Les confidences de Gayance

Aïsha Vertus, aka Gayance, revient sur une année riche d’aventures. En mars, la Montréalaise qui vit désormais à Amsterdam sortait en effet un premier album remarquable et remarqué, Mascarade, qui s’est rendu jusqu’à la courte liste du prestigieux prix de musique canadien Polaris. 

Gayance. Crédit: Floor Verhulst

La Face B: Comment se sont passés les derniers mois pour toi?

Gayance: L’été était très mouvementé. Je suis contente d’être basée à Amsterdam, ce qui m’a permis d’avoir une certaine routine. J’ai fait beaucoup de festivals que j’avais envie de faire: comment dire? Je ne pensais jamais dans ma vie que j’allais faire Montreux. Quand je l’ai su, j’ai pleuré. En plus j’ai un tattoo qui représente l’album live at Montreux Outertimeinnerspace d’Ahmad Jamal. C’est un album qui me calme et qui m’accompagne depuis que j’ai 16 ans. Quand il est décédé, ça m’a vraiment fait quelque chose et une semaine après on m’a dit que je jouais à Montreux. C’est le moment le plus iconique de ma vie. [Aïsha connaît tout le monde à Montréal, elle a déjà salué deux personnes depuis le début de l’entrevue, NDLR.] Cet été a été très spirituel pour moi, j’ai compris beaucoup de choses par rapport à moi-même, aux gens que j’admire. Montreux, c’est très mystique comme endroit. L’eau, les montagnes… Je comprends pourquoi beaucoup de gens ont décidé de s’établir là. Je veux y retourner, même si je ne joue pas.

LFB: Parle-moi un peu du Polaris, dont la cérémonie a eu lieu en septembre. Qu’est-ce que tu en retiens?

Gayance: C’est fou, je suis vraiment indépendante hein! Je suis fière, parce que c’est mon debut album sans gérance. C’est moi qui ai géré pas mal de choses côté admin, je te dirais que j’ai un très bon équipier à mes côtés qui est Jérémy Spellanzon [l’attaché de presse de Gayance, NDLR]. C’était moi et Jérémy against the world. J’ai aussi eu du support de mon label Rhythm Section pour la distribution et de la PR au UK. Je ne sais pas si c’est correct de dire ça, mais pour moi le Polaris c’était vraiment nerve-wracking. Je n’arrivais pas à gérer ça et ça m’a donné des problèmes de peau, j’ai perdu des cheveux, j’ai eu beaucoup d’anxiété. J’ai aussi dit des choses qu’il ne fallait pas que je dise, genre «I wish I was never nominated», parce que c’était trop pour moi. Je pense que des gens dans mon équipe en Europe n’étaient pas prêts à prendre ça, et je ne parle pas du label. C’était pas facile: debut LP, imposter syndrom, t’es pas chez toi, personne en Europe ne sait c’est quoi le Polaris, quand tu dis que c’est l’équivalent du Mercury Prize, qu’il y a 50 000 $ à la clé, que tu es la petite nouvelle dans la ville, les gens ne sont vraiment pas down. Mon pire ennemi est la personne qui a gagné le Polaris l’année dernière. C’était chaud! C’était dur! Mais on l’a fait. Aujourd’hui, je pense que c’est un blessing que je n’ai pas gagné. Je suis contente. C’est sûr que sur le coup j’étais épuisée de la semaine que je venais de passer et que personne ne s’en rendait compte, de tout ce que j’ai fait pour me rendre là – Milan, Londres, Toronto. Je suis contente de ne pas avoir gagné parce que c’est trop de pression. Je voulais l’avoir le 50 000 $, mais ça sera pour une autre fois! (Rires) Pendant la remise du Polaris à Toronto, j’ai chanté Mascarade devant la personne qui m’a inspiré cette chanson-là et je l’ai call-out, j’ai dit qu’il y avait des gens qui ne prenaient pas leurs responsabilités pour leurs actes. Une rappeuse québécoise, Marie-Gold, m’a dit que, en fait, j’avais gagné le karma en étant sur la courte liste du Polaris. J’ai dit ce que j’avais à dire. Pour moi c’était la vengeance ultime.

LFB: De quoi parles-tu dans Mascarade?

Gayance: Tout le monde dit que Nunca, Mais est une chanson anti-patriarcat, les gens savent qu’il y a une histoire derrière ça, mais je voulais aussi me protéger. Je me suis assez battue, j’ai dû m’exiler de ma ville. Je reçois juste des offres pour jouer en Europe. Je sais que j’ai fait quelque chose de gros et même s’il n’y a que moi qui comprends, ça rend mon projet encore plus intemporel. Je préfère faire de l’art qui dit quelque chose et qui va vivre longtemps. J’ai mis toute la marde que j’ai mangée pendant dix dans cet album-là. Le monde danse là-dessus maintenant au Japon, en France, aux Pays-Bas, au Brésil et au Canada. J’ai gagné. Je n’ai jamais joué au Piknic Électronik à Montréal, mais j’ai joué au Panorama Bar à Berlin. Si ce n’est de la haine, du sexisme, de la misogynoire, je ne sais pas ce que c’est. Avec le deuxième album, ça va aller encore plus loin. C’est ma thérapie. La façon dont je fais de la musique est très spirituelle, j’arrive avec des roches en studio, quand je mixe il y a de l’encens. Je continue ce processus, je sors le méchant. Les vrais sont là derrière moi et on avance. J’ai fait quelque chose qui était plus que pour moi seulement et depuis que j’ai eu la nomination au Polaris, je sais que j’ai fait quelque chose de plus gros que moi. Sauf si je le dis, personne ne sait que Mascarade est super politisé. C’est un cheval de Troie. 

LFB: Quels sont tes projets pour la suite?

Gayance: Je dois bientôt remettre un EP… Et puis je suis down de collaborer avec des amis à moi, là je viens de faire une chanson avec Magi Merlin par exemple. J’aimerais bien faire un projet au Brésil avec les gens de Mascarade parce que j’ai envie qu’ils voient cet endroit qui m’inspire.