Date désormais classique dans le début de l’été alsacien, le festival Décibulles nous donnait de nouveau rendez-vous du 7 au 9 juillet dans les magnifiques paysages vallonnés du sud du Bas-Rhin. Avec une grande scène pour les artistes confirmés et un kiosque qui accueillait des musiques plus underground et autres arts du spectacle, le tout dans une ambiance à taille humaine, on peut dire que le concept a fait ses preuves. La Face B vous raconte les meilleurs moments de cette édition (et il y en a eu!).
Jour 1
Une chose est sûre, Décibulles ça se mérite et pour atteindre la terre promise, il faut commencer par monter une côte bien raide qui peut poser problème par temps de canicule. Une fois cet obstacle avalé, les rafraîchissements sont plus que bienvenus et les hostilités commencent en douceur avec Soja et leur balades reggae qui font dodeliner de la tête les premiers festivaliers assez courageux pour se poser sous la Grande Scène, sous un soleil de plomb.
Toujours sur la grande scène et alors que l’atmosphère se rafraîchit tout juste, Tiakola monte sur scène devant une foule de fans bien compacte. Catapulté nouvelle star du rap/rnb français à une vitesse phénoménale, il découvre l’exercice des festivals d’été et se débrouille sans problème pour satisfaire son public qui chante en permanence les paroles. L’ambiance est plutôt tranquille avec une majorité de morceaux chantés/autotunés même si quelques titres viennent rappeler que Tiakola est capable de kicker très correctement. Pour les non-initiés le concert est aussi agréable, grâce aux musiciens talentueux et au charisme du chanteur qui ne prend pas son set par dessus la jambe et installe une bonne ambiance sur la grande scène, à coups de pistolets à eau et de communication bien sentie
Tiakola – Photos Manon Badermann / Panartistic Prod
Changement radical d’ambiance avec We Hate You Please Die qui inaugure musicalement la petite scène du kiosque. Le trio livre un set composé presque uniquement de nouveaux morceaux, dont la doublette Sorority / Control sortie il y a quelques mois. Chloé a repris le chant et les nouveaux morceaux sonnent bien plus bruts et rentre-dedans que les anciens. Il n’en fallait pas plus au public pour mettre un beau bazar devant la scène, avec des stage-dives et de pogos qui soulèvent un impressionnant nuage de poussière, alors qu’une foule impressionnante s’est massée devant le concert. On touche du doigt le principal problème de cette petite scène qui semble bien étroite pour que tout le monde puisse en profiter pour les concerts les plus prisés. En tout cas pour We Hate You Please Die, le contrat est plus que rempli avec un set intense de 35 minutes après lequel musiciens comme public ont besoin d’un peu d’air frais pour éliminer la poussière dans les poumons.
We Hate You Please Die – Photos Manon Badermann
Pour calmer le jeu, Fakear prend possession de la Grande Scène sous une ambiance coucher de soleil. Accompagné d’une harpiste, d’une violoniste et d’un beau jeu de lumières, tout est réuni pour un moment de grâce avec l’électro du français. Même si la musique peine peut-être à s’incarner pleinement en concert, le musicien n’est pas avare de communication avec le public et nous permet de commencer la soirée en douceur, douceur qui ne va pas durer bien longtemps d’ailleurs.
Sur le kiosque, la journée rock continue avec les bretons de Guadal Tejaz, drapeau de l’En Avant Guingamp sur les amplis et krautrock teinté de punk dans les oreilles. L’air est plus respirable que pour le concert de We Hate You Please Die mais le public est quand même au rendez-vous pour la découverte. Forcément le regard est attiré par le frontman Morgan qui nous gratifie de ses mimiques habitées et de son humour pince-sans-rire. Côté musique, le groupe est convaincant et nous fait dodeliner de la tête, alors que les membres s’échangent régulièrement les instruments, en fonction du style et des besoins des chansons oscillant entre post-punk aux sonorités très électro et rock plus rentre-dedans.
