Leo Blomov : « Si je peux être un passeur, quelque part, ce serait super »

Après deux premiers albums très personnels, Carpe Noctem (2021) et L’Ermitage (2023), Leo Blomov opère un virage audacieux et lumineux avec son nouveau projet, Blomovinho qui vient de sortir sur le label de Bertrand Burgalat, Tricatel. Porté par une esthétique brésilienne affirmée, chanté en portugais du Brésil, cet album marque une rupture assumée avec ses précédents travaux.

Entre envie de réinvention, hommage à la musique populaire brésilienne (MPB) et exploration intime rendue possible par une nouvelle langue, Leo Blomov nous ouvre les portes d’un univers à la fois chaleureux, pudique et profondément musical. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son concert à l’Olympic Café à Paris, pour évoquer ce disque solaire enregistré à la Bergerie, en compagnie de ses fidèles complices.


La Face B : Bonjour, comment vas-tu ?

Leo Blomov : Très bien. Les journées où on joue sont toujours un peu particulières. Ce beau temps va nous ramener du monde, c’est de bon augure.

La Face B : Après Carpe Noctem (2021) et L’Ermitage (2023), avec Blomovinho tu vas sortir ton troisième album. Et, il ne ressemble en rien aux précédents. J’ai l’impression que tu possèdes les gènes d’un artiste caméléon.

Leo Blomov : Je ne sais pas. Mais j’avais envie de briser la cohérence qui existait entre les deux premiers. Je ne voulais pas m’enfermer dans un truc, pas monotone, mais dans les mêmes tons. Les deux premiers disques formaient comme un diptyque. Avec Blomovinho, on va ailleurs. Plus on fait de disques, moins il faut se répéter. Donc, autant faire un virage, peut-être pas à 180°, mais un virage quand même.

« Ma pudeur naturelle m’interdisait de chanter ça en français »

La Face B : Quel a été le point de départ de ton album ?

Leo Blomov : Comme je te l’ai dit, pour briser la monotonie, mais cela m’a permis également d’aborder des thèmes que je n’aurai pas su traiter en français aussi facilement. C’est un album plus intime. Ma pudeur naturelle m’interdisait de chanter ça en français. J’ai le sentiment que chantés en français certains morceaux pourraient paraître ridicules. La peur du ridicule, c’est quelque chose qui me suit un peu. C’était donc l’occasion de chanter dans une langue que j’apprécie beaucoup. Je ne la parlais pas, mais cela m’a permis de l’apprendre ou du moins de mettre le pied à l’étrier pour le faire.

 « c’est une manière d’entrouvrir un peu plus ma fenêtre musicale »

La Face B : Pourquoi cette inspiration brésilienne et non – par exemple – andalouse ?

Leo Blomov : Il est difficile de répondre à cette question. Peut-être une inclination naturelle pour le Brésil que j’ai découvert musicalement (je n’y suis jamais allé) et dont je ne me suis pas encore défait. C’est une musique dont je découvre tous les jours de nouveaux aspects. J’ai l’impression de posséder avec elle comme une corne d’abondance. Je l’écoute beaucoup, la moitié ou même les deux tiers du temps. Cela a donc influencé mon esthétique artistique. Je devais faire un choix. Pour moi, passer de la Pop à la musique brésilienne n’était pas effectuer un demi-tour complet.

Je parle de musique brésilienne, mais cela ne veut pas dire grand-chose. Il y a beaucoup de musiques au Brésil. C’est plus qu’un pays, c’est presque un continent musical. Je souhaitais m’orienter vers la MPB [Música popular brasileira], la musique populaire brésilienne qui est un fourre-tout de genres. C’était exécuter une pirouette pour ne pas m’enfermer dans un seul genre, et pouvoir être libre d’en changer. Je ne dis pas que je passe de la Funk au Disco ou de la Pop au Showroom. En tout cas, il y a des touches de plusieurs styles qui sont plus ou moins subtilement présents. Et en plus de rendre hommage à tout ce que j’aime, c’est une manière d’entrouvrir un peu plus ma fenêtre musicale.

