Si on nous avait dit un jour qu’on nous donnerait rendez-vous dans un Mister Puffs (une célèbre chaîne de bars à beignets) pour une interview, on aurait sûrement répondu : « Pff ! Jamais ! Qui fait ça ? ». Eh bien, c’est exactement ce qui s’est passé avec l’artiste québécois Larynx, lors d’une fin de journée au début de l’automne. Entre deux bouchées de beignet pomme – cannelle, nous avons discuté de son dernier album Ma Troisième Émergence, de son été bien chargé et des processus créatifs qui rendent sa musique unique, absurde et « humectante ».
La Face B : Salut Alex, comment ça va?
Larynx : Ça va très bien et toi ?
LFB : Ça va bien, merci. Avant de commencer, j’aimerais bien que tu me dises c’est quoi ton état d’esprit aujourd’hui ?
Larynx : Aujourd’hui, je pense que je suis en mode un peu downshifté parce que j’ai eu un été assez extrême. Mais là, c’est le mariage à ma soeur samedi.
LFB : Félicitations à elle !
Larynx : Bien oui, c’est un beau petit mariage. J’ai répété des chansons parce qu’on va jouer quelques morceaux. Mon amie Helena Deland, avec qui je joue dans son groupe, est venue me voir. On a pratiqué « Dreams » de Fleetwood Mac. Je suis donc dans un mood relax. J’ai aussi commencé le dernier Zelda sur la Nintendo Switch. C’est ma façon de décompresser un peu après l’été intense.
LFB : Ok, gros été alors. Qu’est-ce qui s’est passé pendant cet été ?
Larynx : La préparation de mon album a été source de beaucoup de stress, surtout en termes d’organisation. Il y avait aussi la fin de la tournée avec Helena. En parallèle, je travaille sur la musique d’une télésérie avec mon amie Lisa. C’était donc un multitasking intense, sans répit. Malgré tout ça, j’ai voulu profiter de l’été, avec des soupers entre amis, sans m’empêcher de vivre. Mais ça n’arrêtait jamais. C’était un peu extrême ! J’ai touché mes limites, mais j’ai survécu. Je n’ai jamais autant attendu l’hiver.
LFB : Pourquoi t’as hâte à l’hiver ?
Larynx : Cet hiver, je vais vraiment pouvoir m’arrêter complètement. Ce sera un vrai break. Je vais en profiter pour composer de nouvelles chansons pour le prochain album et me mettre dans un autre mood. Chalet, détente, cocooning… Ce sont des choses que j’attends avec impatience.
LFB : Un petit break après le gros été.
Larynx : Une grosse crise d’été ! C’était intense !
LFB : Pour les personnes qui ne le connaissent pas trop, si tu pouvais décrire ton projet en trois mots, ce serait quoi?
Larynx : Je dirais peut-être absurde, parce que j’aime jouer avec l’absurde. On dit souvent psychédélique, mais plus ça va, plus je suis sûr que ce n’est pas vraiment le bon terme. Il y a des groupes qui sont clairement dans le style rock-psychédélique, mais ce n’est pas exactement ça pour moi. Je dirais aussi chanson, parce que c’est comme ça que je vois ce que je fais, même s’il y a toujours des éléments autour. Donc, absurde, chanson… et puffs, oui !
LFB : Et si toi tu devais définir en un seul mot ?
Larynx : Je dirais sûrement… Humectant.
LFB : Humectant ?
Larynx : Humectant. Parce que je dis ça tout le temps. À chaque fois que je peux dire humectant, je dis humectant.
LFB : Ce qui m’intéresse maintenant, c’est le lien entre humectant et ce que tu as dit avant.
Larynx : Si tu parles à des gens qui me connaissent et que tu dis « humectant », ils feraient tout de suite le lien avec moi, mais c’est difficile à expliquer. Pourquoi ? Je pense que ça rejoint l’absurde, ça fait partie de ce même univers.
LFB : Et tu les as pris à quoi, tes Mister Puffs?
Larynx : Il y en a qui sont au gâteau de fromage.
LFB : Ça doit être la 40ème fois qu’on te pose la question, mais pourquoi Larynx ?
Larynx : Mon nom de famille, c’est Larin, et au secondaire, on m’appelait Larynx. Quand j’ai cherché un nom de groupe, je blaguais avec mon père sur l’idée d’appeler le groupe « Ruche de Mouche », ce qui le mettait en colère. Mais je voulais que le nom me ressemble. Quand on me criait « Larynx! » au secondaire, je me retournais, donc j’ai pris ça comme inspiration.
LFB : Si on dit Ruche de Mouche dans la rue, est-ce que tu te retournes quand même?
