Musique hors-scène #8 : à la découverte de La Traversée

À La Face B, on avait envie de rendre visible celles et ceux qui accompagnent la musique au quotidien sans jamais être sur scène. Parce que ce sont, avant tout, des passionnés de musique ; et parce que sans eux, vos artistes favoris seraient peut-être encore des inconnus. Dans ce huitième épisode de la rubrique, on discute aujourd’hui du projet La Traversée avec Bruno Robitaille de l’école nationale de la chanson et Alice Eslan du Chantier des Francos.

La Face B : Quelle a été l’impulsion de départ qui a poussé à créer la traversée ?

Bruno Robitaille : À la base, il y a une institution, il y a l’école nationale de la chanson, mais souvent les impulsions viennent des gens.

Moi, dans ma vie précédente, j’ai été manager, producteur, etc… J’ai été le co-manager d’Alexis HK, ici au Canada dont le manager français était Julien Soulier.

Et Julien, en même temps que moi, je suis devenu directeur de l’école nationale de la chanson, bien lui est devenu directeur du FAIR.

Donc ça c’était la prémisse, mais depuis des années, moi je travaille avec des artistes en France, j’ai pu constater qu’on parle la même langue, mais il y a une différence d’accent et aussi des différences culturelles.

Surtout il y a des différences de sensibilité musicale même, où le son est différent, la façon d’approcher la création et l’interprétation… On a eu de longs échanges à cet égard avec Julien, puis avec les Francos de Montréal, avec Laurent Soulier, qui est le prédécesseur de Maurin Auxéméry . Puis on a émis l’intérêt de créer un tel projet qui réunirait des artistes canadiens avec des artistes français.

Et puis là, à un moment donné, il faut bien évidemment financer le projet, donc il y a eu la participation de Musicaction, qui est toujours le financeur principal de La Traversée et qui a permis par un programme de mettre ce projet-là de l’avant.

Donc La Traversée, on en est à la 7e édition, c’est né de l’impulsion de mettre ensemble des artistes, peut-être de façon improbable, qui ne se rencontreraient pas en dehors de ça, puis d’imposer un contexte qui, ma foi, après sept ans, crée une magie entre eux, artistique, une complicité assez impressionnante.

Alice Eslan : Et qui a l’air de durer à travers les éditions

Bruno Robitaille : Il y a des gens qui, je pense à Matt Vezio avec Laura Cahen, continuent des collaborations, des co-écritures, des premières parties.

LFB : Oui, il y a un vrai échange.

Alice Eslan :  C’est presque humain avant, que ce soit artistique, quand on voit les retours qu’ils nous font.

LFB : C’est l’intérêt de mettre des personnes qui ne se connaissent pas pendant huit jours pour faire de la musique et voir ce que ça donne.

Bruno Robitaille : Oui. Puis, tu sais, on va dans un lieu extraordinaire, ils t’en ont peut-être parlé, donc au Studio B12, qui est à peu près à 1h30-2h de Montréal.

Alice Eslan : C’est un lieu exceptionnel. Ils sont isolés, ils sont en résidence là. C’est un cadre vraiment privilégié pour travailler.

Ils n’ont rien d’autre à penser que faire de la musique et se rencontrer. C’est un lieu fou.

LFB : Du coup, comment vous voyez l’évolution et l’importance de ce projet au fil des années? Il a été traversé par la COVID qui aurait pu aussi un peu ruiner la chose et qui, malgré tout, continue d’évoluer dans une forme différente avec moins d’artistes.

Bruno Robitaille : Tout à fait. La COVID, on a fait, imagine, un album numérique.

Les artistes ne se sont jamais rencontrés. Par teams, on avait un réalisateur à Paris. On avait un studio ici au Québec.

Bref, il y a des titres communs qui ont été faits. Il y avait Arthur Ely, Ely Rose…Donc, on était quatre artistes de chaque côté. La COVID est arrivée. On est passé à deux artistes de chaque côté.

C’est la formule qu’on veut garder parce que ça donne plus de place aussi aux artistes. Ça met une plus belle lumière sur eux, sur chacun d’eux ou elles.

J’espère du moins que ce projet va continuer parce qu’il y a toujours de nouveaux artistes, des artistes émergents. Nous, on vise des artistes qui ont un certain chemin de fait et qui ont des équipes. On espère que ce soit pour eux une étincelle sur leur chemin en termes de diffusion. C’est la première année en partenariat avec les Francofolies de la Rochelle.

