Une conversation avec LaFrange

Si vous nous suivez un peu, vous savez que l’on suit et qu’on apprécie énormément la musique de LaFrange. On a donc pris plaisir à la retrouver pour une conversation autour de son premier album, nobody else will ever see me naked. On a parlé avec elle de son évolution, d’humour, de sa guitare et de choper encore le COVID en 2023.

LaFrange par Cédric Oberlin

La Face B : Comment ça va Zoé ?

LaFrange : Ça va, ça va mieux.

LFB : Comment tu te sens après la sortie de ton album ?

LaFrange : J’avoue que ce n’était pas la meilleure sortie de ma vie. Je crois que j’ai attrapé le Covid un jour avant la sortie de mon album. Donc là, je sors d’isolement. Je me suis ennuyée, j’ai un peu déprimé. Là, je suis contente, c’est ma première sortie et tu es la première personne que je vois en chair et en os.

LFB : J’aimerais parler du titre de ton album et de l’ironie qui en ressort. Appeler son album comme cela alors qu’on se met autant à nue dans sa musique, c’est particulier non ?

LaFrange : Même sur la pochette, je suis à poil. Ouais en fait, le titre de l’album vient un peu d’une phrase que je me dis tout le temps à chaque fois que j’avais une relation de type sexuelle avec quelqu’un qui avait le malheur de ne pas forcément me traiter correctement derrière. Je me sentais un peu comme une merde en me disant « et dire que je lui ai donné mon corps ». Du coup, j’avais un peu ce mantra genre « c’est fini, plus personne ne me verra à poil ». Et en même temps, comme je parlais beaucoup de ces choses-là dans ma musique, il y avait un peu la dichotomie de me foutre vraiment à poil. Je suis officiellement nue. Du coup voilà, je trouvais ça effectivement ironique et j’avais un peu envie de jouer cette ambiguïté. Si ça ne tenait qu’à moi, je me serais mise encore plus à poil sur ma cover mais malheureusement les gars de Lines n’étaient pas ok et mes parents non plus. Et je suis obéissante.

LFB : Ce qu’il y a d’amusant, c’est que moi qui te connais, je trouve que ça met aussi en avant une partie de toi qui n’apparaît pas forcément dans ta musique, c’est que tu es très drôle. Quand j’ai vu ce titre d’album et tout, ça m’a beaucoup fait rire parce que j’ai vu la Zoé que moi je connais.

LaFrange : C’est vrai. Déjà, merci beaucoup, c’est très gentil. J’ai toujours voulu être quelqu’un de très drôle. Mon amoureux m’a dit que ce n’était pas ma qualité première mais moi je défends que si. Il y avait un peu un paradoxe entre le fait que je puisse faire des blagues et tout parce que c’est le moi de tous les jours et dans cet album, j’avais aussi envie de parler de choses que je n’avais pas forcément l’audace de faire en règle générale. C’était une grosse dépression que j’ai vécue cette année et demie et qui a été assez difficile à gérer. Je crois que j’avais envie de le dire, d’en parler le plus profondément possible. J’avais vraiment envie que ce soit un sujet. C’était une forme de thérapie pour moi mais sans pour autant gommer ce qui, je l’espère, restait de ma personnalité. Je crois que j’avais un peu envie de montrer les deux faces, le côté sombre et le côté plus moi-même qui, je l’espère, n’est pas 100 % sombre.

LFB : Pour moi, c’est ce qui ressort de l’album. J’ai l’impression que c’est un peu une espèce de carnet de peur et de colère que t’exprimes. C’est exprimé beaucoup plus clairement que ce que tu avais pu faire avant.

LaFrange : Ouais, c’est vrai qu’avant j’exprimais de la tristesse et de la vulnérabilité alors que là, je crois que j’étais juste tellement en colère, il fallait que ça sorte. C’est pour ça aussi que dans le choix des sonorités aussi, il y avait des guitares un peu plus grasses si je puis dire, j’avais vraiment envie d’exprimer une tension et de la colère. Jusqu’ici, j’avais un peu honte de ma colère. Je trouvais que c’était un sentiment un peu dégueulasse. J’en avais honte, j’en avais peur en fait. Là, je crois que j’avais juste envie de la prendre et de me dire ok, elle m’appartient et de faire exactement ce que voulais de cette colère. J’en ai fait des chansons.

