Le groupe de rock le plus expérimental et productif de ces dernières années est de retour avec un nouvel album en cette fin d’année. Musiciens de génie formés par l’improvisation des jams de Melbourne, leurs inspirations et leurs instruments de prédilection vont du plus hétéroclite au plus inattendu. Vu leur rythme de croisière et leur goût pour l’expérimentation chaque album amène son lot d’appréhension et de questionnement. Quand iront-ils trop loin? Peut-on vraiment faire quelque chose de qualité avec si peu de recul ? C’en est presque un peu rageant, mais le talent ne leur a pour le moment pas fait défaut. Sobrement nommé K.G., leur (seulement) seizième album en 10 ans d’existence est promesse de maturité et de retour aux sources.
Comme toujours, chaque album est l’occasion d’expérimenter quelque chose : une idée, un concept, un instrument, une tonalité… A l’image du superbe Flying Microtonal Banana qui avait notamment donné naissance à l’un de leurs plus gros succès Rattlesnake, cet album explore l’appropriation culturelle, non, pardon, la gamme microtonale et ses intonations orientales qui oscillent entre l’Inde et l’Afrique du Nord. Plus poussé, plus psyché, avec même parfois des éléments jazz ou disco, cet album est une superbe suite à ce travail déjà entamé.
Décollage un peu étrange et inquiétant avec K.G.L.W., une intro à faire pâlir de jalousie les maitres du suspense. Inspiration orientale totalement assumée, instrumentale envoutante, on ne leur reprochera pas le manque d’évasion et d’émotions fortes.
Heureusement, une batterie à faire danser les plus belles fesses d’Orient accompagnée d’un rythme lancinant à la guitare vient nous secouer un peu. Automation est ce curieux mélange de rythmes traditionnels transposés sur des instruments modernes, mais qui réalisé avec talent innove dans les deux sens. C’est terriblement sexy et efficace.
Encore plus loin dans l’instrumentale ethnique, Minimum Brain Sized se dote cette fois-ci d’une voix douce et posée qui semble nous conter une histoire. Mais s’il y a histoire, c’est celle certains individus pathétiques et de quelle manière ils devraient aller se faire cuire un œuf. Une manière douce et élégante de remettre certaines choses à leur place. C’est-à-dire dans l’utérus de leur mère. En plus d’être bons musiciens, ils sont doués pour la punchline.
Ambrose Kenny-Smith passe cette fois derrière le micro pour Straws in The Wind. Sa voix aux tonalités graves est féminines est du miel pour nos oreilles. Mélopée apocalyptique, le refrain résonne tel un écho dans le désert. Accompagné d’un clip totalement décalé, on redécouvre totalement le morceau à se demander si ce n’est pas de l’ordre de la parodie. Si nous avions besoin d’une preuve que les King Gizzard étaient un peu barrés, voilà c’est fait.
Grâce à une transition presque invisible dont les Australiens ont le secret, Some Of Us entonne ses chœurs entre le tribal et le sacré. Rythme saccadé, mélodie jouée à la flute et autres instruments à air, le morceau prend une tout autre dimension lorsque qu’intervient une batterie jazzy des plus étonnantes.
Encore une fois, nous sommes embarqués sans nous en rendre compte vers les rythmes enjoués d’Onthology. Il y a quelque chose d’extrêmement amusant, presque juvénile dans ce morceau. Surtout lorsqu’après un bref silence les flutes se transforment en guitares électriques de l’enfer dans un délire psychédélique rock et jouissif.
Intrasport est la parfaite représentation de ce mélange des genres qui sur le papier pourrait paraître totalement absurde. Vous connaissez le disco turc? Et bien King Gizzard l’a fait quand même. Entre le ringard et le génial, le génial l’emporte. C’est dansant à souhait, ça monte en intensité à la perfection, et c’est au final terriblement moderne.
Morceau le plus psychédélique de tous, Oddlife et ses phrasés coupés, ses solos de guitares ensorcelantes, on rentre presque en transe. Le chant devient rageur, revendicateur, une psalmodie sur l’absurdité de la vie.
Afin de mettre un peu de baume au cœur, la jolie ballade romantique Honey vient caresser les sens et apporter un vrai sentiment d’évasion.
Un décalage total avec le morceau suivant. The Hungry Wolf balance les grosses guitars metals de l’enfer. Alternant riffs sataniques aux harmonies dissonantes et vocales saccadées, le morceaux les rejoint par moments dans des envolées dantesques. On ne s’attendait pas à finir par une messe noire, mais on apprécie grandement et on admire la facilité avec laquelle le groupe change de style.
Loin du simple exercice de style c’est une vraie proposition artistique qui fera pâlir de jalousie nombre de musiciens chevronnés. On ne peut que sortir assez ébahis par un tel niveau, qui bien qu’il ne soit pas des plus commercial, fera ronronner de plaisir leur très solide fanbase. Il est étonnant à quel point King Gizzard and The Lizard Wizard aborde la musique traditionnelle, mais surtout comment ils l’illustrent par des sujets aussi actuels. Album entre l’hommage, la danse et l’expérimentation, K.G. est une pépite qui a le don de nous faire voyager et nous réchauffer le corps.