Il y a presque une semaine sortait le troisième et énigmatique album de La Femme : Paradigmes. Alors ni une, ni deux, on s’est empressés d’aller à la rencontre de l’un des groupes les plus iconiques de l’hexagone. Retour sur cet échange décomplexé en compagnie de Marlon Magnée où l’on y parle ivresse de la nuit, nostalgie des beaux jours et d’une réalité qui peut basculer à tout moment.
La Face B : En septembre dernier, vous annonciez votre retour avec la sortie du single Paradigmes. En parallèle, vous citiez cette phrase : « Les paradigmes s’effacent, les masques tombent. Désormais, rien ne sera jamais plus comme avant. » Concrètement, qu’est-ce que cela signifiait ?
Marlon Magnée : À vrai dire, on parlait juste de l’avant, celui qui précède la sortie de l’album. (rires) Mais ça peut aussi être interprété comme l’avant 2020 et l’avant covid. On laisse libre cours à l’interprétation même si ça concerne surtout la période avant l’album, comme s’il allait changer le monde quelque part.
LFB : Pour rester sur ce single et son clip surtout, je trouve que ce dernier fait particulièrement écho à la période des Roaring Twenties notamment avec ce jazz robotique, ces cuivres, les tenues et l’atmosphère festive générale. Les années 20 représentent-elles une période qui vous inspire ou vous a inspiré musicalement ?
MM : Oui, énormément mais comme toutes les décennies je dirais. Les années 20 ont toujours été omniprésentes chez nous, surtout depuis mes dix-sept ans, âge où j’ai commencé à vraiment me passionner. C’était cool de rendre cet hommage car c’est vrai que parfois on a une vision des années 20 trop électro swing alors qu’ici, la vibe est différente, plus alternative dans le rock et plus subtile.
LFB : Paradigmes est un album qui navigue entre la vie, la nuit, les amours passés, la mort, l’état d’insouciance et l’irrationnel. Il s’arrête également sur un constat de notre époque (Disconnexion), laquelle serait égoïste et quelque peu naïve si l’on suit vos mots. Face à ce genre de critique, est-ce que vous vous incluez dedans ?
MM : C’est un point de vue général même si on s’inclue quand même dedans. C’est général car on fait aussi partie de la généralité. Mais à la base, au-delà d’une critique de notre époque, c’est surtout un concept d’opposition entre la disco un peu Blondie vénère et une émission de télé voire un discours philosophique de prof de classe chiant. C’est deux oppositions et on trouvait ça assez intéressant. À travers le clip et le film qu’on a fait, c’est en fait un pastiche des philosophes ou des hommes politiques pendant les émissions de télé qui répondent à côté des questions. C’est surtout une satire de ça. On a aussi été très influencés par Les Inconnus et Les Nuls qui eux-mêmes se foutaient de leur gueule donc du coup on a voulu faire ça à notre sauce. C’est à la fois ça mais aussi et surtout un hommage, c’est ambigu et ambivalent, c’est entre les deux. Le message veut dire un vrai truc mais on dirait également que c’est farfouillé et que ça ne veut rien dire. C’est vraiment bizarre, on va dire que c’est avant tout une œuvre intéressante. (rires)
LFB : Dans l’ensemble, ça reste alors beaucoup de second degré ?
MM : Exactement même s’il y a énormément de fond. C’est vraiment la forme et le fond en dualité, du second degré, du premier degré, les deux clés sont bonnes en fait.
LFB : Cela fait désormais plus de dix ans que La Femme existe. Un projet qui réunit à ce jour trois albums faits de rêve, de psychédélisme et de surréalisme, où les genres musicaux sont toujours autant mélangés avec brio. Faire perdurer cette façon de faire, est-ce votre manière à vous de dire qu’il est encore possible de s’affranchir des normes de la musique actuelle ?
MM : C’est tout à fait ça. On essaie justement de montrer une autre voie, notamment en essayant d’utiliser les canaux mainstream pour diffuser la musique. On veut montrer une voie alternative à la variété et aux trucs un peu plus formatés, on veut davantage laisser libre cours à l’imagination.
LFB : Pour cet album, vous avez puisé parmi des morceaux écrits depuis quelques années déjà. Bien que la musique soit de manière générale intemporelle, est-ce que ces titres résonnent en vous de la même manière qu’ils le faisaient au moment de leur création ?
MM : Ils résonnent différemment, c’est-à-dire qu’ils peuvent surtout résonner d’une manière plus forte même si en général, c’est les premières fois qui font le plus d’effet. On les a beaucoup écoutés, on les aime toujours mais ils résonnent différemment. On n’est plus en phase avec ces sentiments passés qu’on a essayé de traduire. Parfois ça va être très important de chanter les morceaux à un moment clé et puis il arrive que quelques années plus tard, on ne ressente plus ce truc-là, qu’on n’ait plus la même flamme. Après ce n’est pas grave car la musique est faite pour partager et il y en a d’autres qui reprendront la flamme et qui se réapproprieront alors les morceaux.
LFB : On dit souvent que La Femme est l’avenir du rock. Que répondez-vous à ça ?
MM : Je ne sais pas s’il faut prendre cette phrase au sérieux. (rires) Si on la prend au premier degré pur, ce n’est pas l’avenir du rock mais l’un des avenirs. On est tous l’avenir du rock. C’est cool et flatteur, il faut prendre le bon côté des choses. C’est aussi un paradigme et pour certaines personnes ce n’est pas le cas, ça dépend avant tout des goûts et des couleurs.