LFB : Un morceau comme ta peau que tu avais pu sortir, et même god help the girl qui pour moi parle de ce besoin de faire de la femme une jolie chose sans jamais penser au fait que ça puisse être destructeur pour la personne qui fait ça. Le texte de ce morceau-là est très direct aussi. Je trouve que tu parles toujours beaucoup d’amour mais là où avant ça ne parlait quasiment que de ça, je trouve que là chaque morceau, même s’ils en parlent, ça tend vers d’autres choses quand même.

LaFrange : Avant, c’était naturel pour moi de parler de ce que je ressentais post déception amoureuse et en fait, toutes ces déceptions m’ont aussi poussé à me poser des questions sur mes choix, sur moi et sur ce que je ressentais au plus profond. Pourquoi est-ce que j’avais absolument envie d’être vue, pourquoi je voulais absolument avoir de l’attention ? Je pense qu’à travers ces morceaux, j’ai plutôt parlé reconstruction, du fait de demander de l’aide. God help the girl notamment. Je suis trop contente que tu en parles. C’est le titre totalement inspiré de mon film préféré que je suis sûre que tu connais très bien de Stuart Murdoch. J’ai adoré ce film parce que la forme de ce film est super légère. C’est joli, c’est jovial, c’est coloré, c’est pop. Le fond est quand même intense. C’est l’histoire d’une fille qui souffre de dépression et de TCA et qui arrête son traitement du jour au lendemain et se consacre dans la musique. Elle veut absolument capter de l’attention, que ce soit de la part des garçons, de la part d’un public et elle en oublie complètement de se guérir. Forcément, elle replonge. God help the girl, ça parle d’une relation que j’ai eu avec un garçon qui est toujours un de mes meilleurs amis. On est amis depuis toujours et à un moment, tous les deux, on allait vraiment très mal. On s’est dit que c’était potentiellement une bonne idée de sortir ensemble, en se disant qu’on allait se tirer vers le haut. Alerter spoiler, c’était tout l’inverse parce qu’on avait chacun besoin de se reconstruire. J’ai divisé la chanson en deux parties. Il y a la partie qui parle de moi et de ce que je ressens et je demande de l’aide. Et la partie où j’évoque ce que lui ressent et je demande à ce qu’il soit aidé. Mais par contre, c’est complètement ma vision de ce qu’il ressent et c’est une projection parce qu’il n’a jamais validé ce texte et je ne suis même pas sûre qu’il sache que ça parle de lui. S’il l’apprend, Arthur je t’adore, je t’aime de tout mon cœur (rires).

LFB : Tu vois quoi comme vertu thérapeutique dans l’écriture ?

LaFrange : Elle est dure cette question en vrai.

LFB : Tu écris à la première personne. Forcément, tout ce que tu écris est énormément inspiré de toi. Il y a quand même un besoin.

LaFrange : Je crois que c’est une forme de canalisation, genre là où je mets mes mots, ils ne sortiront pas forcément ailleurs. Au lieu d’avoir voir directement une personne et l’insulter, je le fais sur une chanson. Du coup, mine de rien, ça épargne beaucoup de gens parce que déjà mes chansons ne sont pas nominatives donc personne à priori n’a à se sentir blessé et je pense que personne n’a envie de se prendre une soufflante parce qu’untel est en colère. Donc je pense que c’est une manière de canaliser mes peurs et mes émotions, et mes colères. Je ne sais pas si c’est une manière saine de le faire mais en tout cas, c’est la manière que j’ai trouvée pour ne pas agresser mon entourage.

LaFrange par Cédric Oberlin
LaFrange par Cédric Oberlin

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est que je trouve qu’il y a un vrai cheminement dans l’album. Pour moi, l’avant-dernier morceau those who want to be seen, quand je l’écoute, j’ai l’impression que c’est un morceau de fin assez évident et malgré tout, tu mets un morceau après i wish you died. J’ai l’impression que ce dernier morceau, c’est l’envie de tuer les colères et angoisses qui sont en toi. J’ai l’impression que ce n’est pas un morceau bonus, mais presque.

