Peut-être plus que les autres années, 2022 aura été riche d’albums forts, et ce, dans tous les genres possibles et imaginables. La rédaction de La Face B a donc aiguisé ses plus belles plumes pour vous offrir ses albums coups de coeur du cru 2022. Sans plus attendre, la troisième partie de notre sélection.
Équipe de Foot – Géranium (Marine)
Nommer son album préféré de l’année, c’est évincer tous les autres. C’est faire un choix. Et sur quels critères ?
Sans réfléchir, sans hésiter, je voudrais vous parler de Géranium du duo Équipe de Foot.
Parce qu’il m’a accompagné toute l’année. Ce n’est pas réellement vrai, puisqu’il est sorti le 6 mai 2022. Pourtant, je l’ai écouté comme s’il était apparu le 1er janvier. Comme s’il n’y avait rien eu d’autre. Tous les jours, ou presque. Toujours là. Quand ça va et surtout, quand ça ne va pas. Quand je rentre d’un énième concert, que les verres me font flancher et que je dois les écouter.
Ils sont deux. Alexandre, Michaël. Guitare, batterie. Et tout le reste. Flûte, harmonica, boucles et re boucles. Ils viennent du sud, celui qui dit gavé. En interview, ils sont eux, je crois. Il y a quelques mois, on a parlé, pendant plus d’une heure et demie. On parle encore, comme si, comme rien. Ils sont eux, ça fait du bien, ça ajoute du grain.
Quand ça brûle dans mon ventre et que mon cœur quitte ma poitrine, j’écoute SLVOTE à fond, et Quatre-Vingt-Quatorze. Cette année, apparemment, elle a résonné dans mes oreilles et dans ma vie quatre-vingt-huit fois. Presque le bon chiffre. J’aurais pu aussi parler de Drunk At Best, parce que les paroles ont été écrites pour moi, je crois. Ou encore de la voix d’Alex, de l’humour de Mika, de leur simplicité et de la force de leur musique.
Finalement, je peux parler de ce qui ne se dit pas mais qui s’écrit, de ce qui se joue dans les creux, que je crois atteindre, parfois, et qui soulage.
Quand ça ne va pas, je me rappelle qu’il y a la musique, celle d’Équipe de Foot. Et ça me suffit.
Princess Chelsea – Everything Is Going To Be Alright (Damien)
Princess Chelsea occupe toujours une place un peu à part parmi nos artistes préférées, tant il est difficile de la positionner dans le paysage musical actuel. Un côté twee pop, cette pop naïve aux mélodies addictives, dont elle joue pour mieux l’escamoter et la retourner, en lui donnant des niveaux de lecture que l’on n’aurait pas pressentis.
L’album Everything Is Going To Be Alright s’inscrit parfaitement dans sa tentative de grand déroutement. En dix chansons, elle façonne à sa manière son « Nervous breakdown album », comme elle le présente. Pour autant, pas d’apitoiement ni de désenchantement. L’amertume n’a pas sa place sur ce disque. Bien au contraire, elle revêt davantage un effet cathartique, et on est impressionné par la force et l’énergie qui se dégagent des titres. Laissez-vous porter par les deux versions d’Everything Is Going To Be Alright qui ouvrent et referment l’album, en se répondant en écho. Elles sont remarquables de maturité et de sensibilité. Pour cet album, Princess Chelsea a énormément travaillé en studio avec son extraordinaire orchestre live. L’ambiance musicale s’en ressent, elle qui confère aux morceaux certaines aspérités qui les rendent encore plus poignants. Les guitares sont mises en avant, déversent leur son saturé, et alors la voix cristalline de Chelsea peut parfois prendre des intonations gutturales. On passe de la gravité de We Kick Arround au fantastique, avec la reprise incroyable d’In Heaven, qui nous replonge dans le monde mystérieux d’Eraserhead de David Lynch, dont elle est issue (Lady in the Radiator Song). La pop de Princess Chelsea s’électrifie et se colore de teintes que l’on croirait sorties des amplis des Pixies ou des Breeders.
L’air de rien, en dix titres, Princess Chelsea nous a confectionné un des meilleurs album paru cette année. A découvrir ou à réécouter encore et encore.
Ghost Woman – Ghost Woman (Pierre Pouj)
Il y a quelques mois, au Trabendo, se tenait un concert que j’ai loupé. Et, on va pas se mentir, je m’en mords encore les doigts. Des potes y étaient et m’ont recommandé la première partie, Ghost Woman. Et ça a fait mouche. Un seul album, sorti le 1er juillet chez Full Time Hobby, et déjà un de mes groupes préférés. De ce que j’ai compris, on a affaire à un duo mixte à la White Stripes. De ces deux-là, ils n’ont que la formation.
