À travers La Face B de l’Histoire, la rédaction met en miroir la chanson et l’Histoire. Puisque certains textes renvoient aux souvenirs d’une période ou d’un événement vécu, il est intéressant de les mettre en parallèle avec les faits tels qu’ils ont été. Cette fois-ci, on vous emmène faire un road trip en Arabie Saoudite alors que le région est en pleine révolution… mais n’ayez crainte ! Car la Tchador Woman Manal al-Sharif et Babx nous accompagnent.
Il faisait chaud en ce mois de juillet 2013. Le tour de France venait à peine de se terminer que les applaudissement se tournèrent rapidement vers les artistes du Fnac Live. Babx trônait sur la scène en invoquant :
« Un peloton de déesses qui vit et sévit en Arabie Saoudite et qui un jour, en se rebellant contre leur État, ont bravé l’interdiction qui leur a été faite de conduire. Qui ont enfourchée leur bolide et ont traversé leur pays de part en part. En maillot jaune de ce peloton de femmes merveilleuses, c’est une femme qui s’appelle Manal Al-Sharif et qui m’a inspiré cette chanson : Tchador Woman. »
Ainsi, l’auteur-compositeur Babx dédie ce titre à Manal al-Sharif qui en 2011 prend le volant et invite les femmes à conduire en Arabie Saoudite. Elles bravent alors l’interdiction morale qui leur est faite en s’affirmant – parfois contre leur gré – comme militantes des droits des femmes dans leur pays. En rendant hommage à ces femmes, Babx rend ses lettres de noblesse à leur combat, prenant racine dans le contexte des révolutions arabes. Un mouvement née à la fin de l’année 2010, qui s’empare du Maghreb puis du Proche et du Moyen-Orient en prônant la démocratie, un plus grand respect des libertés individuelles et entre autres, l’égalité entre les sexes.
Le démarrage de cette lutte s’effectue avec une vidéo sur laquelle on peut apercevoir Manal al-Sharif conduire. Tout en prenant le volant elle dénonce plusieurs situations allant d’une femme doctorante, professeur d’université, mais ignorante de la conduite automobile aux femmes dont il est à peine tolérer qu’elles conduisent, même en cas de nécessité; par exemple, pour amener leur mari aux urgences. Elle poursuit par cette phrase tant évidente qu’elle en paraîtrait naïve : « Une femme a autant le droit qu’un homme de vivre sa vie et a la même dignité. » Cette vidéo a été publié sur Facebook. Une plateforme sur laquelle Manal al-Sharif mène en parallèle la campagne Women2drive, appelant les femmes à prendre le volant.
En guise de soutien à ce récit, Babx fait rouler un motif musical, électrique et inarrêtable à travers son titre Tchador Woman. Il décrit « des guitares un peu à la Sonic Youth, un peu crados, mécaniques, rouillées. Et pour la voix, un truc qui sonnait comme le chanteur de LCD Soundsystem, une voix pêchue sans trop de reverb, un peu funky. » De part les sonorités des instruments allant de la batterie, en passant par la guitare et le synthé jusqu’aux mots, l’artiste parvient à créer une atmosphère brûlante sentant le soufre et l’asphalte. Un circuit imaginaire qui se transcrit dans l’onirisme du texte marqué par une gradation. Puisqu’une « Tchador Woman veut des bolides » … plus … « Tchador Woman rêve d’automatiques, de coups de freins » … et encore plus … « Tchador Woman exige des virages, des virées mécaniques. »
Le mouvement Women2drive prend un virage le 17 juin 2011 en appelant toutes les Saoudiennes à conduire. Un appel de phare comme un avertissement que la révolution est en marche. Mais le coup de frein est brutal, Manal al-Sharif se fait arrêter quelques jours plus tard. Pourtant, les textes sont formels : aucune loi n’interdit les femmes de conduire. Alors, on comprend mieux pourquoi son arrestation est exécutée par le CPVPV – le Comité pour la Promotion de la Vertu et la Prévention des Vices- en charge de l’application des normes religieuses. Car tout est question de fatwas (*), de coutumes et de tradition au même titre qu’il est question d’interprétation littérale de la charia, c’est-à-dire la loi islamique. Lorsque Manal al-Sharif est libérée, il lui est interdit de répondre aux questions et aux médias ainsi que de conduire.
On pourrait presque ressentir tout sa rage et sa colère entre les lignes du texte de Babx. Il y a tout un vocabulaire militaire et armé allant « des assauts », « des cohortes » et « des escadrilles » au « rêve de carjacking, d’accident volontaires, de fuite de gazoline, de tonnerres, de tonneaux ». Puis, une prise de vitesse omniprésente par une musique en course poursuite ou encore des allusions « à 200 », aux « accélération » et « turbo », comme « les étoiles filantes ». Enfin, le refrain est une montée en apogée. Car Babx prévient : « Laisser passez les dames, avant que ça pète, avant qu’ça crame, laissez passer madame. »
2011 est une année forte pour l’Afrique du Nord ainsi que Proche et Moyen-Orient, puisque la révolution née en Tunisie, fin 2010, se régionalise. C’est ce que les historiens contemporanéistes (**) nomment « le Printemps Arabe ». A partir du décembre 2017 des émeutes éclatent à Sidi Bouzid, en Tunisie. On assiste rapidement à un effet domino puisque de vives manifestations se généralisent à travers le Monde Arabe (***) Des protestations qui peu à peu se structurent autours des mêmes outils : les réseaux sociaux, au point de parler de « Révolution 2.0 ». On se rappelle alors que Women2drive utilise Youtube, Facebook et Twitter comme armes. Les causes de ces révolutions sont multiples : explosion du taux de chômage des jeunes, chef d’Etat au pouvoir depuis trente ans ou encore une forte répression de la part des militaires ou policiers. En bref, deux mots d’ordre : « Démocratie » – par un système moins autoritaire – et « Liberté » – tant économique que sociale.