Larynx : C’est sûr que oui ! Ce n’est pas vraiment le genre de truc qu’on entend dans la rue. Si quelqu’un criait « Larynx », je réagirais tout de suite : « Pardon, qu’avez-vous dit ? ». À l’époque, on construisait un petit shack à côté du chalet, et partout où je pouvais, j’écrivais « Ruche de Mouche ».
LFB : Comment il s’appelle ton papa ?
Larynx : Simon.
LFB : Beaucoup de courage à Simon !
Larynx : Il en a vu d’autres ! En fait, c’est lui qui m’a tout appris. Donc, c’est un peu le retour du balancier, presque un hommage, en quelque sorte. Et puis, quand une chanson passait à la radio et que j’entendais le nom de l’album « Ruche de Mouches », ça me faisait toujours plaisir, juste pour ça !
LFB : Tu faisais des enregistrements à chaque fois pis tu lui envoyais en vocal.
Larynx : Oui, c’est ça, exactement. L’autre jour, quelqu’un a dit les trois titres d’album d’affilée : « Ruche de Mouches », « Applaudissez Bande de Chameaux » et « Ma Troisième Émergence ». Et les entendre ensemble comme ça, c’était vraiment beau.
LFB : Mot qu’on triple.
Larynx : Oui, exact , c’est ça. Bonus !
LFB : Et en parlant de nom d’album justement, ton troisième album, “Ma Troisième Émergence”, est-ce que tu peux nous en parler un petit peu ?
Larynx : Ben oui, c’est clairement un album de rupture. Environ la moitié des chansons ont été écrites dans cet état d’esprit-là. Donc, c’est un album un peu plus profond. Et c’est un projet sur lequel j’ai voulu mettre davantage l’accent sur l’écriture des chansons. J’ai essayé de me concentrer sur des morceaux qui peuvent se jouer en guitare-voix. Je voulais aussi que l’enregistrement se fasse avec un groupe. Mon album précédent, c’était vraiment un mélange de plein de choses. Il y avait des morceaux où c’était moi qui jouais la batterie, d’autres où c’était un groupe complet. Cette fois-ci, je voulais un album plus concis, un peu plus court, avec moins d’expérimentation. Des chansons avec une tonalité plus profonde, mais qui explorent quand même différents horizons.
LFB : Et pourquoi ma troisième émergence?
Larynx : Vu que c’était mon troisième album, je trouvais ça assez drôle de continuer à me considérer comme un artiste émergent indéfiniment. Donc, c’est pour ça que je l’ai appelé Ma Troisième Émergence. J’aimais bien le clin d’œil humoristique à ce côté des groupes ou artistes qui essaient de percer, mais qui restent émergents. Ça me faisait rire.
LFB : Tu en penses quoi d’ailleurs du circuit un petit peu d’émergence au Québec? Est-ce que tu trouves que c’est compliqué de pouvoir sortir de ça à un moment pour être un peu plus gros?
Larynx : Moi, perso, j’ai l’impression que ça me tente. Pas que je ne veuille pas sortir de ça, mais je suis quand même très à l’aise avec l’idée de rester où je suis. Depuis mon premier album, je ne me suis jamais vraiment fait d’attentes. Dès que j’ai un certain retour ou que des gens que je respecte écoutent l’album, je me dis : ‘OK, mission accomplie’. Je vois parfois des artistes décrocher des deals avec des maisons de disques plus grosses, et ça vient avec une pression que je ne suis même pas sûr de vouloir. Les gros budgets pour enregistrer tout ça… Moi, je fais ça de manière professionnelle, mais toujours pour le plaisir de la musique. Dès que ça s’éloigne de ça, de l’enregistrement et du processus créatif, j’essaie vraiment de garder mes distances. Je laisse ça à ma maison de disques et j’essaie de ne pas trop me préoccuper de ces aspects.
LFB : On parle aussi beaucoup en ce moment dans l’industrie des artistes qui sont en indépendance complètement, puis à quel point c’est compliqué de pouvoir tout gérer quand on est seul. Toi tu as quand même une équipe qui te suit derrière.
Larynx : Oui, j’ai une maison de disques incroyable, [Bonbonbon], qui est là depuis le tout début. La maison de disques est née en même temps que mon projet, donc on a un peu grandi ensemble.
Ce qui est super, c’est que ce n’est pas comme ces gros deals de maisons de disques où il y a beaucoup d’argent en jeu. Ce n’est pas qu’ils décident de tout, mais souvent, ils ont plus de contrôle sur le projet. Avec [Bonbonbon], je fais vraiment ce que je veux à 100%. Ils sont juste là pour me soutenir et gérer toute la paperasse, ce que je déteste faire. C’est vraiment le meilleur deal pour moi.
Je vois à quel point c’est difficile. Même ma maison de disques reçoit tellement de démos d’artistes talentueux, mais ils sont déjà saturés de travail. Travailler dans une maison de disques, c’est une machine à burn-out. C’est un travail sans fin, ce n’est jamais saisonnier. Ça ne s’arrête jamais. Je me considère vraiment chanceux d’avoir ces petits ‘bonbons’ avec moi.