LaFrange : C’est marrant parce qu’à la base, ça devait être un morceau de fin. Je trouvais hyper évident aussi et c’est en faisant écouter à droite à et gauche que j’ai reçu énormément de conseils sur la tracklist. En réécoutant, j’ai trouvé que c’était assez évident en fait de mettre i wish you died à la fin. C’est vraiment une de mes chansons préférées pour le coup. Ce n’est pas tant un morceau bonus, je pense que c’est vraiment le titre, un des premiers titres qui devait être sur l’album, un des premiers que j’ai composés. J’ai cette image, qui est horrible, mais j’ai la sensation pendant toute la chanson de tenir un pistolet sur quelqu’un, de le pointer sur lui et de dire pour ça, je veux que tu meures, pour ça je veux que tu meures. Et à la toute fin, il y a une remise en question : si j’ai tant la haine et si j’ai tant envie que tu crèves, c’est peut-être moi qui ai un problème à régler avec moi-même et avec ma vision de ces termes archi violent. Donc je retourne un peu le pistolet vers moi mais c’est un faux pistolet. C’est un pistolet métaphorique. Avant de pointer les autres pour ce que tu ressens, pose-toi aussi les questions de pourquoi tu les ressens. Sans dire que ce n’est pas légitime ce que je ressens mais en tout cas me poser la question de l’intensité de ces sentiments. Je trouvais ça intéressant de terminer là-dessus parce qu’il y avait vraiment ce truc de j’ai balancé ma colère mais à la toute fin, je suis sur : ouais mais je vais peut-être aller sur une thérapie ou deux là quand même. Et si je regardais un peu mon nombril ?

LFB : Ou alors le regarder d’une autre manière.

LaFrange : Ouais, changer le point de vue.

LFB : Je trouve que c’est une belle qualité de l’album aussi, il n’est pas nombriliste dans le sens où ce que tu racontes et la façon dont tu le racontes, c’est universel. C’est de la musique qui se transmet et pas de la musique qui se regarde.

LaFrange : C’est gentil, parce que moi je pense que je suis quelqu’un d’extrêmement égocentrique. (rires)

LFB : Oui, mais ta musique touche les gens quand même. Tu peux avoir de l’égo mais je trouve que tu ne le ressens pas sur l’album en fait.

LaFrange : Trop cool. Ça me rassure.

LFB : Les chansons évoluent quand même. Je trouve que l’un des autres gros points d’évolution de l’album, c’est dans sa création et ça m’a surpris aussi : il est beaucoup plus expansif en fait musicalement. Il y a beaucoup de batterie, il y a de la basse, il y a des choses qu’on n’avait pas forcément avant.

LaFrange : En fait, ça a carrément changé avec le fait que j’ai travaillé, j’ai eu un CDI cette année et j’ai décidé de mettre une grande partie de ce salaire dans la production. J’ai travaillé avec mon pote Simon avec qui je travaille depuis hyper longtemps mais disons que j’ai mis les moyens pour la production. C’est des choses que j’avais envie de faire depuis longtemps mais clairement, mon chômage que je ne touchais pas ne me permettait archi pas de faire ça. Donc c’était en guitare / voix dans ma chambre et en même temps, c’était trop cool parce que ça m’a aussi permis de me recentrer et de réfléchir sur le long terme à ce que je voulais vraiment. A prendre plus confiance. Mais ouais, pour un album, j’avais vraiment envie d’y mettre des moyens et du coup, de produire.

LFB : Au-delà de ça, ça se voit dans le live qui est une expérience complètement différente de l’écoute de l’album, je trouve que les morceaux, et c’est là qu’on voit leur solidité aussi, tiennent parfaitement aux guitares/voix quoi.

LaFrange : Trop cool.

LFB : C’est quand même important que derrière la production et tout, il y ait des très bons morceaux.

LaFrange : C’est dur de laisser s’échapper une production parce que je me dis que c’est toujours hyper daté. Je me dis que demain, ça sera déjà ringard. C’est un peu ce que je ressens pour l’avant-dernier titre et c’est assez choisi le côté ringard. Mon inspiration énorme, c’était le dernier album de War on Drugs. Pour moi, ils ont frôlé la sortie de route en termes de ringardise, c’était presque du Phil Collins. Et en même temps, il y avait un côté cheesy que j’aimais trop. C’était l’inspiration première mais c’est toujours hyper difficile. Du coup, j’aime trop retourner même en live à l’essence même des chansons parce que ça ne bouge pas, c’est une guitare, une voix.

