Après un premier disque Notes From The Aftermath, le groupe électro-punk Monitors revient avec The War Office. Un EP dans la lignée du premier, poursuivant les combats, la solitude, la politique ou encore l’addiction. Pourtant, les traits y sont moins bruts, plus travaillés et légers. La violence transformée par le lyrisme et le poétique.
Le titre est en référence à un ancien ministère de la guerre britannique, dont on imagine les murs imprégnés des vieux démons de l’empire allant de la colonisation et la guerre des Boers. Un lieu où l’on discute, manigance, échange en mettant en place et réfléchissant à des stratégies. En somme, avec Monitors on refait le monde, comme on pourrait le faire en terrasse de bar; autour d’une pinte dans un pub d’un Londres embrumé ou un Berlin moite. On refait le monde, comme on le refait avec des paroles, une musique, un disque.
Sur la pochette, on peut apercevoir la photographie Wallasey Boys’ Club (Lucerne Road, Wallasey), dont l’atmosphère renvoie aux univers de Walker Evans ou de Weegee. Des photographes parvenant à saisir et figer de noir et blanc la vie urbaine, populaire. Bref, la vie de tous les jours. Pourtant, l’instant semble crucial, d’une haute importance et grande tension, comme celle que l’on ressent à l’écoute de cet album. L’identité de Monitors ayant toujours été travaillée, recherchée, on sait que ce choix n’est pas le fruit du hasard. D’autant plus que Chris, le chanteur et parolier du groupe, est originaire de la ville Merseyside (Liverpool), où a été prise cette photo.
Une image qui incarne le jeunesse, prise entre encore désillusion et espoir. Monitors rajoute une idée de nostalgie et commente : « Quand nous créons notre musique, on se sent un peu comme ces petits garçons autour de ce snooker. Toutes ces différentes émotions sur leurs visages : le suspens et l’incertitude doublés d’une concentration maximale mais opposée à l’innocence, l’espoir et la solidarité. Et puis on adore le snooker ! »
Rapport de force
Ce disque est profondément politique. Ne serait-ce que si l’on s’arrête au titre choisi, renvoyant au militaire, à la politique, à l’Etat dans toute sa puissance. Mais un gouvernement qui peut flancher et tomber dans des excès que dénonce le trio. Il suffit d’écouter le morceau qui clôture le disque : Terms and Conditions, dont le titre sonne comme la notice du contrat social. Les paroles dressent le portrait d’une société marchande et capitaliste qui reposerait sur le profit : « Pound to a penny, the sold-out committee thrives on GDP, ITC, a profit profile Deutschmark, Drachma, dollars and Yen. Playing on importance owing time and again. » Jusqu’à se sentir bloqué et impuissant : « hit the chinese wall ». Alors, face à ce triste constat, il est question de résistance, de résilience, non de révolution. Avec comme guide Saul Alinsky, militant et sociologue de la gauche radical, au coin du périphérique : « Inside the beltway, Saul Alinksy. Cut it up, make it up, swear on my word. »
Il y a quelque chose de violent dans ce disque, comme la réincarnation de l’âme du précédent album. En parlant de spiritisme, cette brutalité s’incarne en l’esprit tourmenté de Bloody Mary. Tout comme le cocktail à base de vodka et de piment, le groupe est tant cosmopolitan qu’épicé. On retrouve chacun des membres tantôt en Bosnie, tantôt à Liverpool, tantôt à Paris. Séparés mais ensemble, partageant le même air grave pour nous parler d’une autre Bloody Mary. L’alter ego sulfureux et féminin du Bad Lieutenant d’Abel Ferrera : “Oh Bloody Mary’s in the house, it ain’t gonna be pretty”, “With the smackhead interpol, convicted, infamy”. Quant à la musique, les rythmes courent à en prendre haleine. Si bien, qu’on pourrait imaginer une scène de course poursuite tirée du film d’Abel Ferrera. Monitors partage bien plus qu’un aspect cinématographique avec ce film. Puisque l’esthétique du groupe se rapproche et s’entremêle à celle de Bad Lieutenant. Puis, le film tout comme le titre ont en commun cet aspect punk, en dehors des normes et de conventions.
Dilemme de sécurité, dilemme de sensibilité
Cette force est tant extérieure qu’intérieure. On sent comme une lutte des émotions, une sensation de combat en soi au travers de certains textes abordant des états comme la folie ou l’amour. Cela nous prend à la gorge dès l’ouverture de l’EP avec le morceau The Drill. Les cordes sont tendues, le rythme de la batterie est cadencé, répétitif, métallique et mécanique reprenant des bruits d’usines. Des sons sur lesquels roulent une guitare dont la réverbération imite le son d’une perceuse, the drill en anglais. Une perceuse comme des mots, des pensées qui percent la tête, creusent un trou dans le mental jusqu’à la folie par trépanation. Car il est bien question de démence : de « Catatonic intention, as anhedonia mentioned » Mais dont on se libérait par le salut : « Prophets, our saviours, they offer favours for favours. Across the plains, over acres… » Un lâcher prise et une illumination qu’on atteindraient par le corps en mouvement : « …shut the fuck up and dance.«
Puisque l’on parle d’éveil, de sérénité comme de douleur et de souffrance, on peut aussi évoquer l’amour. A la guerre comme à l’amour The War Office renferme une chanson évoquant des sentiments amoureux, baignant dans les roses et le vin rouge. Roses & Wine est un titre sous tension avec une batterie qui cogne tel le cœur dans la cage thoracique lorsque le pouls s’accélère. Une balade avec des basses qui vibrent, caressent et chatouillent les oreilles. Roses & Wines est aussi un morceau sous perfusion : « On a drip, drown in maladies », dans un état second où tout circulerait et se fluidifierait.
Guerre éclair vers la lumière
Au-delà du mal évoqué, de la violence ressuscitée, cet album est loin d’être ténébreux mais est au contraire lumineux. Previously… ralentit la cadence tout en gardant cette tension électro-punk faisant l’identité du groupe. Une identité, un chemin à prendre, qui parfois se cherche : “Show me the way, show me the way. Your turn to burn it on the fire. Show me the way, show me the way. While we move towards the light.” Une idée renforcée par l’esthétique du clip. Puisque la caméra d’Anna Khelifa suit le voyage initiatique d’une femme interprétée par Chayma Hamdi. Avec un regard extérieur et en noir-blanc rappelant celui Wim Wenders, on l’observe marcher dans les rues de Berlin ou de Paris, courir, parcourir son corps de ses doigts, danser. Presque comme si cette femme était un ange, comme de ceux que l’on rencontre au détour du film Les ailes du désir. Qui apporterait clarté, réconfort.
Puis, il y a un dernier morceau intitulé Glass, qui semble sonner le glas d’un renouveau. Les sons y sont lumineux, presque futuriste comme annonciateur d’un monde nouveau. Un titre peut être plus pop en se rapprochant de groupe tels que Coldplay ou Two Door Cinema Club, pétillant, éclatant comme le verre.
Ecouter The War office, le dernier album de Monitors :