LFB : Dans vos morceaux Nouvelle-Orléans et Pasadena, on entend une nostalgie des jeunes années. L’innocence, la pureté et la fougue de votre jeunesse vous manquent-elles ?
MM : Oui, énormément. C’est vrai qu’au passage à l’âge adulte on laisse de côté beaucoup de choses mais c’est cool aussi car c’est un cycle où l’on découvre des nouvelles choses. C’est probablement une façon de faire le deuil d’une période quelque part.
LFB : Peut-on considérer ce nouvel album judicieusement intitulé Paradigmes, telle une invitation à se défaire des illusions et des croyances qui nous formatent depuis l’enfance ?
MM : À la base, c’est assez superflu. On l’a avant tout appelé Paradigmes pour des raisons esthétiques, on a été attiré par le mot car on ne connaissait pas la définition. On trouvait qu’il sonnait bien, comme un mélange de paradis et d’énigme, puis ça rejoint l’onirisme et le mystère de La Femme. C’est vrai que finalement le sens est très lourd et si on pouvait le synthétiser, on dirait que c’est une vérité qui peut se défaire, qui n’est pas réelle, qui peut s’effacer à tout moment et se détruire. Dans tous les cas, quand on commence à partir dans ce concept-là, à tester toutes les vérités, on se rend compte que oui c’est important de prendre du recul quant à nos paradigmes qui peuvent basculer à tout moment. C’est vrai que parfois l’être humain à tendance à trop jurer par ce qu’il croit et voit, à ne pas s’ouvrir. C’est aussi une invitation à l’ouverture et ce qui est d’autant plus fou, c’est que lorsque l’on voit tout ça, le sens premier est d’abord esthétique, superficiel pour alors devenir ce quelque chose qui a du sens.
LFB : Pour parler un peu de vos visuels, vous disiez il y a quelques années ne pas vouloir travailler avec d’autres réalisateurs car personne n’arrivait à capter l’essence même de La Femme. Est-ce quelque chose qui a changé depuis ? Car on retrouve fréquemment le nom d’Aymeric Bergada du Cadet à la réalisation de vos clips ou encore plus récemment, celui d’Ilan Zerouki.
MM : Ce qui est cool avec Aymeric c’est qu’on travaille avec lui depuis huit ans. À la base, il faisait le design des costumes et il avait beaucoup d’idées. Il y a très peu de réalisateurs avec qui on va pouvoir se décharger de certaines tâches, où l’on sera sûrs d’être compris mais il se trouve qu’avec lui, on partage les mêmes références, le champ de connexion est énorme. Avec tout ce que l’on a à faire, on aimerait tellement pouvoir déléguer, c’est juste qu’on n’y arrive pas. Mais on peut se permettre de confier certaines choses à Aymeric par exemple, car on sait qu’on se comprendra, on partage les mêmes valeurs et les mêmes buts.
LFB : Étonnamment, il y a dans vos clips une esthétique qui rappelle celle de Dario Argento. Ce nom figure-t-il parmi vos influences ?
MM : Peut-être inconsciemment mais je dirais plutôt que l’on s’inspire de l’univers de Burton, Tarantino et Kubrick. On n’est pas forcément dans des trucs de niche, enfin pas dans le cinéma, dans la musique oui mais pas ici. (rires)
LFB : La nuit a toujours été très présente chez La Femme. Est-ce qu’il y a dans la vie nocturne, l’ivresse et le lâcher-prise qui s’y rattachent, quelque chose qui vous rassure ?
MM : Oui et d’un point de vue philosophique, il y a également cette peur d’aller au lit, où l’on n’a pas envie d’aller dormir mais envie de sortir et de veiller la nuit. Alors que paradoxalement le matin, tu te réveilles et tu veux dormir, c’est dommage. Est-ce qu’il faudrait profiter plus des journées et profiter de la nuit pour dormir ? La nuit c’est le mystère, c’est nous. Mais si on pouvait vivre le jour, on le ferait.
LFB : Quand le projet débutait, vous aviez à peine 20 ans et aujourd’hui, vous voilà avec une trentaine à peine entamée. De la même manière, pensez-vous que votre public a vieilli à vos côtés ?
MM : Oui mais j’ai aussi l’impression qu’il y a un nouveau public qui est arrivé. Dans notre musique, il y a cette volonté d’être intergénérationnel, classique, de durer dans le temps. C’est bien de voir qu’il y a toutes les générations qui nous écoutent. Je me rappelle de cette fois où un mec de 70 ans avait slamé à l’un de nos concerts, c’était vraiment cool. (rires)
LFB : Enfin, aurais-tu des coups de cœurs récents à partager avec nous ?
MM : Dans mes coups de cœur musicaux, il y a Igor Dewe, c’est de la pop très sexuelle et drôle. Je vous invite à regarder ses clips notamment Sexual Obsession ou Do Me. Il y a aussi Trance Farmers, un groupe qui fait des samples de vieux trucs de rock, ça sonne un peu Daft Punk sauf qu’ils mettent du rock à la fin. Ils ont fait un album qui s’appelle Dixie Crystals, vous pouvez l’écouter sur Youtube et je vous y encourage.
© Crédit photos : JD Fanello & Oriane Robaldo