LFB : Sur scène, vous êtes à deux. Est-ce que tu envisagerais de jouer ces morceaux tels qu’ils ont été conçus sur l’album ?

LaFrange : Ouais, j’aimerais trop avoir un énorme band. Je veux qu’on soit une fanfare sur scène. Je veux grave des cordes. J’aimerais bien, idéalement, qu’on soit 5, un vrai groupe hyper organique, deux guitares, un clavier, une basse, batterie, moi.

LFB : Le second élément principal de l’album, en dehors de ta voix et de tes textes, c’est quand même ta guitare. J’ai l’impression que c’est un peu ta compagne qui ne t’abandonnera jamais.

LaFrange : Je croyais que tu allais te moquer du fait que je ne sache pas l’accorder sur scène (rires).

LFB : Non, mais c’est ta grande histoire d’amour finalement. Tout part quand même de ta relation avec ta guitare dans ta relation avec la musique.

LaFrange : De base, je m’étais vraiment mise à la guitare pour pouvoir créer des chansons. Comme beaucoup de gens, pendant le confinement, je m’ennuyais. J’ai regardé plein de tutos de guitare, j’ai commencé un peu à me balader sur les instruments et à y prendre du plaisir. J’aime trop sur scène lâcher la guitare mais j’aime trop les moments où je la reprends aussi. Je ne me verrais pas faire un live en entier où il n’y a que Lou à la guitare et moi, pas du tout.

LFB : Quand on écrit une musique aussi intime et personnelle, est-ce qu’il y a quelque chose de réconfortant et d’heureux à voir que ça parle à des gens sur leurs propres histoires ?

LaFrange : Ouais, grave. C’est marrant parce que je ne m’y attends pas du tout. C’est assez ouf de voir ça et en même temps, je ne me dis pas que les histoires que je vis sont particulièrement originales. C’est juste que je suis toujours surprise de savoir qu’il y a des gens que je ne connais pas qui écoutent mes chansons. Et ça, c’est assez ouf. Que ce soit mes potes et ma famille, je ne tombe pas trop des nues. Mais parfois, quand je reçois un message d’une personne qui est tombé dessus par hasard et qui aime, je suis hyper touchée. Je me dis que je suis peut-être cette artiste que moi j’ai découvert il y a deux ans. Des trucs comme ça. Donc ouais, c’est ouf que pour moi, ça résonne pour d’autres personnes.

LFB : Quelles envies tu as pour cet album et qu’est-ce que tu espères avec sa sortie ?

LaFrange : Je veux devenir une star. Non vraiment, mon rêve absolu, ça serait de le défendre sur scène, qu’il résonne le plus possible. J’aimerais bien jouer un peu partout en France, même faire des premières parties et tout. Je n’ai pas du tout la prétention de me dire que je vais remplir une salle en mon nom mais j’ai juste envie qu’il soit le plus défendu possible et j’aimerais vraiment avoir la chance de faire des concerts à droite et à gauche, des premières parties, des petits festivals. Pouvoir partager physiquement et humainement avec du monde. Ne pas le vivre à travers les réseaux sociaux. Je me rends compte à quel point ça peut me déprimer en fait. Cette semaine, j’alternais entre joie et dépression, cachée derrière mon écran, flinguée dans mon lit. J’ai tellement envie d’avoir des moments partagés. C’est vraiment ce que je souhaite pour cet album.

LFB : Pour finir, est-ce que tu as des choses récentes qui t’ont marqué ?

LaFrange : Alors en musique déjà, Lou a rejoint le projet de Bleu Reine. Je suis ultra fan. J’aime trop ce genre d’écriture anglo-saxonne rapportée sur de la musique en France. Je trouve que la France manque beaucoup de projets comme ça, un peu à la québécoise. J’espère que cette année sera son année. Et en film, je n’ai pas vu de film récemment mais j’ai découvert un peu en retard la série Severance, j’ai trop kiffé. J’attends la saison 2 de ouf, j’en parle jour et nuit à mon compagnon en disant tous les jours une nouvelle théorie et lui, il est là, c’est bon, on verra. J’attends avec grand plaisir la saison 2. J’ai vu Le livre des solutions, mais je n’ai pas trop, trop aimé. Il m’a un peu mise mal à l’aise.

Crédit Photo : Cédric Oberlin