Il y a des reports plus particuliers que d’autres. C’est le cas de notre week-end à Rotterdam pour le festival Left to the Dial. Ici, on part chasser à la découverte de nouveaux talents qui nous paraissent prometteurs sans même connaître un son de leur répertoire. Avec plus de 130 artistes programmés en trois jours dans une quinzaine de salles, il va sans dire que l’expérience du festival est unique car il dépend de son propre parcours effectué.. Entre déceptions, surprises et révélations, la Face B a pu dénicher les pépites de cette édition 2024. Notez bien leurs noms !

Avant toute chose, il est important de comprendre le contexte. Plus de trois mille artistes de musiques électroniques débarquent dans la capitale néerlandaise tous les ans à la fin du mois d’octobre. L’Amsterdam Dance Event rassemble plus de 400 000 festivaliers autour de shows, de conférences et de salons autour de tous les genres électros. Les boîtes de nuit accueillent de nombreuses soirées alliant fêtes et partage de connaissance. En conséquence, toute la scène électro s’implante dans la venise du Nord, délaissant les autres lieux de nuit du pays. Pour elles, il y a des impacts économiques négatifs évidemment le temps d’une semaine.
En parallèle, la saison des festivals de musique pop et rock touche à sa fin au début de l’automne. Les tournées des plus grands groupes ont été mises en avant à cette occasion comme lors d’un Lollapalooza, Reading/Leeds Festival et d’autres festivals de ce type. À cette occasion, la place laissée aux jeunes artistes est maigre. En Europe, il n’y a que le Great Escape de Brighton et le Block Party de Paris qui permettent de mettre en avant les nouvelles générations d’artistes, mais uniquement au mois de mai.
C’est ainsi que le festival Left to the Dial est né ! Il s’empare des boîtes de nuit délaissées de Rotterdam le temps d’un week-end pour mettre en avant la découverte musicale de nouveaux groupes indépendants. Cette idée est absolument géniale car elle transforme le paysage de la ville en créant un deuxième pôle de fête et de rencontre musicale dans le pays. On apprécie également le retour aux lives bruts, sans artifices et de moyens abondants. La prestation musicale est au centre de nos préoccupations. On se munit de notre timetable bien complexe, de chaussures solides pour la marche et d’une bonne compagnie de camarades pour ce road trip musical très excitant.

Jeudi 17 octobre
Il est 17h quand on arrive à Rotterdam Centraal. L’architecture de la gare est magnifique. Il s’agit de l’une des plus belles gares contemporaines d’Europe. Dans le hall, on assiste à The Unofficial Official, c’est-à-dire à des concerts surprises de groupes programmés. Le cadre est plutôt original. Malheureusement, on arrive à la fin du concert du groupe indietronica belge TJE. Pas grave, Canned Pinneaple est prévu sur le même lieu d’ici trente minutes. On file rapidement à Eendrachtsplein pour retirer notre bracelet du festival. Ah ! Quel plaisir de retrouver sur cette place ce cher Santa Clauss portant l’équivalent d’un plug anal réalisé par l’artiste Paul McCarthy. On apprécie également la mascotte gonflable du festival à chaque entrée des salles de concert et…également sur le toit de notre hôtel. Le centre de la ville baigne bien dans l’atmosphère du festival.

Le temps passe vite et il est trop tard pour retourner voir Canned Pinneaple à la gare. Dommage car une situation cocasse est arrivée. Les commerçants de la station se sont plaints du bruit occasionné par la musique. La police a alors débarqué pour dégager le groupe. C’est dans une église protestante écossaise, nommée Arminius, où se déroule l’ouverture officielle du festival à 18h45. La salle est étonnante et magnifique avec son espace rectangulaire. Le groupe Saloon Dion lance les hostilités. Plus pop rock depuis leur dernier EP Where You »ll Find Me, les anglais ne perdent pas en puissance et font résonner leurs guitares dans cet antre spirituelle. Mais on ne tarde pas pour cette bande qui figurait parmi nos chouchous du Block Party 2023. On file au centre de conférence De Doelen qui abrite une belle salle de concert. La voix légère du chanteur d’Ebbb nous replonge aussitôt dans le sacré quand le mixeur derrière lui accompagné d’un batteur viennent faire bouillir cette pop ambiante en une techno trippante. On tient là une première belle découverte avant même de les découvrir au Pitchfork parisien.