La Face B : Dans ton album précédent, tu avais une chanson – Le Voyageur Immobile – qui avait déjà exploré le style. C’est ta façon de vagabonder ?

Leo Blomov : Bien sûr. C’est presque un crédo pour moi. Je suis assez sédentaire comme personne et la musique me suffit à m’évader. Le Voyageur Immobile était une référence claire, mais peut-être un peu trop carte postale. Là, j’espère avoir dépassé cette impression. J’essaye de faire en sorte que ce ne soit pas un français qui fasse de la musique brésilienne, mais plutôt un Brésilien – qui viendrait de je ne sais où – pour faire quelque chose d’authentique. Mais mon accent me trahira certainement.

La Face B : Et dans tes inspirations, on peut parler de l’extraordinaire histoire de Guy Cabay ?

Leo Blomov : C’est vrai. Même si j’avais déjà ce projet en tête, mais, entre-temps, découvrir Guy Cabay, a été étonnant.

La Face B : Tu n’as pas souhaité chanter comme lui en wallon ?

Leo Blomov : Non, parce qu’il y aurait eu trop de preuves accablantes contre moi. On aurait tout de suite su d’où venait cette idée-là ! [Rires]

« C’est plaisant de faire ce que l’on souhaite et d’être rassuré dans les choix que l’on peut faire »

La Face B : Et est-ce que Bertrand Burgalat t’a accompagné dans ton choix ?

Leo Blomov : Il n’a pas influé sur ce choix, mais il a joué son rôle de label qui fait confiance à ses artistes. Bertrand m’a fait quelques suggestions, mais en restant très sobre. Le projet que je lui ai proposé me semblait un peu branlant au départ. J’ai été surpris qu’il me suive là-dedans et qu’il me permette de le développer chez eux avec une liberté totale. Je le remercie pour cela. C’est plaisant de faire ce que l’on souhaite et d’être rassuré dans les choix que l’on peut faire. Avoir son aval a été très précieux.

La Face B : Parmi les autres sources d’inspiration, on peut également citer Laure Briard qui apparaît d’ailleurs dans une des chansons. Elle avait aussi entamé cette démarche d’aller vers la musique brésilienne.

Leo Blomov : Je vois cette invitation comme un clin d’œil, mais aussi comme un hommage à ce qu’elle fait. Un hommage à l’idée qu’elle a eue. Je l’aurai fait de toute manière, mais avoir eu quelqu’un qui l’a fait avant moi m’a conforté dans le fait que ce choix était envisageable. Laure est une artiste qui m‘inspire beaucoup. J’aurais aimé avoir eu l’idée avant elle, mais les choses ne sont pas faites ainsi [Rires]. Je plaisante, mais elle a prouvé que c’était possible. Aussi, l’inviter était presque une obligation. En plus sur une chanson sur le fait de chanter dans une langue étrangère. Le français est une langue un peu capricieuse.

« Il y a tout ce pan de prononciation et d’inflexion que l’on devait mettre en accord avec les mélodies »

La Face B : Elle aussi, quand elle ne parlait pas portugais lorsqu’elle a commencé à composer ses chansons brésiliennes.

Leo Blomov : Elle a été plus méthodique dans son approche parce qu’elle est allée là-bas. Elle a bossé avec des gens. Je ne sais pas quel a été le processus qu’elle a suivi dans l’écriture des textes. Quant à moi, j’ai eu la chance d’avoir été accompagné par un ami d’ami. Sébastien Trihan, un ami d’Astrobal, de Nina [Savary] et de Pieuvre [Vincent Guyot] qui m’ont aidé à enregistrer ce disque chez eux dans le sud de la France. Sébastien est devenu un ami. Très bon lusophone et grand amateur de musiques brésiliennes, c’est une encyclopédie musicale ! Il a appris le portugais du Brésil en écoutant des chansons et il le parle aujourd’hui couramment.

