Avec Everything’s Fine, LaFrange se met à nu en un EP solaire et poétique composé au gré de ses souvenirs d’enfance et d’adolescence. C’est en se replongeant dans ses carnets intimes où elle a puisé la matière première et avec l’aide de son ami musicien Simon Blevis, que la musicienne a conçu cet opus aérien et épuré, inspiré de folk et oscillant entre pop et shoegaze.
Nous sommes tombés sous le charme de sa musique rêveuse et mélancolique et avons voulu en savoir plus sur la conception d’Everything’s Fine. Nous avons parlé avec LaFrange aka Zoé, (entre autres) de Garage Band, de sa façon d’extérioriser ses souvenirs dans ses chansons, de maux qui se cachent derrière les mots et de coiffure comme moyen d’expression…
La Face B : Salut, comment ça va ?
LaFrange : Coucou, ça va et toi ? On vit une drôle d’époque un peu anxiogène, j’ai le cerveau un peu anesthésié je crois…
LFB : Pour ceux qui ne te connaîtraient pas, peux-tu nous parler un peu de toi et de ton parcours musical jusqu’à présent ?
LF : Je m’appelle Zoé, j’ai 26 ans et j’ai grandi en banlieue parisienne.
J’ai commencé la musique quand je devais avoir 15 ans, je regardais beaucoup trop de comédies romantiques et en faisais des chansons dans ma chambre que j’enregistrais ensuite sur Garage Band de manière très approximative. C’est à la suite d’un voyage en Asie (et de la découverte de Fog Lake) que j’ai décidé de concrétiser mon projet. J’avais le sentiment d’avoir des choses à dire, alors en rentrant, j’ai contacté mon ami Simon Blévis qui, à l’aide de Christopher Colesse m’ont aidé à réaliser mon premier EP Save The Date. S’en sont suivis 2 singles assez espacés dans le temps, et c’est durant le confinement de mars que j’ai réalisé que j’étais capable d’indépendance, j’ai finalement décidé de revenir à quelque chose de plus brut, à mon image : Everything’s Fine.
LFB : Quelles sont les musiques que tu écoutes et qui t’inspirent ?
LF : J’ai beaucoup écouté de folk et dévoré chaque album de Angus & Julia Stone. Aujourd’hui, j’en écoute toujours beaucoup, mêlée à du rock. Je suis assez dingue de Kevin Morby (enfin raisonnablement…), Sharon Van Etten, The War On Drugs, Twin Peaks (arrêtez-moi j’ai envie de vous partager toute ma playlist), et beaucoup de choses qu’écoutait mon père comme Dido, Pink Floyd, The Cure, etc.
LFB : Chacune des chansons de Everything’s Fine est sensible, sincère, elles sont très personnelles, comme des moments de vie, souvent tristes. Un peu comme des entrées dans un journal intime… Tu parles de te « perdre entre les lignes des carnets remplis de souvenirs (…) »… Comment est-ce que tes chansons prennent vie ?
LF : En effet, je m’inspire réellement de mes journaux intimes. J’en tiens un depuis que j’ai 14 ans. Mon premier EP avait pour source un carnet de lettres « à jeter au feu » (inspiré du Vent de l’hiver de Raphaël), dans lequel j’écrivais des lettres d’amour (ou de haine) que je n’envoyais jamais. L’idée était d’extérioriser puis de brûler ce carnet, mais je l’ai finalement gardé pour composer (et aussi pour me moquer de la « moi » du passé de temps en temps).
J’ai continué ce processus tout comme j’ai continué à raconter ma vie sur papier ! Puis j’ai puisé la matière dans ces carnets. Je suis très attachée à ne parler que de ce que je connais, ce projet c’est une manière pour moi d’extérioriser sans avoir honte alors que quand je suis « Zoé » et que je relis mes écrits, j’ai envie de rire de moi (ou de pleurer).
Finalement, je dirais que mes chansons prennent vie au rythme de mes émotions.
LFB : Stockholm, le deuxième single de l’E.P. est une chanson d’amour déçue, une envie de mettre les voiles, tout en apesanteur avec guitare et chant. Peux-tu nous en dire plus sur ce morceau ?
LF : Stockholm est la première chanson que j’ai assumée. J’avais 15 ans et j’écoutais beaucoup Kate Nash, je me rappelle qu’elle avait sorti un titre qui s’appelle Paris, je la trouvais tellement cool que j’ai eu envie de suivre (à mon échelle) avec Stockholm. J’étais très amoureuse d’un garçon que je voulais impressionner, chez qui j’avais été accompagnée de ma guitare, tellement sûre de moi, et lui avais chanté ce titre (qui n’a finalement plus grand chose à voir avec le Stockholm d’aujourd’hui).
