qui est faite avec de vrais instruments, en l’occurrence des instruments analogiques, et du coup ça correspondait bien avec ce que l’on avait envie de faire. Et pour rebondir sur ce que tu disais concernant l’omniprésence du numérique, il est vrai qu’il y a tout ce truc-là mais tu vois qu’il y a quand même une énorme mouvance écologique aujourd’hui que l’on n’avait pas il y a dix ans, avec des gens qui partent s’installer à la campagne, pour renouer avec la terre etc. Et c’est un peu similaire en musique, où plutôt que d’avoir des faux sons de guitare, tu vas reprendre une guitare folk, faire une musique avec de vieilles machines qui sentent la vie. Il y a tout ça, cette envie de prendre le temps de faire des morceaux, des morceaux où tu as le temps de ressentir des émotions sans cette efficacité numérique.

Clément : C’est aussi pour ça que l’on fait nos vidéos en pellicule. Quand on a fait nos sessions live, et étant donné que l’on n’a pas beaucoup d’argent et qu’on le fait tout seuls, on a pris une bobine qui donnait droit qu’à trois essais et donc pas vraiment de place pour le choix. Tu comprends aussi pourquoi les mecs étaient meilleurs à l’époque, car quand tu joues sur bande et que tu enregistres directement, tu ne peux pas faire n’importe quoi à poser la caméra pendant cinq heures, c’est soit tu l’as, soit tu ne l’as pas. Ce qui entraîne répéts sur répéts et quand ça arrive, il y a une magie, tu n’as pas le choix et tu as envie de tout donner, il y a une instantanéité incroyable. Et dans la musique c’est pareil, l’image et la musique sont liées pour ça.

LFB : Vos techniques d’enregistrement proviennent principalement de cette fascination que vous avez des années soixante/soixante-dix, âge d’or du mellotron…

Clément : L’âge d’or de beaucoup d’instruments d’ailleurs. Il y a vraiment eu ce moment où il y a eu tous les meilleurs instruments du monde, il y a quelque chose de fou qui s’est passé.

LFB : J’aimerais alors que vous me parliez de la place qu’occupe le mellotron au sein de votre projet et des possibles qu’il a pu vous ouvrir artistiquement.

Clément : Le mellotron est vraiment mythique chez nous. (rires)

Adrien : Et encore, nous on n’a pas le vrai mellotron que les Beatles ont pu utiliser et qui est d’ailleurs extraordinaire.

Clément : C’est énorme.

Adrien : Oui, c’est une sorte de gros carré blanc et marron et c’était le son qu’ils utilisaient dans Strawberry Fields Forever. On a une sorte de copie qui a aussi un super son car pour le coup ce n’est pas un instrument « analogique ». C’est un instrument où ils ont enregistré tous les sons avec des micros qui sont ensuite samplés sur un piano. Ils ont enregistré une note de flûte, une note de célesta, d’orgue etc et tout ça est remis par notes sur un clavier et tu peux ensuite les rejouer, c’est très beau. D’une certaine manière, c’est aussi un peu cheap car par exemple, un violon de mellotron, c’est un violon de mellotron avec un grain assez particulier. On l’a beaucoup utilisé.

Clément : On a principalement trois synthés, le mini moog, le mellotron et un vocoder puis pour le reste on a des pianos comme le Rhodes etc. Le fait d’avoir ça fait que les instruments on les connaissait par cœur et du coup, dès que tu as une idée d’accords ou d’arrangements, tu n’as pas vingt-cinq mille possibilités de sons. Le mellotron on le connaît par cœur et il est très important dans la composition de nos morceaux.

LFB : La nostalgie est le noyau central de vos compositions. À quoi associez-vous ce sentiment ?

Adrien : À l’enfance.

Clément : On est très heureux d’être dans le présent mais il y a ce truc où la musique est attachée à des odeurs, des lieux… La musique permet de transcrire tout ça. On a eu une enfance heureuse et je ne dirais pas que l’on a envie d’y retourner mais c’est une période qui te forme, te forge, tu as des souvenirs qui reviennent et ça t’aide dans la musique. La musique fonctionne très bien avec ça. Que ce soit pour les harmonies ou les sons, tu peux très bien t’inspirer du passé.

LFB : Votre futur album semble avoir voyagé un peu partout, que ce soit entre les murs de votre studio à Pigalle, en Champagne-Ardenne, en Bourgogne etc. Ce qui laisse alors supposer que votre musique existe principalement grâce à vos expériences du quotidien, non ?

Adrien : Totalement. Comme on est vraiment à deux dans cette aventure depuis le départ, et puisqu’on a le permis, on a mis tous nos instruments dans notre bagnole et on est descendus dans Les Pyrénées dans une maison , une ancienne bergerie très rustique qui appartient au père de Clément, perdue dans les montagnes. Il y a une pièce incroyable avec des grandes vitres partout, c’est sublime. On a donc composé ici, avec cette vue démente, des faucons qui passent devant la maison… Vraiment dingue.

Clément : Comme dans un film de Miyazaki, même ambiance.

Adrien : Exactement. On a enregistré tous les instruments, batterie et basse, dans un studio en Champagne-Ardenne et puis en Bourgogne, dans la maison de mes grands-parents où l’on fait toujours des aller-retours.

Clément : Partir de zéro à Paris, on l’a fait pour deux morceaux mais c’est compliqué. C’est bien d’être ici pour finir, avancer ou faire d’autres choses car on a un studio que l’on aime beaucoup mais c’est vrai que l’on a ce truc-là où l’on aime bien se retrouver tous les deux pour partir et composer.

LFB : La live session de votre morceau Our Love a été tournée en une seule fois, tout comme la prise de son qui a été unique. C’est important pour vous de transmettre la musique dans sa forme la plus pure et la plus directe possible ?