C’était précieux de l’avoir pour limiter les fautes de syntaxe, d’orthographe ou de prononciation. Il y des choses auxquelles je n’aurais pas pu penser parce que le français est une langue qui a pu avoir des accents toniques importants, mais qui les a perdus. Alors que le portugais, tout comme l’espagnol ou l’italien, est une langue qui chante beaucoup. Il ne faut pas prononcer les mots n’importe comment. Il y a tout ce pan de prononciation et d’inflexion que l’on devait mettre en accord avec les mélodies. Le travail avec Sébastien n’était pas que sur la prononciation mais également sur la musique. Les mots devaient chanter avec elle sans trop dénaturer celle que j’avais dans la tête, et sans trop torturer la langue.

La Face B : Un rôle de coach musical.

Leo Blomov : Oui, c’est ça. Pas technique, mais accès sur la langue et la cohérence de la prononciation.

La Face B : On connaissait plutôt Sébastien Trihan par ses illustrations.

Leo Blomov : Oui, il a fait des trucs pour Jeff Barbara. Il travaille également avec Emmanuel [Astrobal] sur son logo, le design de ses pochettes. Il a eu l’idée de la dernière pochette qui a été dessinée par oOmiak. Partout graphiquement, il évolue désormais sur mon disque dans un autre registre. Chose qu’il n’avait pas fait auparavant, mais il s’est prêté au jeu et je l’en remercie encore aujourd’hui.

La Face B : Et parmi les autres collaborations, il y a Julien Gasc.

Leo Blomov : Oui, il a fait une voix qui embellit un morceau l’album. Mais ceux qui sont plus présents sont ceux que je nommais tout à l’heure. Emmanuel Mario [Astrolab] forcément, qui a produit et réalisé l’album. Il y joue aussi de la batterie. Nina Savary a fait beaucoup de voix et Pieuvre qui a apporté beaucoup d’idées d’arrangements et qui a joué de la guitare, de la basse et quelques claviers. Bertrand [Burgalat] a enregistré une basse et un clavier. Jocelyn Mienniel également mais on a enregistré ses flûtes à Paris lors d’une session où l’on avait déjà toutes les fondations. On a rajouté les flûtes comme des moulures au plafond [Rires]. Et évidemment, Laure dont on a parlé juste avant. J’espère n’oublier personne dans les crédits du disque.

La Face B : Les thèmes que tu abordes dans ton disque sont-ils surtout des prétextes pour faire de la musique ?

Leo Blomov : Je fais de la musique, surtout pour faire de la musique, moins pour écrire des textes. Cela ne veut pas pour autant dire que je néglige les textes. Mais le plaisir est davantage présent dans la recherche d’idées musicales que dans des recherches stylistiques ou littéraires. C’est pour cela que je n’ai aucune prétention à écrire des paroles. Les thèmes sont plus liés à ma vie personnelle. L’impression de me livrer m’a donné l’envie, par pudeur, de mettre un filtre entre le sens du texte et comment le public en France va le recevoir. Je parle de relations humaines et amoureuses mêlées de stress et de mal être. Mettre tout ça à plat, dans une thérapie pas trop invasive.

« On retrouve à la Bergerie un côté colonie de vacances où l’on vit tous en communauté »

La Face B : Et dans les acteurs du disque, il y a également le lieu où tu as enregistré ton album. La Bergerie de Nina Savary et d’Astrobal qui semble irradier des ondes créatives particulières.

Leo Blomov : C’est un paradis pas complètement perdu, mais qu’il faut aller chercher. Il se situe au plus profond des Corbières. Là-bas, les conditions de travail sont extraordinaires. Et pour ça, je remercie encore Bertrand par ce que je suis arrivé, disant sans y croire : « Je vais faire un album en portugais. J’aimerais bien l’enregistrer chez Emmanuel Mario dans le Sud ». Il aurait très bien pu me dire : « Mais non, fais-le à Paris. Je connais untel et untel ». Je pense que, comme ils se connaissent un peu de loin depuis des années, il trouvait intéressant de se recroiser. Il a une confiance aveugle en ce que fait Emmanuel. Et il a bien raison.