Durant le confinement de mars (encore), je me suis replongée dans mes journaux intimes de l’époque du collège, ce qui m’a rendu nostalgique, j’y ai retrouvé cette chanson. Je ne la voulais pas autrement qu’en guitare-voix, je voulais l’assumer comme une « chanson retrouvée ».
Je crois que j’avais simplement envie de me mettre à nue.
LFB : Y-a-t-il un autre morceau qui te tient à cœur et dont tu souhaiterais nous parler ?
LF : Falling In Love me tient beaucoup à cœur :
J’ai décidé de l’ajouter sur l’EP au tout dernier moment, je l’ai composée en septembre et dans ce titre, je fais part de ma peur de tomber amoureuse qui vient se heurter à la facilité avec laquelle ça m’arrive ; ma manière d’appréhender chaque geste du quotidien de la part de l’autre comme un « signe ». Je me sentais tellement vulnérable à ce moment-là, j’aimais bien l’idée que Tina Rozen puisse m’accompagner dessus. Sa voix arrive au fur à mesure, d’abord contre la mienne pour finalement prendre le dessus avec cette dernière phrase : « Peux-tu voir sous ma peau avant que je m’en aille ? », comme pour changer d’angle, adopter le point de vue de l’autre et admettre que je ne suis pas la seule à avoir ce sentiment.
LFB : Everything’s Fine le titre de l’EP (qui est aussi le titre de la dernière chanson) est quelque chose que l’on dit pour se persuader et masquer ce que l’on ressent vraiment. Que représente ce titre pour toi ?
LF : Ce titre n’est pas forcément mon « préféré » mais il est surement le plus important de l’EP et ce pourquoi j’ai donné son nom à l’opus.
Effectivement il y a deux dimensions à cette chanson, la première comme tu l’as si justement évoqué, c’est souvent ce que l’on se raconte pour masquer la réalité.
Ce titre est pour moi une manière de faire éclater la vérité, j’adore dire qu’il s’apparente à « une vérité qui dérange » en référence au réalisateur Davis Guggenheim, même si le sujet n’est pas le même, l’idée était de révéler au grand jour ce que nous nous efforçons à ne pas voir.
LFB : En plus d’évoquer des souvenirs d’enfance et d’adolescence, Everything’s Fine évoque aussi quelque chose de plus engagé… Peux-tu nous en parler ?
LF : Everything’s Fine c’est comme un masque pour se protéger, prétendre que tout va bien lorsque ce n’est pas le cas.
Dans ce cas, je parle d’agression faite aux femmes mais aussi aux enfants :
J’avais regardé ce court reportage traitant de la pédocriminalité en France sur Konbini, ça m’avait à la fois chamboulée et confortée dans l’idée selon laquelle nous fermons les yeux face à cela : « La parole d’un enfant n’a que très peu de valeur aux yeux de la justice française ». Homayra Sellier (présidente de l’ONG Innocence en danger) poursuivait en ajoutant : « On pense que les enfants mentent, le parent protecteur ment, ceux qui les croient mentent, les experts mentent… Je veux dire, il n’y a pas une épidémie de gens menteurs en France ». Je ne mens pas.
LFB : Il semble y avoir une prise de conscience sur le sujet. Comment ressens-tu ce qui se passe ?
LF : Cette prise de conscience sonne comme un réel soulagement cependant, celle-ci se révèle être assez tardive. C’est assez triste de se dire qu’on doit en arriver là pour ouvrir les yeux. Déjà trop de victimes ont subi des sévices et se sont vus confrontés au jugement des autres. Je faisais part dans mon ADN de cette chanson de Stella Donnelly Boys Will Be Boys, qui interrogeait la société, car on questionne souvent la victime comme étant un(e) coupable « Mais pourquoi portais-tu une jupe si courte ? Pourquoi rentrais-tu seul(e) si tard? » et on laisse penser aux victims qu’elles s’exposent et Stella mettait le doigt là-dessus précisément : « Your father (…) told you women rape themselves ».
Ça reste malgré tout réjouissant de voir la mentalité évoluer, mais aussi un peu inquiétant de voir le temps que ça prend et ce par quoi nous devons en passer pour cela.
LFB : Avec Everything’s Fine, tu exprimes des émotions pures. Est-ce que l’on peut dire que la musique est un moyen pour toi de les extérioriser pour mieux les apprivoiser ?