LFB : C’est mignon !
Larynx : Je les aime profondément.
LFB : Transition nulle. Bonbonbon, bonbon, sucre, Puffs. Quand j’ai vu hier qu’on allait ici, je me suis dit, il y a beaucoup de Mister Puffs qui existent. Si tu devais associer une saveur de Mister Puffs à à des musiques de ton album, ça serait lesquels?
Larynx : Je dirais que Biscotti à la noisette, ça serait probablement Rêve le fun, la première chanson. Ensuite, La course folle, ça serait sans doute Sucre et cannelle, un peu plus classique. C’est une chanson plus traditionnelle, dans les règles de l’art : une guitare acoustique, des paroles bien écrites. Il y a quelques morceaux qui sont comme ça, bien classiques, efficaces. Et puis, il y en a d’autres qui sont un peu plus éclatées, un peu comme du all dressed, pleines de sucre, qui te brûlent la bouche un peu plus.
Sinon, il y a des chansons qui sont plus des balades, et je dirais que celles-là seraient peut-être un peu plus sucrées.
LFB : Est-ce que ça serait pas un peu des pommes, comme on est à la saison des pommes?
Larynx : Oui, exactement, plus automnales. C’est drôle parce que je n’y avais pas pensé avant, mais je pense que c’est vraiment un album d’automne. Il y a un côté pommes et cannelle, un truc qui reste smooth, classique, mais avec une petite touche de fruit.
LFB : Ce serait quoi ta chanson « pommes et cannelles » de l’album?
Larynx : Je dirais sûrement Espacia, la dernière. Espacia et Balade moulue, même si elles ont des styles différents, partagent quand même la même saveur au fond.
LFB : Elles ne sont pas forcément rondes, mais ont la même saveur.
Larynx : Exactement, c’est ça. Elles ont une shape différente, mais entre une beigne et un trou de beigne, c’est la même pâte !
LFB : C’est vrai ! En parlant de ”Espacia” , on peut parler de ton clip?
Larynx : Oui !
LFB : J’ai adoré ! Il fait mal aux yeux, mais j’ai adoré ! J’aime beaucoup ce genre de scénario-là.
Larynx : Ça fait un peu mal aux yeux, mais je me concentre. Ça fait longtemps que je voulais faire quelque chose avec des projections et du mapping. À l’époque, j’avais trouvé un programme français simple à utiliser. Je testais ça dans ma chambre, en fermant les lumières et en projetant des contours d’objets. C’était cool, mais sans bonne caméra ni la confiance pour faire des clips, c’est tombé dans l’oubli.
Récemment, je me suis dit : ‘Il faut que je réessaie’. J’ai acheté un projecteur pas cher et commencé à improviser. Je me suis filmé sur fond vert, découpé des cartons, et essayé de créer des décors projetés. J’adore les clips bricolés à la Michel Gondry, alors je voulais un côté DIY.
C’était au cœur de l’été, je devenais fou avec seulement deux semaines pour tout faire. J’improvisais beaucoup, sans storyboard. Tout était chaotique, mais au final, ça a donné le clip.
LFB : Ce clip est incroyable !
Larynx : Je suis vraiment content du résultat, juste heureux de l’avoir fait. J’ai réalisé presque tous les clips de l’album moi-même, sauf Ils sont où, qui vient de sortir. Je voulais tout faire : la pochette, les clips. Je savais que ça serait beaucoup de travail, mais c’était encore plus que je ne l’imaginais !
LFB : Surtout pendant ta période rushante !
Larynx : Faire un clip en deux semaines, voire une semaine et demie, je ne le recommande à personne ! Si j’avais travaillé avec d’autres personnes, ça aurait pris encore plus de temps à cause des explications. Ça m’aurait probablement mis dans un autre état d’esprit aussi.
LFB : Tu travailles souvent plus en équipe ou plus tout seul dans tes processus de création ?
Larynx : En création, je dois toujours être seul, dans ma bulle. C’est là que je me connecte avec moi-même. Quand il y a d’autres gens, je pense trop à eux. Ce sont les seuls moments où je me concentre vraiment sur moi. Seul, je me sens plus créatif, plus libre, sans jugement. Je me mets dans ma zone, je laisse tout sortir, et ensuite, je fais le tri.
LFB : Pour ton clip “Ils sont où ?” est-ce que tu as décidé de filmer ce qu’on fait en studio ou c’était plus réfléchi?
Larynx : Je pense que ça vient un peu de ma maison de disques et de mon gérant. J’aime avoir un large inventaire de visuels. Je me demandais s’il y avait des clips plus éclatés, plus bizarres. Mais je pense que ce serait bien d’avoir aussi quelque chose de plus terre-à-terre, même en s’amusant en studio, quelque chose de plus réel, parce que l’album aborde beaucoup de thèmes authentiques.
