Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? Honnêtement, on en sait rien. Mais l’idée qu’un événement, que certains trouvent minime, puisse créer un vrai bouleversement à l’autre bout du monde a quelque chose d’assez tentant. Et surtout, cela colle assez bien à l’idée qu’on se fait de la musique de Gabriel Tur : des petits bouleversements dans le réel pour créer une musique pop aux frontières du réelles. Un univers enchanteur qui transforme le quotidien en monde de tous les possibles et tous les délires, ainsi va la vie du Papillon Blanc, Gabriel Tur.
Dans l’Imaginarium du Docteur Parnassus de Terry Gillian, Tony, incarnée par Heath Ledger, se transforme à chaque changement de monde, pour prendre un visage, mais aussi une personnalité, différente. Cette astuce, utilisée pour parer au décès tragique de Ledger, pourrait facilement s’appliquer au Papillon Blanc de Gabriel Tur. En tout cas, c’est ce que sa pochette nous laisse penser.
À première vue classique photo en pied de l’artiste tout de blanc vêtu, celle-ci se dévoile au fur et à mesure que notre attention se porte sur les détails qui l’habillent et l’habitent. Des reflets dans le miroir présentant des images différentes de Gabriel Tur, à ce miroir dans le fond, qui semble animé d’une vie propre et dont l’écho coloré nous laisse à penser qu’on est plus face à un portail qu’à un objet servant à flatter notre narcissisme. Ainsi, le réel se transforme en patte à modeler, un outil comme les autres à malaxer pour en faire sortir le merveilleux, l’onirique et l’étrange aussi. Papillon Blanc se présente ainsi multiple dans son unité, dévoilant en 6 morceaux et une introduction, 6 visions, 6 instants, 6 histoires qui se frôlent, se croisent, s’aiment, s’ignorent et finissent par vivre ensemble.
Cette idée de multiplier les envies et les intentions n’a rien d’étonnant. Artiste pluri-disciplinaire, Gabriel Tur a toujours fait le choix de ne pas choisir, s’offrant des escapades autant théâtrale que musicale, mêlant avec bonheur l’un et l’autre que ce soit en apportant de la musique sur les planches qu’en offrant une bonne dose de théâtralité à ses concerts. Mais loin de se disperser, le bonhomme a une idée assez claire, une vision concernant sa musique, qu’il développe depuis bientôt trois ans.
À la manière d’un artisan, bien aidé de son comparse Jaune, Gabriel Tur a pris le temps de développer ses idées, de créer un carcan esthétique commun à son œuvre : une pop baroque et onirique, portée par une basse chaleureuse et groovy, une voix , qui parle autant qu’elle chante, qui conte autant qu’elle divertit et des morceaux qui prennent le temps de respirer, de monter et de descendre, de faire peur et de charmer devenant ainsi par moment des êtres autonomes tant est si bien qu’on finit par les laisser nous emporter, laissant de côté les carcans qui nous attachent au réel pour se laisser emporter par cette musique qui finit par nous habiter.
La beauté de Papillon Blanc vient aussi du fait qu’on est face à une musique qui a maturé par le live, Gabriel Tur offrant bien souvent à ses titres des longues plages instrumentales, moment qui, on le sait, lui permettent de transformer encore plus sa musique de manière concrète, élargissant ainsi le champ des possibles de son terrain de jeu favori.
Mais bien sur, la musique de Gabriel Tur n’est pas qu’une jolie coquille vide. Ambitieuse oui. Stylisée sans doute. Mais surtout pleine d’une humanité profonde et d’un vrai regard malicieux sur l’existence. Ici, caché comme le chat cheshire, on trouve une palette de facettes différentes d’une même personne, offrant un kaléidoscope humain qui se colle parfaitement au psychédélisme de l’ensemble. On y retrouve la vie, la mort, l’amour, la tristesse et même la politique.
La star nous raconte ce grand jeu de séduction, ce moment instantané ou la personne qui se mouve devant nous devient l’étoile qu’on a envie de suivre maintenant et jamais. Biscuit, comme un bond dans le temps relationnel, nous amène quand à elle dans un univers étrange, ou l’éternité touche finalement à sa fin, et ou les morceaux d’amour se brisent comme les miettes d’un cookie qui se disperseraient au vent. Trigolove quand à elle se transforme progressivement en lente montée qui nous ouvre peu à peu les chakras vers une autre réalité.
Papillon Blanc, est sans doute le morceau le plus émouvant de cette épopée, tandis que Les Cités est un morceau qui nous ramène brutalement vers le réel, pour nous rappeler que malgré toutes nos tentatives pour y échapper , celui-ci finira par nous rattraper et nous rappeler que malheureusement, le monde n’est pas aussi rose que l’on aimerait, même si malgré tout le beau se cache toujours quelque part. Enfin, Partez Devant, ode à l’oisiveté pop, et à la vie tranquille nous invite à quitter Gabriel Tur, le laissant ainsi devenir un point sur l’horizon alors que nous … partons devant.
Avec Papillon Blanc, Gabriel Tur n’a pas confondu vitesse et précipitation. Ce premier EP est la base solide d’un monde que l’on découvre à peine, avec son regard pétillant et son sourire en quoi, l’artiste nous ouvre à peine la porte de son œuvre artistique. L’envie est forte de l’enfoncer, mais on va jouer la patience. Une chose est sûr, le coup d’essai est proche du coup de maître, et on vibre déjà à l’idée de voir ce que Gabriel Tur nous réserve pour l’avenir.