C’est également la porte ouverte à une renaissance du féminisme arabe, existant dès les années 1920. Puisque en arrière plan des revendications évoqués, les langues se délient sur les inégalités sociales et politique ainsi que sur les agressions sexuelles. Un respect de l’égalité entre les sexes est clamée par les femmes – voilées ou non – très présentes et actives lors des manifestations. Un terreau fertile pour la lutte du collectif Women2drive.
Babx dresse avec Tchador Woman une hymne à l’égalité et surtout la liberté. L’artiste écrit à ce propos : « J’ai voulu tout d’abord parler de ces femmes magnifiques et révolutionnaires et faire un pied de nez à cette image trop souvent répandue de femmes soumises parce que voilées. Le problème n’est donc pas le voile mais la liberté. Toutes les libertés, ce qu’on en fait et comment l’on va les chercher avec les dents, avec les mots, avec des voitures, avec ou sans voile(s).» En effet, les femmes que Babx invoquent sont libres de faire ce qu’elles veulent, désirent voire même exigent. Tel que « des profanations », « des coups d’reins, des coups d’speed » avec des « coups d’foudres métalliques » ou au contraire « pas de sentiments, non », «pas de caresse ».
Aujourd’hui, depuis 2018, les femmes ont réellement et concrètement le droit de conduire en Arabie Saoudite. Cependant, il existe encore un système de tutelle faisant de la femme une mineure. Dont l’abolition est une nouvelle lutte animant Manal al-Sharif. L’activiste a depuis quitté son pays et a été récompensé par le Prix Václav Havel pour la dissidence créative(****) en 2014. Quant à Babx tout son amour et son admiration pour ses femmes révolutionnaires ne semblent pas s’être éteint – et pourvu que ça dure. Car il signe en 2017 avec Archie Shepp et Dorothée Munyaneza un hommage à Omaya Al-Jbara ayant combattue Daesh en Irak.
* * *
Pour mieux comprendre :
(*) Fatwa : Avis religieux islamique portant sur la vie quotidienne
(**) Historiens contemporanéistes : Spécialiste de l’Histoire contemporaine c’est-à-dire la période s’étalant de la Révolution Française à aujourd’hui
(***) Monde Arabe : Correspond géographiquement au Proche et Moyen Orient ainsi qu’au Maghreb. Quant au terme Arabe on distingue deux approches. La première serait qu’être Arabe signifie parler la langue arabe, dans ce cas les pays du monde arabe ont comme langue officielle l’arabe. La deuxième, serait qu’être Arabe signifie être musulman, dans ce cas les pays du monde arabe ont comme religion d’Etat l’islam. Or, il est très important pour comprendre cette région de savoir qu’il s’agit d’une réelles mosaïque de peuples comme de religions.
(****) Prix Václav Havel pour la dissidence créative : Récompense ceux «qui s’engagent dans une dissidence créative, faisant preuve de courage et de créativité pour défier l’injustice et vivre dans la vérité»
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Pour aller plus loin…
• En Histoire :
Sur Manal Al-Sharif :
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Sur le féminisme au sein du monde arabophone :
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Conseils cinématographiques :
- Daring To Drive, Manal al-Sharif. Autobiographie en anglais
- « Une Saoudienne qui a osé conduire » TedX de Manal al-Sharif : Disponible ici.
• Féministes du monde arabe, Charlotte Bienaimé, ed. Les arènes : Portraits de femmes dans leur lutte pour le féminisme à travers le Maghreb et la Proche-Orient.
• Révolution sous le voile, Clarence Rodriguez, ed. First : Essai sur le féminisme en Arabie Saoudite, écrit par une journaliste correspondante à Riyad
• Paroles d’honneur, Leïla Slimani et Leatitia Coryn, ed. Les Arènes : Roman graphique sur la condition des femmes au Maroc
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- Millefeuille de Nouri Bouzi : Féminisme à l’heure de la révolution du jasmin
- No Land’s Song de Ayat Najafi : Combat contre l’interdiction faite aux femmes de chanter Iran.
- Papicha de Mounia Meddour : Sur de l’émancipation des femmes dans la violence de la décennie noire en Algérie
- Le duo de cinéastes Marocains Maryam Touzani et Nabil Ayouch
• En musique :
Alaa Wardi – No Woman, No Drive
La force de ce clip est son ironie poussée au paroxysme. Puisque l’on y fait la connaissance d’un militant des causes sociales invitant les femmes à ne pas conduire mais plutôt à rester dans la cuisine ou encore à garder leurs ovaires « sains et sauf ». Belle mise en lumière de « l’étiquette progressiste » de certaines régimes du Proche et Moyen-Orient.
Majed Al-Esa – Hwages («Inquiétudes»)
Le clip est une satire envers l’interdiction donnée aux femmes de conduire. Ces dernières sont réduites à rouler en skate, en trottinette en plastique ou encore en auto-tamponneuse. La critique est poussée jusqu’à laisser conduire un enfant plutôt qu’une femme. Alors, on comprend les paroles déclamées : « Dieu, débarrasse-nous des hommes ! Ils nous rendent folles ! »
Mashrou’ Leila – Roman
Si vous ne connaissez pas Mashrou’ Leila, il n’est pas trop tard. Le groupe libanais a fait de sa musique une sorte de combat poétique contre les discriminations, l’homophobie ou encore la corruption. Roman évoque le droit des femmes mais plus particulièrement l’auto-détermination. Le fait de s’ancrer dans le mouvement féminisme tout en déterminant son identité, en gardant sa propre culture, son voile.
Animation et illustration de couverture réalisées par Camille Scali (@camille.scali)