Las Aves, vertiges de l’amour 2.0

Ça fait quel bruit, un cœur qui se brise ? Fait-il un son mélodieux ? Est-il est insoutenable ? Il parait que les histoires d’amour se finissent mal en général, mais les cœurs brisés sont souvent l’occasion pour les amoureux de musique de s’offrir des titres et des albums aussi somptueux qu’ils peuvent être sincères. Si I’ll Never Give Up On Love Until I Can Put A Name On It prend son point de départ sur une rupture, il est surtout la caisse de résonance d’une époque, une histoire de déception, de reconstruction et d’acceptation. Bienvenue dans l’ère 2.0 de Las Aves.

Si l’on voulait être un peu manichéen pour simplifier les choses, on pourrait diviser la musique en deux parties distinctes : d’un côté les scientifiques, ceux qui trouvent une formule et qui, dès qu’elle fonctionne, l’utilisent à l’infini, rajoutant parfois une molécule ou une idée pour chercher à changer la couleur ou donner un sentiment de renouveau. De l’autre, il y a les explorateurs, les alchimistes, ceux qui jouent avec les éléments, préservant des bases pour mieux les détourner, les distordre et tout simplement s’amuser avec elles. Les drôles d’oiseaux de Las Aves font partie de cette seconde catégorie. Voilà déjà quinze ans qu’ils font partie de nos existences et continuent de nous surprendre à chaque étape. Moins intéressés par le fait d’offrir la musique du présent que d’aller toucher du doigt celle du future, ils avancent, progressent pour nous offrir pas forcément la musique que l’on attendait mais tout simplement la musique dont on a besoin. C’est une nouvelle fois le cas avec I’ll Never Give Up On Love Until I Can Put A Name On It, album qui respire la liberté et qui allume une nouvelle fois le feu d’une folie créatrice que l’on avait déjà repérée chez le trio.

Il n’existe rien de plus universel que l’amour. En faire le point central d’un album a tout d’une gageure, d’un risque qui peut se transformer en lame à double tranchant. Il est ainsi facile de tomber dans des clichés, des redites, des excès qui finissent par plomber une œuvre. Ici, ces obstacles sont évités avec une aisance folle par la grâce d’une chose toute simple : l’honnêteté. Les onze titres qui jalonnent le second album de Las Aves transpirent l’urgence autant que la nécessité d’être vrai, de poser dans l’intemporel une histoire faite autant de souffrance que de bonheur, de brutalité et de tendresse. L’amour et la violence comme dirait un certain Sébastien Tellier. Car c’est bien là toute la force de ce projet : réaliser un album intemporel et qui pourtant explore son époque avec délice. Les textes de Géraldine, teintés aussi bien d’ironie que d’agressivité, de détresse et de tendresse, puisent dans un sujet profondément personnel (une rupture amoureuse, donc) pour dépeindre les vertiges de l’amour à l’époque 2.0. Le résultat se veut comme un effeuillage complet qui démarre sur l’ironie tragi-comique de You Need A Dog pour finir sur le dépouillement total de Thank You, où les apparences n’existent plus et les sentiments finissent par être mis à nu jusqu’à l’os. Au milieu de tout cela, Las Aves nous conte des histoires, comme des chapitres que l’on explore : il y a Baby qui joue de l’ambivalence entre sa douceur apparente contrebalancée par un texte absolument déchirant face auquel on ne peut retenir nos larmes. Il y a Worth It, ode à l’acceptation de soi, le guerrier et frondeur Fuck That Shit, ou encore Tomorrow et son double discours d’un amour que l’on pensait infini et qui se fracasse sur la réalité avec violence. Chaque titre de l’album peut ainsi se consommer indépendamment, comme une nouvelle ou un poème, aussi bien qu’au cœur d’un ensemble global où chaque chanson résonne sur celle qui la précède autant que sur celle qui la suit et lui offre une nouvelle profondeur.

Ainsi va pour le fond. Mais qu’en est-il de la forme ? Le trio est en constante exploration, ne se reposant jamais sur ses lauriers. Après avoir joué avec le punk et la pop, voilà qu’ils plantent leur terrain de jeu du côté du r’n’b et de la musique électronique. Et le résultat est à la hauteur du propos qu’il supporte. Une folie, une audace de chaque instant, comme si Las Aves avait craqué une allumette pour regarder sa pyromanie musicale s’étendre et se développer dans chaque recoin. En s’associant à Lucien Krampf, le groupe s’est trouvé un producteur à même de condenser sa folie tout en la laissant tranquillement se diffuser. Ici, tout est prétexte à expérimentation, que ce soit dans la voix, plus affirmée, plus chantante et mouvante, que dans les arrangements qui tirent parfois sur la corde pour garder une contenance et une unité dans leur diversité. Impossible de passer à côté des explosions surprenantes de You Need A Dog, de la tension électronique de More ou Fuck That Shit, de la sensualité de Tomorrow ou de Where Did You Go et Latin Lover qui flirtent avec délice du côté du mauvais goût pour finalement ne faire que l’effleurer. Alors que la pop française ne jure en ce moment que par les années 1980, Las Aves puise dans les sonorités des années 1990 pour mieux les actualiser et les pervertir, ramenant dans la modernité les sonorités d’une enfance pas si lointaine.

Disque ambitieux, album concept sur l’amour, l’acceptation et l’espoir, I’ll Never Give Up On Love Until I Can Put A Name On It, peut être vu comme une thérapie, autant pour ceux qui l’ont écrit que pour ceux qui vont l’écouter. Un album qui joue sur l’intime et l’universel, avec un propos qui fait sens et qui se joint à une efficacité musicale de tout instant, qui prêtera ainsi autant à la contemplation qu’au défoulement. Si vous cherchez encore à mettre un nom sur l’amour, sachez qu’on a trouvé le nôtre, il s’appelle Las Aves.