La Face B de l’Histoire #1 : El Djazaïr – L (Raphaële Lannadère)

À travers La Face B de l’Histoire, la rédaction met en miroir la chanson et l’Histoire. Puisque certains textes renvoient aux souvenirs d’une période ou d’un événement vécu, il est intéressant de les mettre en parallèle avec les faits tels qu’ils ont été. Aujourd’hui, L nous transporte à El Djazaïr (« Alger » et « L’Algérie » en arabe) à l’aube de la guerre. 

« Cette chanson est née après une lecture d’un récit contant l’engagement de deux appelés en Algérie. L’un arrive et assiste le soir-même à une scène de torture, il déserte pour rejoindre le FLN. Ces histoires m’ont beaucoup touchée.  El Djazaïr parle vraiment de l’engagement. » confiait la chanteuse L. Raphaële Lannadère – de son vrai nom – évoque ici la guerre d’indépendance de l’Algérie alors française. Le conflit opposait, entre autres, les forces françaises au mouvement indépendantiste du FLN. À travers cette chanson, L prend la peau d’un soldat, dont l’origine française ou algérienne est ambiguë, juste avant le combat.

Le troisième couplet s’ouvre sur les évènements du 8 mai 1945, considérés comme les prémices de la Guerre d’Algérie. Portée par une contrebasse aux sonorités vibrantes et langoureuses, une voix tantôt parlée tantôt chantée rappelle que « 8 mai 1945, c’est loin. Les cris, les larmes, mes parents. Le brassard blanc des musulmans » Puis, le bruit sec des baguettes de batterie porte la voix « Ce soir, soudain, je me souviens. » 

Sur le plan historique, ce jour est marqué par la capitulation de l’Allemagne nazie mais également par le massacre de Sétif. Environ 10 000 personnes se sont rassemblées dans la ville de Sétif pour fêter la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Profitant de l’audience de cet événement, des indépendantistes se mêlent à la foule. Malgré l’interdiction, un drapeau algérien est brandi. Un coup de feu. Le drapeau tombe et le jeune scout l’ayant brandi avec. La mort, la panique et les premiers coups de feu poussent à l’émeute jusqu’à ce que l’armée intervienne. Dès lors, les libertés des Musulmans sont limitées. Ainsi, ces derniers ont l’obligation de porter un brassard blanc pour pouvoir circuler et être différenciés.

La place du souvenir est importante dans le texte de L puisqu’il s’oppose à la violence du présent. Il renvoie au temps de l’insouciance et de la douceur de l’enfance comme le montrent les vers d’El Djazaïr : « Sur une terrasse de la casbah. Où on jouait quand on était gosse. À l’ombre des lauriers roses ».

Mais c’est la douleur de la guerre qui resurgit à travers le refrain, mis en avant par la dureté répétitive d’un rythme ternaire. La chanson débute par le son sec et froid de baguettes de batterie répétant le même rythme en trois temps, repris par la suite par un piano jouant une mélodie mélancolique. Un troisième instrument s’invite, une contrebasse en pizzicato qui donne corps et chaleur à la musique. 

La voix, à son tour, reprend le rythme. En trois temps, « en trois coups de revolver », il y a un vif retour à la réalité amplifiée par la sensualité des images. On ressent les sensations du soldat, les vibrations des coups du pistolet avec lequel il vient de tirer. Puis « Le canon [qui] fume encore. [Il sent] l’arme sur [son] ventre brûlant. La sueur, le cuir, le métal. » On sue avec le soldat de l’omniprésence de la chaleur, du soleil, qui ne serait pas sans rappeler certaines plumes méditerranéennes comme celle d’Albert Camus dans L’Étranger. Le soldat semble déstabilisé par « le vent chaud », les lieux « déserts », voire son propre corps « brûlant » et suant. En plus des sentiments du soldat, on perçoit ce qu’il voit. L’auditeur devine dans les yeux du narrateur le conflit qui arrive, nous disant : « Je vois les grues sur les bateaux. Les caisses s’entassent sur le port. » Rajoutant avec graduation la présence des « jeeps, [des] grenades, [du] mortier. Les drapeaux sont tricolores. » 

Avec un regard historique, cette scène se situe au début de la Guerre d’Algérie, soit après l’épisode de la Toussaint Rouge. Le 1er novembre 1954, une vague d’attaques terroristes de la part du FLN touche les bâtiments administratifs français, faisant plusieurs morts. Il y a consensus sur cet événement décrit comme le début du conflit par de nombreux historiens. Plus précisément, l’arrivée des français décrite pourrait s’être déroulée après 1955. Date à laquelle François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, prône un retour à la force puis ordonne les premières opérations militaires.

Le 18 mars 1962, les Accord d’Évian sont conclus, instituant le cessez-le-feu. C’est la fin de la guerre, mais les violences se poursuivent. Par conséquent, les mémoires sont encore très vives et déchirées. Elles hantent encore certains artistes, comme Camélia Jordana qui a écrit le titre Dhaouw en référence au massacre du 17 octobre 1961. Alors qu’un couvre-feu est imposé aux Nord-Africains, une manifestation prend forme à Paris. Elle est violemment réprimée par la police. Des manifestants sont noyés dans l’eau. En référence à cela, l’auteure de Dhaouw chante que « dans la Seine, on voit des os ».

Pour aller plus loin : 

  • En Histoire : Histoire dessinée de la Guerre d’Algérie, de Benjamin Stora et Sébastien Vassant, édition Le Seuil.
  • En musique :

… sur Octobre 1961 : Manifestation pacifique de la Compagnie Jolie Môme, Paris, oct 61 de La Tordue

… sur l’après-guerre : (sur le départ d’Algérie) Relizane de We Are match, Adieu mon pays d’Enrico Macias (sur l’intégration en France métropolitaine), Mimoun, Fils De Harkis de Mickey 3D, Clichy de Mohamed Mazouni.