Guadal Tejaz / Fakear – Photos Manon Badermann
Un vent de nostalgie souffle désormais sur la Grande Scène avec la tournée d’adieu de Lorenzo. Certes, le personnage commençait sérieusement à s’essouffler mais ses aventures nous rappellent au bon souvenir de 2016, une époque où tout (ou presque) était plus simple. Alors pour dire au revoir, Lorenzo ne livre pas un concert au rabais et a ramené comme à son habitude toute sa clique (le poto Rico, Yro, Zarma, Tony Corrida…) et des innombrables activités à faire faire au public : canon à mousse, circle pit mené d’une main de maître par un contrôleur aérien, blagues potaches… Le concert plein de second degré passe étonnamment vite et on se prend toujours au jeu des innombrables tubes : Fume à Fond, Bizarre, et le fameux Freestyle du Sale, repris en chœur par la foule. Preuve que Lorenzo a tout de même bon cœur, il arrête même son concert pour permettre d’évacuer une fan du premier rang prise d’un malaise. Généreux, le rappeur dépasse assez largement l’heure prévue et termine son concert avec Coco, requiem pour son perroquet qui sonne comme un Adieu pour son personnage également. Est-ce qu’il nous manquera ? Pas sûr, mais ses au revoir auront été l’un des meilleurs moments de la journée, dont on retient toujours cette phrase : “Pour les enfants dans 10 ans, ce sera nous le rap conscient”.
Lorenzo – Photos Manon Badermann / Magalie Koessler
Retour aux choses sérieuses pour le dernier concert du kiosque avec le duo parisien Bracco. Idéalement programmés en fin de soirée, les deux musiciens ne déçoivent pas et vont faire danser frénétiquement pendant 30 minutes les courageux à qui il reste de l’énergie après cette éprouvante première journée. Commençant presque en douceur avec Fribourg, le set va progressivement basculer dans la folie douce au fur à mesure que le frontman Baptiste et son jeu très physique se déshabille et se contorsionne, avalant le micro et clamant ses textes furieusement. Les corps se mettent en mouvement et suivent les rythmiques hypnotiques de la cold-wave des français, le temps semblant s’étirer. On nous l’avait dit, la musique de Bracco se sublime en live mais avant de l’avoir expérimenté, difficile d’en comprendre la réelle portée. Ils nous ont en tout cas offert probablement le meilleur concert de la journée, et sûrement l’un des meilleurs du festival.
Bracco – Photos Manon Badermann
Jour 2
Décibulles jour 2 : il fait toujours aussi chaud, la moyenne d’âge du public est un peu montée et l’on voit bien plus de tshirts de hard-rock que la veille mais la journée s’annonce toute aussi intéressante que la veille. Pour ouvrir les débats, Terne l’un des secrets les mieux gardés d’Alsace prend possession de la Grande Scène. Les trois garçons tout de rose vêtus évoluent dans le post-punk au sens large du terme avec une variété appréciable et une personnalité bien à eux. Le côté assez sombre de leur musique fait qu’on en profite peut-être moins en plein après-midi sous un soleil de plomb que dans une petite salle sombre mais l’opportunité a été pleinement saisie par les Mulhousiens pour se faire encore un peu plus connaître par le public alsacien, eux qui enchaînent les dates sans répit dans la région.
Peu après, c’est Ibeyi qui se présente sur la Grande Scène, parenthèse plus douce dans cette journée axée rock. Les deux sœurs ont un nouvel album à présenter et elles ne se privent pas pour lui accorder une belle place dans la setlist, notamment les chansons avec des featurings samplés comme Lavender and Red Roses où se fait entendre la voix de Jorja Smith. Avec des musiciens en forme et une belle complicité entre les deux chanteuses, la mayonnaise prend malgré le public un peu en-dedans, la faute toujours à la chaleur écrasante de cette fin d’après-midi.