On s’aventure plus au nord de la ville vers une toute petite galerie d’art, la Roodkapje Front pour Wild Pink. Le groupe est emmené par la voix éraillée de leur leader John Ross qui lutte actuellement contre le cancer. On retrouve des lignes de blues appuyées par les souffles du saxophoniste. C’est sobre et énergique. La similarité avec leurs homologues The War On Drugs semble assez évidente. Ces New-Yorkais méritent une plus grande attention. On se dirige désormais vers le Worm, un centre culturel de musique underground et indépendante créé en 1999. Ce n’est pas le lieu où les guitares saturées s’apprécient le mieux. Maîtriser le son système de cette salle semble être de l’acrobatie. Mermaid Chuncky réussit cela avec brio. C’est tout. On ne voit à peine le duo du fond de la salle, excepté le long chapeau cylindrique jaune porté par Moina Moin. Sa comparse propose aussi un habit loufoque avec sa longue robe rouge. Si on peut se permettre de critiquer cet aspect, c’est parce qu’il fallait s’armer de patience entre chaque morceau. La montée progressive et psyché de chaque piste est toute aussi longue et ennuyeuse. Le duo a certes signé sur DFA Records, cela n’est pas gage de qualité.
Bien heureusement, la journée se termine par deux bons concerts. D’abord Sam Akpro qui est tout sauf un projet solo. Cinq musiciens l’entourent sur la scène principale du festival : le Rotown. Un fil vaporeux de guitares s’installe tout au long du concert. On navigue entre différents styles entre shoegaze, post-punk et hip-hop. Sam a une voix accrocheuse qui mériterait d’être entendue pour un second concert. Enfin, la soirée se termine par la prestation orgasmique deary dans l’antre de l’église Paradijkerk. Oui, on avait besoin de se repentir après avoir ingurgité trop de boissons dès le premier soir. Ce lieu de culte rénové (et sublime) fait résonner la caisse claire de la batterie. On frissonne davantage aux vibrations des cordes de la guitare. Leur titre phare Fairground est un tube magnifique qui colle parfaitement au lieu avec ces notes de synthé qui rappellent Beach House. Ces ondes pénétrantes nous mettent davantage en extase que celles du seigneur, si elles existent. Il n’y avait pas meilleure conclusion pour clôturer ce premier acte.

Vendredi 18 octobre

La suite débute par un vaste programme au choix : visite de la ville, concerts nok offciels mais officiels ou conférence avec notamment un échange entre Dan Carey, producteur musical (Fontaines DC., Arctic Monkeys, Bloc Party, etc..) et les programmateurs du festival entre autres. Plusieurs points intéressants ont été soulevés comme la nécessité d’avoir des festivals tremplins aux jeunes talents face à Live Nation qui broie tout sur son chemain. L’enjeu est également de réinventer la vision du spectateurs :
– des concerts tôts pour découvrir des concerts dans un état…plus sobre et sérieux ;
– planifier plusieurs fois des groupes pour permettre à chacun de les découvrir et de ne pas faire coïncidence l’horaire avec la qualité d’un groupe ;
– et par conséquent, ne pas juger la qualité en fonction du nombre de streams d’écoute.
On aura appris également que Dan a dû laisser partir ses chouchous irlandais (ndlr : Fontaines DC bien sûr) quand il a compris au début de l’année 2023 qu’ils devaient voir plus grand encore. Et nous, on a aussi senti que d’autres groupes pouvaient voir plus grand ce vendredi. À commencer par Flip Top Head. On sent un groupe avec pas mal d’expérience qui pousse son savoir-faire dans le monde du post-rock. Les secondes s’enrichissent d’harmonies savoureuses et enrichies d’un saxophone. Puis est venue la surprise Charlemagne. Il s’agit ici de petits génies comme Squid où se mélangent les sonorités soul, blues et hard rock. On se pète avec plaisir les tympans à les entendre dans une salle de studio ouverte vers l’extérieur. Ils sont minauds, naïfs, mignons et jouent déjà comme des as. Le chanteur porte encore son T-shirt d’ado de Batman ! Leur présence scénique est encore timide mais au moins, ce jeune groupe a tout compris. On s’applique à la tâche et on travaillera le look plus tard.