Moi, j’ai plein d’idées. Nous, on apprend à se connaître et à bosser ensemble.

Alice : Même sur la prépa, il y a des choses qu’on se disait, il faut qu’on y pense pour l’année prochaine. Pour l’intégrer au projet de base. Là, c’était un peu tard mais effectivement, il y a plein de choses possibles.

Bruno Robitaille :: Ce qui est bien pour nous, c’est que l’École nationale de la chanson, nous, on ne fait qu’une chose, on fait de la formation.

Formation, perfectionnement, des résidences. C’est notre mission dans la vie. Ce qui est intéressant, c’est l’existence des chantiers des Francofolies. Ça fait partie de la culture des Francofolies. Il y a déjà une expertise qui est là. Après, on verra bien pour la suite.

Moi, j’ai espoir qu’il y ait des atomes crochus, des affinités pour d’autres projets.

LFB : Quand vous choisissez les artistes, est-ce qu’il y a une volonté de choix de diversité musicale ? Parce que là, on est vraiment, cette année, sur quatre artistes qui potentiellement ne se seraient jamais rencontrés s’il n’y avait pas eu ce projet-là.

Alice Eslan: Je trouve que c’est un savant équilibre qu’il faut trouver. En plus, c’est deux méthodes différentes de sélection des artistes. Parce que d’un côté, Bruno, c’est un appel à la candidature. Et de l’autre côté, c’est aller piocher les anciens artistes du chantier. C’est nous qui les sollicitons et pas eux qui viennent vers nous pour le projet. Et en même temps, ça s’est fait assez naturellement. On n’a pas tant réfléchi.

Bruno Robitaille :: Ça a très bien été. Le comité de sélection a été fait avec Maurin Auximéry et Pierre Pauly, Alice et moi.

Alice Eslan: Et finalement, en pensant aux 4 artistes, je voyais déjà des atomes crochus de base. Je ne les trouve pas si éloignés l’un de l’autre. Je ne me suis pas dit qu’on était des esthétiques qui ne matcheraient pas.

LFB : L’intérêt, c’est que j’ai l’impression que c’est aussi des super instrumentistes.

Bruno Robitaille :: Tout à fait.

Alice Eslan: On a clairement créé un groupe.

Bruno Robitaille :: La cohésion sur scène, on est arrivés dès la première chanson. Vanille et Super Plage jouent de la guitare Coline Rio et James Baker jouent du clavier. On a même Super Plage qui amène de la thérémine.

Alice Eslan: On a amené juste une section rythmique. La basse et la batterie. C’est notre nouveau groupe.

LFB : C’est intéressant parce que finalement, c’est vraiment créer des étincelles et créer quelque chose de collectif avec des éléments qui sont très variés. C’est un défi aussi parce que quand on sélectionne les artistes, on ne sait pas si ça va bien se passer ou pas.

Bruno Robitaille :: J’ai envie de le dire, le monde est petit. Les francos de la Rochelle connaissent les artistes qui sont passés au chantier. Nous, on connaît aussi les artistes.

Le facteur humain est dans la discussion. Et l’équipe, effectivement, parce qu’il y a les artistes. Mais dans le projet, il y a les managers également.

Et là, eux font des rencontres aussi. Une Vanille peut avoir besoin de telle personne ou entité, relation de presse ou autre. Bref, il y a aussi ce volet-là.

Alice Eslan: Ce qui était quand même majeur dans la rencontre, c’est Nicolas Lockhart et Audrey-Michèle. Sans eux, ça aurait été encore différent.

LFB : On en parlait tout à l’heure. Moi, je connais bien Nicolas,c’est quelqu’un de très pédagogue. Quelqu’un qui est un super musicien aussi. Qui est beaucoup dans la transmission. C’est important d’avoir des gens comme ça aussi, je pense.

Bruno Robitaille :: C’est essentiel. Ce qui est drôle, c’est qu’à chaque année, c’est un peu la même chose. C’est-à-dire que nous, par rapport à la candidature, les chantiers, les francofolies de la Rochelle les approchent.

Bref, vous êtes sélectionnés. Ah ouais! Là, ils sont à fond. Ils sont hyper heureux.

Après, mais qu’est-ce que c’est? C’est là où il y a une espèce de magie.