LFB : Pour toi, ce serait quoi la ou les thématiques de ton album ?
Larynx : Ce sont toujours les chansons sur les relations. Il y en a une sur mes grands-parents, qui ont joué un rôle crucial dans ma vie. Les gens autour de moi sont ma principale source d’inspiration. C’est un mélange de ce qui se passe avec eux, que ce soit des ruptures ou des retrouvailles, comme après la pandémie. Le confinement, la solitude, la rupture… tout tourne autour des relations. Je dirais que l’album parle des relations en général, avec un grand R, et de ce que les connexions humaines m’inspirent.
LFB : C’est marrant parce que tu disais tout à l’heure que quand tu crées, tu es vraiment venu seul, mais tu as besoin des gens pour créer, dans le sens où c’est les relations qui sont là pour cet album-là, ta source d’inspiration.
Larynx : J’en parle souvent avec ma blonde, qui est plus introvertie. On discute du concept de la batterie qui se décharge quand tu es avec des gens et qui se recharge quand tu es seul, ou l’inverse. Moi, quand je suis avec les gens, ma batterie se décharge, mais pas de manière négative. J’adore être entourée, j’en ai besoin. Mais c’est quand je suis seule que je peux vraiment digérer tout ça et travailler dans ma tête.
LFB : On en revient à l’hiver aussi, t’as tout donné cet été, il est temps que tu recharges les batteries pour l’hiver.
Larynx : Après les tournées, surtout quand on part à six pendant deux semaines et demie, c’est vraiment challengeant de ne jamais être seul. Quand je reviens à la maison, je me mets dans une petite bulle isolée, comme une boîte étanche. Merci aux écouteurs à réduction de bruit ! Ça a changé ma vibe. Parfois, je fais la vaisselle en silence, sans musique, juste pour savourer le calme. »
LFB : Je voulais reparler aussi de ton lancement d’album à Pop Montréal. C’était bien ?
Larynx : Oui, c’était cool ! C’était vraiment trippant. C’est probablement un des shows les plus funs que j’ai fait.
LFB : Ah oui ? Qu’est-ce qui s’est passé?
Larynx : J’ai fait un show avec le band à la Sala Rossa où la scène était au milieu, tout le monde autour de nous. Le groupe était face à face, ce qui est super pour la connexion entre musiciens, comme quand on pratique. C’est plus agréable que d’être toujours devant, avec les autres derrière. Quand je veux me connecter avec mes musiciens sur scène, je dois me retourner, ce qui est un peu awkward. Face à face, c’est vraiment mieux, et ça permet aussi au public de choisir sa perspective.
Dès que j’ai un micro, il y a une part de moi, comme un enfant, qui adore ce moment. Pour le lancement, c’était spécial, c’était ma soirée, donc j’ai pris mon temps, particulièrement pour les remerciements. Il y a eu des moments drôles sans être purement humoristiques, et d’autres plus profonds, ce mélange me plaît beaucoup. C’est un équilibre un peu étrange, mais c’est un compliment quand on me dit que ça fonctionne bien. Ça reflète vraiment le projet.
LFB : Pour les personnes qui ne te connaissent pas, ce serait quoi la musique que tu aurais à leur conseiller?
Larynx : Rêve le fun est la première chanson de l’album, et c’est une toune que j’aime beaucoup. Elle est bien équilibrée, ni trop intense ni trop lourde. J’adore son instrumentation. Ce qui est intéressant, c’est que sur mes trois albums, chaque personne semble avoir une préférée différente. Mon objectif n’est pas de rester dans la même vibe tout le temps. J’aime explorer différents styles, un peu comme Beach House qui reste dans un mood, mais moi, je préfère l’éclectisme. C’est plus amusant pour moi d’écrire dans des registres variés, et Rêve le fun représente bien cet équilibre.
LFB : C’est laquelle que tu préfère jouer sur scène ?
Larynx : Je pense que la toune Demain, j’parle à personne ouvre souvent nos shows, et c’est vraiment une bonne chanson rock qui rentre dedans. Il y a un solo de guitare, et c’est toujours super fun à jouer. On l’a tellement jouée que dès qu’on commence avec One, two, three, four, tout se passe bien. C’est une valeur sûre. Je prends toujours du plaisir à la jouer, et comme elle lance le show, ça me met en confiance dès le début.
LFB : Est-ce que tu as une question que tu attends qu’on te pose et que jamais personne ne t’a posée?
Larynx : Pourquoi? Et je répondrais sûrement pour le fun.
LFB : C’est beau ! Est-ce que t’avais un dernier mot pour la route?
Larynx : Ben merci. Ben merci à toi !
LFB : Merci, c’était un plaisir !