Si l’on connaissait la facette poétesse de Raphaële Lannadère, elle se dévoile peintresse au travers de son dernier album Paysages. L y peint des décors impressionnistes, des grands espaces contemplatifs avec comme ligne de fuite un engagement intime et politique.
Puisque l’on parle de peinture, c’est à la manière de l’Ophélie de Millais qu’L se noie dans un tourbillon d’étincelles et de couleurs pastel. Par ce trait, la pochette ne serait pas sans rappeler une certaine Fantaisie Militaire; pourtant l’esthétique diffère, en étant plus texturée, brumeuse, plus rugueuse par le grain. Le photographe Grégory Dargent fait de l’artiste une muse impressionniste, emportée par les Paysages qu’elle nous raconte.
Des paysages tant poétiques que politiques
Raphaële Lannadère affirme un engagement en prenant part à certaines causes. Nous éclairant tout en dénonçant, ou au contraire, en témoignant son admiration. Ce sont des convictions ancrées dans le temps présent. Puisqu’il y est question d’écologie ou plutôt de solastalgie, ce sentiment nostalgique de perte de contrôle face à la nature et ses bouleversements. Sur le morceau Tu viendras, on peut l’entendre fredonner : « Si je me taille c’est pour entendre l’océan chanter plus fort; c’est pour écouter dans le soir le cris des chouettes encore; avant que tout déraille, avant qu’il soit trop tard. » Cette conscience de la terre résonne en toile de fond, comme une menace sourde et mélancolie. De plus, L nous livre son rapport à la nature, au calme et au vide. Comme avec Les Oiseaux dont la mélodie a éclot dans le silence du confinement. Enfin, il est question d’identité, de genre porté par le féminisme. Notamment sous le matronage de Sakine Cansız avec Femmes, Vie, Liberté (dont nous vous avions déjà parlé ici) et d’Adèle Haenel par l’Etincelle.
« La persistance de la mémoire »
Derrière cette métaphore des paysages, il a la question du temps qui passe. Raphaële Lannadère invoque les souvenirs et l’héritage. Ce que l’on laissera dernière nous et ce que l’on retiendra de nous. Une mémoire commune, comme à travers L’Etincelle qui éclata avec le départ avec fracas d’Adèle Haenel de la cérémonie des César. Dont « l’ADN des époques » constituent l’identité du titre comme celle du clip jonglant entre les vagues du féminisme des années 1970 et post #MeToo. C’est aussi un héritage intime et maternel avec le titre Abel : véritable lettre adressée à son fils. Il s’agit d’un titre aussi tendre et doux qu’une berceuse, dans lequel L raconte des paysages fantômes formés de « basalte » ou de « landes à marrée basse ». Aussi, le spectre d’une grande dame hante avec bienveillance le disque. Billie Holliday (de son véritable nom Eleanora Fagan) apparaît au travers du titre Eleonora. Après avoir offert Lady L. à Raphaële, Babx lui offre ce morceau sur Lady D. qu’elle écoutait en boucle. On pourrait presque voir se dresser sous nos yeux le portrait ektachrome de la chanteuse, dont le temps a effacé les gardénias dans ses cheveux.
Impression miroir et portrait
A l’effigie de la pochette, certaines chansons sont comme des toiles impressionnistes. Tels des peintres, les violoncellistes Guillaume Latil et Julien Lefèvre, le guitariste Antoine Montgaudon et le batteur Frédéric Jean jouent une musique dont les notes se succèdent, comme des touches de peintures. Tandis qu’L dessine des paysages vaporeux au travers desquels elle nous confie ses émotions, ses doutes, comme avec le titre Encore : « J’essaie encore, j’sais pas si j’ai raison ou tort. » Avec force et ancrage, elle affirme sa tendresse pour la mélancolie avec Aux souvenirs : « Qu’on m’adonne, qu’on m’abandonne, à la mélancolie» C’est peut-être l’un des beaux morceaux de l’album. En duo Camille les voix des deux chanteuses s’entremêlent avec un phrasé tantôt très prononcé, tantôt très étiré. L’album se conclut presqu’avec l’élégant titre L. Comme pour boucler la boucle et en miroir à Initiale (un précédent titre), Raphaële Lannadère chante seulement accompagnée d’un piano sa volonté de faire rêver, danser autour de bals merveilleux et irréels.