Bien sûr, il y a une résidence. On va faire un concert aux Francos de Montréal. Ensuite, on retourne à La Rochelle. On va en résidence à La Sirène où on va faire trois autres jours et ensuite, on joue à La Coursive.

Mais en dehors de ça, c’est flou. Là, on demande aux artistes de mettre sur la table, je ne sais pas si c’est une expression que vous utilisez, mais de mettre sur la table certaines chansons existantes de leur répertoire pour dire, « OK, on va partager autour de ces chansons-là »

Évidemment, elles vont être réarrangées. Et là, il arrive à certains points d’interrogations.

Chez les artistes, ce n’est pas rien, tu mets des chansons vers des gens que tu ne connais pas. Mais on a confiance dans nos moyens.

Puis là, les coachs, Audrey-Michèle, elle travaille avec nous à l’École nationale de la chanson à plusieurs égards. Même chose avec Nicolas Lockhart au chantier.

Mais on a aussi travaillé ou discuté sur la magie qui pouvait exister entre les deux coachs.

Puis là, on est ravis. On est vraiment ravis. C’est vrai qu’on se pense qu’il y a, sur le chantier, il y a plein de gens.

LFB : On sait que la musique, ce n’est pas, malheureusement, le monde de la musique, ce n’est pas uniquement la musique. Est-ce qu’il y a aussi une volonté de préparer aux à côtés, à travers la traversée, de présenter le territoire québécois aux artistes français, de présenter le territoire français aux artistes québécois ?

Alice Eslan: Ça les introduit juste aussi au monde de la musique du Québec. C’est l’occasion pour eux de faire des rencontres professionnelles, potentiellement trouver un agent ici.

C’est une ouverture beaucoup plus large, juste faire ce concert.

Bruno Robitaille : Les équipes travaillent en ce sens. En même temps, si ta question, c’est de faire tourner la traversée davantage ?

LFB : Non, c’est de préparer, par exemple, il y a des spécificités en termes de budget ou des choses comme ça qui sont différentes en France qu’au Québec. Il y a un ensemble, donc parler de ces choses-là avec les artistes aussi. S’il y a une volonté après pour eux d’explorer un peu plus le territoire.

Bruno Robitaille : On le fait de façon informelle avec les artistes, mais on le fait de façon plus systématique avec les managers. Hier, j’ai passé la soirée avec eux pour faciliter les rencontres. Mais oui, de les aider au minimum à trouver des partenaires.

Mais c’est tellement différent… Déjà, il y a de l’intermittence en France, évidemment, mais ici, il n’y en a pas. Déjà, ça, c’est un changement majeur pour la réalité des artistes.

LFB : C’est la première année où La Traversée se fait aussi au Franco de la Rochelle, si je ne me trompe pas. Comment ça se passe et quelle est la volonté aussi, justement, comme on en parlait un peu déjà, de nouer des relations dans le futur, par exemple, de mettre des artistes québécois au chantier des Francos, est-ce qu’il y a des idées qui se préparent comme ça ?

Alice Eslan: Alors déjà, tu sais, de base, il y a quand même, depuis plusieurs années, toujours des artistes québécois qui sont dans la programmation des Francofolies de La Rochelle, donc il y a déjà une existence et une présence dans le festival, là, encore plus avec La Traversée. Après, j’ai envie de dire… Je ne sais pas si ça a déjà été fait, en fait. Vous me posez la question. Est-ce qu’il y a déjà un artiste québécois ?

Bruno Robitaille : Il y a Damien Robitaille qui est venu, ça fait une éternité.

Alice Eslan: Qui avait fait un chantier ? J’ai l’impression de me dire que ça n’a jamais été fait.

Bruno Robitaille : Je crois que c’est Damien Robitaille, une fois, dans ce que je sache.

Mais moi, je crois, j’ai l’impression, La Traversée n’y a pas encore été. Moi-même, c’est la première fois que j’irai au Francofolies de la Rochelle. Bon, on va avoir des discussions, et je pense que derrière le bilan, on évoquera chacun les intentions. On est trois institutions indépendantes qui se retrouvent autour de ce projet-là.

Après, je pense que le bilan va être, OK, est-ce que ça a été un beau partenariat ? Moi, ce que je peux dire, c’est qu’à ce jour, oui, de ma perspective.