Terne / Ibeyi – Photos Flexpeps
Un peu plus tard dans la soirée, les très attendus Shame prennent possession de la Grande Scène et commencent pied au plancher. Dans la lignée de la nouvelle vague post-punk venue du Royaume-Uni qui déferle ces dernières années dans l’ombre de Fontaines DC ou Idles, Shame a peut-être un peu moins fait son trou mais sait comment mener un concert tambour battant. Les membres ne s’économisent pas et sautent partout, brisant la frontière entre la scène et le public. Difficile de rester insensible à cette énergie débordante, d’autant que la musique est au diapason, agressive quand il le faut mais avec aussi pas mal de nuances appréciables. Une belle découverte sûrement pour pas mal de festivaliers.
Il faut courir pour ne pas manquer le set de The Guru Guru sur le kiosque. Comme Shame, les belges ne sont pas du genre à s’économiser sur scène et font de leur mieux pour électriser le public nombreux pour ce set coincé entre Shame et Airbourne. Certains avaient déjà pu les découvrir au Pelpass Festival à Strasbourg l’année dernière mais pour les Alsaciens qui n’y étaient pas, la séance de rattrapage (un peu plus poussiéreuse tout de même) valait largement le coup.
Shame – Photos Flexpeps
La tête d’affiche semble avoir rameuté à elle seule une bonne frange du public du jour. Depuis à peu près 15 ans, les concerts d’Airbourne sont sensiblement identiques et on ne peut pas dire que le groupe se renouvelle beaucoup mais une chose est sûre : c’est un sacré défouloir et un sacré spectacle. Les riffs hard-rock des australiens créent un sacré bazar dans le pit des Décibulles où la poussière vole plus que jamais au rythme des invectives de Joel O’Keefe (dont on ne comprend pas la moitié, mais cela fait évidemment partie du charme). Pendant un peu plus d’une heure Airbourne va nous livrer une setlist étonnamment rétro avec les incontournables Girls In Black, Live it Up ou Runnin Wild. On a connu le frontman plus agité mais il en va quand même de son petit tour au milieu de la foule sur les épaules d’un roadie et quelques classiques ouvertures de bières avec le crâne. Mais globalement, on retiendra ce lancer de (nombreux) verres de whisky à un spectateur qui tente tant bien que mal de les rattraper avec un certain talent. Bref, le contrat d’Airbourne est totalement rempli et ne boudons pas notre plaisir : si faire du rock n’ roll de la sorte est relativement simple, le faire avec talent n’est pas si courant.
Airbourne – Photos Flexpeps
C’est le français Mezerg qui est chargé de finir la soirée sur la Grande Scène. Pas forcément le nom le plus connu de la scène électro française, les nombreuses discussions avec nos camarades de festival finissaient toujours de la même façon : c’est lui la pépite à ne pas manquer de la programmation. Au final le set est très plaisant et bien varié comme il faut. Le français nous emmène tantôt dans des contrées dansantes et exotiques, tantôt dans une atmosphère de club techno plus énervée. Malgré l’heure tardive, on ne voit pas le temps passer et on est presque surpris de le voir s’arrêter si vite au bout d’une heure. Toujours un bon signe.
Jour 3
Décibulles jour 3 : la chaleur est plus supportable et on nous annonce même potentiellement un orage qui viendrait gâcher la performance tant attendue de M83 en clotûre du festival. Dimanche oblige, les concerts commencent plus tôt et on loupe le set de John Butler coincé dans les bouchons de l’entrée du festival. La journée commence donc en douceur avec Luidji et son hip-hop mélodique, l’une des plus belles découvertes du festival. Accompagné de musiciens qui apportent un groove indéniable, le francilien nous emmène dans des contrées agréables pour un dimanche après-midi : jazz, funk, soul… avec un groove et un charisme indéniable. Comme pour Tiakola vendredi, une horde de fans se presse à l’avant pour chanter les paroles, des histoires d’ex-copines et de relations souvent pas très saines.