Les conditions sont luxueuses parce que l’on est coupé du monde. On a un rapport au temps qui est totalement distordu et qui permet d’oublier ce qui pourrait polluer la création ou l’enregistrement. Tout ça en étant dans une sorte de résidence artistique sans vrai rythme de travail. Ce ne sont pas des horaires de bureau comme cela peut exister dans certains studios où tout est minuté. Les frais sont vite élevés si l’on n’est pas efficace. On retrouve à la Bergerie un côté colonie de vacances où l’on vit tous en communauté. On enregistre un disque entre deux repas. C’est vraiment agréable. Il n’y a pas cette pression que l’on peut ressentir dans des studios où on doit aller droit au but. C’est précieux !

La Face B : Et puis c’est un lieu de création.

Leo Blomov : Il y a plein d’histoires rattachées au lieu. Plein de gens y ont enregistré. C’était la maison de Jérôme Savary, le père de Nina, qui orchestrait son Grand Magic Circus. Il y a le poids de l’histoire qui s’avère en réalité plus accueillant qu’écrasant. Ce n’est que positif, et tout ça dans un cadre presque paradisiaque. Pour la petite anecdote, je suis venu deux fois, en avril et en août 2024. Et au mois d’août, les cigales ayant repris leurs chants depuis le début de l’été, on devait faire les prises de chant une fois qu’elles s’étaient tues, après vingt-deux heures. On ne voulait pas non plus se lever à quatre heures du matin pour les faire ! Cela faisait partie du folklore. C’était la seule contrainte que l’on a eue. Et c’était une contrainte chantante !

La Face B : Et tu as enregistré en combien de temps ?

Leo Blomov : On a partagé l’album en deux. Six morceaux sur une première session d’une semaine, et les six autres lors d’une seconde session également d’une semaine. Sans compter la demi-journée avec Jocelyn au studio CBE à côté de Tricatel.

La Face B : Et dans les morceaux présents sur ton album, il y en a un qui résonne plus particulièrement en toi ?

Leo Blomov : C’est un choix compliqué. Il y a peut-être Beto Beto. C’est un hommage à Beto Guedes qui faisait partie du Clube da Esquina, la clique de Milton Nascimento. C’est un morceau hommage où je le glorifie et également l’un des premiers morceaux de l’album que j’ai dû composer. C’était un peu mettre le pied à l’étrier pour mon projet, sans savoir à l’époque que cela allait donner un disque concept. C’était mon premier élan spontané dans cette direction.

« Si je peux être un passeur, quelque part, ce serait super »

La Face B : En actualités, tu as le concert de ce soir en compagnie d’Astrolab, la sortie de ton album le 23 mai. Et après ?

Leo Blomov : Après, c’est une bonne question. Beaucoup de choses sont calées et je n’ai pas grand-chose d’incroyable à annoncer pour l’instant. Mais on y travaille. On joue dimanche à Reims dans mon terroir. J’ai plein de chantiers en cours, mais, en ce moment, je cherche plus à écrire pour d’autres. Les choses se font naturellement avec Julien Gasc. Je lui ai écrit un disque il y a six mois. On commence à travailler avec Laure Briard. Je fais un petit pas de côté par rapport à mes trucs perso, mais cela ne m’empêche pas continuer à accumuler des idées de morceaux.

La Face B : Et pour finir ; que peut-on te souhaiter ou quel rêve aimerais-tu voir réaliser ?

Leo Blomov : Que ce disque tombe dans les oreilles de l’auditeur idéal, qu’il soit français, portugais, brésilien, cap-verdien, mozambiquien… Avoir des retours de lusophones qui soient encourageants, enthousiastes. Et que la musique passe l’Atlantique, ce serait cool. Et puis que cela puisse faire découvrir la musique brésilienne à des gens qui ne la connaissent pas. Que cela les amène à ça et qu’ils apprécient, ce serait génial. Si je peux être un passeur, quelque part, ce serait super.


Retrouver Leo Blomov sur les réseaux sociaux – Facebook Instagram

Retrouver Leo Blomov sur La Face B :

En interview lors de  soirée Tricatel Machine organisée au Cabaret Sauvage [2023] : Rencontre avec Leo Blomov

Laisser un commentaire