Clément : Bien sûr, c’est tellement important.

Adrien : Oui et on avait envie de la filmer en pellicule, avec cette instantanéité-là qui était très importante pour nous tous et c’est d’ailleurs pour ça que l’on a pris des musiciens qui sont très bons. On voulait que ce soit un plan séquence, preuve que ça certifie la session live car lorsque la caméra ne coupe pas, tu as bien cette impression que c’est réel. On avait répété tous les mouvements même s’il y a aussi eu une part d’improvisation.

Clément : Je suis d’ailleurs assez surpris du nombre de retours positifs que l’on a eu sur cette vidéo. Il y a plein de gens qui nous ont dit que ça leur faisait plaisir de voir une session live comme ça et le réalisateur (Tara-Jay Bangalter, ndlr) a reçu plein de messages de gens qui voulaient travailler avec lui. C’est difficile de filmer un studio sans que ça ne fasse corporate et c’était d’ailleurs très flatteur pour ce studio qui est un studio fou où on y voit l’énergie de musiciens qui jouent tous ensemble.

LFB : La scène live semble être importante pour vous. Ce n’est pas trop frustrant de vous limiter à une configuration en duo ? Plutôt que d’opter pour une formule full-band ?

Clément : La question la plus importante vient d’arriver. (rires) Très bonnes questions depuis le début d’ailleurs, chapeau.

Adrien : Alors, pour répondre, il y a plusieurs significations. On a fait notre musique à une période où il n’y avait pas de concerts, à deux, et avec Clément nous ne sommes pas des musicos de base, on est vraiment des producteurs et compositeurs.

Clément : Quand on a commencé le groupe, on ne savait pas si Adrien allait chanter.

Adrien : L’avantage c’est que l’on sait tout jouer. Je sais faire de la basse, de la guitare, je sais chanter etc. Clément sait faire de la batterie, du clavier, il sait très bien produire etc. Même à deux, on ne s’est pas limités, on s’est dit que l’on allait faire l’album de nos rêves avec des violons, une batterie avec un super batteur, mellotron, synthés… Puis en juin dernier, on nous a demandé si on voulait faire notre premier concert.

Clément : On ne s’y attendait vraiment pas, on pensait que ça allait arriver beaucoup plus tard.

Adrien : Et ce jour-là, on s’est dit « let’s go ! ». C’était il y a six mois et donc ce que l’on a fait, c’est que l’on a mis tous nos morceaux sur séquences, c’est-à-dire que l’on envoie les pistes.

Clément : On a juste mis la batterie/basse en séquences car on voulait vraiment faire tout le reste, que ça soit organique et joué. On a aussi été obligés car on a été pris de court et ça coûte aussi beaucoup moins cher. À chaque fois qu’il y a difficulté, on se regarde et on se dit on y va, tant pis si ce n’est pas bien. On s’est donc isolés pendant deux semaines puis on a fait un truc présentable pour notre premier show et c’était fou. Là on a progressé et on arrive à un truc dont on est fiers et très contents de faire. Mais évidemment, on va jouer avec un groupe car la musique on l’a faite comme ça. Pour la Maroquinerie en mars 2022, on jouera en groupe, ça sera la première fois à Paris et on a très hâte. C’est une musique qui doit se faire à cinq minimum et on le sait. Quand tu veux faire les choses bien, ça prend un peu de temps. On a trouvé un super tourneur qui est complètement d’accord de mettre ça en place et on va d’ailleurs faire une résidence ici (interview réalisée au FGO-Barbara, ndlr) pour préparer tout ça.

LFB : Enfin, avez-vous des coups de cœur récents à partager avec nous ?

Adrien : Un coup de cœur musical, c’est certain. C’est un groupe qui s’appelle Sons of Raphael.

Clément : Tu connais ?

LFB : Oui, grande fan !

Clément : Nous aussi, c’est un vrai coup de cœur, l’album est fou. Il y a aussi un artiste que l’on connaît depuis un moment et que j’ai redécouvert récemment qui s’appelle Andrea Laszlo de Simone. C’est incroyable.

Adrien : Je suis beaucoup allé au cinéma récemment et j’ai rien aimé excepté Compartiment n°6.

Clément : Malheureusement, on ne lit pas assez et c’est vraiment dommage.

Adrien : Je suis un grand fan de Romain Gary.

Clément : On a des phases où on lit et d’autres non, ça demande quand même du temps. En musique, j’ai aussi eu une grosse phrase Lucio Battisti, ce n’est pas très original mais je l’adore.

Adrien : Je vais citer Chris Montez et son album incroyable : Watch What Happens, ça date de 1968 et c’est magnifique.

Clément : Pour finir, car on pourrait passer pour des mecs aigris qui disent que tout était mieux avant, (rires) il y a quand même des trucs de fous aujourd’hui. Et d’ailleurs, notre musique je la considère comme moderne, je n’ai pas l’impression que ce soit rétro même si je trouve que c’est bien de s’inspirer de d’autres époques pour en faire un truc actuel.

Adrien : Actuel et intemporel car si tu t’inspires que des artistes d’aujourd’hui, que tu lances la playlist New Music Friday, eh bien tu ne vas pas créer quelque chose qui va durer dans le temps, ça va être sur le court terme et c’est un peu une erreur. Il y a des artistes modernes que j’aime énormément comme Mac DeMarco par exemple, qui est inspiré d’artistes japonais des années soixante-dix.

Clément : C’est moderne et nous aussi, que ce soit dans les structures, le son, les paroles ou la manière de chanter. Des mecs comme MGMT, Air nous ont beaucoup inspirés pour les voix. Phoenix aussi, dans la manière dont ils ont développé leur carrière, ça nous fait nous dire que c’est possible.

© Crédit photos  : Clara de Latour