John Butler / Luidji – Photos Manon Badermann
Au tour d’Izia d’investir la Grande Scène, quelques jours seulement après s’être retrouvée bien malgré elle à la une des médias pour des propos tenus en concert sur Emmanuel Macron. Si on pouvait s’attendre à une chanteuse un peu épuisée par cet emballement médiatique, elle n’en montre en tout cas rien et livre un show énergique, comme à son habitude. Énergique également, la rappeuse Uzi Freyja prend d’assaut le kiosque pour le dernier gros bazar du festival. Sur des instrus qui ne font pas dans la dentelle, le public en profite une dernière fois pour soulever la poussière de Décibulles, avant de finir la journée sur des musiques plus tranquilles.
Izia / Uzi Freyja – Photos Manon Badermann
On ne sait pas vraiment à quoi s’attendre en se posant devant le concert des allemands de Meute, mis à part leur reprise de You and Me que tout le monde a entendu. La promesse de faire de l’électro avec uniquement des instruments de fanfare est pour le moins osée et on doit le reconnaître après quelques titres : ça fonctionne très très bien. On est même probablement sur l’un des meilleurs concerts du festival pour les allemands qui nous font danser pendant plus d’une heure avec leur cocktail bluffant. Les nuances dans les instruments à vents sont extrêmement subtiles et le fait que tout soit joué en live avec de vrais instruments rend la chose encore plus appréciable. Chacun y va de son petit solo et son petit moment de gloire, sans trop en faire et le concert passe à une vitesse folle. Dans un cadre idyllique sous le coucher de soleil avec une météo parfaite, Meute en aura profité pour nous emporter.
Meute – Photos Manon Badermann
Retour au kiosque où une seule lettre change : au tour de Meule de monter sur scène. Cette fois, pas de fanfare électro mais un rock garage avec de fortes influences electro. Sur scène, deux batteurs se répondent avec en maître de cérémonie, un guitariste perché derrière une impressionnante console électro qui lui permet de gérer sa mélodie à sa guise. On est intrigué et séduit par cette musique qui se développe lentement et progressivement, de même que le public arrive depuis la Grande Scène pour ce dernier concert au kiosque. Malheureusement, coincé entre Meute et M83, les français n’ont pas bénéficié du meilleur créneau pour défendre leur musique mais on espère les revoir rapidement pour mieux se plonger dans leur live.
L’orage promis n’est finalement pas arrivé et le public peut se masser devant la Grande Scène pour le bouquet final de cette édition des Décibulles : M83. Le groupe d’Anthony Gonzalez est rare, même très rare sur scène alors on ne boude pas son plaisir de les retrouver avec un nouveau line-up live qui inclut les musiciens du talentueux groupe Bruit. Que dire de ce concert ? Qu’encore une fois M83 est rarement là où on l’attend. Certes le groupe présente les nouveaux morceaux de Fantasy qui passent très bien le cap du live mais en dehors de ça, il expérimente, retravaille, renouvelle ses morceaux comme We Own The Sky ou Solitude joués dans des versions inédites. Il déterre des vieux morceaux comme Teen Angst et même des tracks cachées comme Mirror. De nombreuses prises de risque pouvant déstabiliser le public mais qui sont au final payantes. Et comment ne pas ressentir l’émotion quand arrive l’heure des tubes de Hurry Up We’re Dreaming : Wait, Midnight City, Outro… M83 nous emmène de nouveau hors du temps et communique finalement assez peu pour jouer un maximum de titres. Le nouveau line-up fonctionne parfaitement et apporte un côté beaucoup plus dur et tranchant à certains titres, en contraste total avec le dernier concert du groupe auquel nous avions assisté en 2016. Un final parfait pour cette édition 2023 des Décibulles qui aura offert un rollercoaster d’émotions pures, permises par une organisation et des bénévoles aux petits oignons. Alors vivement l’année prochaine!
M83 – Photos Flexpeps