Ghost Woman se refererait plutôt à un Allah Las noir, plein de sentiments, mais de sentiments noirs, de mélancolie. Les guitares un brin psychés me touchent profondément, la voix du mec, elle aussi proche du front man d’Allah Las, sonne parfaitement dans l’univers. Un album en soi très simple, pas des plus originaux, mais rudement efficace, de rock américain (le chanteur est canadien). Puis, soyons honnêtes, la pochette est sublime. Je viens de lire qu’un nouvel album allait sortir dans moins d’un mois, croyez moi, je l’attends avec la plus grande impatience.
Beth Orton – Weather Alive (Heloise)
Tellement difficile de n’en choisir qu’un, mais c’est finalement Weather Alive de Beth Orton que je sélectionne.
Une force mystérieuse émane de Weather Alive. Le dernier album de Beth Orton est comme hanté, habité par des fantômes du passé, par des sentiments longtemps non-exprimés, par des éléments émanant de l’inconscient… l’album est une exploration introspective d’où semblent émaner des secrets que l’on tente de saisir à chaque écoute.
Composé sur un vieux piano trouvé dans une petite boutique de Camden à Londres, les mélodies sont à la fois à vives et aériennes. Les paroles, sous forme de streams de conscience élaborés, sont poétiques, et l’instrumentation proche de la perfection. La musicienne anglaise a fait appel à des musiciens à la pointe de leur art pour finaliser cet album.
Parmi eux, Alabaster Deplume, Tom Skinner (The Smile, Sons of Kemet …) ou encore Shahzad Ismaily. Weather Alive est un album captivant et envoûtant auquel je ne cesse de revenir. 10/10
Denzel Curry – Melt My Eyez See Your Future (Manu)
Le Rap US regorge chaque années d’œuvres surprenantes, preuves d’une scène exerçant une certaine domination. 2022 fut une nouvelle fois le théâtre de cette suprématie pesant sur le monde du Hip-Hop. Et comme à l’accoutumée, les États-Unis ont été le lieu de l’explosion d’artistes prêts à conquérir le reste du monde.
C’est en mars que l’un d’entre eux s’est illustré en sortant son cinquième album. C’est avant Pâques que Denzel Curry a rendu public Melt My Eyez See Your Future. Ayant l’effet d’un véritable ouragan auprès des observateurs, le disque a impressionné en proposant une pièce témoin d’une grande maîtrise. Plus introspectif et soigneux sur l’écriture qu’auparavant, le Floridien a mis en avant une facette mature de son art.
Notamment gratifié d’excellentes productions, comme sur le morceau introductif Melt Session #1, produit par Robert Glasper, le rappeur s’affirme. Après plusieurs précédents projets, ce dernier met en avant un nouveau style, moins orienté vers le Rap Hardcore. De facture plus mélodique et douce, ce nouveau disque est une ouverture à un nouveau public. Il fut d’ailleurs complété par une version deluxe, gratifiée de morceaux revisités à la sauce Soul.
Warpaint – Radiate Like This (Eva)
Mon album de l’année porte le nom d’un état que j’aimerais emblématique pour 2023 : Radiate Like This.
Début mai dernier, nous avions pu découvrir, après tant d’années d’attente, l’album de Warpaint, Radiate Like This. Les californiennes ont pris le temps de réaliser des titres qui sortent directement d’un rêve, nous enveloppent et nous apaisent. Chez Warpaint, l’esthétique est ambiante mais en même temps rock et dansante, nous emportant dans un tourbillon de paillettes jusqu’au bout de la nuit.
Les derniers rayons du soleil transpercent les nuages, l’ambiance est chaude, couleur or, c’est le moment de la golden hour, c’est ce sentiment que nous fait ressentir l’album de Warpaint. Finir 2022 et commencer la nouvelle année par ces notes réconfortantes et chaudes, c’est tout ce dont j’aspire à ressentir.
Avec cet album, on prend confiance en soi avec Champion, une belle ode à se reprendre en main et nous prouver que nous sommes fort.e.s. Les morceaux sont comme une médecine alternative qui guérirait tous nos maux. Transporté.e.s par des courants chauds comme ceux de l’océan, on prend le temps de respirer et de reprendre confiance. La sororité est plus qu’évoquée dans cet opus où la féminité a une place centrale. Elle est représentée comme base centrale, d’où tout naît.