LF : J’ai d’abord pensé que la musique était un moyen d’extérioriser et donc de me débarrasser de mes émotions que je jugeais parfois néfastes pour finalement comprendre que c’était le meilleur moyen de les accepter, voire-même de les apprécier.
Lorsque j’ai commencé mon projet, j’étais très attachée à ne parler que d’amour, j’avais découvert ce magnifique album-concept de Noah and The Whale « The First Days of Spring » qui racontait sa rupture déchirante avec Laura Marling, accompagné de son film tout aussi bouleversant, je me sentais tellement animée par ce thème. Plus tard, j’ai essayé de comprendre pourquoi j’avais tant besoin de me nourrir de cet amour (et de ce désamour), ça en passait par des questionnements autour de l’amour-propre, de comment je me sentais, l’acceptation de soi, les souvenirs d’enfance puis d’adolescence, et c’est tout ce chemin que j’ai eu envie d’aborder ensuite.
LFB : D’où vient ton nom d’artiste LaFrange ?
LF : Je portais une frange étant adolescente. Un jour, un garçon m’a dit qu’il détestait ma coupe (inutile de préciser mes sentiments pour ce garçon), alors j’ai décidé de la laisser repousser par amour. Plus tard, ce même garçon m’a avoué ne pas partager mes sentiments, contrariée et ne sachant pas trop comment l’exprimer, j’ai recoupé ma frange comme pour redevenir moi-même.
La frange, ça a un peu été ma manière de m’exprimer alors j’aimais bien l’idée qu’elle devienne identitaire. Très souvent, quand je ressens le besoin de changement, je commence par mes cheveux, mais la frange reste !
Et il y a aussi tous ces souvenirs sous la frange.
LFB : Ton pseudo Instagram est @lafrangeinsoumise… es-tu une militante pour le parti du presque même nom ? Et/ou est-ce plus un état d’esprit ?
LF : Je prétendrais plus à un état d’esprit. Je trouve que l’insoumission est un terme tellement fort et qui en dit long, il traduit l’indépendance sous toutes ses formes. J’ai mis du temps à l’assumer, déjà parce que je ne me suis pas toujours sentie « insoumise », mais aujourd’hui je peux affirmer qu’il me colle à la peau.
LFB : Quand as-tu écrit et enregistré Everything’s Fine ? A-t-il été marqué par l’année étrange qui vient de passer ?
LF : Je pense que je n’aurais effectivement jamais pensé cet EP dans une autre année. Il a été marqué par les évènements c’est sûr, mais pas à proprement parlé. Je pense surtout à la solitude face à laquelle on a été confronté, l’incertitude aussi, l’anxiété puis cette fenêtre de liberté qu’on a connue durant l’été et qui ressemblait à un moment suspendu dans le temps. Ce sont toutes ces choses qui ont marqués et inspirés l’EP.
LFB : Comment l’état des choses actuel t’affecte-t-il ?
LF : Ce n’est pas forcément évident, plus on avance, plus on est confrontés à sa propre solitude. Le flou dans lequel nous avançons est anxiogène je trouve. Je me sens assez passive face à la situation, j’ai la sensation d’avancer sans trop me poser de questions mais j’ai peur de quand la pression retombera.
LFB : As-tu des nouveaux projets/projets en cours pour 2021 ?
LF : Nous avons réalisé un clip pour Everything’s Fine avec Léo Adrover (qui avait déjà réalisé celui de These Days) et Tina Rozen. Celui-ci paraitra en février.
Sinon je travaille sur de nouvelles chansons, peut-être que la petite sœur de cet EP pourrait voir le jour ?
LFB : As-tu découvert des choses récemment que tu aimerais partager avec nous ?
LF : J’ai découvert Dehd, un groupe de rock américain très récemment, qui m’a fait beaucoup de bien ces derniers jours, j’ai fait que danser et virevolter d’un coin à l’autre de ma chambre. J’écoute en boucle leur album Flower of Devotion qui me donne envie d’être dans une comédie musicale et de ne m’exprimer qu’en musique !
Ma sélection :
– Loner
– Haha
– Letter
LFB : Y-a-t-il quelque chose que nous n’avons pas abordé et dont tu souhaiterais parler ?
LF : Je pense que vous m’avez permis d’aller au bout des choses, je vous remercie de m’avoir donné la parole et m’avoir laissé m’exprimer autour de mon projet ! Votre soutien et votre bienveillance me touchent énormément.
LFB : Merci à toi.