Alice Eslan: Le nôtre aussi, hein. (rires)

LFB : C’est vrai qu’il y avait déjà une relation entre les Francos de Montréal et les Francofolies de la Rochelle, justement, au travers de Félix Leclerc, et de faire venir l’artiste sur scène. Mais j’ai l’impression qu’avec La Traversée, il peut y avoir la volonté de nouer des liens encore plus importants. Et je pense que pour moi, c’est important aussi que ces futures Québécoises puissent avoir un point d’accès un peu plus mis en lumière en France. Et inversement aussi.

Alice Eslan: Je pense qu’on peut imaginer beaucoup de choses, en soi. Oui, oui, tout à fait. Mais on pourrait, pendant l’année, il pourrait y avoir un truc. Une sorte d’échange. Peut-être, tu vois, entre l’École nationale de la chanson, le chantier, une sorte d’erasmus entre nous deux.(rires)

Bruno Robitaille : Oui, mais ça peut être intéressant. En tout cas, en plus, comme je te disais, c’est deux expertises qui sont très différentes, mais qui sont complètes, en fait. Ça peut être intéressant.

LFB : Parce que je pense que tous les gens qui ont fait leur chantier, ils ont gardé des expériences et des souvenirs de ça.

Alice Eslan: Tu le vois bien, en général, ils en parlent longtemps après être passé.

Bruno Robitaille : Et l’École nationale de la chanson aussi. Veux-tu que je te parle de l’École nationale de la chanson?

LFB : Oui, oui, on peut.

Bruno Robitaille : Écoute, l’École nationale de la chanson, c’est donc une institution de formation en art. Pour auteurs, compositeurs, autrices, compositrices, interprètes, c’est ce qui fait vraiment la particularité de l’École nationale de la chanson. Il y a beaucoup d’écoles de musique au Québec, dans les cégeps, dans les universités.

Nous, on travaille à partir de la création même de nos étudiants ou des participants. C’est vraiment une commune, beaucoup plus que dans la réinterprétation. Et donc, il y a différentes choses.

Il y a une formation de longue durée, de dix mois, à Granby. Ça n’a rien à voir avec le festival, que tu connais peut-être.

Et donc, ils viennent de partout dans la francophonie, surtout du Québec, mais des provinces francophones. Puis cette année il n’y en avait pas, mais souvent, il y a quelqu’un de la France qui vient, qui représente la France, qui vient chez nous dix mois. Puis là, on y enseigne l’interprétation scénique, l’interprétation vocale, la théorie musicale, l’écriture de chansons, la composition.

On a des studios, donc, production de maquettes, technique de studio et gestion de carrière. Parce que, bon, ce sont tous, à la clé, nous, on appelle ça des travailleurs autonomes.

Donc, ils vont gérer leur propre carrière. Et donc, on fait ça. Ça, c’est depuis 25 ans.

On est une des écoles supérieures d’art, au même titre que chez nous, on a l’École nationale de théâtre, l’École nationale de cirque, l’École nationale de l’humour, bref, et l’École nationale de la chanson. C’est l’association des écoles supérieures d’art du Québec, la DESAC.

On fait ça et aussi, on fait des formations, des projets ponctuels, comme La Traversée. Pour des artistes, la formation longue durée, c’est essentiellement des artistes pré-émergents

Mais tu vois, il y a Salomé Leclerc, Lisa Leblanc, Andréa Nomalette, Alex Nevsky, je ne sais pas si tu connaîtrais, Sarah Dufour, peut-être tu connais. Bref, il y a plusieurs artistes qui font une carrière maintenant, qui sont diplômés de l’école.

Puis, tu sais, on fait des ateliers de création, de La Traversée. Il y a un autre projet qui s’appelle Chants du voyage. Bref, entre autres. Donc, une formation longue durée avec un diplôme à l’athlète et des trucs ponctuels comme la traversée.

LFB : J’ai une dernière question. Si vous aviez un conseil ou quelque chose à dire aux artistes qui envisagent de faire de la traversée, vous leur diriez quoi?

Bruno Robitaille : Un conseil? Bien, d’arriver, un, d’oser et d’y aller. Dans notre cas, de déposer leur candidature. Et de plonger. S’ils sont sélectionnés, c’est de plonger. Je pense qu’il faut approcher ce type d’échange collectif avec un lâcher-prise.

Alice Eslan: N’ayez pas de craintes. Ça va être beau. (rires)

Crédit photos : Benoit Rousseau

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