Autre belle révélation, les Belges de Lézard. À l’intérieur d’un bateau mis à quai, le jeune groupe nous fait voguer sur un dance rock accrocheur. On ne connaissait que Nothing At All dans leur répertoire. On sait désormais qu’ils ont plus de un banger. Ils ont le groove de LCD Soundsystem avec la nervosité punk et émo du chanteur très charismatique. Ils avaient épaté la foule du MaMa quelques jours auparavant, ils ont réitéré leur performance. Après une belle entame dans cette deuxième journée, quelques déceptions sont arrivées..No Windows proposa une pop naïve et juvénile mais le tout manquait de relief. Malheureusement, pour eux, ils jouaient encore assez tôt et devant peu de gens à l’église de Waalse (encore une !). Hypotthetics marque de son empreinte avec un son noisy bien souvent mou avec un chant désastreux. Aussi, Polevaulter a proposé une prestation sans ampleur. Nos pré-écoutes annonçaient pourtant de la puissance et de la férocité avec leur darkwave au spoken-word. Avait-il su prendre en main cette salle V2, autre galerie d’art ? On demande à les voir autre part pour eux !

En revanche, Dog Race a réussi à prendre en main cette salle si belle mais particulière. Pourtant leur prestation nous a laissé un sentiment mitigé au départ comme tout bonne visité dans une galerie d’art. Des coups d’éclats à de la pop trop expérimentale, le groupe est rempli de mélodies accrocheuses et très abordables à l’oreille de n’importe qui. Mais il y a quelque chose de disruptif avec un élément central : la voix de la chanteuse. Elle donne l’impression d’être ensorcelée et instable, cela peut enchanter comme détonner selon les morceaux. Il y a tout de même quelque chose de puissant qui se passe au fil des minutes et qui permet de dire que Dog Race a une singularité musicale prometteuse dans les années à venir. On se laisse finalement emporter par leur sauce avec l’envie de les revoir. Bravo !
On avait vu également juste mais cela n’a pas été une surprise en ayant vu Video Age à l’arrière d’un bar karaoké. Le groupe a tout d’un Phoenix…américain, enfin ! Les titres funky s’empilent, on danse et quitte le lieu avec de good vibes. On regrettera seulement leur présence scénique trop timorée.La bande de Heavy Lungs fait partie également des valeurs sûres du festival. Ils ont joué dans l’une des plus grandes salles du festival : le Perron L’attente fut énorme car il y avait beaucoup de queue pour y entrer. Pour notre part, l’attente a été de 20 minutes. On a finalement vu 2 titres enragés et une foule en sueur. Assurément un succès.
Au moins, on a été à temps pour se placer dans la salle voisine où jouait Formal Sppeedwear. Un véritable autre coup de cœur. Leur performance réussit la parade d’être à la fois technique, variée et groovy. Il n’a fallu que le premier refrain de l’ouverture pour séduire tout le public. On a fait face aux futurs Talking Heads, hâte de les revoir ! Après tant de marches entre les salles et d’aventures, il est temps de se poser devant un groupe loin d’être méconnu et qui joue dans le plus endroit du festival. Chappaqua Wrestling produit autant de sons qualitatifs que Oasis. On a l’impression qu’ils n’ont que des tubes. Le son (trop) puissant et les lumières épileptiques de la salle transcendent leur performance. Le duo principal du groupe, Jake Mac et Charlie Woods, n’hésitent pas à happer la salle bondée sur l’un des rares morceaux que l’on a reconnu sur ce festival : The Rift. Ils sont clairement calibrés pour voir plus grand après avoir avoir assuré les premières parties de Blossoms et de Supergrass.
Samedi 19 octobre

