Parfois, il est plus facile de s’adresser directement à un artiste pour parler de sa musique. On a donc choisi d’adresser notre sixième lettre à Blood Red Shoes.
Paris, le mercredi 11 mai 2022
Chers Laura-Mary Carter et Steven Ansell,
Si je me décide aujourd’hui à vous écrire cette lettre c’est que je ne vois pas de manière plus juste pour vous remercier de tout le bien que vous me faites. En effet, il faut mettre de soi je crois pour parler de musique, d’un album, d’un artiste. En tout cas c’est ce que je me plais à faire. Avec mes tripes, mes émotions exacerbées et mes mots qui divaguent.
GHOSTS ON TAPE est votre 7ème album et il est sorti le 14 janvier 2022. Je le découvrais quelques jours plus tard, à la faveur d’une discussion informelle. Pour être honnête, le temps a filé et cela faisait longtemps que je ne vous avais plus écouté. Je me rappelle encore la première fois où je vous ai entendu. Où je me suis dis que Blood Red Shoes, c’était un nom qui sonnait bien. C’était il y a plus de 10 ans, dans une petite chambre étudiante du sud de la France. Light It Up et cet homme brun, au torse velu et au sourire charmeur. Après il y a eu I wish I was someone better, et bien d’autres morceaux. Et puis la césure, les années qui passent.
Aujourd’hui je regrette de vous avoir oublié, un peu. Aujourd’hui je peux affirmer sans trop me tromper que GHOSTS ON TAPE est à mes yeux l’album de l’année. Je l’affirme et je l’écris noir sur blanc, alors que nous ne sommes qu’au mois de mai et que nous risquons d’avoir encore de bien jolies découvertes musicales.
Tout d’abord, COMPLY se révèle au piano. Dans une suite d’accords inquiétants qui rappellent le groupe Nine Inch Nails. Steve au chant, « You’re not keeping my safe, you’re keeping control ». La guitare, écrasante et la batterie, tonitruante. Laura-Mary, te voilà pour le refrain. « I will not comply », répété en boucle. Une histoire de domination et d’emprise.
Car l’album nous propulse dans un univers où cohabite tueurs en série, lignes de synthé et chants hurlants. Vous l’avez écrit à Los Angeles, dans une ville au passé meurtrier iconique et vous avez écouté beaucoup de podcasts à ce sujet lorsque vous étiez en tournée. Entre attraction et révulsion, fascination et incompréhension…
Puis MORBID FASCINATION, les sonorités électroniques qui ne disparaissent jamais vraiment et ta voix Laura-Mary, pour parler de ce qui fait et se défait. « Silence never felt so cruel » avant de clamer « Is it true? » jusqu’à l’explosion, jusqu’à ce que mon corps enrage et se dresse.
Mais vient maintenant le moment où je dois vous avouer quelque chose. C’est une parenthèse dans une lettre déjà bien trop longue mais voilà…. Vous accompagnez mes errances nocturnes, ma solitude hivernale, mes journées au soleil. Je sais que je suis ridicule. A gesticuler toute seule dans la rue, à murmurer les paroles un peu trop fort. Je le sais et pourtant, je m’en fiche. J’ai si hâte de vous voir en concert cet été à la Maroquinerie. Le 21 juillet. Je croise tout ce qu’il est possible de croiser pour que le concert soit maintenu.
Puis survient MURDER ME, et toujours ce monde horrifique, entre pop et électro. Car en plus de réaliser des tubes à chaque morceau, vous mettez un point d’honneur à façonner une atmosphère chargée et personnelle. L’album est entrelacé de pauses, de zones de tensions, courts morceaux instrumentaux qui viennent appuyer ce qui existe déjà. Que ce soit (i’ve been watching you) ou (what have you been waiting for).
GIVE UP, porte en lui l’urgence, la fougue mais aussi l’accalmie. Une respiration se crée au milieu du morceau pour donner vie à un titre différent, porté par des nappes de synthétiseurs.
SUCKER, quelle chanson, encore une fois. Laura-Mary c’est toi qui mène tandis que Steven s’occupe des chœurs. Un synthé obsédant pour un refrain que l’on a envie d’entonner. Encore et encore.
BEGGING se veut lancinante. Je ne vais pas vous mentir, ce n’est pas mon morceau préféré. En revanche, après l’interlude (you claim to understand), survient I AM NOT YOU, que j’adore. Vous l’avez décrite comme une réponse à tous ces gens qui ne vous ont jamais compris, vous les « weirdos », vous Blood Red Shoes. Est-ce que c’est parce que moi aussi je me sens un peu inadaptée que ce morceau me touche tant ? On sent la rage, l’assurance, la force. Et je vous en remercie. Pendant l’enregistrement, vous avez cherché ardemment la manière de retranscrire musicalement cet état. En quête de sons poussés à l’extrême, la guitare comme un électrochoc, un uppercut qui met à terre.
De DIG A HOLE pour donner ses ennemis en pâture (aux loups) à I LOSE WATHEVER I OWN et les batailles perdues, vous brillez toujours plus.
Et je n’ai même pas encore évoqué tout le travail accompli autour de l’image animée. Vous avez réalisé avec l’aide de Craig Murray une mini histoire horrifique en 4 épisodes à partir de certains de vos morceaux (SUCKER, COMPLY, I AM NOT YOU et MURDER ME ). Une manière réussie de renforcer le climat de terreur et d’ambivalence dont votre album est empreint.
GHOSTS ON TAPE se conclut en beauté avec FOUR TWO SEVEN, qui est certainement un de mes titres préférés. Un début en douceur pour une voix qui s’élève au fur et à mesure que le morceau s’installe. Steven, tu occupes la place centrale. « I am scared to let go of a hurt so comfortable, the place that I am chained is the place I’m doomed to stay ». Le récit d’une histoire d’amour finie qu’il est difficile d’oublier. Laura-Mary tu nous laisses entre-apercevoir ton timbre suave sur le refrain, entouré de plages électroniques apaisantes et mélancoliques.
Cette lettre touche à sa fin. J’ai peur d’en avoir trop dit ou pas assez, de ne pas avoir su retranscrire parfaitement tout ce que cet album remue en moi. GHOSTS ON TAPE comme la promesse qu’on fait à un enfant, celle qui reste gravée à tout jamais dans sa petite tête.
Laura-Mary et Steven, Blood Red Shoes, merci de me projeter aussi loin du sol, quelque part derrière les collines, à l’abri des regards et des jugements. Merci de me laisser m’approprier votre monde, là où les fêlés, les ébréchés, les inadaptés sont rois et reines. Merci.
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