Après avoir pris une orgie auditive la veille, le dernier jour s’annonce plus difficile. Ou devient on plus exigeant ? Les différentes expériences de ce final ont été plus souvent mitigées. Sloe Moon est la patte allemande du festival. On apprécie le moment sans trouver ses titres indie pop renversants. Hot Face nous réveille davantage au Rotown par son style brut et punk. Mais là encore, tout part dans tous les sens sans qu’on puisse sentir quelque chose d’original. La déception sera encore dans cette même salle où la prestation de Miss Tiny se résume à un rock garage daté malgré la présence de Dan Carey. Rien ne s’arrange quand Slane Bay nous délivre un show plus grésillant et saturée qu’en studio pour se résumer à du grunge poussif. Nouvelle déception. Si Automotion brille davantage par sa qualité de jeu impeccable qui rappelle Ride, il ne nous embarque pas dans leur magie. Les deux chanteurs du groupe n’ont pas assez de puissance dans leurs cordes vocales ce qui nous ennuie très vite. C’est balo quand on sait que l’un des deux est Lennon Gallagher, fils de Liam.

Il est difficile d’en vouloir aux artistes qui enchaînent beaucoup durant cette période avec peu de temps de balances dans des salles très particulières. Dès fois, il est possible de tomber sur un jour sans d’un artiste. Le choix du parcours du spectateur dépend aussi de son ressenti final car il y a une infinité de combinaisons pour effectuer ces trois jours ! Beaucoup de festivaliers ont été emballés par des groupes que nous n’avions pas cochés. Il s’agit notamment des japonais de HYPER GAL qui ont proposé des prestations dingues et totalement noisy, les italiens de Tanz Akademie qui ont proposé des show époustouflants ou encore de Knives qui a provoqué d’énormes agitations devant leur public.
Tant pis, on a réussi à se rattraper par MOULD qui a réussi à faire trembler les murs du V2 par son énergie post-punk infatigable. Ellis•D ne nous a pas laissé non plus indifférent dans une salle de salsa ! Il y a beaucoup de références musicales aux 70s dans ce projet. La voix particulière du chanteur qui brille dans des aigus énervés nous rappelle celle de Hayden Thorpe de Wild Beasts. Le groupe garage punk Adore a été également une bonne surprise. Moins abrasif et brut que prévu, le trio a su proposer beaucoup de variétés et de mélodies. Le moment le plus marquant de la journée aura été au détour d’une salle d’arcade. Le quatuor C. Turtle nous replonge dans les souvenirs du rock alternatif de Pixies, Jesus & Mary Chain et Yuck. Les guitares saturent pour un ton grunge et ironique totalement assumé. Les chanteurs Cole Flynn Quirke et Mimi VcVeigh se répondent de manière narquoise comme deux jeunes skaters qui se chamaillent. A contre-courant de la modernité musicale actuelle, C. Turle fait de la crasse pour mieux sublimer le rock.
Le festival se termine définitivement au Rotown par une soirée célébrant le meilleur de l’indie par la team du Supersonic. Et oui, la French Touch ! C’est surtout une occasion assez magique pour que les artistes se rencontrent, dansent et discutent aussi avec les festivaliers. Il n’y a qu’à Left to the Dial où cette fusion entre expérience musicale, rencontre professionnelle et visite culturelle soit réussie et prenante. L’expérience du festival est pleine en se focalisant sur des talents qu’on a envie de voir grandir. La belle ville de Rotterdam renforce cette synergie par son histoire et son goût de l’art avant-gardiste qui colle à l’état d’esprit de cette musique indépendante. Bref, le plaisir se perpétue à chacune des éditions et notre seule envie, c’est d’y retourner !
